La section technique TAP de l'armée de Terre
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Cette semaine, nous partons à la découverte de la STAT TAP, la branche aéro de la section technique de l'armée de terre. Avec le chef de ce groupement très particulier, nous aborderons la question du parachutisme militaire sous un angle original.
Présentation
Le Colonel Eric, marié et père de quatre enfants, est chef de groupement à la STAT depuis deux ans. Il décrit son parcours comme celui d’un officier classique, passé par l’école de Saint-Cyr, le 35e régiment d’artillerie parachutiste à Tarbes, son « régiment de cœur » avoue-t-il, qu’il a d’ailleurs commandé entre 2013 et 2015. Après avoir suivi l’école de Guerre, il entre à l’état-major de la 11e brigade parachutiste. Il devient ensuite officier programme au profit des sections TAP (troupes aéroportées) à Francazal, puis commandant du groupement TAP de la Section technique de l’armée de Terre.
La section technique de l’armée de Terre
Les missions de la STAT
La section technique de l’armée de Terre est une « entité qui compte 600 personnes et dont la mission principale est de conduire et suivre les opérations d’armement », décrit le Colonel Eric. Ses effectifs, répartis entre Versailles et Satory, sont chargés de s’assurer que « la satisfaction du besoin militaire soit réalisé », grâce à des expérimentations et évaluations techniques de tous les équipements au sein de chaque groupement, spécialisé dans un domaine particulier (génie, transmissions, troupes aéroportées…). Ce cycle d’expression des besoins jusqu’à la satisfaction des forces, se répète régulièrement, en suivant les innovations ou changements de matériels. En plus de fournir des équipements performants, la STAT a aussi pour mission d’approuver la documentation technique.
Le groupement TAP
Le Colonel Eric, qui dirige le groupement TAP, relève sa différence par rapport aux autres groupements : « c’est un groupement qui travaille sur un périmètre transverse », signifiant par là que les équipements TAP sont communs à toutes les armées (forces spéciales, Marine, armée de l’Air et de l’Espace, forces spéciales…). Leur zone d’application s’étend ainsi plus que les autres groupements, en mêlant le milieu interarmées et même interministériel.
Les autres composantes armées possèdent chacune un équivalent de la STAT (notamment le CEAM, Centre d’études aériennes militaires, pour l’armée de l’Air et de l’Espace). Des échanges ont lieu régulièrement entre les armées, afin d’éviter les redondances des demandes, « car les équipements TAP sont utilisés aussi bien par un marin du commando Hubert que par un chuteur opérationnel du 1er RPIMa », souligne le chef de groupement. Ces mises en communs des avancées ne sont toutefois pas toujours évidentes car les intérêts peuvent diverger. La STAT TAP travaille étroitement avec le CEAM basé à Mont-de-Marsan, la validation d’autorisation d’emploi d’un parachute ou d’une plateforme de largage ayant forcément un lien avec l’avion. Le CEAM s’assure de l’intégrité de l’aéronef, tandis que la STAT TAP vérifie celle du parachutiste ou de la plateforme.
Les différents interlocuteurs
La STAT est l’expérimentateur de l’armée de Terre, composée d’experts dans leur domaine, provenant majoritairement des forces et si possible « particulièrement performant sur le plan technique. »
La section intervient également avec la Direction générale de l’armement (DGA) qui se charge de contractualiser l’affaire, c’est-à-dire de réaliser des fiches d’expression de besoin militaire lorsque ce besoin est exprimé, puis de le traduire en spécifications techniques. Ces informations seront ensuite transmises aux industriels qui réalisent le matériel.
Enfin, l’opérateur sur le terrain est le maillon essentiel de cette chaîne, puisqu’il en est le détenteur final. La STAT se doit de maintenir le contact avec les forces armées afin d’être au plus proche de la réalité.
Pour résumer, le Colonel Eric cite l’exemple d’un chuteur opérationnel qui souhaiterait planer sur 45km. La DGA va analyser ce besoin, le traduire, pour spécifier que le parachute doit avoir une finesse de 5. Une fois le marché public remporté, l’industriel en charge du projet réalise l’équipement, puis le transfère à la STAT qui s’assure de sa bonne performance.
L’emploi des parachutistes
Il existe trois types de largages que détaille le chef de groupement :
- Le largage d’homme par ouverture automatique (saut de masse) : utilisé par les forces conventionnelles, ce type de largage permet de larguer rapidement un grand nombre de parachutistes (l’A400M peut par exemple en larguer 82 avec leurs équipements). Les militaires utilisent alors une voile hémisphérique et dispose de l’EPC, l’équipement parachutiste du combattant. Celui-ci est, selon le Colonel Eric, « le meilleur parachute aujourd’hui que vous pouvez avoir, car il est très sécurisé et permet un grand emport de charge », ce qui permet par conséquent de durer dans le temps sur le terrain.
- Le largage d’homme par ouverture retardée : ce type de largage utilise des parachutes spécialisées (des ailes) qui permettent de monter plus haut, planer plus longtemps, de réaliser des infiltrations sous voile etc. Il est dédié aux actions commando. L’équipement des commandos, le système de mise à terre, intègre aussi d’autres systèmes (vision, oxygénation, protection, navigation…) qui élèvent le niveau de performance.
- Le largage de matériel : l’A400M aujourd’hui permet de larguer un grand nombre de matériels, bien que ses débuts aient été difficiles. A terme, l’avion de transport tactique d’Airbus doit pouvoir larguer 16 tonnes d’équipements, soit le double de ce qui est réalisable aujourd’hui. Dans ce domaine toutefois, les matériels et plateformes n’ont pas beaucoup évolué depuis 60 ans : « on est toujours un peu sur des histoires de bouts de cartons, de bouts de ficelles, mais ça fonctionne, assure l’officier. La livraison par air française est très affutée sur le plan technique, même si ça paraît un peu du Mac Gyver comme façon de faire ; on est reconnu sur le plan international, on peut larguer d’un avion à peu près tout ce qu’on veut. »
Expérimentations et risques à la STAT TAP
La STAT est le « crashtest » de l’armée de Terre et est confronté aux risques que l’expérimentation entraînent. La maîtrise du risque est gérée dès le recrutement, en sélectionnant du personnel doté de nombreuses qualifications, d’expertise dans son domaine et d’une grande expérience.
La manuel opérationnel (manops) autorise le saut dans toutes les configurations possibles, en dérogeant parfois aux règles classiques des parachutistes : sauter avec un équipement qui n’est pas encore autorisé à l’emploi, sauter avec des caméras ou avec des gaines particulières. Le manops permet de sécuriser d’un point de vue juridique le parachutiste expérimentateur qui saute en-dehors des conditions classiques.
Le Colonel Eric est toutefois conscient que les risques encourus « ont déjà été filtrés par les précédents essais », que ce soit par la DGA ou les industriels. Il rappelle le fonctionnement de la procédure :
- Dans un premier temps, les ingénieurs analysent, calculent et font des recherches sur le parachute et comment celui-ci va réagir lors du saut.
- Des premiers essais ont lieu avec un mannequin parachuté, afin d’identifier les problèmes.
- Les parachutistes d’essais de la DGA font les premiers tests, et prennent le plus de risque. Ils emportent d’ailleurs sur eux trois parachutes, en cas d’une double défaillance.
- La STAT prend ensuite le relai des expérimentations.
« Il y a un certain nombre de filtres successifs qui fait que quand ça arrive chez moi, le matériel n’est pas encore autorisé d’emploi mais on s’assure nous, essentiellement, qu’il réponde aux performances de vol », explique l’officier, qui ne dénombre pas d’accidents à la STAT.
Il peut parfois y avoir des frayeurs, comme lorsqu’un parachutiste testait une gaine embarquée de 60kg par les commandos sous la nouvelle voile Fantôme. Lors des vols, les opérateurs peuvent soit délester leur gaine (la larguer partiellement, en la gardant deux mètres en-dessous de soi, ce qui évite de l’avoir juste sous soi lors de l’atterrissage) soit la larguer complètement, lorsqu’ils sont à 20 mètres du sol (en cas de mauvais délestage par exemple). Lors d’un test donc, le parachutiste était encore à 1000 mètres de hauteur, lorsqu’il décide de délester sa gaine. La poignée de celle-ci n’était pas bien réglée par l’industriel, et la gaine a ainsi été larguée, depuis les 1000 mètres d’altitude, sur une zone heureusement sécurisée ce qui n’a pas provoqué d’accident. « C’est une petite anecdote mais ça nous a permis de voir qu’entre ce qui permet de délester et ce qui permet de larguer la gaine, il y a un truc à revoir », relate le Colonel Eric.
Les liens avec les industriels
L’armée étant à la fois client des industriels mais aussi source d’idées novatrices, des liens se sont nécessairement créés entre les deux parties.
Des échanges pour la conception d’équipements
Lorsque l’industriel est sélectionné pour la réalisation d’un matériel, il en démarre le développement et reste en liaison étroite avec la DGA. La section technique de l’armée de Terre n’est censée être impliquée qu’à la réception du premier équipement, mais le Colonel Eric appuie sur l’importance d’intervenir en amont, en regrettant que parfois la STAT ne soit impliquée que tardivement. « Si on n’intervient pas suffisamment en amont pour être sûr qu’ils partent dans la bonne direction, on perd de nouveau du temps derrière car on a un équipement qui n’atteint pas les performances demandées. » La STAT invite alors les industriels sur certaines séances de saut afin qu’ils se rendent compte par eux-mêmes des réalités du terrain et voient comment un parachutiste opérationnel saute, dans différentes conditions. Ils peuvent ainsi s’apercevoir que certains détails à leurs yeux (qu’une poignée soit jaune ou rouge) revêtent en fait une grande importance pour les chuteurs. « Je prône d’engager des discussions très en amont et en toute confiance avec les industriels, le plus possible, pour ne pas perdre de temps à l’arrivée, explique l’officier. Et ce n’est pas toujours facile. Notamment parce que la DGA reste dans son tuyau et estime que c’est elle qui est en contact avec les industriels. Ce qui est certain, c’est que lorsqu’on reçoit les équipements et qu’on fait nos expérimentations, l’industriel vient nous voir évaluer le produit. Ce qu’il manque aujourd’hui c’est que ce soit fait plus en amont et que lors de la période de développement, nous soyons présents, nous les forces, pour accompagner ce mouvement de la façon la plus efficace possible. »
Les testeurs chez les industriels
Les industriels comptent aussi des testeurs de leur côté, sans toutefois qu’il n’y ait de concurrence avec l’armée, ni de « fuite de cerveaux », soutient le chef de groupement TAP. La STAT veille d’ailleurs à ce que ses experts ne soient pas récupérés trop tôt, dans des conditions trop violentes ; elle sait retenir le militaire par différents moyens, que ce soit « pour le bien collectif mais aussi pour lui », relate le Colonel Eric qui souligne que « l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. » Il en a fait l’expérience et peut ainsi affirmer être beaucoup plus heureux dans un environnement militaire que dans l’industrie. Celle-ci est forcément intéressés par les profils d’anciens des forces armées, détenteurs d’une grande expérience ce qui permet de gagner du temps dans le développement d’équipements ; des échanges et discussions ont ainsi lieu, dans un esprit de confiance.
Les normes des équipements
Les parachutes utilisés dans l’armée doivent répondre aux normes des parachutes civiles. Par exemple, le parachute SMTC-OPS possède un cahier des charges avec les normes civiles TSO, des normes américaines très contraignantes et qui, adaptées au monde militaire, sont un peu décalées. Le groupe Safran a ainsi éprouvé certaines difficultés dans la conception de son parachute, car « un parachute civil ne vole pas à 10 000 mètres d’altitude, ne saute pas avec une vitesse d’avion rapide etc. Le groupe a été obligé de tordre un peu la norme pour rentrer dans le cahier des charges », indique le Colonel Eric. De même, le système d’aérocordage polyvalent (utilisé pour toutes les opérations à partir d’un hélicoptère) s’est calé sur les normes dédiées aux harnais du BTP, ce qui n’a « pas grand-chose à voir avec les commandos ! », objecte l’officier.
Les innovations des équipements
Le chef de groupement TAP note la différence entre la veille technologique qui consiste à connaître ce qui se fait partout dans le monde (ce qui est le rôle de la STAT d’être reconnu comme expert et de savoir répondre aux opérateurs), et les innovations ou idées qui doivent être prises en compte, qu’elles proviennent de l’officier ou du militaire du rang.
De nombreuses innovations sont originaires des forces spéciales, voire même du GIGN. Même si les échanges sont « passionnants », le Colonel Eric remarque que les forces spéciales vont souvent concevoir leurs projets de leur côtés, sur fonds propres et avec des petites entreprises, afin d’accélérer le temps de développement du produit. Ils savent toutefois qu’ils peuvent compter sur la STAT si leur projet veut passer à l’échelle suivante avec un développement plus important, en passant cette fois-ci par toutes les étapes administratives parfois un peu longues.
Le recrutement à la STAT
La STAT comprend quelques personnels civils, en grande partie d’anciens militaires, mais recrute surtout dans les forces. Tous sont opérationnels et détiennent de nombreuses qualifications. Le Colonel Eric note que l’image de la STAT peut parfois être celle d’intellectuels de bureaux, ce qui n’attire pas forcément les militaires. Il souligne ainsi l’importance de faire connaître la section, ce qu’il s’y fait réellement (saut opérationnels…) et qu’un retour en régiment est ensuite possible : « ça recrute, mais il faut expliquer que la boutique est formidable et qu’ils reviendront chez eux a un moment ou à un autre ; c’est toute ma difficulté. » Pour lui, un passage à la STAT complète le parcours du militaire et permet de se rendre compte du process et du temps d’études.
La recrue doit faire preuve de compétences techniques évidemment, mais aussi être motivée par ce domaine : « j’ai besoin de gens très enthousiastes ». De bonnes capacités d’analyse, de réflexion et de rédaction sont essentielles.
Dernier conseil
Pour le Colonel Eric, la STAT est une étape indispensable dans le parcours d’un officier ou d’un sous-officier, car l’équipement est fondamental en opérations. « L’homme doit avoir des qualités, mais il faut aussi qu’il soit correctement équipé ». Ce domaine peu connu doit être défendu si l’armée ne veut pas se retrouver face à des problématiques de matériels en opération. Enfin, ce passage à la STAT est une réelle plus-value selon le chef de groupement, qui permet de voir le revers de la médaille. « Il y a tout à gagner à passer à la STAT, vraiment ! », conclut l’officier.
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