L’intérêt stratégique des forces françaises stationnées à Djibouti
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Le Général Stéphane Dupont est passé par l’Ecole de l’Air puis a gravi les échelons des officiers depuis près de 29 ans. Après un séjour entre 2010 et 2012 à Djibouti en tant que commandant de la base aérienne 188 des Forces françaises stationnées à Djibouti, il est depuis 2020 l’actuel commandant des FFDj (COMFOR).
Pour Défense Zone, il revient sur l’histoire de l’armée française dans ce petit pays de la corne de l’Afrique, et sur les missions des forces. Retrouvez également notre article sur les FFDj sur notre site.
L’Organisation des FFDj
Les trois composantes de l’armée sont présentes à Djibouti.
- L’armée de Terre est représentée par le 5e RIAOM (régiment interarmes d’outre-mer) comprenant la compagnie de commandement et de logistique (CCL), le CECAD (centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement désert), la 1e compagnie d’infanterie, le 3e escadron blindé, la 6e compagnie d’appui, et le DETALAT (détachement de l’aviation légère de l’armée de Terre).
- L’armée de l’Air et de l’Espace est présente par la base aérienne 188 comprenant l’escadron de chasse 3/11 « Corse » et l’escadron de transport 88 « Larzac ».
- La Marine Nationale détient une base navale dans la zone portuaire de Djibouti.
Au total, 1450 militaires et civils travaillent au sein des FFDj. La composante Terre représente plus de la moitié des effectifs avec 805 soldats (54%), l’Air plus d’un tiers avec 500 aviateurs (35%), la Marine atteint presque 10% avec ses 134 marins, et le personnel civil ne représente que 2% des effectifs.
900 Djiboutiens sont employés par les FFDj, 600 comme PCRL (personnel civil de recrutement local) et 300 comme employés de maison
Si les militaires des FFDj sont principalement stationnés à Djibouti même, ils sont aussi présents dans toute la corne de l’Afrique, au sein d’une zone à responsabilité permanente (ZRP).
L’intérêt stratégique de la présence française à Djibouti
Une présence française historique
Djibouti est une ancienne colonie française. Lorsqu’elle prend son indépendance en 1977, la France choisit de rester militairement en appui du pays, notamment face à la Somalie et l’Ethiopie, afin de « garantir sa souveraineté ». Des zones de responsabilités sont créées, et les FFDj, depuis Djibouti, rayonnent ainsi sur toute la corne de l’Afrique. En 2008, face aux tensions montantes dans la région, « il était intéressant d’avoir une force d’intervention potentielle », souligne le Général Stéphane Dupont, surtout pour garantir la sécurité des nombreux ressortissants français. « Il est pertinent d’avoir une force, poursuit-il, car qu’on le veuille ou non, quand il y a une crise, finalement on fait appel à un militaire à un moment. Pas pour faire la guerre, mais en sécurité, en stabilisation, en formation d’autres pays. » Djibouti est choisie comme hôte des forces, de par son passé historique avec la France, mais aussi par son implantation stratégique: proximité des grandes voies maritimes, nombreux câbles numériques au départ de la capitale, terrorisme dans la région et flux migratoires (pouvant déstabiliser le pays), enjeux de ressources (plutôt au sud de la ZRP avec le pétrôle au kenya et en Somalie)... Cet environnement et les nombreux facteurs crisogènes dans cette zone, expliquent l’intérêt de forces militaires capables d’intervenir, ou au moins de conseiller et former.
Des forces prépositionnées
Pour ces raisons, « la France dédie des moyens pour une protection de l’avant et une gestion de crise locale avant que ça ne déborde voire que la France n’en subisse les conséquences », explique le COMFOR, notamment sur les câbles et le trafic maritime. Djibouti est aussi une porte d’entrée par les airs pour des interventions en Proche ou Moyen-Orient, et une autre par la mer pour la zone maritime indo-pacifique. Des opérations peuvent être menées depuis les FFDj, qui bénéficient d’une certaine indépendance: « Djibouti devient de plus en plus importante, car ici, on a une vraie liberté d’action politique (Président) et militaire (Etat-major des Armées) », note l’officier supérieur. Enfin, les forces françaises stationnées à Djibouti représentent également un poste d’appui, fortement lié à leur pays hôte en les formant et en permettant sa montée en gamme. « C’est dans les gènes des FFDj de former, d’aider les Djiboutiens, c’est historique », ajoute le commandant des FFDj.
Le volet opérationnel des FFDj
Les forces françaises stationnées à Djibouti ont plusieurs missions, évoquées plus haut, qui se distinguent en deux axes principaux: l’entraînement (notamment grâce au CECAD) et l’opérationnel.
Une réponse immédiate
En étant une force prépositionnée et bénéficiant de bases (aérienne et navale) avancées, les FFDj peuvent intervenir rapidement sur différents théâtres d’opérations, selon les besoins. « C’est la première réponse immédiate, indique le Général Stéphane Dupont. On a des gens aguerris, prêts. On a des contrats opérationnels de 12h, 48h, une organisation interne qui fait qu’on sait répondre tout de suite. Et si ça doit se poursuivre ou monter en intensité, le dispositif intègre ce qu’on appelle les ENU (échelon national d’urgence) avec des gens derrière qui savent revenir. » Ainsi, les FFDj offrent des moyens immédiatement employables pour une opération dans la zone de responsabilité permanente, ou même dans une région plus lointaine. Comme le rappelle le COMFOR, la répartition et l’emploi des armées revient au chef d’état-major des armées. Les FFDj sont « un réservoir de forces » dans lequel le CEMA peut venir puiser en cas de nécessité, comme lorsque trois hélicoptères Puma des FFDj ont été envoyé à Barkhane, puisque cela « n’empêchait pas de résoudre le contrat opérationnel de la ZRP », précise l’officier.
La mission “Shikra”
Début 2022, les forces françaises stationnées à Djibouti ont accueilli l’exercice Shikra de l’armée de l’Air et de l’Espace. Pour le commandant des FFDj, le volet entraînement de ce déploiement de Rafale et de ravitailleurs est secondaire. Il s’agit d’abord d’une « démonstration de puissance de l’armée de l’Air et de l’Espace, c’est sa capacité de projeter vite, fort et loin. » L’objectif est de démontrer les capacités de dissuasion nucléaire de la France, et d’assurer sa crédibilité, auprès des forces étrangères et auprès des Djiboutiens. Cet exercice permet d’affirmer que l’armée française a les moyens d’intervenir, et plus particulièrement que les FFDj peuvent « accueillir, durer, et participer » à ces opérations.
Un terrain d’évaluation
Enfin, Djibouti est un terrain d’expérimentation, propice aux « évaluations temps chauds » (terre aride, poussière…). Du matériel militaire a déjà pu être testé:
- armée de Terre: véhicule blindé multi-rôles Griffon, drones Parrot, concepts d’organisation de la force pour être projeté en opération..
- armée de l’Air et de l’Espace: Mirage 2000-D RMV rénovation mi-vie en juillet 2021
- infrastructure: drone du groupe géographique permettant la modélisation 3D d’un bâtiment ou d’un site (par exemple à Djibouti: analyse de terrain pour mettre en place un système de conduite d’eau lors de grosses pluies, le pays ne disposant pas d’égouts)
Djibouti est idéal pour ces évaluations, « parce que le terrain, la géographie, la géologie, la température, ressemblent aux théâtres d’opex, souligne le Général Stéphane Dupont. Si un matériel est validé Djibouti, normalement au Tchad ça marche. Mais avant de le déployer là-bas, il vaut mieux être sûr. »
Coopération et relations internationales
La France n’est pas la seule force en présence dans le pays. Petit à petit, d’autres pays s’y sont implantés, développant plus ou moins de liens de coopération avec l’armée française, qui, elle, dédie près de 50% de ses efforts de coopération au pays hôte.
Avec le gouvernement djiboutien
Un plan de coopération annuel a été mis en place avec les forces armées djiboutiennes afin de « répondre à leurs besoins », indique le COMFOR, sans toutefois entrer dans le travers de leur montrer leurs besoins avec notre vision occidentale. Les FFDj conseillent et forment les militaires djiboutiens dans diverses spécialités: équipes cynotechniques, tireur d’élite, combat d’infanterie… Un bataillon djiboutien a également été entièrement formé par les FFDj afin de le rendre opérationnel pour l’Amisom (mission de l’Union africaine en Somalie) La composante terrestre de l’armée djiboutienne est la principale concernée, bien qu’il y aurait « des choses qui pourraient être faites dans le domaine aérien, et à ce stade qui ne se font pas, parce qu’il n’y a pas de sollicitations ou que ça se construit », précise le commandant des FFDj.
Les échanges se font à double sens: « on a aussi des choses à apprendre, ajoute le COMFOR, eux vont en Somalie, nous on n’y va pas. C’est intéressant de créer ces échanges pour avoir un retour d’expérience. » Toutefois, même si les soldats locaux, habitués à l’environnement et au terrain, auraient probablement des compétences à partager avec leurs homologues français, ces derniers n’ont encore jamais été formés par des Djiboutiens. « On a beaucoup à apprendre d’eux. C’est ce que j’essaye de développer, relève le Général Stéphane Dupont. mais ce n’est pas dans leur esprit, ils se disent qu’ils ne sont pas au niveau français. Je pense que la France c’est imposant », ajoute l’officier.
Avec l’Europe, les Etats-Unis et le Japon
Les Américains ont été les deuxièmes, après la France, à s’installer à Djibouti. Le COMFOR indique qu’ils sont « les premiers alliés » et ont développé une très forte coopération (tactique, opérations, état-major…) avec la France, avec qui ils partagent les « mêmes valeurs, mêmes missions ». Les deux pays travaillent leur interopérabilité, par exemple sur le ravitaillement en vol, les opérations etc.
Si les Italiens sont présents à Djibouti, ils forment surtout la police pour la Somalie, et n’ont pas développé de liens particuliers ou de coopération avec la France.
Les FFDj ne sont pas impliqués dans la lutte contre la piraterie, mais soutiennent l’opération européenne Atalante, qui lutte contre l’insécurité dans le golfe d’Aden et l’océan Indien. Son soutien s’effectue par la mise à disposition, quand cela est nécessaire, du quai 9 du port de Djibouti, appartenant à la France.
Dans ce domaine, si le Japon et la France ne coopèrent pas, ils échangent néanmoins du renseignement et situations maritimes. Ces informations intéressent le commandant des FFDj, « parce que ça arrive à Djibouti à un moment », indique-t-il.
Avec la Chine
Au moment de notre reportage au sein des FFDj, la crise sanitaire liée au coronavirus était toujours d’actualité. Le COMFOR indiquait alors que les Chinois étaient « repliés » dans leur base et n’en sortaient plus. S’il a pu, avant la pandémie, visiter l’emprise militaire chinoise, les relations entre la Chine et la France, sur ce territoire, restent de la compétition: « avant, on était tout seul. Après, il y a eu les Américains, et maintenant il y a les Chinois. Ce ne sont pas nos ennemis. Mais quand vous mettez une présence militaire, ça change la donne, l’équilibre. Vous mettez un bateau américain, bon ce n’est pas grave. Vous commencez à mettre un bateau chinois, ou russe, ou iranien… on ne va pas se taper dessus mais ça bouscule l’équilibre. Avant c’était simple, maintenant c’est plus compliqué. C’est de la compétition, il faut se montrer, faire attention à ce que fait l’autre, c’est un autre état d’esprit. » Le COMFOR rappelle que Djibouti accueille trois pays du conseil de sécurité, et trois pays nucléaires. « Quand on fait une démonstration de raid nucléaire (comme l’exercice “Shikra”, ndlr) ce n’est pas pour rien; les Chinois le savent, et le but c’est qu’ils le sachent », renchérit l’officier.
Les axes d’effort des FFDj
Le principal axe d’effort des forces françaises stationnées à Djibouti sera le renouvellement du matériel. D’ici l’horizon 2025-2030, les FFDj doivent recevoir des CAESAR (camion équipé d’un système d’artillerie) ainsi que des VBMR Griffon, changer leurs hélicoptères et avions de combat pour s’équiper en Caracal, Caïman et Rafale, et enfin adopter le kit Scorpion pour numériser le matériel. Ce renouvellement consiste en une « modernisation naturelle des forces ici, explique le Général Stéphane Dupont, pour diverses raisons : le vieillissement du matériel certes, mais aussi, et c’est là la compétition, remettre le matériel à niveau pour affirmer notre crédibilité vis-à-vis des Djiboutiens déjà, mais aussi des autres pays. »
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