Intégrer les forces spéciales, avec Louis Saillans
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Dans ce nouvel épisode, nous partons à la rencontre de Louis Saillans, un membre des commandos marine qui vient de partager ses 10 ans d'expérience comme béret vert dans le livre "Chef de guerre ". Avec lui nous allons parler des qualités requises pour intégrer les forces spéciales.
Louis Saillans, 34 ans, marié et père de deux enfants, est commando marine. Il a participé à des opérations spéciales pendant une dizaine d’années. Il est ce qu’on appelle un « transfuge » : il a débuté sa carrière dans l’armée de l’Air avant de se retrouver dans la marine.
La rédaction du livre
Louis Saillans explique qu’au cours de sa vie professionnelle, il a toujours été formaté, eu un cadre de travail, en précisant que « 70% de [son] travail était de la préparation en amont. » La rédaction de son livre n’a donc pas échappé à la règle, afin d’être paré à toute éventualité.
En tant que « fervent patriote » ayant de l’affection pour ses camarades et pour son métier, il ajoute également avoir pris toutes les précautions afin de protéger ses frères d’armes sur le terrain. Aucune information qui pourrait compromettre leur sécurité n’a été dévoilée dans ce livre (équipements, méthodes, événements…) Bien qu’il ne soit « pas cautionné par l’armée, il ne s’agit pas d’un brûlot », précise-t-il. Louis Saillans a en effet informé ses chefs de son intention d’écrire un livre, a eu une discussion constructive et bienveillante avec eux, et leur en a offert un exemplaire à sa sortie.
L’accueil du livre par le public et par l’institution
Louis Saillans fait face à deux types de réactions : en réaction directe, il reçoit beaucoup de messages de soutien ; en indirecte par contre, certains lui reprochent de faire sortir de l’ombre les forces spéciales.
Son livre a pourtant reçu un très bon accueil de la presse, ce qui l’a surpris. Alors qu’il s’attendait à « subir les foudres de certains journalistes », l’accueil a été chaleureux. Il ne saurait pas vraiment en expliquer les raisons, mais suppose que le public apprécie cette vision réaliste des forces spéciales, et des militaires en règle générale, au-delà des clichés et des fausses images qu’on peut s’en faire.
L’institution a quant à elle fait preuve d’un dialogue franc avec Louis Saillans. « On n’était pas tous d’accord, mais on a discuté. Il y a un code très réglementé concernant la publication d’un livre militaire, que j’ai respecté à la lettre », indique l’auteur. Il y a aussi un équilibre à trouver « entre un gain important et un risque trop grand ». Louis Saillans prend l’exemple du film « Le Chant du Loup » dont le sujet est un sous-marin nucléaire lanceurs d’engins (SNLE). L’armée a ainsi autorisé le réalisateur à filmer l’intérieur d’un de ses sous-marins, tout en interdisant certaines parties trop sensibles ou certains détails et procédures. Il en a été de même pendant la réflexion sur le livre : quels sont les avantages de dévoiler certains pans du métier ? Quels sont les risques encourus déontologiquement et stratégiquement ? Si l’institution a avoué à Louis Saillans qu’elle aurait enlevé certains pans du livre qui ne représentent pas d’intérêt pour elle, le commando a « la conscience tranquille », déclare avoir mesuré les risques pris et considère que « ce [qu’il] met dans le livre est diffusable. » Certains camarades à qui il a partagé ses réflexions lui ont d’ailleurs aussi suggéré des modifications.
A qui s’adresse le livre ?
Louis Saillans rappelle l’adage : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. » La vulgarisation est pour lui un point important, et a représenté le vrai défi de ce livre. Il a ainsi voulu un récit lisible, clair, léger, adressé à un jeune de quinze ans afin de susciter son intérêt. La difficulté a été d’expliciter les sigles ou de réduire une longue explication à seulement quelques mots. Il prend l’exemple du téléphone arabe : si la première phrase est complexe, elle finira par être complètement modifiée à la fin ; si en revanche la phrase est brève et tiens en quelques mots, elle sera la même à la fin. Ce principe se retrouve partout et il a pu le vérifier au cours de sa carrière : « Ce qui est simple sur le papier est compliqué à mettre en œuvre sur le terrain. C’est aussi de là que vient mon goût à simplifier, afin de délivrer un message efficace que tout le monde comprendra. »
L’importance de la communication
Lorsqu’on lui demande son avis sur Mike Echo, reçu dernièrement dans le podcast, Louis Saillans admet qu’il a « une vision intéressante, car il y a toujours un fond de vérité même si c’est sur un lit d’ironie. » Bien que ses propos soient parfois vulgaires, il va droit au but et rappelle la réalité.
La communication, parfois vulgarisée, est importante selon le commando marine. Il cite ainsi l’armée romaine dont les recrues passaient un test de lecture et étaient souvent propulsées officiers s’ils savaient lire. « On nous parle de leadership, de charisme, relate Louis Saillans, alors que finalement la capacité à lire, à transmettre des informations est fondamentale si on veut transmettre une réalité et donc des ordres. » Il précise que lors d’un briefing, seulement trois idées sont généralement retenues, il faut donc savoir synthétiser et correctement s’exprimer. A défaut, si l’information ne passe pas, la mission est terminée. C’est pourquoi on demande aux personnes de reformuler afin de vérifier si elles ont bien compris. Cependant Louis Saillans avoue que la communication au sein des armées « c’est l’enfer. A tel point qu’on en est venu à dire que si tout va bien, on ne parle pas à la radio ; alors que le premier devoir d’un militaire est de rendre compte », note-il. Il tient tout de même à rassurer en précisant que chaque opérateur des commando marine connaît la place de chacun de ses collègues, à n’importe quel moment de la mission. « Ce sont des mecs avec beaucoup d’expériences, particulièrement matures. Ils savent déjà quoi faire en arrivant sur site », ajoute-t-il.
Les qualités du commando
Louis Saillans rapporte que les forces spéciales font preuve d’une grande maturité, d’autonomie, d’un immense professionnalisme et d’une grande capacité d’apprentissage. Le bon leader quant à lui, maitrisera les opérations complexes avec une visions plus large. Dans les forces spéciales cependant, chaque membre va surtout travailler sur lui et gérer son matériel, son entrainement, ses munitions.
Les critères de sélection étant rudes, la première condition essentielle est d’être bon en course à pied. De plus, faire un sport de contact est recommandé. Plus spécifiquement, pour espérer intégrer les commandos marines, l’aisance aquatique est indispensable : « garder ses moyens sous l’eau, dompter ces inconnues que sont l’eau froide et l’eau obscure, précise Louis Saillans, nager en mer, faire un peu d’apnée régulièrement… » Comme tout militaire mais spécialement comme tout force spéciale, l’esprit de résilience et de sacrifice est indispensable. « Quand on rentre dans ces unités, on fait un sacrifice, on y laisse toujours une part de soi », complète-il.
Fais ton lit !
La notion de sacrifice est omniprésente, mais pour Louis Saillans c’est aussi une question de degré de maturité et de responsabilité, « du latin respondere, répondre de », précise-t-il. Il prend l’exemple du lit. La première action que la jeune recrue apprend à réaliser lorsqu’elle arrive à l’armée est de faire son lit. Cela démontre que si on est capable de mettre de l’ordre dans ce domaine intime, on est capable de mettre de l’ordre dans sa vie. Par extension, si on est capable de prendre quelques minutes pour faire son lit et être ordonné, malgré les problèmes du quotidien et les aléas de la vie, cela reflète une certaine responsabilité. Cette simple action apporte également un équilibre, comme en témoignent les militaires qui gardent cette habitude après 30 ans de service !
Patriotisme et morale
La fibre patriotique est également très présente, « entre 90 et 95% » chez les militaires selon Louis Saillans : « Ce sont des gens qui sont prêts à engager leur vie, celle de leurs hommes et celles de leur ennemi pour l’intérêt supérieur de la patrie, pour le bon sens et le bien commun », dit-il en citant Charles de Gaulle. Pour lui, cette fibre s’est développée à la fois par amour du pays et au fil de ses lectures.
On pourrait se demander si le fait d’être dans les forces spéciales, de mieux comprendre les enjeux des théâtres d’opérations, influence cette fibre patriotique. Louis Saillans est clair : « Je considère qu’il faut se reposer sur sa conscience avant de se reposer sur les ordres donnés. Je n’ai jamais regretté ce que j’ai fait grâce à ça. Tous les ordres que j’ai donnés étaient-ils légaux ? Je n’irai pas jusque-là. Mais j’ai la conscience tranquille. » Il admet avoir été au courant de certains secrets d’Etat qui l’ont questionné ; et rappelle encore une fois que considérer qu’un militaire doit juste obéir est une erreur grave, tout comme lui restreindre la parole car cela amoindrit l’esprit critique. Il faut et il y a une réelle discussion avec la hiérarchie, tous les ordres ne sont pas systématiquement appliqués à la lettre. « Cela permet de conduire des conflits qui soient efficaces, pas à coups de napalm, mais avec une vraie vision, une vraie projection », conclut Louis Saillans.
Détermination et objectifs
Louis Saillans explique qu’en sociologie, les prédicateurs sociaux, notamment les tests de QI, indiquent quelle profession nous correspond. Toutefois il pointe du doigt que la courbe de prédiction devient toujours plus désuète à chaque fois que la personne prend des responsabilités. Car plus les responsabilités augmentent, plus cela nous force à dépasser nos limites. Louis Saillans raconte ainsi avoir eu son bac de justesse, puis pris des responsabilités dans l’armée de l’air et dans la marine : forces spéciales, chef de groupe… Le jeune de 14-15 ans qu’il était, en difficulté scolaire, n’aurait jamais cru à ce parcours. Le commando souligne alors l’importance de se fixer un objectif, car cela permet de mettre en œuvre les moyens pour l’atteindre. Mais en même temps que les conditions du succès se mettent en place, les conditions de l’échec se révèlent, et cela peut paralyser. Il faut alors oser (« Qui ose gagne », selon la devise du 1er RPIMA), prendre des risques car cela paye. Et pour Louis Saillans, avoir des objectifs est « inscrit en nous, viscéralement ». Plus on s’en fixe, plus on en réalise, et plus on est capable d’en prendre.
L’esprit de groupe
Au travers de ses réflexions et lectures notamment sur les guerres du XXe siècle, Louis Saillans est convaincu qu’un homme ne se bat jamais aussi bien que pour sa famille, ou pour ses camarades. Cette motivation presque féodale se retrouve constamment dans les conflits : je me bats pour mon camarade et il se bat pour moi, jusqu’à la mort. Ce lien se retrouve dans d’autres armées, comme par exemple chez les Américains où les soldats se font des tatouages de groupe.
Cette cohésion lui manquera dans le civil, « c’est très difficile de me dire que je ne vivrai plus ça », concède-t-il. Cependant d’autres projets sont à venir pour Louis Saillans, média et socio-politique. « Je ne vais pas monter un parti, assure-t-il toutefois, il faut que ce soit clair. C’est autre chose, d’inédit. Il faut un peu de panache dans cette vie ! »
Notre vidéo sur les forces spéciales Terre :