Uranium : un secteur hautement stratégique
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L’énergie nucléaire productrice d’électricité est en plein boom. En effet, la pandémie de Covid 19 puis le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine ont provoqué une véritable crise énergétique. Celle-ci a mis en lumière les faiblesses de nos sociétés. Avec un total de 444 réacteurs nucléaires produisant 10,2% de l'électricité consommée, l’humain est encore fortement dépendant du pétrole et du charbon, bien plus émetteur CO2. La part de l'électricité mondiale produite à partir de combustibles fossiles se situe autour de 71% (60% pour les pays de l'OCDE, 80% hors OCDE). Pourtant, une tonne d’uranium, produit autant d’énergie qu’un millier de tonnes de pétrole. Au vu de ce constat, il n'est pas surprenant que l'énergie nucléaire soit de nouveau sous les feux de la rampe après une dizaine d’années de disgrâce. Cette phase avait été déclenchée par l’explosion d’un des réacteurs de la centrale de Fukushima en 2011, mettant en lumière les risques que comporte l’énergie nucléaire.
Un marché hautement stratégique
Le regain de popularité de l’électricité nucléaire se traduit par la construction de 51 réacteurs dans 19 pays. Il ne s’agit là que des installations dont la construction a d’ores et déjà commencé. Les projets à venir sont bien plus nombreux. La Chine, grande consommatrice de charbon, a les plus grandes ambitions. Pékin prévoit de bâtir 150 réacteurs d'ici à 2049. Selon l'OCDE et l'Agence internationale de l'énergie nucléaire, il y aurait 8 millions de tonnes d'uranium disponibles dans le sol, soit environ 130 ans de consommation. C’est aux industriels du secteur que ce nouveau coup de projecteur profite le plus. Le prix de l'uranium a augmenté de 68% et cette hausse ne fait que commencer. Selon la World Nuclear Association, la demande devrait atteindre 93 000 tonnes en 2030 et 132 000 tonnes en 2040, alors que la production devrait diminuer de 30% d'ici à 2035 et de 54% d'ici à 2040. Si ces prévisions s'avèrent exactes, la tension sur ce marché hautement stratégique n’augure rien de bon. Son exploitation requiert un long processus industriel. Le minerai brut doit subir plusieurs traitements afin de séparer l’uranium 235 de l’uranium 238, tous deux présents dans les filons d’uranium. Seul l’uranium 235 est enrichi puis transformé en combustible prêt à l’emploi.
Source : Orano
Au fil des décennies, plusieurs pays se sont succédé au poste de plus grand producteur d'uranium. Les États-Unis ont été les premiers à détenir ce titre jusqu'aux années 70’, avant que la Chine prenne le relais dans les années 80’. La Russie et le Canada se sont ensuite succédé. C’est aujourd’hui l’entreprise kazakhe Kazatomprom qui détient le record du plus grand producteur d’uranium, avec un chiffre d'affaires de 691 milliards de dollars l'année dernière et un bénéfice net de 235 milliards de dollars. On trouve également d’immenses mines d’uranium au Niger, en Namibie ainsi qu’en Australie. Kazatomprom est un fournisseur direct de la France via sa filiale Catco, créée en collaboration avec Orano (anciennement Areva). Cette filiale permet à Orano d'exploiter des gisements d'uranium dans le pays. Le Kazakstan n’est bien sûr pas le seul pied à terre du géant du nucléaire français.
Et la France dans tout ça ?
Le Canada est le deuxième plus gros exportateur d'uranium, avec un minerai très apprécié qui contient 20% d'uranium 235. Orano y est également présente et contrôle, avec le champion local Cameco, plus de 95% de la ressource canadienne. En Australie, l’industriel français s’est associé à d'autres entreprises telles que le géant minier Rio Tinto pour exploiter les mines qui renferment 30% des réserves exploitables dans le monde. Enfin, impossible de parler d’Orano sans évoquer le Niger, le groupe y est présent depuis un demi-siècle. Le Niger est l'un des pays les plus pauvres de la planète, il est pourtant le quatrième producteur mondial d'uranium. Orano y exploite deux mines dans le nord-ouest du pays, près d'Arlit. Un troisième site doit voir le jour à Imouraren, à 80 km plus au sud, mais le chantier est à l'arrêt depuis 2015. Avec une présence dans plus d'une dizaine de pays sur tous les continents, Orano est le champion mondial du combustible nucléaire. L'entreprise appartient à 80% à l'État, 10% à Natixis, et le reste à deux sociétés japonaises, Mitsubishi et JNFL. Ce succès n’est pas sans lien avec la vieille histoire d’amour qui unit la France et l’atome. Paris s'intéresse au nucléaire depuis 60 ans et est devenu un expert mondial de la question après le choc pétrolier de 1973 qui a révélé la dépendance tricolore au pétrole et au gaz. Le but était alors d'assurer l'indépendance énergétique du pays, un objectif qui n’aura jamais été atteint.
L’hexagone compte 56 réacteurs pour 18 centrales qui « consomment environ 7.000 tonnes d'uranium naturel par an », indiquait à l’antenne d’Europe 1 en décembre dernier, Ludovic Dupin, le directeur de l’information de la société française d’énergie nucléaire. Depuis plusieurs décennies le secteur industriel français est en déclin. Les mines françaises ont toutes fermé ainsi que deux des trois usines d’enrichissement du minerai. En 2011, l’accident de Fukushima renforce le camp des opposants à cette industrie controversée. La France décide alors de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique de 70% à 50% d'ici 2035, en fermant une dizaine de réacteurs. C’est la centrale de Fessenheim qui ouvre le bal et est mise définitivement à l’arrêt le 30 juin 2020.
Deux ans plus tard, tout est annulé. Effectivement, la guerre en Ukraine a bouleversé la stratégie tricolore et Emmanuel Macron a fait du renouveau de la filière nucléaire française sa plus grande bataille. En février 2022, le chef de l’État a exigé que tous les réacteurs en état de marche tournent à plein régime. Il évoque également au même moment la construction de 6 nouveaux réacteurs EPR2 dans le cadre du plan France Relance 2030. Le président a réuni le vendredi 3 février dernier un conseil de politique nucléaire qui doit publier une feuille de route opérationnelle dès l’été 2023. Cette première réunion marque le début du « chantier du siècle » selon les mots d’Emmanuel Macron.
Pour faire tourner toutes ces nouvelles centrales, il va falloir plus de combustible. Or, comme la totalité du combustible français est importé, il est acheté au prix du marché. Et ce, malgré la présence d’Orano partout dans le monde. La France est donc totalement dépendante de ses fournisseurs étrangers. Entre 2005 et 2020, Paris a importé 138 230 tonnes d’uranium naturel soit 9215 tonnes par an en moyenne. Pour l’enrichissement également, Paris a besoin de ses partenaires. La dernière usine d’enrichissement, celle de Tricastin, ne produit plus que pour la Belgique. Face à ce constat, deux camps s’opposent. Certains, à l’image du directeur général d’Orano Phlippe Knoche, considère que la France a une maîtrise totale de ses approvisionnements, notamment grâce à une diversification adéquate de ses fournisseurs. « 44% des ressources sont situées à l’intérieur de l’OCDE, donc le risque géopolitique est minime », a affirmé récemment le dirigeant dans une émission diffusée sur Twitch. D’autres, comme Bernard Doroszczuk, président de l’autorité de sûreté nucléaire, pensent que le système électrique français « fait face à un phénomène de fragilité de l’industrie du cycle du combustible », en plus de la dégradation notoire des infrastructures de production. En 2010, la France comptait une dizaine de fournisseurs, mais il ne reste plus que 4 aujourd'hui : le Niger, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et l'Australie. L’approvisionnement en minerais n’est qu’une partie de l’équation et la dépendance française ne se limite pas à cette première étape. Tout le cycle est impacté : enrichissement, transformation en combustible prêt à l’emploi, sans oublier le traitement des déchets. Concernant l’enrichissement, c’est le géant du nucléaire russe Rosatom qui traite le combustible français, faisant de paris le premier partenaire européen de l’industriel.
À l’heure actuelle aucun document officiel n’a indiqué à quel point la guerre en Ukraine a compromis l’approvisionnement français. Cependant, il y a de fortes chances que celui-ci n’est pas été impacté. En effet, le secteur est si stratégique qu’aucune sanction occidentale ne porte atteinte au secteur nucléaire de Moscou. Et pour cause, la Russie représente toujours près d'un tiers des approvisionnements des Occidentaux. Lesquels se trouvent donc exposés à une possible rupture des contrats, poussant certains d'entre eux à s'en détacher au plus vite. Du côté français on projette de se tourner vers les États-Unis pour une bonne partie des approvisionnements. Orano espère aussi apporter une partie de la solution. Le géant tricolore veut lancer un important chantier d’extension de son usine d’enrichissement d’uranium de Tricastin. Cela permettrait d’augmenter de 30% ses capacités de production d’ici à la fin de la décennie. La collaboration franco russe ne s’arrête pas à l’enrichissement. Comme le révélait une enquête de Green Peace parut en octobre 2021, cette dépendance à la Russie concerne également le traitement des déchets. Cette année-là, Orano a exporté plus 1000 tonnes d’uranium de retraitement vers l’usine de Seversk, en Sibérie. Ce combustible peut être recyclé et réutiliser. La Russie disposant d’importante ressource en uranium, « il est très probable que l’uranium de retraitement français soit simplement entreposé à Seversk pour une durée illimitée », affirme l’ONG.