Rencontre avec Enora Chame, officier renseignement à l'ONU / Part.1

Rencontre avec Enora Chame, officier renseignement à l'ONU / Part.1

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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.


L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, qu’elles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.


Dans ce nouvel épisode, nous partons à la rencontre de Enora Chame, officier de renseignement dans l'armée française qui raconte son expérience d'observateur de l'ONU en Syrie, dans son livre "Quand s'avance l'ombre" disponible dans notre librairieAvec elle, nous allons parler de sa mission de 2012 mais aussi de géopolitique et notamment du rôle des institutions internationales dans les conflits modernes.



Présentation

Enora Chame est colonel dans l’armée de l’Air et de l’Espace et nous dévoile son parcours dans l’institution militaire, depuis ses débuts jusqu’à la sortie de son livre, ses missions plus récentes étant confidentielles. Elle a été recrutée sur titres, « sans passer les concours militaires habituels », explique-t-elle. Grâce à ses diplômes, elle entre directement en troisième année à l’Ecole de l’Air. Elle travaille au sein de l’armée de l’Air, puis bifurque sur des missions internationales, à l’OTAN et surtout à l’ONU. Elle passe un diplôme militaire, scientifique et technique durant lequel elle apprend l’arabe pendant trois ans.

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Ses missions dans le monde

Après ce diplôme, elle répond à une prospection pour une mission ONU de surveillance de la trêve, active au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Egypte, en Israël et en Palestine. Cette mission « est en général très paisible, indique l’officier, et elle a cet avantage de permettre aux observateurs de vivre au milieu de la population. » Enora Chame est déployée au Liban entre le Hezbollah et Israël pendant un an, puis à Jérusalem en Israël durant une autre année. Elle revient en France et effectue d’autres missions en Afrique et dans le monde, puis à New-York au sein du département des opérations de maintien de la paix comme analyste pour le Moyen-Orient. Puis les Printemps arabes et la révolution en Syrie ont lieu, et la militaire est choisie pour être envoyée en Syrie, de par sa connaissance du pays. C’est durant cette missions de 4 mois qu’elle écrit son livre « Quand s’avance l’ombre ». Pour elle, c’était la « mission de la dernière chance d’urgence totale ». Elle craignait alors que la Syrie « ne glisse vers l’abime. Et c’est ce qu’il s’est passé, déplore-t-elle. Après un mois d’apaisement de certaines tensions, c’est l’inverse qui s’est passé et la Syrie a basculé dans la guerre. » Aux premières loges, elle a ainsi pu documenter la situation.

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A son retour en France, elle fait l’Ecole de Guerre et obtient le grade de colonel. Toujours militaire d’active, elle n’est toutefois « plus réellement » dans le renseignement : « à mon grade, on n’est plus tellement sur le terrain, on est plus en retrait, en prise de décision, mes activités ne sont plus les mêmes », explique Enora Chame.


Syndrome de stress post-traumatique

Comme elle le raconte dans son livre, Enora Chame s’est fait diagnostiquer un syndrome de stress post-traumatique (SPT) par ses camarades qui l’ont vu changer. La mort d’un de ses collègues réveille en elle des blessures vieilles de dix ans datant d’une mission en Bosnie. A l’époque, déployée à l’étranger, elle ne se soigne pas. Lorsqu’elle réalise son SPT, elle se trouve en Israël et par chance, peut bénéficier d’un suivi par un psychiatre de l’armée israélienne, via un programme expérimental. Celui-ci « a été absolument spectaculaire », déclare-t-elle et lui a permis par la suite de développer des « outils psychiques » lui permettant de se protéger sur le terrain. Elle continue toutefois de faire preuve de « vigilance pour m’écouter, pour me surveiller. Ce n’est pas parce que vous avez fait face à une difficulté dix fois pour une situation difficile, qu’à la onzième, vous ou votre cerveau va continuer à l’accepter. Donc je m’écoute. »



Son rapport à la hiérarchie

L’officier avoue s’être parfois sentie abandonné par sa hiérarchie, estimant qu’une partie était « extrêmement mauvaise et dangereuse pour nous ». Lieutenant, Capitaine, Colonel… à chaque grade qu’elle porte, elle explique avoir eu des décisions à prendre, à son niveau. « Toute votre carrière vous prenez des décisions, souligne-t-elle, mais chaque grade amène à un autre type de décision à prendre, de responsabilités. » Enora Chame raconte aussi « ne pas avoir été toujours bien traitée par l’institution », notamment lors de ses débuts de carrière, alors qu’il y avait très peu de femmes. Parfois malmenée, elle s’est alors promis de ne jamais « traiter mes personnels de cette façon-là. »

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Recrutée il y a 25 ans, l’officier admet tout de même que les mentalités ont évolué au sein de l’institution, qu’elle a pu compter sur des sous-officiers ou des chefs bienveillants et qui lui ont tendu la main. Elle affirme également que ces épreuves l’ont finalement renforcée, et ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui : « c’est dans la difficulté que l’on se construit ».



Retour d’expérience de ses missions

Enora Chame explique que cette mission en Syrie s’est organisée très rapidement, et était parfois désordonnée, car répondait à une urgence. Elle raconte dans son livre la situation et son ressenti.


Etre toujours active pour gérer ses émotions

Pour faire la part des choses sur le terrain et ne pas se laisser submerger par ses émotions, la militaire a développé quelques techniques. Elle demandait par exemple au médecin légiste de lui envoyer des fiches techniques afin de se confronter à la mort et ne pas « subir le choc face à des corps. » Elle tentait également d’être toujours active, jamais passive : interroger des locaux, photographier des lieux, ou lorsqu’elle était bloquée à l’hôtel à cause des tirs, en apprendre plus sur l’artillerie, les reconnaître au son, grâce à des camarades : « ça me permettait de toujours apprendre. Si je ne pouvais pas enquêter, être dans l’action, au moins je continuais à apprendre. » Enfin, elle souligne l’importance de la pratique sportive, même si cela se limitait parfois à courir dans les escaliers, pour évacuer la tension.

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Bannir le mot espionnage

L’officier insiste pour différencier les missions d’espionnage de la DGSE par exemple, avec des clandestins, de son type de mission en Syrie. Si des parallèles peuvent être réalisés entre le fait de « rassembler des éléments, les vérifier, les croiser, les exploiter », la finalité n’est pas la même, puisque ces informations ne sont pas transmises à un pays ou un gouvernement en particulier, mais à l’ONU : « vous travaillez pour la communauté internationale, soutient Enora Chame, et votre patron c’est les Nations Unis et le Conseil de sécurité ».

Ainsi, sur le terrain, elle n’était pas cachée, portait l’uniforme français, mais avoue avoir parfois dû retirer le drapeau tricolore « parce qu’il me posait des difficultés particulières », indique-t-elle.


La prise de décision

Comme expliqué déjà plus haut, la prise de décision se fait à tous les niveaux : « sur le terrain, vous êtes au plus bas niveau tactique, explique Enora Chame. Les Nations-Unis à New-York, c’est le plus haut niveau diplomatique possible. » Entre les deux se trouvent des ambassadeurs, des chefs d’Etat, des généraux, le bureau des affaires militaires, ou encore les états-majors des pays concernés par la mission de l’ONU, détaille l’officier, qui ajoute qu’il est compliqué dans ces conditions que tous se comprennent et optent pour des choix avisés sans réaliser ce qu’il se passe réellement sur le terrain. « C’est pour ça d’ailleurs qu’ils nous laissaient autant de latitude et qu’on rendait compte le soir », précise Enora Chame.



La communauté internationale

La Colonel affirme que la neutralité doit être respectée lorsqu’un militaire d’un pays est mandaté par l’ONU. Il est alors « prêté » par son pays pour servir des intérêts internationaux au service des Nations Unis. Les rapports peuvent parfois être compliqués, certains pays peuvent être très durs envers d’autres ou envers eux-mêmes.

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Maintenir la paix mondiale

Des résolutions ont aussi été votées à l’ONU afin de maintenir un équilibre mondial et un cadre juridique. Enora Chame souligne cependant que la situation se complique et se polarise, avec « d’une part les Russes, d’autre part les Occidentaux, et avec la Chine qui observe beaucoup, qui n’est pas forcément très aidante et qui préserve ses intérêts. C’est toute la fragilité des Nations Unies, poursuit-elle, qui je pense, aujourd’hui, devraient interpeller. La communauté internationale ne tient ensemble que parce que tout le monde l’a décidé et parce que tout le monde applique la charte des Nations Unies. Et si demain cette charte n’est plus appliquée, si certains pays décident de déclencher des guerres, et on voit que c’est possible, petit à petit ça se délite. C’est fragile la paix. Et ça l’est de plus en plus puisque les conditions climatiques, humaines, démographiques, deviennent extrêmement difficile », prévient l’officier.

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La guerre en Ukraine

Etant toujours d’active, la militaire précise qu’elle ne peut pas s’exprimer sur le conflit en cours entre la Russie et l’Ukraine. « Je n’ai pas la compétence sur l’Ukraine et donc je ne commenterai pas les décisions politiques ou géopolitiques dans cette région », ajoute-elle. En tant qu’observateur, elle a tout de même remarqué « des choses très inquiétantes que j’ai vu dans d’autres guerres. C’est-à-dire une propagande forcenée, une opinion publique très polarisée, il y a de grands méchants et de grands gentils, une absence de volonté d’obtenir une paix immédiate» Ce dernier point l’inquiète particulièrement car « quand une paix ne revient pas très vite après le début d’une crise, vous vous installez dans la durée pour une vraie guerre et des destructions terribles », affirme-t-elle. L’officier note également l’implication de la communauté internationale, avec « des tas de pays qui négocient dans tous les sens » mais déplore que le principal pays concerné soit toujours sous les bombes.  Enfin, redoute que cette guerre ne s’enlise et s’installe pour des années, avec des conséquences à long terme, comme la corruption, l’apparition de mafias, puis une guerre avec des milices. « Je suis un peu inquiète des dynamiques à l’œuvre parce qu’on les a déjà vues ailleurs », conclut-elle.


La différence entre l’Ukraine et la Syrie

Enora Chame soulève les grandes différences entre le conflit russo-ukrainien et la guerre qu’elle a observé en Syrie : « en Syrie, Bachar el Assad considérait une partie de sa population comme terroriste. Il attaquait et liquidait une partie de sa population, ses opposants, et même la société civile. Le président Zelensky, quoi qu’on pense de ce qu’il cherche à obtenir, n’est pas en train d’éliminer et de traquer sa population avec sa police. Il n’arrête pas sa propre population dans les hôpitaux, il ne torture pas sa propre population en prison. Deuxièmement, en Syrie c’est devenu une guerre civile. En Ukraine, c’est une population totalement galvanisée qui réglera des comptes un peu après, mais qui pour le moment, étant attaquée, réagit avec beaucoup de force contre l’attaquant qui vient de l’extérieur. » Enfin, elle note qu’aucune guerre n’est comparable et que Ukraine, Syrie, Yémen, chacune a ses spécificités.

 

Découvrez la suite de cette rencontre dans la partie 2 de notre article.

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