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Rencontre avec le commandant du service de communication de la Gendarmerie nationale

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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
 
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Dans ce nouvel épisode, nous partons à la rencontre de Général de Brigade Laurent Bitouzet, chef du SIRPA, le Service d'Information et de Relations Publiques de la gendarmerie nationale. Avec lui, nous allons parler des différents missions de l'une des plus anciennes institutions françaises, héritière de la Maréchaussée. Nous aborderons également des questions de communication opérationnelle, une thématique que nous avons déjà commencé à traiter dans un précédent épisode avec le porte-parole du chef d'État Major des Armées.

 

DZ : Nous sommes au siège de la gendarmerie nationale avec le Général Bitouzet, chef du SIRPA-gendarmerie. Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

LB : Pour être exact, vous êtes au siège de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGG) à Issy-les-Moulineaux, inauguré au 2012. Je suis le Général de division Laurent Bitouzet et je commande le service d’information et de relation publique des armées-gendarmerie, depuis deux ans et demi. À l’issue de Saint-Cyr j’ai eu la chance de pouvoir choisir la gendarmerie, et j’ai une carrière depuis près de 30 ans dans cette belle institution. J’ai alterné les postes de commandements opérationnels et les postes de direction à la DGG. J’ai commandé en gendarmerie mobile, une compagnie (Alpes), puis un département (Var). J’ai occupé des postes de direction en particulier dans les ressources humaines, et à la frontière du budget et des ressources humaines, car j’ai eu la chance de pouvoir mettre en œuvre la loi d’orientation pour la loi de finances en 2006-2007, pour la Gendarmerie nationale. J’ai été adjoint au sous-directeur de la gestion des personnes (gestion de l’ensemble des personnels de la gendarmerie). Une particularité de ma carrière est que j’ai trois mobilités extérieures, c’est-à-dire en dehors de la gendarmerie. La dernière était en tant qu’attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Ottawa, au Canada. Je gérais les relations de sécurité entre nos deux pays, sur des sujets tant opérationnels que de prévention, de conception, de méthodologie d’action, de la sécurité entre nos deux pays. J’ai été conseiller pour le préfet de police des Bouches-du-Rhône au moment de sa création en 2012. C’était une réorganisation de l’état dans le département, où a été créée une préfecture de police distincte de la préfecture traditionnellement zonale départementale à Marseille. Et quelques années auparavant, j’ai été commandant militaire de l’hôtel de Matignon pendant trois ans, ce qui m’a permis de découvrir le fonctionnement de l’exécutif en son cœur, en tout cas dans cette partie du Premier ministre et ses services.

 

DZ : Comment en êtes-vous arrivé à la communication, qui est maintenant votre cœur de métier ?

LB : La communication est en effet mon cœur de métier actuel puisque le directeur général a bien voulu me confier cette mission et j’en ai été très honoré. En communication, je n’avais fait que celle me revenant en tant que commandant de terrain. En effet en gendarmerie ça fait partie des missions de chefs que de communiquer de nos actions sur le terrain.

Ici en tant que patron du SIRPA c’est une tout autre dimension. Déjà, nous avons cette particularité d’avoir gardé le terme SIRPA quand nous avons basculé du ministère de la Défense au ministère de l’Intérieur en 2009 (car je rappelle que le ministère de l’Intérieur est maintenant celui de tutelle de la gendarmerie en termes de budgets et d’organisation, alors que nous sommes toujours une force à statut militaire et pour laquelle le ministère des Armées est notre ministère de tutelle en termes de ressources humaines, de formation initiale, de vie et d’entretien de nos valeurs militaires)

Le SIRPA gendarmerie regroupe l’ensemble des actions de communications de la gendarmerie nationale : création de fiction, communication de recrutement, communication d’évènementiel dans les salons, valorisation et à protection de l’image de la gendarmerie, communication interne auprès de nos 100 000 gendarmes, 30 000 réservistes et dizaines de milliers de retraités, et puis toute la communication externe avec les médias, les réseaux sociaux et notre veille de réputation.

 

DZ : La communication est en effet à tous les niveaux. Nous en avions parlé dans un précédent épisode du podcast avec le commandant du CNISAG. Il nous expliquait qu’il y avait une partie de la formation des sauveteurs en montagne dédiée à la communication, pour être capable de prendre en charge des journalistes.

LB : Oui effectivement. Un des principes de communication en gendarmerie est que nous donnons la liberté. Nos échelons territoriaux de commandement ont le devoir de communiquer sur leurs actions de protection et de prévention vis-à-vis de la population. Un commandant de groupement (région), un commandant de compagnie (arrondissement), un patron de CNISAG, a le devoir de prolonger nos actions opérationnelles par une communication vis-à-vis des médias, de la presse spécialisée, des réseaux sociaux s’il en est doté.

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DZ : Vous parliez des ministères de l’Intérieur et de la Défense. Pouvez-vous revenir sur la particularité de la gendarmerie nationale ? Les différences entre les missions des gendarmes et des policiers ?

LB : Ça peut paraitre complexe, mais c’est assez simple, il suffit de faire un retour sur l’Histoire. La gendarmerie a huit siècles d’histoire. Elle est héritière des maréchaussées, devenue la maréchaussée qui était les forces de maintien de l’ordre et de sécurité publique y compris d’actions en justice des grands seigneurs et du roi. La gendarmerie, alors qu’elle s’appelait maréchaussée, a été la force nationalisante dans la construction de l’état. Je rappelle que le premier maillage territorial officiel de la gendarmerie nationale date de 1720, au sens d’une organisation méthodologique organisée par décrets. En 2021, sur les 500 brigades de 1720, il y en a encore plus de 420 qui sont implantés toujours au même endroit sur le territoire français. C’est vous dire la dimension nationalisante et constructive du territoire français autour de sa force de sécurité qu’est la gendarmerie nationale. Elle a pris ce nom sous la Révolution, et perdure depuis sous tous les régimes.

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Dans tous les pays démocratiques, on a un système régalien d’exercice de l’ordre avec plusieurs forces. Nous sommes les seuls qui avons le pouvoir de priver de libertés individuelles ou collectives quelqu’un dans la population. C’est une prérogative légale qui appartient aux forces de l’ordre. Donc pour l’exercer, il vaut mieux un équilibre de forces plutôt qu’une monoforce. Il y a deux grands modèles dans le monde d’organisation des forces de police : le modèle latin dont la France est un exemple (Italie, Espagne…) dans lequel vous avez des forces nationales (gendarmerie nationale, police nationale) qui ont les mêmes compétences (prévention, sécurité publique, action répressive, action de contrôle, action de police judiciaire, action de renseignement, lutte antiterroriste) sur des territoires différents; l’autre modèle est le modèle anglo-saxon qui est un modèle horizontal avec une superposition de forces aux compétences différentes, mais sur un même territoire (force municipale, force provinciale, force fédérale : shérif, marshal, FBI). En France le schéma de forces nationales a la particularité qu’une des deux forces est militaire. C’est issu de notre histoire.

 

DZ : Qu’est-ce que ça change qu’une des composantes soit militaire ?

LB : Dans l’exercice quotidien de l’action de sécurité ça ne change rien, nous avons les mêmes missions de protection des populations, chacun dans notre territoire. Ce territoire est réparti en temps de paix, avec une base pour les patrouilles, le lien avec les populations, etc. Dès qu’on monte en intensité de crise ou en compétences, les territoires se mélangent. En police judiciaire nous allons chercher les délinquants là où ils sont. On peut recueillir du renseignement à l’occasion de telle ou telle mission alors qu’on n’est pas forcément sur notre zone. En fait, le fonds de notre action est le contact au territoire, et l’implantation par ce maillage territoire est essentielle. La gendarmerie travaille avec un système d’arme basé sur ce maillage, avec un statut militaire, et qui facilite l’action dans l’étendue du territoire.

Dernier point, le logement. On loge les gendarmes au plus profond du territoire, là où ils travaillent, pour être sûr qu’ils produisent de la sécurité là où ils habitent, et qu’ils habitent là où ils produisent de la sécurité. Ce qui permet à moindre coût d’exercer une constance de la sécurité publique sur l’ensemble du territoire.

 

DZ : Est-ce qu’il y a des passerelles plus évidentes pour quelqu’un qui vient en gendarmerie depuis l’armée ?

LB : Pas forcément, c’est du choix des personnes. Mais évidemment, issus du monde militaire, nous avons des passerelles de tout grade et des trois armées vers la gendarmerie. Y compris pour les officiers qui peuvent intégrer par l’école des officiers de gendarmerie.

 

DZ : En termes de recrutement est ce que vous allez rechercher au sein des armées ou plutôt civils ?

LB : Nous y sommes ouverts, tout dépend des candidatures. C’est vraiment basé sur l’expérience personnelle et le souhait de nos camarades des armées. On a un recrutement tous les ans, mais on ne va pas spécifiquement chercher le militaire. On accueille à bras ouverts ceux qui veulent changer de carrière et basculer vers la gendarmerie nationale, tout comme peut-être certains basculent entre corps d’armée.

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DZ : Vous parliez d’image de marque. En quoi cet enjeu est-il important ?

LB : C’est important que la gendarmerie ait, construise et maintienne une image positive vis-à-vis de la population qu’elle a à protéger. On y travaille tous les jours. Bien au-delà du SIRPA, c’est l’action quotidienne de tous les gens en arme sur les terrains qui y contribuent.

Vous parlez d’image, c’est un vrai sujet. Nous avons déposé auprès de l’INPI il y a 6 ans, la marque gendarmerie nationale ainsi que son logo, comme d’autres marques filles (GIGN, Garde républicaine). C’est important, car la gendarmerie est une marque dans laquelle on peut se reconnaitre, reconnaitre la France, une façon de faire la sécurité. C’est tout l’objet de notre communication c’est vrai, mais c’est avant tout l’objet de notre action sur le territoire et l’action de nos gendarmes sur le terrain (savoir-être, savoir-faire…) Par nos couleurs, un slogan (« Notre engagement, votre sécurité », que vous voyez dans toutes nos communications et sur tous nos véhicules), une force humaine, nous entretenons cette marque et nous la faisons vivre. Toujours dans l’unique objectif de maintenir ce lien avec la population, être transparent auprès d’eux et créer de la confiance. Et c’est d’autant plus important aujourd’hui, alors les vecteurs et communautés d’expression se multiplient, et que la gendarmerie, par son maillage territorial et sa présence uniforme sur le territoire, peut apporter une réponse, une référence.

 

DZ : Vous êtes « obligés » du coup d’aller sur les réseaux sociaux, là où sont les gens. Quels sont vos vecteurs de communication principaux ?

LB : Nous y sommes obligés, mais c’est une obligation volontaire. La gendarmerie toujours été proche de ses usagers en développant une communication permettant d’être visible auprès d’eux, et dans une forme généralement détendue. J’ai retrouvé grâce à l’ECPAD des films des années 50-60 de la communication de la gendarmerie, qui étaient tout aussi décalés que ce qu’on peut faire aujourd’hui. Nous avons hérité de nos anciens cet esprit de proximité et de construire un message qui touche la population. Aujourd’hui il faut être présent sur l’ensemble des vecteurs qui sont utilisés. Il y a quelques années ce n’était encore que les médias (presse, télévisuelle, radio). Ces médias restent des interlocuteurs essentiels qui garantissent notre lien au territoire ; nous travaillons avec eux tous les jours, et nous entretenons ces relations pour construire avec eux l’information positive que doit porter une institution comme la nôtre.

Au-delà des médias, nous nous sommes construit en délivrant des informations avec les réseaux sociaux. On a commencé avec Facebook, puis TwitterInstagramLinkedIn, et YouTube, avec des comptes nationaux officiels et des comptes locaux. Beaucoup de gens s’identifient à leur département donc c’est important d’avoir une communication qui leur corresponde et qui donne des informations opérationnelles (coupure de route, inondations, opérations judiciaires, de contrôle…) C’est ça qu’on délivre sur nos réseaux, et on devient à ce sens notre propre média pour renforcer ce lien avec la population. Sur Facebook on a un compte national à plus de 800 000 abonnés, et plus de 150 pages (une par département et une par gendarmerie spécialisée) qui comptent ensemble plus de 3 millions d’abonnés.

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Sur Twitter on a deux comptes nationaux et une cinquantaine de comptes locaux. Tous les départements n’y sont pas encore, il faut quelques moyens, mais ça avance bien. Pourquoi deux comptes nationaux : un compte gendarmerie nationale et depuis trois ans un compte de pour notre porte-parole. Nous en avons ressenti l’utilité pour atteindre une cible de décideurs, de préfets, de magistrats, de journalistes, de chefs d’entreprises, de gens qui veulent des informations plus précises en dehors des codes Twitter où on peut faire quelques traits d’humour et vidéos décalés.

Instagram monte bien. En plus du côté esthétique, on l’utilise aujourd’hui aussi comme compte d’information en touchant des tranches d’âge différentes. Les 15-25 ans sont sur Instagram et c’est à eux aussi qu’il faut donner l’information.

 

DZ : Vous avez créé votre propre média et vous gérez l’image de la gendarmerie comme vous géreriez une entreprise au final. On pourrait transposer la gendarmerie avec un produit quelconque sur lequel il faut communiquer au plus grand nombre pour que les gens adhèrent.

LB : À la différence que ce n’est pas un produit quelconque, et qu’on ne vend rien. J’aime moins le terme de vente. On présente ce qu’est cette institution publique qui est une force de protection des populations, une force qui doit rendre compte de son action. En effet on a un devoir de redevabilité vis-à-vis de la population pour expliquer comment ça marche, ce qu’on a fait, ce qui se passe quand on rencontre telle ou telle problématique de sécurité, et comment nous agissons en amont, pendant et après les problématiques. Il faut être en mesure de répondre à ces problèmes, de les éviter (conseils de prévention), et d’y apporter une réponse directe et adaptée.

Pour revenir sur les réseaux sociaux, le compte LinkedIn est plus professionnel et on délivre une information sur ce que fait la gendarmerie. On a une chaine YouTube qui décrit les experts, la gendarmerie mobile, la vie quotidienne des gendarmes… J’aimerais citer aussi un vecteur qui n’est pas défini comme un réseau social, mais comme un vecteur numérique. La gendarmerie a depuis des années un magazine d’information qui s’appelle gendinfo. C’était une version papier classique comme les armées, mais nous l’avons transformé il y a peu en une version numérique, une application qui redirige automatiquement vers un média en .fr et qui délivre les informations de la gendarmerie. Il est mis à jour quotidiennement comme les médias traditionnels. Je crois que nous sommes les premiers dans l’administration à avoir fait cette démarche. Nous sommes à une transformation numérique 3.0 c’est certain. Le support numérique permet de délivrer des informations, et nous ne devons pas nous priver de ces moyens ; il faut l’ouvrir au grand public pour expliquer ce que nous faisons, être transparent et créer cette confiance. Certains médias se réfèrent à gendinfo.fr, car eux-mêmes n’ont pas toujours les circonstances pour récupérer l’info donc ils peuvent aller dessus.

 

DZ : La gendarmerie nationale n’est pas encore sur Tik Tok ?

LB : Elle n’y est pas encore, mais elle y réfléchit. On devrait y être bientôt. Pour autant, on s’est quand même posé la question, car notre rôle de communicant est de donner une information explicative, pédagogique, qui décrypte une fausse information, explique une mauvaise action. Tik Tok n’est pas un réseau d’information au départ, c’est un réseau de partage de vidéos ludiques et parodiques. Il peut se transformer en réseau d’information, les réseaux évoluent, donc on doit y penser.

 

DZ : Dans la catégorie communication, comme vous l’avez dit lorsqu’on ouvre un journal et qu’on voit un article de police ou de gendarmerie, ce n’est pas toujours pour un fait positif (attentat, acte criminel…) Vous êtes amené à gérer la communication de crise lorsqu’il se passe des choses qui peuvent parfois impliquer même la gendarmerie directement (Sivens, affaire Traoré…) Comment bascule-t-on sur cette communication un peu moins positive ?

LB : Ça fait partie de notre métier. Ça devient de plus en plus fréquent, je pense en raison de cette source numérique qui facilite le partage d’informations. Il faut donc que nous y soyons afin de décrypterexpliquer, régulièrement. C’est une mécanique complexe, car ça dépend aussi de la viralité, du degré de visibilité de telle ou telle information. Mais nous sommes en lien avec nos camarades de la police et des armées, car des infos peuvent être communes, avec les cabinets des ministres. L’idée est d’être au plus près de la détection de cette information pour pouvoir au plus tôt délivrer une information décryptée qui explique ce qu’il s’est passé, et qui ne nie pas les choses si jamais il devait y avoir une mauvaise action sur le terrain. Bien souvent nos décryptages amènent un autre angle de la même image et permettent, pour ceux qui veulent bien l’entendre, d’apporter des éléments complémentaires qui éclairent la situation. Et si jamais les situations dérapent, il y a bien évidemment la justice qui délivrera par une enquête l’information sur la situation. La difficulté c’est qu’on n’est pas dans le même temps : le temps médiatique est différent du temps judiciaire, et même le temps des réseaux sociaux n’est pas le même que le temps médiatique. Il peut arriver que sur une même situation nous ayons plusieurs temps qui se complètent : un temps de détection et de réaction immédiate en quelques heures, un temps de réponse médiatique dans un délai de 24 à 48h, et puis évidemment le temps judiciaire qui lui peut durer plusieurs semaines.

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DZ : Vous-même devez gérer deux temporalités différentes sur la communication. Il y a celle que vous faites au quotidien pour gagner le cœur des citoyens et montrer que vous êtes une institution importante à leur service, et il y a celle dans une temporalité plus courte lorsqu’il s’est passé quelque chose qui fait appel à l’émotion. Je pense à l’heure actuelle à ce climat où on parle de violences policières, etc. ou l’image des forces de l’ordre est peut-être moins partagée. Comment gère-t-on ces deux temporalités ? Est-ce que lorsque vous êtes dans votre communication de tous les jours sans qu’il y ait de crise particulière vous pensez à ça ?

LB : Bien sûr, on pense à ça à chaque fois qu’on délivre une information, car elle doit être claire, factuelle. Ce n’est justement pas une communication émotionnelle, sensationnelle, c’est une communication descriptive, explicative, transparente.

Le problème soulevé ici est que ça crée une certaine asymétrie de fond et de forme. On est parfaitement conscient que lorsqu’on délivre une information expliquée avec une photo/vidéo, elle sera bien moins virale qu’une vidéo qui amène de l’émotion et de la sensation. On le sait. Mais en revanche, elle a le mérite d’exister et d’expliquer cette situation.

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Une asymétrie forme également, puisque face aux dizaines de téléphones ou caméras pour lesquels chacun peut se transformer lui-même en média, nous ne sommes qu’un, deux ou trois caméras sur cette même situation. Mais il faut accepter cette asymétrie, car nous savons que même s’ils sont moins relayés, les messages que nous délivrons sont des messages auxquels les gens croient. Ils savent que nous fournissons une image la plus objective possible et la plus proche de la réalité des faits possible. Ce qui n’empêche pas que d’autres images ou d’autres interprétations soient données et elles deviennent virales, car elles reposent sur l’émotion. Mais la nôtre, on sait qu’elle est crue.

 

DZ : Que pensez-vous justement du débat actuel sur la proposition de loi qui imposerait de ne plus faire d’image des forces de l’ordre pendant leur travail ? Aujourd’hui en manifestation, tout le monde devient « communicant », certains vont dire à tort qu’ils sont journalistes, c’est aussi ça la problématique.

LB : Par la loi, quand le gendarme ou le policier est sur le terrain, il ne s’appartient plus. Il représente l’état ; dans son uniforme il ne peut pas s’opposer à être filmé ou pris en photo. C’est un fait, les gendarmes le savent. Mais c’est une chose de faire son travail avec ça en tête, et de le faire avec des dizaines de téléphones arrivant à 10cm de votre visage. Nous avons appris à gérer ça sur le terrain. Le seul obstacle que nous émettons ce sont les conditions de sécurité d’intervention des uns et des autres, car toutes nos opérations nécessitent des précautions. Il est vrai par ailleurs qu’il faut trouver un moyen, je pense en étant très transparent, de protéger nos personnels au sens où leur intervention ne se personnifie pas. C’est la gendarmerie qui agit, ce n’est pas untel ou untel.

 

DZ : Que pensez-vous de l’argument de personnes qui pourraient se dire que l’erreur est humaine, qu’il peut y avoir aussi des débordements au sein des forces de l’ordre, et que le fait justement qu’il y ait des observateurs extérieurs permette de fournir des images à l’encontre de celle que vous mettez en avant ?

LB : On embarque avec nous des journalistes dans nos opérations, très régulièrement : dans des opérations quotidiennes, de maintien de l’ordre, etc. Il n’y a aucune difficulté avec ça. Et si jamais à un moment ou un autre il y a une faute de commise, on saisit la justice, il y a une enquête de faite. Nous avons appris à gérer ces multiples médias autour de nous. Nos personnels en maintien de l’ordre par exemple, en manifestation, ont appris à les gérer.

 

DZ : Je pensais plus à ces automédias, ces militants qui créent de la matière première et pas une information mise en forme, qui est parfois utilisée par des médias qui ont plus de crédibilité ?

LB : On est très souvent convié à expliquer les images. La problématique est que c’est difficile de répondre à cette image émotionnelle dans la minute, car il faut expliquer le contexte de ce qu’il s’est passé dans les minutes et les heures avant. On explique dans nos décryptages que l’image apparait de telle façon, et que s’il apparait une faute, l’enquête dira vraiment ce qu’il en est, rendez-vous dans quelques jours ou semaines. Il faut juste ne pas s’arrêter à cette émotion immédiate. C’est une vraie problématique sociétale, pas que de sécurité. Le numérique est là, nous sert tous les jours, nous aide, mais c’est un pan du numérique qu’il faut savoir apprendre à gérer, dans la sécurité, les armées, au niveau national.

 

DZ : Le fonds de commerce d’un média c’est le « sensationnel », aller jouer sur les biais cognitifs du spectateur. Comment vous l’appréhendez et le gérez ? 

LB : On explique beaucoup de choses aux médias. On les embarque avec nous très souvent, on les emmène au centre de formation des gendarmes mobiles ou au centre national d’entrainement des forces de gendarmerie à Saint-Astier par exemple. On leur explique comment se déroule une opération, comment se gère une manifestation. On fait des voyages de presse très régulièrement, au pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, ou ici au SIRPA. De ce fait les journalistes qui seront amenés à commenter les images auront des clés d’explications leur permettant d’expliquer eux-mêmes. Après, il y a des experts qui vont sur les plateaux, des chroniqueurs, de la gendarmerie ou pas. Il faut ouvrir les portes, faire de la pédagogie au sens de la transmission de compétences pour que les gens sachent et puisent éclairer leur appréciation par eux-mêmes, qu’ils soient journalistes ou téléspectateurs.

 

DZ : Comment faites-vous pour vous former et vous adapter ? Vous avez des médias training avec des professionnels ?

LB : D’une part, on entretient un réseau d’experts qui seront en mesure de prendre la parole dans les médias. C’est le maillage territorial numérique. Ce sont des experts de police judiciaire, cyber, maintien de l’ordre, prévention, qui sont capables de parler et d’expliquer. On incarne la parole, c’est un gendarme qui explique sa mission. Cela permet de clarifier des choses vis-à-vis du lecteur ou du téléspectateur. On a la porte-parole de la gendarmerie aussi.

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Sur la notion de stratégie d’adaptation de ces stratégies de communication, c’est une question de réseaux. J’échange toutes les semaines avec mes camarades de la police, des armées, j’échange avec un réseau de directeurs de communication du privé et du public. On apprend ensemble. Aujourd’hui, bien malin qui pourrait dire le réseau social qui va pointer son nez en 2022 ! Tik Tok a moins de deux ans. On apprend aussi au fur et à mesure et surtout en s’ouvrant sur les autres : le monde de la communication et la population. On a beaucoup d’interactions avec la population : commentaires, réponses, demandes…

On a créé la brigade numérique il y a trois ans. C’est une brigade de gendarmerie qui n’est pas territoriale, mais sur la toile. N’importe qui peut la saisir par Facebook, le site internet, le chat, et discuter avec un gendarme comme si on le rencontrait en vrai. On s’adapte à ce que les gens recherchent et à la façon dont la société évolue.

On allie un réseau territorial, dans ce qu’on appelle des référents sureté. Ces derniers sont formés pour conseiller des entreprises ou administrations sur la façon de se protéger physiquement (vidéosurveillance, fermer les portes…), mais aussi en termes de cybersécurité (se protéger des hackers …) On a un service physique, mais on propose aussi ce service via la brigade numérique et on a des partenariats avec les chambres de commerce. Cette adaptation est essentielle, et c’est ce qui nous permet de maintenir ce lien avec la population, y compris sur des parties de populations spécifiques (ce qui intéresse le chef d’entreprise n’intéresse pas forcément l’agriculture et vice versa).

 

DZ : En parlant de communication et de visibilité de la marque, j’ai vu que vous aviez aussi monté une boutique en ligne ?

LB : Exactement. On a déposé la marque il y a plusieurs années, et nous voulions développer une politique d’objets à destination du grand public. Pour ça nous avons ouvert un marché public pour lequel plusieurs entreprises ont répondu. L’une a été choisie, et depuis juillet 2020 nous avons ouvert avec elle la boutique en ligne de la gendarmerie nationale. Vous trouvez des produits qui représentent la marque gendarmerie nationale, dans laquelle le grand public peut s’identifier. Il y en a pour les enfants, des produits du terroir, produits de sporttextiles… ce sont des produits pratiques, de sécurité pour certains, des produits d’identification à la marque gendarmerie. C’est une belle avancée pour le développement d’une marque. L’Élysée l’a fait il y a deux ans, nous l’avons fait cette année.

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DZ : Où vont les bénéfices générés par cette boutique ?

LB : Ce ne sont pas les bénéfices qui nous intéressent. Le business modèle est chez l’entreprise, nous touchons quelques royalties. L’argent va pour l’amélioration des conditions de vie des personnels. Ça aidera pour la vie quotidienne de nos gendarmes dans leurs unités.

 

DZ : il y a aussi une boutique GIGN il me semble ?

LB : On regroupe dans notre boutique les quelques boutiques qui pouvaient exister de façon antérieure comme à la garde républicaine et au GIGN.

 

DZ : Pour finir, quel est le conseil que vous donneriez, qui vous a peut-être été donné d’ailleurs, à quelqu’un qui voudrait s’engager dans la gendarmerie dans un aspect plus sur la communication ?

LB : On ne s’engage pas dans la gendarmerie pour faire de la communication. On s’engage pour protéger les gens et les servir. Après, dans mon esprit, s’engager pour protéger les gens c’est aussi, au-delà de la protection, expliquer ce qu’on a fait. Donc on rentre dans la notion d’information et de communication. On le voit sur le terrain quand on demande un volontaire pour expliquer son action de patrouille, la façon dont il a intercepté un individu, on trouve toujours un gendarme qui aime expliquer ce qu’ils ont fait, car plus il explique plus cela va se diffuser.

Le conseil à quelqu’un qui veut rentrer en gendarmerie c’est de rentrer parce qu’on veut protéger la population, créer un contact et un lien social. On a développé pendant la crise sanitaire l’opération « Répondre présent ». C’est le fait que pendant le premier confinement, quand tout le monde était chez soi, que les gendarmes étaient sur le terrain pour faire un minimum de sécurité, ils sont allés au-delà de leur mission de sécurité et ils ont fait un service au public en aidant les soignants, les pharmacies, les entreprises, les élus qui n'avaient plus de personnel avec eux, ils sont allés distribuer des cours à des enfants éloignés puisque les réseaux scolaires ne fonctionnaient plus. C’est ça répondre présent. Ça s’est développé pendant la crise, mais c’est l’ADN de la gendarmerie. Créer le contact, garder le contact au-delà de la mission de protection, c’est aimer les gens. Et derrière si on ne le dit pas, on remplit notre devoir de redevabilité. Donc c’est une prolongation naturelle de l’engagement du gendarme envers la population.


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