Un bilan 2022 mitigé pour la sûreté maritime mondiale

Un bilan 2022 mitigé pour la sûreté maritime mondiale

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Au début du mois de janvier, le Maritime Information Cooperation and Awareness (MICA) Center a publié son rapport sur l’année 2022. L’institution créée en 2016, à Brest, par la Marine Nationale coopère avec plusieurs marines partenaire pour assurer la veille et l’analyse de la sûreté maritime internationale aux profits des armateurs, des assureurs et de l’ensemble des partenaires de la France et de ses alliés. Dirigée par le capitaine de frégate Éric Jaslin, la trentaine de marins français, espagnols, belges et portugais, qui compose le MICA dresse le bilan d’une année 2022 mitigée. La piraterie recule de 5% mais cette baisse provient essentiellement d’un report des pirates sur d’autres activités illicites tels que le trafic de pétrole à terre. Pillage des ressources halieutiques, vole de marchandises ou de ressources naturelles stratégiques, prise d’otages en vue de rançonnage, etc. Les risques et activités illicites inhérents au domaine maritime sont nombreux. Le Golfe de Guinée, souvent cité lorsque l’on aborde le sujet, est révélateur des enjeux mondiaux en la matière. La zone allant du Sénégal à l’Angola (environ 6000 km de côte) est riche en pétrole, minerais, gaz et se trouve être la plus dangereuse au monde. Et pour cause, elle concentre 25% du trafic maritime autour de l’Afrique. Comme le rappelait l’ancien ministre ghanéen de la défense, Dominic Nitiwul, lors d’une rencontre internationale à Accra en 2019, « les menaces à la sûreté maritimes transcendent les frontières et affectent le commerce international. Une menace pour un pays côtier en est une pour tous les pays, côtiers ou enclavés ». Et d’ajouter que « la mer est l’autoroute du commerce mondial ».

Bilan de la sûreté maritime mondiale

Les menaces sur la sûreté maritime doivent être envisagées dans leur globalité. Le rapport du MICA Center « aborde donc les autres sujets de préoccupation de l’industrie et des États », précise les auteurs du rapport. Mais que désigne exactement la « sûreté maritime » ? Là où la sécurité maritime regroupe l’ensemble des risques liés à la navigation en mer, y compris ceux liés à la météo par exemple, les enjeux de sûreté quant à eux font uniquement référence à la protection contre les actes illicites.

Golfe de Guinée

Bien que l'année 2022 ait vu une réduction significative de la piraterie dans le golfe de Guinée, cette tendance est à « relativiser », estime le Mica Center. De nombreux autres dangers, moins médiatisés, subsistent voir s’accentuent.

Cette région subit une instabilité économique due à la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (INN), qui exerce une forte pression sur les stocks halieutiques, défavorisant les populations locales. Par ailleurs, le trafic de drogue continue sans répit, comme en témoigne la saisie de 4,6 tonnes de cocaïne effectuée par le navire PHA Tonnerre le 30 novembre 2022. La régularité des saisies de grande ampleur telle que celle-ci confirme que le golfe de Guinée est l'un des principaux couloirs de ce trafic, avec des conséquences néfastes sur la santé publique et la corruption des institutions civiles.

La réduction des actes de piraterie observée en 2021 s'est poursuivie durant l’année 2022, avec seulement 8 cas signalés, dont un enlèvement. « Un ensemble de facteurs humains, environnementaux, politiques et sécuritaires peut expliquer cette tendance sans qu’il soit pour autant possible de déterminer précisément l’impact de chacun d’entre eux », explique le rapport. L'amélioration des forces navales côtières (le Sénégal s’est notamment s’est équipé de plusieurs patrouilleurs hauturier fabriqué par Kership à Concarneau), la protection des zones d'ancrage et les escortes sécurisées fournies par des entreprises de sécurité contribuent à la sécurisation des espaces maritimes. De plus, la présence accrue de marines européennes, dans le cadre des présences maritimes coordonnées (PMC), a augmenté la pression sur les individus qui seraient tentés de passer à l’action. Si ces bonnes nouvelles restent à « relativiser », c’est à cause de deux facteurs principaux selon par Katja L. Jacobsen, chercheuse au Centre d’études militaires du département de sciences politiques de l’université de Copenhague.

Premièrement, au cours des dernières années, les pirates ont plusieurs fois diminué leurs activités pour revenir avec une nouvelle stratégie. La « piraterie insurrectionnelle », motivée par des raisons politiques, a pris fin vers 2010, pour laisser sa place à la « piraterie pétrolière », motivée par les gains financiers. En 2016, les actes de pirateries ont à nouveau évolué et sont apparus les cas d’enlèvement contre rançon. « Compte tenu de cet historique, la question se pose de savoir si la baisse actuelle peut être suivie par l’émergence d’un nouveau type de piraterie », dit la chercheuse.

Deuxièmement, Katja L. Jacobsen insiste sur la nécessité de ne pas sous-estimer l’influence de facteurs à terre. « Le taux de chômage est un élément central du changement observé lorsque les pirates se tournent vers d’autres types de crimes pour gagner leur vie », explique-t-elle. On peut également citer les mesures sécuritaires prisent sur la terre ferme, qui pourrait pousser les pirates à reprendre la mer. Un contrat de surveillance des oléoducs du delta du Niger par l’entreprise Tantita Security Services, est sur le point d’entrer en vigueur.

Amérique et arc des Caraïbes

En 2022, il y a eu une légère réduction dans les incidents de piraterie et de vols maritimes. Les cibles principalement visées restent les bateaux de plaisance dans l'arc antillais. La drogue est une grave menace pour la sécurité maritime de la zone, surtout de l'Équateur au Chili. Enfin, les ressources pétrolières, notamment dans la baie de Campeche, sont également ciblées par des groupes armés.

Concernant les trafics illicites, beaucoup de go-fast, ainsi que des navires plus lourds transportant de la drogue, effectuent des traversées directes du Venezuela ou de la Colombie vers la République dominicaine, Porto Rico, l'arc antillais, l'Europe et le golfe de Guinée. Parfois, ce sont des embarcations très motorisées, qui effectuent les derniers milles de nuit pour échapper à la surveillance et se fondre dans le trafic de pêche, rendant leur interception encore plus difficile.

Nouvelle saisie de drogue pour la Frégate de défense aérienne Chevalier Paul, source : Marine nationale

Un trafic secondaire de drogue et d'armes suit l'arc antillais, alimentant le grand banditisme et causant les taux de mortalité les plus élevés au monde. Le trafic de cocaïne est également présent entre le plateau des Guyanes et l'Europe (via des voiliers) et le Cap Vert ou le golfe de Guinée.

Les importantes réserves de pétrole découvertes récemment au large du Guyana, du Suriname et du Brésil « devraient bouleverser le contexte économique et sécuritaire de la région », craint le Mica Center. Lorsque les plateformes pétrolières entreront en action, les entreprises responsables de leur exploitation auront probablement à gérer de nombreux risques. En règle générale, l'exploitation pétrolière en mer s'accompagne d'une dégradation de la sécurité dans la région, surtout dans les zones les plus instables.

Océan indien

L'océan Indien concentre presque toutes les formes de menace pour la sécurité maritime dans le monde : contrebande, trafic de drogue, d'armes et de personnes, menaces de drones aériens ou de surface, brigandage. Évidemment, les conflits à terre ont un impact sur les mers, ce qui « inquiète de plus en plus les marins », affirme le rapport. Le golfe d'Oman et la mer d'Arabie sont particulièrement affectés. De plus, après la fin de la trêve en octobre 2022, le risque d'attaque par drones Houthis des navires transportant du pétrole a augmenté, en particulier dans les ports du sud du Yémen. L'impact de la pêche illégale et non déclarée ne doit pas être négligé dans cette zone, où le pillage des ressources halieutiques affecte particulièrement les populations côtières.

L'océan Indien est l’épicentre d’une lutte de pouvoir qui se manifeste par des actions en zone grise, des actions virulente et de provocations mais qui restent sous le seuil de l’agression armée au sens du droit international. La priorité de tous les acteurs géopolitiques est de maintenir la liberté de navigation dans la région et surtout dans les zones critiques : golfe d’Oman, golfe d’Aden, détroit d’Ormuz… C’est l’une des principales raisons d’être des missions Atalante, Agenor ou Antares, en collaboration avec d'autres missions multinationales dans la région. Du 16 au 20 janvier, le Charles de Gaulle et son groupe aéronaval se sont entraînés avec des navires de la Marine indienne au large de Goa. Cette nouvelle édition de l’exercice franco indien Varuna a de forts enjeux diplomatiques certes mais il vise aussi à démontrer la présence des partenaires dans la région.

Le Charles de Gaulle navigue au côté d'un bâtiment indien, source : Marine nationale. 

« La récurrence des événements reportés montre que la stabilité n’est pas encore atteinte dans la zone et bien que les conflits géopolitiques actuels participent à cette volatilité, tous ne représentent pas une menace élevée pour le commerce maritime », affirme l’État-major d’ALINDIEN, l'amiral commandant de la zone maritime de l'océan Indien. L'Iran a pour objectif de contrôler le flux de navires dans ses eaux en raison des tensions avec Israël et les États-Unis, ce qui représente un risque de saisie de navires liée aux pavillons en conflit diplomatique avec l'Iran. Bien que les forces militaires iraniennes soient très présentes dans la région, la liberté de navigation dans le détroit d'Ormuz n'est pas menacée en 2022. Cependant, le conflit au Yémen entre les Loyalistes et les Houthis a fait émerger de nouvelles menaces, telles que les attaques de drones ciblant les navires de transport de pétrole dans les ports du sud. L'augmentation du nombre d'incidents (quatre entre octobre et novembre 2022) appelle à la vigilance. Enfin, même si aucun acte de piraterie n'a été comptabilisé cette année, le nombre d'incidents rapportés (brigandages, tentatives de vols, approches suspectes...) montre que la menace est toujours présente et que la stabilité doit être un sujet d'attention.

Les nouvelles menaces doivent également être prises en compte. Le 22 février 2022, un des ports de Mumbaï a été victime d’une cyber attaque via ransomware. Le rapport note aussi la recrudescence de menaces hybrides « telles que des engins explosifs improvisés télécommandés et des drones ont été observés dans le sud de la mer Rouge ».

Asie du Sud-Est et Pacifique

L'Asie est principalement caractérisée par les contrôles de l'application des sanctions des Nations Unies envers la Corée du Nord, surtout en Asie du Nord-Est. Cela s'ajoute aux fortes suspicions de transferts illégaux de pétrole entre navires afin de contourner les sanctions sur certains pays producteurs (Iran, Venezuela, Russie). En Asie du Sud-Est, la menace la plus dangereuse est aussi la moins probable : le terrorisme maritime. Aucun acte n'a été signalé en 2022. « La coopération trilatérale entre l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines, ainsi que les programmes de réinsertion des combattants du Groupe Abu Sayyaf menés en parallèle, ont eu un impact éradicateur – au moins temporaire – sur cette menace », analyse le Mica Center.

Le brigandage en mer demeure la menace la plus commune dans la région. Le volume d’incidents est similaire aux années précédentes. Cet état de fait peu être due à un manque d’efficacité des politiques mises en place localement ou à « une forme d’opportunisme conduisant des populations locales, affectées par des difficultés économiques, à commettre des actes envers des cibles parfois faciles, par effet d’aubaine », estiment les experts. Les prévisions pour 2023 ne sont donc pas au beau fixe.

En Polynésie française, établissement de la stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes a permis de faire le bilan des menaces dans la région. La Polynésie française doit faire face à plusieurs défis. L’exploitation illicite des ressources halieutiques impact fortement les populations. Il s’agit là de la menace prioritaire affirme l’État-major ALPACI, amiral en charge des forces maritimes de l’océan Pacifique. Les trafics de stupéfiants ou bien l’exploitation illicite des ressources énergétiques et minérales constituent un impact « moyen à faible ». Enfin, ce sont les risques climatiques et de catastrophes naturelles qui inquiètent également les autorités. L’impact de ceux-ci est considéré comme « élevé ».

Europe

La sécurité en mer est un enjeu de taille pour l'Europe. Alors qu’en 2021, la crise migratoire a déjà fortement affecté la sûreté des espaces maritimes européens, en 2022, l'actualité géopolitique a directement touché la sécurité de la navigation en mer. La guerre en Ukraine a eu un impact majeur sur le trafic maritime en mer Noire, entraînant des conséquences sur la sécurité des marins. La retenue de navires et d'équipages à quai, les attaques sur des navires marchands, et la menace de mines ont fait de la mer Noire un point d'attention majeur pour le trafic commercial.

Le chasseur de mines tripartite (CMT) Croix du Sud en mer Baltique, source : Marine nationale

Pour répondre aux fortes préoccupations des armateurs français concernant le point particulier des mines marines, la Marine Nationale publiera prochainement un document dédié.

Le nord de l'Europe a également été affecté par la destruction des gazoducs Nord Stream 1 et 2. Bien que cela ne menace pas directement la sûreté maritime, son impact potentiel sur la sécurité de la navigation ne doit pas être ignoré. L'incident a mis en évidence la vulnérabilité des lignes de communication et de ravitaillement sous-marines, ce qui rend la coopération et le partage d'informations avec l'industrie maritime particulièrement importante. « Les seules marines militaires ne peuvent pas garantir la protection de ces lignes immergées », avoue le Mica Center. « il est crucial de travailler ensemble pour assurer la sécurité en mer ».

La sécurité internationale se joue sur les mers et océans.

Les rivalités entre certaines puissances mondiales se déplacent vers les océans. D’autres pays réalisent la valeur de leur « économie bleue », et comprennent alors l'importance de protéger ces ressources. « Quel que soit l’objectif recherché, la sécurisation des espaces océaniques et une meilleure gouvernance maritime sont à l’ordre du jour », considère Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques l’IRIS. Les efforts considérables de nombreux états, sur toutes les côtes du globe, pour renforcer et moderniser leur marine démontrent cette prise de conscience. En Méditerranée, « certaines marines affichent des croissances de leurs tonnages à trois chiffres de 2008 à 2030 », affirme l’amiral Pierre Vandier lors d’une récente audition devant les sénateurs de la commission défense. La Chine, a quant à elle « ajouté, [entre 2014 et 2018], l’équivalent des tonnages des marines italienne et française réunies, au point qu’en nombre de plateformes, elle dépasse désormais l’US Navy », peut-on lire dans un rapport parlementaire sur les enjeux de défense en Indo - Pacifique. Outre les questions dissuasives et de projection de puissance liées aux marines de guerre, on assiste également à la création de flottes de garde-côtes pour des missions de police maritime et de lutte contre la criminalité en mer. La surexploitation menaçant les richesses sous-marines, telle que la pêche INN est en train de dévaster les stocks de poissons déjà réduits et pourrait bientôt devenir une source de crise majeure. « En mer de Chine méridionale, la concurrence pour les droits de pêche ainsi que pour les réserves de pétrole et de gaz offshore constitue l’un des principaux facteurs de tensions et de conflits », affirme Marianne Péron-Doise.

Le domaine maritime souligne les tensions entre la souveraineté nationale et les défis transnationaux, entre les zones économiques exclusives des régions côtières et la haute mer considérée comme un bien commun mondial. Sans parler de la question de l'exploitation des grands fonds qui commence à faire parler d’elle. La France s’est dotée d’une stratégie propre aux fonds marins en début d’année 2022. En fin de compte, le domaine maritime, longtemps sous-estimé dans les affaires internationales, occupe une place décisive dans la diplomatie bilatérale, régionale et multilatérale.