Camille, femme de militaire et entrepreneuse
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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Cette semaine, nous ne partons pas à la rencontre d'un militaire ou d'un membre des forces de l'ordre, mais d'une femme de militaire. Camille El Mohri est mère de famille, auteur et éditrice spécialisée dans la littérature jeunesse. En 2019, elle autoédite et publie le livre "Papa est militaire" qui a pour mission d'aider les familles de soldats, notamment à l'occasion des départs en opex. Très active sur Instagram sous le pseudo "la_mili_house" Camille a fédéré une importante communauté de femmes de militaires sur les réseaux sociaux.
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L’aventure entrepreneuriale
Camille revient sur les étapes de la création de son entreprise, un parcours qu'elle n'aurait jamais imaginé il y a encore quelques années.
La création de la Mili House
Lors de la première opération extérieure de son mari, en République Centrafricaine, Camille explique s’ennuyer, seule dans une maison où le couple vient à peine d’emménager. Elle créée alors un compte sur les réseaux sociaux afin de raconter son quotidien ; ainsi est née « La Mili House » suivie par plus de 6 000 personnes sur Facebook et 3 300 sur Instagram. Au fil des ans, l’arrivée de ses deux enfants enrichit son blog dans lequel elle partage ses expériences de maman femme de militaire.
La professionnalisation
Camille n’a jamais fait d’étude de commerce ou de marketing, mais a toujours eu l’envie d’entreprendre. Afin de publier son premier livre, elle crée son premier statut d’auto-entrepreneur comme auteur ; le deuxième suit peu après avec la création de sa propre maison d’édition, les Editions Pandoure. Ce choix de carrière lui permet de conjuguer sa vie professionnelle et sa vie de famille, en lui offrant une liberté et une flexibilité qui s’accordent aussi avec le métier particulier de son mari. Lorsque celui-ci rentre d’opex par exemple, elle peut facilement partir en vacances avec lui, même si elle admet parfois travailler quand même.
Dans cette aventure, elle peut d’ailleurs compter sur son mari. Chacun apprend de l’autre, bien qu’ils soient diamétralement opposés : « J’habite sur Mars et lui sur Vénus ! On est aux antipodes, mais c’est ce qui nous nourrit », raconte Camille. Elle est plutôt sanguine, fais à l’instinct. Lui est plus réfléchi, pose les choses avant de prendre une décision. « Il ne comprend pas toujours la manière dont je gère mes projets, j’ai une façon de faire non conventionnelle. Mais il est parfois de bon conseil car il a ce regard plus froid et plus réfléchi que moi je n’ai pas, complète l’éditrice. Inversement, des fois je le pousse à sortir de sa zone de confort. »
Son premier livre autoédité
L’ensemble de ses ouvrages de littérature jeunesse sont financés grâce au crowdfunding, un mode de financement de plus en plus utilisé. L’entrepreneuse avoue ne pas avoir été à l’aise lors de sa toute première campagne, mais ce sentiment disparaît peu à peu, et la jeune femme participe même à une formation Ulule : « Je suis blindée pour la prochaine ! », assure-t-elle. « Au début j’avais l’impression de mendier, confie Camille, aujourd’hui j’ai le sentiment que c’est une démarche très solidaire derrière laquelle il y a des enjeux. Et le fait que des gens participent m’aide et me stimule ! »
En 2019, elle publie ainsi son premier livre en autoédition, « Papa est militaire », qui démarre ainsi ce qui deviendra une série (la Mili Kids Collection). La jeune auteur indique avoir créé ce livre au départ pour elle et ses enfants, afin de « répondre par anticipation aux problématiques que mes filles rencontreraient ». Son compte rassemblant une grande communauté de femmes de militaire, elle savait toutefois qu’elle n’était pas la seule à faire face à ces questionnements. Ce premier projet, novateur et efficace, a bien fonctionné, et la très grande majorité des retours étaient très positifs : « Je sais que ça a servi de doudou à pleins d’enfants ; j’ai reçu des photos des familles, ils dormaient avec leur livre. Ça m’a beaucoup touché, et boosté ! » Stimulée, la jeune femme poursuit l’aventure avec « Maman est militaire » en 2020 et « Papa est marin » en 2021. Fin 2021, elle travaille également sur la sortie de deux prochains livres : « Papa est gendarme » et « Maman est gendarme ».
Faire connaître le métier
Petite, cette fille de policier ne devait pas dire le métier de son père, qui le lui interdisait. Elle explique s’être posé des questions sur cette prohibition, alors qu’elle était fière de son père qu’elle voyait comme un héros. « Je ne comprenais pas pourquoi la société ne pouvait pas savoir que mon père était policier. En grandissant j’ai eu envie de changer la donne. J’en ai marre que les « enfants de » (militaire, policier…) doivent se cacher, là où ils devraient être fiers de ce que font leurs parents », indique l’auteur. Ainsi, c’est aussi son objectif de mieux faire connaître ces professions afin de « redorer leur image », surtout dans un contexte où les forces de l’ordre ont « souffert du regard public ».
Le quotidien d’une femme de militaire
Ce podcast est aussi l'occasion pour Camille de casser les stéréotypes sur les femmes de militaires ou de membres des forces de l'ordre.
Casser les stéréotypes
Camille l’annonce tout de suite : « je ne me définis pas comme femme de militaire. On me le dit souvent et je le dis ouvertement aussi, mais c’est assez réducteur et je pense que mon identité passe par autre chose. » La jeune entrepreneuse va à l’encontre du stéréotype de la femme de militaire mère au foyer, qui s’occupe des enfants en attendant le retour de son mari. « Il y a une évolution dans la société de manière générale, énonce-t-elle, les femmes sont plus actives, ont envie de s’épanouir professionnellement, socialement etc. » La génération actuelle est ainsi plus entreprenante. Camille, elle, a fait ce choix de l’auto-entreprise afin de trouver un équilibre entre vie de mère, vie de femme de militaire, vie professionnelle et épanouissement personnel. Allier vies pro et perso est un défi pour de nombreuses femmes comme elle, mais « c’est connu, on arrive plusieurs choses en même temps ! », ajoute-t-elle d’un air amusé.
Gérer l’absence du conjoint
La jeune femme explique que l’absence du conjoint lors des missions ou opex est gérée de manière propre à chacune. Certaines femmes vivent très mal l’éloignement, tandis que d’autres s’y complaisent. De son côté, « ça n’a jamais été une contrainte. Au contraire, quand mon mari n’est pas là je suis encore plus créative ! Parce que lorsqu’il est là je me consacre à lui, à notre famille… Quand il n’est pas là je nourris mes projets », affirme Camille.
De même, certains couples sont en contact presque quotidiennement par message ou par téléphone, tandis que d’autres choisissent une communication plus aléatoire. « Un militaire m’a dit qu’il n’appelait pas sa femme tous les jours, pour ne pas l’inquiéter le jour où il ne peut pas appeler », raconte Camille. Tout dépend des besoins du couple, du caractère de chacun, et « il faut trouver sa façon de fonctionner. » Au début de leur relation, Camille et son mari s’appelaient très régulièrement, et la jeune femme subissait un « stress inconfortable » lorsque l’appel tardait trop à venir. Désormais, avec ses deux enfants, la situation s’est inversée et « mon mari se plaint que je ne réponde pas au téléphone ! »
Le couple mis à rude épreuve ?
Un couple avec l’un des deux partenaires militaire peut-il durer ? « Il me semble que le taux de divorce chez les militaires est plus élevé que chez les civils », avance Camille avec hésitation. En plus des contraintes liées au métier et des épreuves à traverser, la mère de famille souligne que « les couples d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes qu’hier. On est plus individualistes : comment être épanouie dans son couple si on n’est pas épanouie personnellement ? La société nous pousse à penser à nous. » Si à une autre époque, la vie de famille était prioritaire au bien-être personnel, aujourd’hui la tendance s’est inversée. Cette vie de femme de militaire et des contraintes qu’elle implique « n’est pas fait pour tout le monde », assure Camille. Cela demande du mental, de l’autonomie, de l’indépendance affective. Et une adaptation totale, de la part de la conjointe… mais également du mari lorsqu’il rentre après des mois d’opex et doit retrouver ses marques au sein du foyer. « Il doit être à l’écoute, note Camille. Mon mari est le premier à m’encourager dans tout ce que je fais. Et des fois on discute, on se recale sur ses attentes et sur les miennes. »
La communauté des femmes de militaire
Camille revient sur la cohésion entre femmes de militaires, une solidarité quotidienne qui en fait un groupe soudé et bienveillant.
La cohésion, entre femmes de militaire aussi
Pour faire face à ces difficultés, les femmes de militaire ont un atout… elles-mêmes ! Camille l’a bien remarqué, les femmes de militaires se rassemblent de plus en plus sur les réseaux sociaux, au travers de groupes, de pages (La Mili House, neurchi…) : « Il y a un phénomène de sororité entre nous, ça crée du lien, il y a de l’aide ».
« L’absence reste l’absence, on est toutes confrontées aux mêmes problématiques. » Celles qui reviennent le plus souvent dans les groupes ne sont d’ailleurs pas liées au métier en lui-même mais sont des problématiques plus personnelles : l’éducation des enfants, le couple… Pour la fondatrice de la Mili House, cette communauté de femmes de militaire est soudée autour d’une peur qui les rallie toutes : « Le danger des missions, le danger du métier de matière générale. C’est cette peur qui nous est commune. Je ne suis pas quelqu’un de stressée, mais ça m’est arrivée de m’inquiéter. Et après, on râle toutes quand le retour de l’opex est repoussé ! »
Pas de distinction
L’entrepreneuse a fait de nombreuses rencontres dans cette communauté, notamment avec l’ANFEM, la plus grande association destinée aux femmes de militaire et bientôt élargie aux familles de militaires. Camille met en avant l’accueil chaleureux qu’elle y a reçu, l’intégration fluide, « malgré des différences générationnelles, de milieu, sociales… Au début j’étais intimidée, mais maintenant j’ai pris l’habitude ! »
Ce soutien, sur les réseaux ou sur place, se pratique sans distinction du grade ou de l’unité du conjoint. On ne parle pas de « femme d’aviateur » ou « femme de soldat » mais bien de « femme de militaire »… « Même si on n’est pas toutes les femmes de marins, on est toutes dans le même bateau ! », blague Camille. Même lors de portes-ouvertes ou événement dans le régiment, la jeune femme, très sociable, parle à tout le monde sans se soucier du grade.
Une connaissance du milieu militaire
Pour Camille, les femmes sont curieuses par nature, et vont naturellement s’intéresser à ce que font leur homme. Elle considère qu’il faut s’intéresser à l’autre, partager avec lui : « Mon mari passe 80% de son temps au régiment ; si je ne m’intéresse pas à ce qu’il y fait j’aurai l’impression de ne pas le connaître. » Elle admet avoir baigner dans ce milieu depuis son enfance, étant « fille de policier, petite-fille de pilote de chasse, femme de militaire… Ce n’est pas un terrain inconnu, mais j’apprends tous les jours et j’ai envie de continuer à en apprendre plus. » La recherche d’informations est facilitée depuis quelques années grâce aux réseaux sociaux et à la communication de l’armée qui la rend plus accessible.
Conseil à une entrepreneuse
Comme à notre habitude, DZ a demandé un dernier conseil à notre invitée, cette fois-ci pour une femme qui souhaiterai, comme Camille, se lancer dans l’entreprenariat. L’auteur et éditrice donne deux axes de réflexion. Tout d’abord, elle conseille de se connaître soi-même : « J’ai fait une introspection pour y voir plus clair et prendre des décisions en accord avec ce que j’étais. Si on ne fait pas quelque chose que l’on aime, ça ne marchera pas. » Elle souligne aussi l’importance de « s’investir à 200% » en prévenant qu’être entrepreneur prend beaucoup de temps. Enfin, il faut être curieux, et polyvalent en ayant des connaissances en marketing, commerce etc.
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