Enora Chame, Syrie

Rencontre avec Enora Chame, officier renseignement à l'ONU / Part.2

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L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, qu’elles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.


Dans cet épisode, nous partons à la rencontre de Enora Chame, officier de renseignement dans l'armée française qui raconte son expérience d'observateur de l'ONU en Syrie, dans son livre "Quand s'avance l'ombre" disponible dans notre librairie. Cet article est la deuxième partie de cette rencontre, découvrez la première ici.

 

Comment reconstruire un pays

Les observateurs des Nations Unis ont un rôle bien différent de celui des institution ou ONG humanitaires qui vont tenter de développer le territoire : « ils ne sont pas là pour installer une bonne gouvernance », certifie Enora Chame. L’officier explique que si les ONG peuvent apporter une aide immédiate, la reconstruction se pense sur le long terme. Le premier point selon elle est de rétablir les institutions, en veillant toutefois à ce que cela vienne des populations locales elles-mêmes. « Ce qui ne marche pas dans ces moments-là, c’est d’essayer d’imposer des institutions de l’extérieur », remarque-t-elle, car cela conduit à une « impasse », une « catastrophe » si les règles sociales locales ou la « façon de voir la démocratie » ne sont pas respectées. Elle concède cependant que des organisations comme l’OTAN ou l’ONU peuvent aider, pour par exemple désarmer « les milices, la corruption, les bandes armées » qui ne permettent pas au pays de se reconstruire sainement, ou pour mettre en place un système pénal et judiciaire : « ils ont une difficulté considérable à rebâtir un système pénitentiaire juste et à rebâtir une justice. Donc, je crois que dans ces moments-là, la communauté internationales à l'aide d'experts de l'Union européenne et d’ailleurs, peut aider à reconstruire, mais en suivant le modèle local sinon ça ne peut pas fonctionner. »

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Enora Chame reconnaît la complexité d’une telle reconstruction, dans un pays dévasté et dont la population a souffert et a parfois même migré. Elle déplore d’ailleurs que les réfugiés sont souvent issus de la classe moyenne car ils ont les moyens de partir. Ce sont donc « des médecins, des avocats, des enseignants », qui, elle l’espérait lors sa mission en Syrie, reviendraient. « Mais je me disais que si cette guerre dure trop longtemps, si l’hiver est trop dur dans les camps, ces gens-là migreront et s’installeront définitivement ailleurs, et il n’y aura plus personne pour reconstruire le pays », s’inquiétait-elle. « Ce qui ne s’est passé », se réjouit l’officier renseignement.

 

 

L’enquête par l’ONU

Analyser les faits

L’officier revient sur l’affaire de l’utilisation des armes chimiques en Syrie, dévoilée par le journal Le Monde. Elle avertit qu’un média, à part quelques très grands journalistes d’investigation, perçoit des faits mais n’a pas nécessairement d’analyste ou d’expert à sa disposition. Enora Chame indique que lorsqu’il est reconnu que des armes chimiques sont fabriquées dans un pays, qu’elles y sont utilisées et causent des massacres, les médias « n’ont pas à décider qui a fait quoi », et peuvent parfois être trompés : le coupable n’est pas toujours celui qui semble être évident. « On était assez vigilant quand tout semblait indiquer, que les choses étaient disposées de telle façon, que des témoins sortaient de nulle part et nous racontaient, nous montraient des choses qui accusaient clairement un camp ou l’autre. Plus ça avait l’air clair, plus on se méfiait, raconte la militaire, parce qu’on cherchait à orienter les conclusions qu’on allait porter. » Elle souligne également que ces armes peuvent être utilisées par un camp pour faire accuser l’autre. Ce genre d’enquête, complexe, prend donc du temps car toutes les précautions sont prises pour ne pas tirer de conclusions hâtives au risque d’enclencher un engrenage de conséquences et de sanctions injustifiées.

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Etre sur le terrain et gérer le risque

Lors de cette mission en Syrie, l’officier renseignement s’est rendue auprès de divers interlocuteurs (rebelles, population, armée syrienne) afin d’avoir une vision impartiale de la situation. En tant qu’observateurs de l’ONU, Enora Chame et ses collègues n’étaient pas présents pour venir en aide aux réfugiés, faire des distributions, au contraire de ce que pensait la population dans un premier temps. Ils ont donc parlé aux habitants pour faire comprendre leur mission et le mandat de l’ONU dans le pays. « Notre présence a fini par être considérée comme complètement inutile, livre Enora Chame, et finalement tout le monde nous tapait sur les jambes. » La situation a ainsi été parfois dangereuse, « certains observateurs ont été violemment attaqués », souligne-t-elle.

 

Les finalités des rapports

Des rapports et documents sont rédigés suite aux enquêtes sur le terrain, puis transmis à toute une chaîne de commandement et de décisionnaires, qui peuvent être le Président de la République, le Chef d’état-major des armées, ou encore le Conseil de Sécurité de l’ONU. Les décisions se prennent à haut niveau « et ce sont eux qui vont décider de ce qu’ils feront de ces documents et ces preuves. » Pour Enora Chame, chacun a sa place, et « il n’appartient pas aux gens qui recueillent les informations et aux analystes, de s’autosaisir » de ces documents et en faire ce qu’ils veulent, comme par exemple dévoiler des affaires dans la presse. « Il y a une chaîne de hiérarchie, évoque-t-elle, chacun remplit son rôle. Le système est organisé de façon à ce que chacun, par petite brique, parvienne à réaliser un but plus grand. Le patron, ce sera toujours le Président de la République qui décidera de ce qu’il pense doit être fait pour les intérêts du pays, car c’est lui qui a toutes les cartes en main, une vision globale. » Il arrive tout de même que des documents classifiés fuitent, comme ça a été le cas avec l’affaire des armes vendues à la Russie et révélée par le média Disclose. Provenant probablement d’un militaire, cette fuite est selon Enora Chame « sanctionnable, car c’est une faute éthique particulièrement grave pour un militaire qui s’est engagé. » Et de reconnaître aussi que le rôle du média est de « justement amener à l’opinion publique des informations. C’est un autre métier en fait. A vous de choisir l’un plutôt que l’autre », conclue-t-elle.

 

 

La rédaction du livre

Enora Chame précise que le livre a été préfacé, et donc relu, par deux généraux français. Aucun « scoop » n’est révélé à l’intérieur, rien qui ne dévoile des modes d’actions de l’armée française, qui n’était de toute façon pas présente sur le terrain. « Tout ce que je raconte a été documenté, 193 pays y ont eu accès et ont eu envie de le lire pour comprendre. Il n’y a pas de scoop qui n’ait pas été dans les journaux ou dans les thèses universitaires, c’est juste un hommage particulier d’une personne qui était là à ce moment-là, dans ces conditions », indique l’auteure.

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Elle n’avait pas dans un premier temps pensé à écrire un livre de cette mission. Elle tenait son carnet de bord, et a rencontré par hasard un éditeur. Son journal n’était pas exploitable tel quel, et elle ne pensait pas que ça puisse intéresser des lecteurs. Encouragé par des proches, le projet a mûri, Enora Chame a apporté du contexte à son carnet de bord, et a pu rédiger ce livre, avec du recul sur sa mission. Pour elle, ce livre est à la fois un hommage mais aussi une façon de terminer cette mission d’observateur, de clore un chapitre de sa vie.

D’autres livres suivront peut-être, elle a en tout cas eu l’autorisation de ses supérieurs, peut-être sur des missions avec l’armée française, mais rien n’est encore décidé. Elle note que l’armée encourage plus facilement aujourd’hui les militaires, les officiers notamment, à prendre la plume pour raconter leurs expériences, « documenter des morceaux d’histoires. »

 

 

Dernier conseil

A une jeune femme souhaitant s’engager comme officier de renseignement, Enora Chame lui conseille de bien réfléchir à ce qu’elle souhaite faire et étudier les différentes spécialités qui existent et pour lesquels les parcours sont différents : « si vous aimez le renseignement technique, l’armée de l’Air est intéressante pour ça. L’imagerie, le spatial, les écoutes etc, c’est une armée extrêmement technique. Si vous voulez un parcours plus physique, avec beaucoup plus de terrain, des missions de liaison et de contact, rencontrer les populations, je conseillerai plutôt l’armée de Terre. Il ne faut pas se tromper de rail, prévient l’officier, parce qu’aujourd’hui il y a tellement d’opportunités pour des femmes motivées. » Le parcours sera encore différent pour celle qui souhaite monter en grade, finir général et commander. Il faut donc prendre le temps au départ de bien se renseigner sur chaque filière.

Elle prévient aussi que le chemin sera difficile, « il y aura des obstacles, il faut travailler dans la vie pour progresser. »

 

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