Pilote d'A400M dans l'armée de l'Air et de l'Espace
de lecture - mots
Bienvenue dans Défense Zone, le podcast qui traite des questions de Défense et de sécurité. Cette semaine, nous avons rendez-vous à Orléans, sur la BA 123 afin de nous entretenir avec un pilote d’A400M. C’est dans cette base de l’armée de l’air et de l’espace que sont stationnés plusieurs escadrons de transports, ainsi que trois unités des forces spéciales.
N’oubliez pas de vous abonner au podcast ainsi qu’à notre magazine papier en vous rendant sur le site defense-zone.com. Nous vous souhaitons une bonne écoute!
Présentation
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis le commandant Nicolas, surnommé "Fish" à l'escadron. Je suis instructeur sur A400M au sein de l'escadron de transport 4/61 « Béarn ». Ancien pilote de Transall, j'ai fait 10 ans sur cet appareil et je suis maintenant sur l'A400M depuis presque 10 ans. Je suis également officier de sécurité des vols au sein de l’escadron.
Quel est le rôle de l'officier de sécurité ?
L'officier de sécurité des vols garantit la sécurité des vols au sein de l'unité. Il s'agit de promulguer les bonnes pratiques en termes de sécurité pour tous les équipages. On se concentre aussi sur la sécurité aérienne, englobant tous les acteurs de la mission, du mécanicien qui prépare les avions au contrôleur aérien, etc., pour assurer la sécurité des vols.
L’utilisation de l’A400M dans l’armée de l’Air et de l’Espace
Quelles sont les missions de l'A400M en 2023 ?
Les missions de l'A400M sont diverses. C'est à la fois un avion logistique et un avion tactique. La partie logistique ressemble au travail d'un pilote de ligne, transportant du matériel ou du personnel d'un point A à un point B. La mission tactique implique d'opérer dans un environnement dense avec des menaces potentielles, en utilisant des techniques comme le parachutage, le posé d'assaut, et l'atterrissage sur des terrains sommaires comme des pistes en sable, latérite ou herbe, souvent de nuit avec des jumelles de vision nocturne.
A400M vs Transall
En tant qu'ancien pilote de Transall, je dirais que les capacités de celui-ci et de l’A400M sont similaires. L'A400M peut nécessiter un peu plus de piste, ce qui se justifie par son poids plus important et sa capacité à transporter ou extraire trois à quatre fois plus de chargement d'un terrain sommaire. En termes de capacités, nous faisons quasiment la même chose, également pour le posé en piste sommaire. Quand j'ai fait mon premier atterrissage sur terrain sommaire en A400M, je me demandais s'il serait aussi robuste et rustique que le Transall. La réponse est clairement oui. On fait la même chose, avec quelques centaines de mètres en plus nécessaires, car l'A400M transporte et extrait beaucoup plus que le Transall.
Piloter un avion de dernière génération avec autant d'électronique change beaucoup ?
Non, la comparaison que je fais, c'est comme passer d'un vieux Nokia à un iPhone. La transition se fait très facilement. Les systèmes sont tellement ergonomiques que la transition est relativement simple. Les commandes de vol électriques nous assistent énormément dans le pilotage. Le but de ces avions de dernière génération est d'alléger la charge de pilotage pour permettre à l'équipage de se concentrer sur l'environnement de la mission, en particulier si la mission est complexe avec des avions de chasse protecteurs, des avions ennemis, un AWACS, etc. L'avion nous protège dans le domaine de vol, nous empêchant de le dépasser, contrairement au Transall. Pour le pilotage automatique, il était aussi présent sur le Transall, mais nous l'utilisons principalement pour les missions logistiques. L'avion est autocompensé, restant dans la position où on le met sans toucher au manche. Il y a des protections autour du domaine de vol, par exemple, il nous empêche de nous mettre sur le dos ou d'atteindre des vitesses dangereuses.
L’A400M Tactical Display
L’équipage Tactical Display
Nous sommes avant tout des pilotes opérationnels. Mais pendant la période des meetings, nous endossons la fonction d'ambassadeur de l'armée de l'Air et de l'Espace en tant qu'équipage de l'A400M Tactical Display. L'objectif est de rayonner auprès du grand public et des professionnels pour le recrutement, en montrant les capacités de l'avion et des équipages. L'A400M Tactical Display est une démonstration tactique avancée, montrant les modes d'action tactique de l'avion utilisés en mission. Il s'agit de posés d'assaut, de décollages sous menace, de tours de piste courts, et de remises de gaz rapides. La démonstration dure 13 minutes, combinant différents modes d'action.
Une « aventure humaine »
J'ai eu la chance d'être à l'origine de la démo avec mon collègue, le capitaine Jean-Baptiste. Nous avons créé la démo en 2018, donc cela fait maintenant notre 6e saison au sein de l’équipe. C’est une formidable aventure humaine. C'est une équipe qui travaille avec énormément de synergie, incluant les mécaniciens au sol et les pilotes. Cela implique beaucoup de rencontres avec le public et énormément de partage sur notre passion pour le métier d'aviateur, qui est une profession passionnante. Cela nous donne l'occasion de partager notre passion et de répondre aux questions posées lors des meetings. Il y a deux types de questions. Les premières sont techniques sur l'avion, où les gens sont impressionnés par l'agilité de cette machine, surtout lorsqu'on fait le virage à 120°. Ils demandent comment on parvient à manœuvrer l'avion dans ces conditions. Les secondes concernent nos carrières dans l'armée de l'air, comme devenir pilote ou mécanicien.
Le métier de pilote
Comment devient-on pilote ?
Il y a deux façons de devenir pilote. D'une part, le recrutement officier sous contrat, l'EOPN (Élève Officier du Personnel Navigant), et d'autre part, via l'École de l'Air, après un concours d'entrée type école d'ingénieur. Les EOPN sont recrutés niveau Bac. Le parcours inclut une formation militaire à Salon-de-Provence, puis une formation théorique (l’ATPL), suivie de l'école de début pour le pilotage de base. À l'issue de cette formation, on est orienté soit vers l'aviation de chasse, soit vers l'aviation de transport. Dans mon cas, j'ai rejoint l'aviation de transport où l'on apprend les rudiments du pilotage de transport. Après cela, on est breveté pilote de transport et on rejoint une unité opérationnelle. Le transport fait aussi du combat à sa façon, par exemple en insérant des commandos ou en extrayant des ressortissants sous menace. L'aviation de chasse, quant à elle, utilise des bombes. Notre "combat", en aviation de transport, se fait via notre soute, en insérant ou extrayant des commandos ou ressortissants.
Y a-t-il une différence radicale entre le pilotage d’avions de transport et de chasse?
Oui, les avions sont fondamentalement différents. Piloter un avion de chasse implique de placer l'avion dans des positions particulières pour gérer des facteurs de charge importants et tout le système inhérent à l'avion et à la mission. C'est donc complètement différent. Un avion de transport, par exemple, peut se poser de nuit sur un terrain sommaire avec des jumelles de vision nocturne, ce qu'un pilote de chasse ne fait pas. Nos formations et nos missions sont donc différentes, bien qu'elles soient complémentaires. Par contre, bien que nos missions soient différentes, je pense que la gestion du stress est inhérente à tous les pilotes. À mon avis, nous avons des façons similaires de gérer ces aspects.
Est-ce un métier fait pour tout le monde ?
Malheureusement, non. Même si l'entraînement permet d'amener beaucoup de gens au niveau requis, il y a une sélection initiale qui choisit ceux ayant la capacité d'évoluer dans notre milieu. Il y a des échecs lors des sélections, ce qui indique que tout le monde ne peut pas faire ce métier. Une fois sélectionnés, tous atteindront le niveau demandé grâce à la formation et au travail.
La préparation aux missions et aux risques
Il n’y a pas forcément d’appréhension avant les missions, notamment à l’étranger, car nous nous préparons et nous entraînons intensivement. Nous sommes formés pour cela, donc nous retombons généralement sur nos pieds. Si la situation sort de l'entraînement, nous sommes capables de nous adapter et d'en tirer des leçons pour améliorer nos futures missions. Nous préparons la mission comme elle devrait se dérouler sans imprévu, puis nous préparons les imprévus. Nous faisons de nombreux "what if" pour ne pas être pris au dépourvu pendant la mission et minimiser la nécessité de s'adapter. Et s’il y a quand même un imprévu, nous prenons la situation telle qu'elle se présente, en la combinant avec tout l'environnement, qu'il s'agisse de l'état de la machine, des conditions météo, ou de la cible. Nous essayons de trouver la solution la plus optimale possible. Il n'y a pas de recette pour gérer l'imprévu, mais nous avons des méthodes de réflexion qui permettent à tous les pilotes de transport de s'adapter aux situations imprévues. Il y a un dialogue avec nos chefs et les décideurs de la mission. Chaque situation est particulière. Si nous avons le temps, nous dialoguons avec le décideur, sinon le commandant de bord prendra sa décision, toujours en privilégiant la sécurité de l'avion et de l'équipage. Nous disposons dans l'avion de systèmes comme le SATCOM, un téléphone embarqué, pour joindre les gens dans n'importe quelle situation.
Un travail d’équipe
Ce qui marque le plus dans l'aviation de transport, ce n'est pas tant la mission ou la destination, mais plutôt le travail d'équipe. Comme on le dit, il n'y a pas de belles missions, il n'y a que de bons équipages. Ce qui me marque, c'est la synergie, le travail en équipe, les interactions humaines. Tous ces éléments contribuent à réussir la mission et à avoir le sentiment du devoir accompli en équipe.
Il n'y a pas d'équipage constitué fixe. Selon la mission attribuée, nous formons des équipes en fonction des qualifications nécessaires. Bien que nous soyons des petites unités et revolions régulièrement ensemble, les équipes ne sont pas fixes, et ce n'est pas moi qui choisis. Dans chaque escadron, nous avons des chefs de spécialité, comme les pilotes et les loadmasters (mécaniciens de la soute). Ces chefs déterminent l'équipage en fonction des qualifications requises pour la mission.
Les missions d’aérolargage
Le but des missions d'aérolargage est d'aller à un endroit où on ne peut pas se poser pour larguer des parachutistes ou du matériel, comme des vivres, de l'eau ou des munitions pour des personnes déjà sur le terrain. C'est une formation continue. En arrivant en unité opérationnelle, on apprend d'abord à gérer les missions logistiques, puis on bascule rapidement dans la partie tactique avec des stages de formation pour apprendre à larguer des parachutistes, des palettes, effectuer des posés d'assaut, etc. C'est d'abord une formation initiale, puis on gagne de l'expérience au fil des missions.
Les liens à l’international
Avez-vous déjà travaillé avec d'autres armées dans le cadre de missions internationales ?
Oui, cela se passe généralement bien car nous avons un langage et des procédures communs, en particulier au niveau européen avec l'A400M. Nous tendons vers un langage commun à travers ces procédures, ce qui facilite les opérations avec plusieurs nations ou armées.
L’organisation européenne de l’A400M
Dans l'EATC (European Air Transport Command), chaque nation participante met ses avions dans un pot commun pour optimiser le transport militaire. Par exemple, cela évite d'avoir deux avions, un allemand et un français, allant au même endroit avec des soutes à moitié vides. L'EATC gère également une école européenne de l'aviation tactique pour établir des procédures communes, notamment pour des opérations militaires au-delà du logistique. Cette organisation inclut des pays comme l'Espagne, l'Allemagne, et le Luxembourg. L'EATC facilite la préparation en demandant les autorisations de survol des pays traversés en fonction du chargement. L'équipage entre ensuite dans sa phase de préparation finale, déterminant la quantité de carburant et l'équipement nécessaire.
Les qualités à avoir
Il faut distinguer deux aspects : le technicien, capable de piloter l'avion et de suivre les procédures, et l'aspect humain, important dans un avion de transport avec plusieurs membres d'équipage. Les traits de caractère n'influencent pas tant l'aspect technique, mais l'aspect humain oui. Chacun a son caractère et doit l'adapter à la vie en communauté. Nous recherchons une certaine synergie, et même si certains traits de caractère ne sont pas toujours compatibles, les gens font des efforts. Cette partie est débriefée après chaque mission, et à la fin, nous parvenons à travailler en synergie complète et à remplir la mission ensemble.
Univers militaire vs civil
J’'ai des collègues qui sont passés au pilotage de ligne. C'est un univers assez différent en raison de notre statut de militaires et de la hiérarchie, bien que la hiérarchie existe aussi dans le civil. Nous avons des façons légèrement différentes de travailler, avec des grades et des qualifications plus larges qu'un pilote de ligne. Nous avons deux types de missions : la logistique, similaire à celle d'un pilote de ligne, et la tactique, qui est notre principale différence avec l'aviation civile. Pour nous, la logistique est presque un non-événement, beaucoup plus facile que le tactique, qui est plus exigeant et challengeant.
Concernant l’aspect humain, dans les grandes entreprises civiles, les équipages ne sont pas constitués de manière fixe, souvent un commandant de bord vole avec un copilote qu'il n'a jamais vu. Chez nous, dans nos petites unités, nous nous connaissons assez bien, volons régulièrement ensemble et interagissons souvent, car nous ne sommes pas toujours en vol. Nous avons également du travail au sol, ce qui crée beaucoup d'interactions au sein de l'escadron. Je pense que nous nous connaissons mieux que les pilotes de ligne ou les équipes travaillant dans le civil.
Aussi, je ne veux pas parler à la place des pilotes de ligne, qui travaillent pour la rentabilité de leur entreprise, mais en choisissant de s'engager dans les armées, on a cet aspect patriotique qui est le point d'orgue de tout ce qu'on fait.
Pour en savoir plus, vous abonner à notre magazine et recevoir notre tout dernier numéro, dont le dossier est consacré à la guerre aux unités d'élites des forces de sécurité intérieures, accéder à des contenus exclusifs, bénéficier des offres de matériels et équipements de nos partenaires. Rendez-vous dans la rubrique premium.