La Défense dans l’univers politique
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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Cette semaine, nous nous entretenons avec un ancien député et désormais sénateur spécialisé dans les questions de Défense et de sécurité. Philippe Folliot est l'un des parlementaires qui s'est le plus rendu sur le terrain, aux côtés des militaires français. Depuis 2002, il s'est notamment rendu au Tchad, au Mali, au Liban, au Kosovo et plusieurs fois en Afghanistan. En 2009, il est élu vice-président de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l'Assemblée nationale. Avec lui, nous allons parler d'un sujet passionnant, celui de la place de l'armée dans le monde de la politique.
Les débuts au Parlement de Philippe Folliot
Philippe Folliot est élu pour la première fois en 2002 député de Castres. C’est dans cette ville qu’est basé le mythique 8e régiment parachutistes d’infanterie de marine (8e RPIMA). « Mon travail parlementaire a d’emblée été marqué par ce lien spécifique avec ce régiment », raconte celui qui, symboliquement, est allé déposer une gerbe en mémoire aux soldats du 8 tombés pour la France, le premier jour de son investiture.
Sa première décision en entrant à l’Assemblée nationale a dû être de choisir la commission dans laquelle il souhaitait travailler. Lorsqu’il était étudiant, il faisait partie du Centre d’études et de recherches sur l’armée qui dépendait de l’Institut d’études politiques de Toulouse. Il y fait d’ailleurs son mémoire sur le mode de recrutement des armées, en étudiant l’armée de conscription, l’armée professionnalisée et l’armée-milice (comme en Suisse). Alors que sa vie professionnelle l’avait éloigné du milieu militaire, il opte, lorsqu’il devient député, pour la Commission de la Défense. « Ça a été pour moi un élément important de revenir aux sources », déclare Philippe Folliot, qui a ainsi toujours été sensible aux questions liées à la Défense, « tant ce régiment [le 8e RPIMA] est un élément fort, fédérateur, constitutif de cette ville. » Impliqué activement dans cette commission, le parlementaire de Castres a été plusieurs fois rapporteur, mais aussi secrétaire et vice-président.
Un parlementaire sur le terrain
Le fil conducteur de ses années au Parlement a toujours été une forte présence sur le terrain, qui sont une source d’enrichissement, estime Philippe Folliot. Pour lui, partager le quotidien des soldats, marins et aviateurs permet de comprendre leurs problématiques, que ce soit le maintien en conditions opérationnelles, la préparation des forces ou encore les engagements. Il s’est rendu à chacune des opérations extérieures qu’a fait le 8e RPIMA : Tchad, Afghanistan, Kosovo… Avec un rituel bien particulier, celui d’amener un jambon de la Caunes ! Il a aussi sauté en parachute avec le 8, plongé en sous-marin, passé du temps sur le Charles-de-Gaulle, volé en Mirage 2000 et visité de nombreux régiments.
L’importance de comprendre les réalités
Toutes ces rencontres ont chaque fois été l’occasion de « compléter mon expérience », affirme le parlementaire. En ayant une meilleure compréhension des réalités, il lui a été plus facile de discuter avec les chefs d’état-major. Il illustre son propos avec l’exemple du remplacement des hélicoptères Gazelle par des Tigre, dont le maintien en condition opérationnelle a un coût cinq fois supérieur à celui de la Gazelle. Philippe Folliot souligne alors l’importance de prendre conscience que « parfois, on pense que remplacer le matériel vieillissant par du matériel neuf fera réaliser des économies d’entretien. Mais ça ne correspond pas à la réalité des choses, due à la complexité des matériels. » Il prône une approche plus globale afin que les soldats soient bien équipés tout en tenant compte de l’environnement pour que tout fonctionne dans de bonnes conditions.
Uzbeen, un évènement marquant
L’embuscade d’Uzbeen le 18 août 2008, qui a provoqué la mort de dix soldats français, a été particulièrement marquante. C’était la première fois depuis la Guerre d’Algérie que la France perdait autant d’hommes en une seule attaque. Après cet évènement, Philippe Folliot s’est rendu sur place avec la Commission de Défense. Il est ensuite revenu plusieurs mois après, à ses propres frais. « Personne ne voulait prendre en charge le billet d’avion pour moi aller en Afghanistan », indique le parlementaire. « Je l’ai payé moi-même car c’était important et essentiel d’être auprès des soldats du régiment de ma ville après ces moments particulièrement difficiles », assure-t-il. Il y passe ainsi dix jours, sans autre personne de l’administration ni journaliste, ce qui lui a permis de vivre le quotidien de ces militaires, de voir certaines opérations et actions civilo-militaires. Il a aussi pu s’essayer au tir lors d’un entraînement des troupes : « je crois que je suis le seul parlementaire qui a pu, de l’arme de poing jusqu’à la 12.7, tirer avec toute la collection d’armes, surtout en opération extérieure. »
Le respect de la profession de militaire
Il estime également que les militaires doivent être traités avec respect : « il ne faut jamais l’oublier, le métier de militaire est singulier, car au bout du bout de l’engagement, il y a le sacrifice ultime et irréversible qui est celui de la vie. Par rapport à ça, celles et ceux qui font ce choix de métier des armes méritent le respect de la Nation. » Le député affirme avoir toujours essayé d’être au service de l’Institution et des « hommes et femmes qui l’incarnent », à exposer ses jugements librement, quitte parfois à être « vindicatif au regard de l’instance politique décisionnel quand les moyens n’étaient pas au rendez-vous. » A une époque de baisse de budget, lorsque le ministère de la Défense supportait les deux tiers des suppressions d’emplois dans le secteur public, il a ainsi pris position pour demander plus d’équilibre.
L’image de l’armée
Philippe Folliot souligne le fait que l’image renvoyée par les armées est importante, et que celle-ci est aujourd’hui très bonne, en citant un sondage montrant que 86% de la population a une image positive des militaires et de la Défense.
Dans le monde politique, cette image est bonne aussi, mais « dénaturée », affirme-t-il, car beaucoup d’élus, faute d’avoir connu le service militaire ou d’avoir un régiment dans leur département, sont peu familiers à ce milieu. « Le lien à la Défense pour nombre de concitoyens et nombre d’élus devient de plus en plus théorique », soutient le sénateur. Il a d’ailleurs déjà entendu des députés exprimer la nécessité de « supprimer les avions de combat, supprimer la force de dissuasion » et qu’il valait mieux « un hôpital qu’un porte-avions ». Un travail est donc à faire selon pour affermir ce lien à la Défense et faire prendre conscience des enjeux : « si nos démocraties veulent pouvoir faire face à l’hydre et à cette bête immonde qu’est le terrorisme, elles doivent être capables de se défendre », assure-t-il, « car nous vivons dans un monde toujours plus instable et toujours plus dangereux. » Il soutient aussi que « si la France veut peser dans les affaires du monde », elle a besoin de moyens pour soutenir ses concitoyens et ses alliés.
La politisation de l’armée
Ce podcast a été enregistré peu de temps après la parution de la tribune des Généraux, qui a beaucoup fait parler d’elle. Philippe Folliot défend le droit de chaque militaire à avoir ses convictions et la volonté de les défendre, mais conteste les moyens utilisés : « je ne suis pas sûr que de tels éléments et de tels agissements fassent avancer la cause, et fassent avancer positivement l’image de la Défense. » Il assure comprendre, « mais pas sous cette forme-là et pas dans ce cadre-là. »
Il prend l’exemple du 8e RPIMA qu’il connaît bien, dont les soldats ont des origines et religions diverses, à l’image, au final, de la société actuelle. « Ceux qui sont un peu nostalgique de quelques éléments un peu mythiques d’un passé qu’on a tendance à enjoliver, je ne suis pas sûr qu’ils soient dans la réalité des choses, et surtout qu’ils rendent service au pays qu’ils veulent défendre. J’ai beaucoup de réserve par rapport à ça », conclut-il.
Son rôle à la Commission de Défense
Philippe Folliot aime comparer son rôle à la commission comme étant « la CGT de la Défense », bien que cela fasse se crisper certains parlementaires. Il est ainsi la voix des militaires et « peut dire tout haut ce que certains pensent tout bas. » Son objectif est « d’apporter une contribution au débat », en faisons part de certaines problématiques. Il cite en exemple le cas des hélicoptères lorsque l’armée française était en Afghanistan. A l’époque, seuls deux hélicoptères étaient disponibles et volaient obligatoirement en binôme. Lorsque l’un des deux était en maintenance, l’autre ne sortait pas non plus. Pour continuer les opérations héliportées, il fallait alors compter sur les Américains, mais cela n’était pas possible à chaque fois. Le parlementaire a soulevé le problème afin d’augmenter les moyens et ainsi pouvoir poursuivre les évacuations sanitaires, transports etc.
Les enjeux entre alliés font l’objet d’un gros travail de réflexion, Philippe Folliot étant aussi membre du bureau de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. Il a ainsi dû analyser l’échec afghan, au niveau des Alliés mais aussi au niveau individuel français.
Enfin, il garantit que les membres des commissions ont un « grand sens des responsabilités », que ça soit à l’Assemblée ou au Sénat, quelque soit leur bord politique, qu’ils essayent d’ailleurs « d’effacer derrière ce cadre de responsabilité. »
Les actions civilo-militaires
Le Sahel est une zone géostratégique aux portes de l’Europe. « Si la situation se dégrade trop dans cette partie de l’Afrique, ça aura des conséquences », rappelle Philippe Folliot. « Une conséquence sécuritaire potentielle d’abord, si des groupes terroristes, paramilitaires ou autre s’octroient une partie du pouvoir dans ces pays-là ; et il y a l’enjeu de la francophonie. »
Le sénateur appuie également sur le fait que cette présence militaire française doit être accompagnée d’une avancée sur certaines problématiques liées à l’eau, à l’alimentation, à la santé, à la scolarisation etc. Le but des actions civilo-militaires est aussi de se faire plus facilement accepter par les populations locales. L’aide au niveau de la santé représente la moitié de ces actions. Le parlementaire raconte ainsi qu’une fillette a été sauvée d’un kyste grâce à une intervention chirurgicale de médecins militaires français ; l’image de l’armée auprès de son père s’est forcément améliorée, et c’est aussi le but. L’avantage également de développer la francophonie, une certaine culture française, des connaissances, l’Histoire etc, est d’essayer de limiter l’attrait des jeunes pour le terrorisme.
Il déplore toutefois le manque de moyens et de personnels affectés à ces actions, et avait proposé que des réservistes travaillent à ces reconstructions, puis que leurs entreprises prennent le relai ensuite
L’enjeu des territoires maritimes
Dans son livre « France-sur-mer : un empire oublié », Philippe Folliot considère que « l’humanité ne pourra résoudre une partie des défis du 21e siècle qu’au travers d’une exploitation raisonnable et raisonnée des ressources des mers et des océans », que ça soit pour l’eau, l’alimentation ou encore l’énergie. Il constate que la France a un immense territoire maritime, ce qui représente « un atout formidable, mais totalement oublié ». Il rappelle que la France est plus étendue que la Chine si on prend en compte les territoires terrestres et maritimes. De plus, la France jouit d’une grande diversité, elle est la seule à avoir des territoires dans les trois océans, sur des mers très froides (îles Kerguelen) comme sur des mers chaudes (îles polynésiennes, antillaises…). « On a cette mixité tout à fait exceptionnelle, c’est dommage qu’on ne prenne pas conscience ce des enjeux, surtout que l’économie bleue va prospérer au niveau mondial dans les prochaines décennies », regrette le parlementaire. Il souligne enfin la nécessité de prendre conscience de cet avantage y compris sur le plan militaire, car « la France a la chance d’avoir des points d’appui (La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie…). Il faudra se doter de moyens afin que nous développions nos forces de souveraineté et nos moyens marins et aériens pour pouvoir être mieux présents à partir de ces territoires français dans les océans Indien et Pacifique. Pour moi c'est d’un intérêt majeur. »
Dernier conseil
Philippe Folliot approuve le choix d’un jeune qui voudrait se lancer dans une carrière de parlementaire : « l’engagement est quelque chose de beau. D’exigeant, de difficile, parfois de terrible, mais beau. » Il considère qu’être au service de son pays est une tâche fantastique, et estime avoir eu « une chance et un honneur extraordinaire » d’être parlementaire pendant 24 ans. Il insiste sur l’importance « d’aimer les gens » car de nombreuses rencontres composent ce métier, et d’avoir « la volonté de faire bouger les choses. » Cette détermination est essentielle pour avancer pour faire face aux revers et contrecoups. « J’essaye autant que possible d’être à la hauteur d’autres personnes qui ont vécu beaucoup plus de choses que moi », indique Philippe Folliot. Il pense notamment à son grand-père, laissé pour mort en 1916 après une explosion, qui « a eu des séquelles toute sa vie, a perdu un œil, un genou… ». Le parlementaire garde chez lui des éclats d’obus, « car c’est pour moi un élément important. Tout ce que j’ai pu vivre, c’est peu de chose par rapport à ce que lui a pu vivre en termes de difficultés et de souffrances. » Sur son bureau au Sénat, il a d’ailleurs installé une photo de son grand-père en uniforme, ainsi que la médaille commémorative du 40e anniversaire du traité de l’Elysée, reçue en 2003 lors du congrès de Versailles réunissant parlementaires français et allemands. Deux symboles forts pour lui, qui montrent combien en l’espace de deux générations, les temps ont changé.
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