USA - Japon - Corée du Sud : un sommet véritablement “historique” ?

USA - Japon - Corée du Sud : un sommet véritablement “historique” ?

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Dans un contexte géopolitique tendu, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud se sont rassemblés à Camp David pour un sommet trilatéral décrit comme "historique". Les trois puissances cherchent à renforcer leur coopération et à définir une stratégie commune. Mais au-delà de la solidarité affichée, les défis historiques et régionaux pourraient influencer le futur de cette alliance.

Le 18 août 2023, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud se sont réunis à Camp David, la résidence d’été des présidents américains, pour un sommet trilatéral présenté comme “historique”. Dans leur communiqué conjoint, Joe Biden, Fumio Kishida et Yoon Seok-youl ont fait la promotion de “l’esprit de Camp David” devant conduire à “une nouvelle ère de partenariat trilatéral”.

Organisée sur fond de tension avec la Chine, la Corée du Nord et bien sûr la Russie, la réunion n’a toutefois pas abouti à la signature d’une alliance en bonne et due forme. Le 18 août, le Japon a lancé des chasseurs en réponse à la détection de deux avions d'espionnage russes II-38 près de la mer du Japon. Peu de temps avant, lors d'exercices communs dans l'océan Pacifique et la mer de Chine orientale, les flottes russe et chinoise ont fait naviguer neuf navires entre les îles d'Okinawa et Miyakojima, situées au sud-ouest du pays.

Au-delà des préoccupations sécuritaires, les trois dirigeants ont également à aborder des questions économiques, notamment les perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales, ainsi que des sujets sociétaux tels que la promotion de l'égalité des sexes.

Quelques engagements concrets

Le sommet a été marqué par une série d'engagements concrets, témoignant de la volonté des trois nations de renforcer leur coopération face aux défis régionaux. Au cœur de ces engagements se trouve la sécurité, avec une attention toute particulière aux "graves menaces pour la paix et la sécurité dans la péninsule coréenne" posée par la Corée du Nord, ainsi qu’au "comportement dangereux et agressif de la Chine qui soutient des revendications maritimes illégales [...] en mer de Chine méridionale". La déclaration promet d'améliorer le partage d'informations trilatérales, s'engage à renforcer la coordination en matière de défense et réaffirme l'importance d'une "coopération solide dans les domaines de la sécurité économique et de la technologie". Le comportement de Pékin en mer de Chine fut l’un des points saillants de ce sommet. Malgré la réticence historique de la Corée du Sud à désigner la Chine comme une menace, le sommet a produit un appel direct à la fin des activités maritimes illégales de Pékin. De plus, les dirigeants ont souligné l'importance de la paix dans le détroit de Taïwan. La déclaration, bien que mesurée, envoie un message clair à la Chine : la Corée du Sud et le Japon ne resteront pas passifs face à une augmentation des agressions économiques et maritimes de Pékin. Les trois pays se sont par ailleurs engagés à des actions concertées contre la manipulation d'informations étrangères, la coercition économique et l'utilisation abusive des technologies de surveillance.

La cybersécurité, un enjeu de plus en plus pressant à l'ère numérique, a également été au centre des discussions. Un nouveau groupe de travail sera formé pour contrer les cybermenaces, notamment celles émanant de la Corée du Nord. Par ailleurs, les trois nations ont souligné l'importance de l’interopérabilité, s'engageant à mener des exercices militaires annuels pour renforcer leur préparation commune.

Au-delà des questions de sécurité, le sommet a également abordé des enjeux économiques cruciaux. Les perturbations des chaînes d'approvisionnement mondiales, en particulier dans le secteur des semi-conducteurs, ont été identifiées comme une préoccupation majeure, conduisant les trois pays à convenir de coordonner leurs politiques pour y faire face. À ce sujet, la déclaration commune souligne l’importance de "tirer parti des capacités uniques" de chaque État et de collaborer de manière significative à la recherche et au développement dans le domaine des sciences, de la technologie et de l'innovation, ainsi qu'à la résilience de la chaîne d'approvisionnement dans un certain nombre de secteurs essentiels et émergents. Il s'agit notamment de mettre au point des systèmes pilotes d'alerte précoce pour détecter les perturbations potentielles de la chaîne d'approvisionnement et y répondre, et de renforcer la coopération en matière de contrôle des exportations pour éviter le détournement et l'utilisation abusive des technologies indigènes.

Entre ambitions et réalité

Ce sommet ne se dérobe pas à la complexité des relations internationales. En effet, malgré les avancées et les engagements pris, plusieurs défis demeurent. Les trois nations devront naviguer avec prudence et détermination pour transformer leurs engagements en actions concrètes, tout en tenant compte des réalités géopolitiques changeantes de la région.

L'ombre de l'histoire plane toujours sur les relations entre le Japon et la Corée du Sud. Les contentieux liés à l'occupation japonaise de la péninsule coréenne pendant la première moitié du XXe siècle continuent d'influencer les relations bilatérales. Le sommet, malgré son ambiance cordiale, n'a pas effacé ces cicatrices profondes. La question demeure : cette nouvelle dynamique positive peut-elle vraiment surmonter des décennies de ressentiment ?

Par ailleurs, les réactions des puissances régionales à ce sommet ne peuvent être ignorées. La Chine, la Corée du Nord et la Russie ont toutes exprimé leur mécontentement, percevant cette alliance trilatérale comme un “OTAN asiatique”, une menace potentielle à leur influence régionale. Ces puissances pourraient adopter des stratégies pour contrecarrer les initiatives issues du sommet, ajoutant une nouvelle couche de complexité à la géopolitique de l'Indo-Pacifique.

Si le sommet a été riche en engagements, la mise en œuvre effective de ces accords reste un défi majeur. Les réalités politiques internes, les différences de priorités et les éventuels changements de leadership peuvent tous entraver la réalisation des promesses faites à Camp David. De plus, l'interdépendance économique profonde entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud ajoute une autre dimension à cette équation. Toute stratégie visant à contrecarrer la Chine doit tenir compte des implications économiques potentielles.