« Les opérations militaires ciblées ne constituent pas une solution politique suffisante pour neutraliser les organisations visées »
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Amélie Ferey, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et auteure d'une tribune dans le journal Le Monde, revient sur l'assassinat par les États-Unis du chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. "Les éliminations d’ennemis sont une manière pour les démocraties de préserver leurs intérêts à l’étranger en allégeant le coût des interventions" dit la chercheuse, "mais elles soulèvent des questions de temporalité et d’éthique."
"Justice has been delivered" : lundi 1er août, Joe Biden annonçait la mort du chef d'Al-Qaïda, Ayman Al-Zawahiri, tué par une frappe de missile Hellfire R9X tiré depuis un drone. Il reprenait alors les mots de Barack Obama, prononcé 11 ans plus tôt, lors de l’élimination du prédécesseur d'Al-Zawahiri : Oussama Ben Laden. Bien sûr, les méthodes de ces deux éliminations - et des nombreuses autres ayant eu lieu ces dernières années - diffèrent, la doctrine est pourtant la même : "celle des assassinats ciblés, permettant à un Etat d’utiliser la force létale pour éliminer les personnes représentant une menace pour sa sécurité et se trouvant en dehors du territoire national." Lorsqu'elles sont utilisées dans le cadre d'un conflit, ces éliminations "n’entrent pas en contradiction avec le droit applicable" à la condition qu'elles ne ciblent que des participants directs au conflit, explique Amélie Ferey. "Abdelmalek Droukdel, leader d’AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique), a ainsi été tué par les forces spéciales françaises au Mali en juin 2020." Cependant, en dehors d’un théâtre d’opérations, "leur compatibilité avec le droit international pose problème, en raison du principe de souveraineté qui interdit les opérations militaires par des pays tiers sans accord préalable" tempère la chercheuse.
Amélie Ferey s'interroge ensuite sur la temporalité de ces frappes. En effet, même si ces opérations ont, dans un premier temps, un "avantage tactique" indéniable, elles peuvent par la suite renforcer la "posture offensive" de l'organisation visée. "Ce fut le cas pour celle visant Abbas Moussaoui, leader du Hezbollah tué par Israël en 1992 et remplacé par Hassan Nasrallah, partisan de positions plus radicales" indique la chercheuse à l'IFRI. Par ailleurs, même si ces "assassinats ciblés permettent de conserver une empreinte légère mais efficace", le champ lexical qui y est associé ne doit pas faire oublier "le risque de "dommages collatéraux", soit de personnes se trouvant à proximité des cibles et tuées ou blessées au cours de ces opérations".
Enfin, le retrait américain d’Afghanistan et celui de la France du Mali "montrent les difficultés à traduire les succès militaires en réussites politiques" et renforcent par la même occasion les discours critiques de l'interventionnisme occidental. À cela s'ajoute l'agression de l'Ukraine par la Russie et le "pivot américain vers l’Asie". Selon Amélie Ferey, la conjugaison de ces différents paramètres "accentue l’opportunité de frappes ciblées par drones" et confirme leur "pleine intégration au paysage stratégique".
Crédit photo : Armée de l'Air et de l'Espace