Rencontre avec le chef des négociateurs du Raid
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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Cette semaine, Défense Zone a rencontré le commandant divisionnaire Benoît, chef des négociateurs du Raid, l'unité d'élite de la Police nationale. Spécialistes de la négociation, de l’effraction et de tous les types d'assauts, les opérateurs du Raid ont pour mission de lutter contre le terrorisme, le grand banditisme et le crime organisé.
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Parcours du commandant divisionnaire Benoît
Le commandant divisionnaire Benoît est chef des négociateurs du Raid depuis 2017. À 59 ans, il estime que la négociation est "une suite logique" de son parcours. Il commence sa carrière en sécurité publique dans le milieu des années 1980 en Seine Maritime. En 1990, après quatre ans dans ce domaine, il intègre le SRPJ (Service Régional de la Police Judiciaire) de Versailles successivement à la brigade criminelle puis à la brigade de recherche, d'enquête et de coordination (l'actuelle BRI (Brigade de recherches et d'intervention) de Versailles). Il y reste jusqu'en 2006.
Puis il sert quelques années à la BRI nationale, à Nanterre "pour aider à monter la structure", explique-t-il. Il part ensuite deux ans l'étranger comme attaché de sécurité intérieure pour l'Estonie et la Finlande. Il intègre enfin le Raid où il occupe des fonctions aux relations internationales et à la cellule NRBC (Nucléaires, Radiologiques, Biologiques, Chimiques) avant de devenir négociateur il y a quatre ans.
Objectif et déroulé d'une négociation
Au Raid, le négociateur fait partie du groupe d'intervention et travaille en général en tandem avec un autre négociateur. Il est aussi armé car il doit "pouvoir réagir à toutes les situations", précise le commandant divisionnaire. Et il est toujours protégé : "je suis toujours derrière un gars de l'intervention et un bouclier", ajoute-t-il.
Pour toute intervention, la reddition est "l'objectif ultime du négociateur", souligne le commandant divisionnaire Benoît. "Même si la situation est compliquée, même si le profil de la personne peut nous faire dire que la reddition est assez improbable, elle n'est jamais jugée impossible", insiste-t-il. "Mais notre mission peut être assez diverse. On est d'abord là pour stabiliser la crise avant de parler de résolution et de reddition", prévient-il.
En fonction des crises à gérer, la priorité est donnée à l'intervention (par exemple lors d'une tuerie de masse) ou à la négociation (par exemple si un forcené, après être entré en crise, s'est retranché chez lui avec des armes et qu'il n'y a pas de menace directe ni d'otages).
Si les profils des personnes en crise sont divers, le négociateur suit le même mode opérateur. Il tente tout d'abord d'établir un contact et de le conforter afin qu'il y ait un échange. Puis à partir de l'évolution de cet échange, il essaie de travailler sur la confiance. "Ce qui compte c'est la volonté de sortir la personne, quel que soit l'acte qu'elle a commis", note le chef des négociateurs.
Pour revoir le reportage de France 2 sur le recrutement des négociateurs du RAID, cliquez directement sur l'image
Au cours d'une intervention, le chef d'intervention et le chef de crise vont prendre en compte les informations données par la négociation. Il y a "un échange constant" avec des points d'étapes très réguliers. Les deux chefs vont demander l'avis du négociateur sur la faisabilité ou non d'une reddition avant de prendre leur décision : continuer sur une voie pacifique ou passer à l'offensive.
La négociation reste un véritable travail d'équipe. "La négociation du Raid sans l'intervention du Raid a moins d'impact. Al Capone disait "en étant poli, on obtient beaucoup de choses. En étant poli et armé, on obtient tout". [La citation exacte est "On obtient plus de choses en étant poli et armé qu'en étant juste poli", ndlr]. C'est une définition un peu courte mais qui représente assez le boulot qu'on fait, en tout cas la complémentarité avec l'intervention", résume le commandant divisionnaire.
Technique, écoute et empathie : les trois indispensables d'une bonne négociation
Pour être un bon négociateur, il faut être technique, empathique et à l'écoute.
"Mon but n'est pas juste d'écouter la personne mais de l'amener à autre chose. Je suis sur une phase technique. [...] La négociation reste de la technique et des objectifs, ce n'est pas juste une conversation", souligne le chef des négociateurs. Il faut par exemple prendre en compte l'élément déclencheur d'une crise. "Parfois, c'est quelque chose d'infime, de ridicule pour la personne qui n'est pas concernée au premier chef par la crise mais qu'on peut vite oublier. On est pris par la configuration de la crise, ses caractéristiques, on va se focaliser sur les particularités de cette crise, mais il faut tout de suite essayer de remonter le film à l'envers et voir quel truc a fait que tout a dérapé à un moment ou à un autre."
Il est également très important d'être empathique. Mais "l'empathie, ce n'est pas la sympathie", prévient le commandant. Et il faut savoir écouter la personne. Il faut donc avoir une attitude et une position d'écoute. Il faut aussi être doux et savoir gérer son stress.
Sélection et formation des négociateurs du Raid
Au niveau national, en comptant les 13 antennes du Raid dont trois sont ultramarines, il y a entre 70 et 80 négociateurs. Et il y a six négociateurs à l'échelon central. Tous les négociateurs reçoivent la même formation car ils sont confrontés aux mêmes missions. La seule différence est qu'à l'échelon central, les négociateurs sont négociateurs à plein temps alors qu'en antenne, ils sont négociateurs et opérateurs.
"Les négociateurs du RAID sont sélectionnés sur des bases compliquées à percevoir", reconnaît le commandant. "On essaie de juger des capacités d'empathie des personnes, leur capacité à faire le break entre les situations compliquées qu'ils vont rencontrer et le retour à la normale, au service et chez soi." Les candidates et candidats doivent passer des tests écrits et psychologiques et se soumettre à des exercices de simulation de situation. Au cours de ces exercices, les examinateurs observent leur capacité à bien mener des négociations. À l'issue de cette sélection ardue, les meilleurs intègrent le groupe négociation et sont formés pendant un an avant d'être envoyés en intervention.
Les négociateurs n'ont pas forcément une expérience d'opérateurs. Certains viennent du groupe d'intervention. D'autres viennent de la sécurité publique, d'autres encore de la police judiciaire, etc. "Ça apporte de la richesse. La sécurité publique est une bonne école. Le fait de gérer au quotidien des différents ou des mini-crises nous permet d'avoir des gens qui ont l'habitude de trouver des solutions pacifiques face à des crises", estime le commandant.
Échanges avec le GIGN et les homologues étrangers
Les négociateurs du Raid et ceux du GIGN (Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale) développent les mêmes techniques. La certification au niveau européen est la même et a été bâtie conjointement par les deux unités. "Sur la négociation pure, on se retrouve sur les mêmes processus", explique le commandant. Le Raid et le GIGN travaillent aussi ensemble dans le cadre de la cellule interministérielle de négociation, une cellule montée à l'initiative du ministère de l'Europe et des affaires étrangères dans le cas où des ressortissants français seraient enlevés dans un pays en crise à l'étranger.
Le Raid échange beaucoup avec l'étranger. "Une tradition de partage" du Raid qui s'est accentuée ces dernières années en raison des attentats en France. "Avec les Britanniques, on a été très sollicités parce que les services étrangers étaient curieux de savoir comment on avait travaillé dans telle ou telle situation."
Le commandant Benoît note une spécificité française : le modèle intégré, la négociation du Raid fait partie du groupe d'intervention. "Si ça sonne, le groupe d'intervention va s'ébranler et il y aura deux négociateurs avec lui. On va prendre la crise au même moment. [...] Contrairement à des groupes étrangers qui ne font pas partie du groupe d'intervention, nous on a le même niveau d'informations. On ne va pas connaître la pression d'essayer de se remettre à niveau. On développe une stratégie concertée en fonction des priorités définies par le chef du Raid", détaille le commandant divisionnaire Benoît.
Dernier conseil aux candidates et aux candidats
"Notre vivier, ce sont les gens qui, au quotidien, gèrent des crises de plus ou moins grande importance avec pas mal de bonheur", remarque le commandant. "Qu'ils continuent à faire ça et qu'ils se présentent un jour ! Qu'ils essaient d'entretenir ce côté empathique, tout en comprenant bien que la négociation, c'est beaucoup de technique et des objectifs."
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