MCO : la véritable clef du succès
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Le contexte sécuritaire mondial actuel, marqué par la guerre en Ukraine, pousse les décideurs à rebâtir une armée française apte à affronter « la haute intensité ». En outre, les forces armées françaises doivent faire face à des menaces de plus en plus diversifiées, en constante évolution, et dans un environnement changeant rapidement. Cette situation complexe crée de nombreux défis opérationnels pour les capacités de combat et de soutien. Le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels est donc un enjeu capital pour garantir l'efficacité opérationnelle des armées françaises. Selon le ministère des armées, le MCO désigne « l’ensemble des moyens (humains, techniques et financiers), des prestations et processus qui permettent à un équipement de défense (véhicule terrestre, navire, aéronef, etc.) durant toute sa durée d’utilisation jusqu’à la préparation au retrait du service, de rester apte à l’emploi pour répondre aux besoins de disponibilité et d’activité des armées, directions et services (opérations et préparation opérationnelle) conformément aux dispositions des contrats opérationnels et organiques ».
L’organisation du MCO français
Le maintien en condition opérationnelle des matériels a été le théâtre de grandes transformations ces dernières années. Survenue il y a 10 ans, la grande réforme du MCO a eu pour but de réduire les coûts en mutualisant les parcs de matériels et en regroupant les personnels chargés de la maintenance industrielle. « Rien que dans le MCO terrestre, plus de 6 000 postes de maintenanciers ont ainsi été supprimés », précise la députée Sereine Mauborgne auteure d’un rapport parlementaire sur la question.
Avant cette réforme, le MCO était organisé par armée. Chaque armée était donc propriétaire de son matériel et responsable de son entretien. Maintenant, les parcs sont mutualisés et c’est le milieu dans lequel évolue l’équipement qui importe. Sous la responsabilité du général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) est responsable de « tout ce qui roule » au profit des trois armées.
Soit plus de « plus de 4 millions de matériels, représentant plus de 10 000 références et 300 parcs considérés comme majeurs suivis dans la politique de gestion des parcs Au Contact, au profit de 43 commanditaires différents, pour une valeur totale de plus de 23,4 milliards d’euros », indique Sereine Mauborgne dans son rapport datant de 2020. Des chiffres que le général Christian Jouslin de Noray, directeur central de la SIMMT, qualifie d’« astronomiques ».
Le service de soutien de la flotte (SSF) s'occupe de « tout ce qui flotte », tandis que la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), désormais placée sous l'égide du chef d'état-major des armées (CEMA), est quant à elle en charge de « tout ce qui vole ».
Ces entités, s’appuient sur trois types de maîtres d’œuvre :
- les forces, pour la maintenance opérationnelle
- la DGA pour la régénération profonde
- des acteurs privés, petits et grands, qui participent principalement à la maintenance industrielle mais peuvent également intervenir sur le terrain.
Source : SIMMT
Un budget et une disponibilité qui augmentent
Lors de ses vœux aux armées, le président de la République a présenté ce vendredi 20 janvier les orientations de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030. Selon Emmanuel Macron, le pivot vers la haute intensité n’est possible que si les armées sont capables de « passer d'un modèle fait pour assurer des opérations dans des milieux où notre liberté d'action était forte, à une capacité d'évolution dans des environnements contestés […] Nous devons être capables d'agir plus vite, d'être plus réactifs, en renforçant l'échelon national d'urgence et disposer ainsi de moyens nécessaires pour une intervention sous court préavis, même loin de la métropole. » Pour mettre cela en place, il faut « réhausser résolument la préparation opérationnelle, renforcer la disponibilité des matériels », a ajouté le chef de l’État.
Ce regain d’intérêt pour le MCO s’est traduit pas une net augmentation des crédits alloués par le projet de loi finance 2023 voté cet hiver. Les crédits d’entretien programmé des matériels (EPM) s’établissent à 1, 228 milliards d’euros en crédits de paiement en 2023, soit une hausse de 18 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (+ 184 millions d’euros). La hausse la plus notable concerne le MCO terrestre avec + 28 %. Si l’on en croit les propos d’Emmanuel Macron, cette hausse devrait se poursuivre sur la période 2024-2030.
Une fois sortie des tableaux comptables, cette augmentation des crédits de paiement n’est pas forcément synonyme d’une disponibilité accrue pour le matériel des soldats français. Prenons l’exemple de l’armée de Terre. Le SMMIT doit maintenir deux types d’équipements :
- Des équipements modernes du programme SCORPION, tel que le GRIFFON, dont les coûts d’entretien sont sans commune mesure avec les véhicules qu’ils remplacent.
- Des parcs d’ancienne génération, qui pour d’autres raisons, sont aussi très chers à entretenir.
D’autre part, les acteurs de la maintenance privés comme public, doivent faire face à la hausse des coûts de l’énergie ainsi qu’à l’inflation. « Grâce à la hausse des crédits consacrés au MCO, le niveau moyen de la disponibilité technique des matériels majeurs est en amélioration sensible depuis ces dernières années », concède cependant François Cormier-Bouligeon, auteur d’un rapport parlementaire sur la préparation et l’emploi des forces terrestres. « Aujourd’hui, le niveau de disponibilité technique des équipements s’élève à plus de 90 % en moyenne en opérations (75 % dans les DROM-COM et plus de 70 % en métropole), contre 65 % il y a dix ans, conformément aux cibles fixées », précise le député.
« Quelques fragilités » à combattre
La disponibilité des matériels est en augmentation, cependant, « les parcs présentent encore individuellement quelques fragilités dans leur disponibilité », considère François Cormier-Bouligeon. L'amélioration de la disponibilité des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) se poursuit malgré les retards de livraison des Jaguar. Le retrait en service d'un grand nombre de véhicules de l'avant blindé (VAB) en 2025 réduira la disponibilité globale des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) et un grand nombre de véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) projetés pour l'opération Barkhane attendent d'être régénérés. La vente de 18 CAESAR et de pièces de rechange à l'armée ukrainienne a entraîné une baisse de la disponibilité en attendant la livraison de 33 canons automoteurs de nouvelle génération (pour atteindre la cible fixée à 109 canons). Les commandes de pièces de rechange devraient résoudre certaines difficultés et le respect du calendrier des livraisons de CAESAR NG permettra de retirer rapidement ces matériels vieillissants.
En ce qui concerne le char Leclerc, des opérations de pérennisation et un nouveau marché de soutien service offrent des perspectives favorables pour une disponibilité qui peine à satisfaire. Le taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO) est de 87% en 2021 et devrait atteindre 94% en 2022. En matière de MCO aéronautique, la disponibilité des parcs d'hélicoptères de manœuvre (HM) et de reconnaissance et d'attaque (HRA) s'améliore. Le taux de dispo moyen était cependant tiré vers le haut par la robuste Gazelle qui vient de quitter le service actif.
Selon un rapport parlementaire, le soutien des matériels Scorpion est globalement satisfaisant, malgré une hausse importante des coûts de maintenance en raison de la technologie et de la complexité technique des matériels de nouvelle génération. De plus, l’autonomie des maintenanciers de l’armée se voit réduire et une part plus importante de tâches est confiée aux industriels. La disponibilité des 35 engins projetés en opérations en août 2021 a aussi été satisfaisante. Cependant, François Cormier-Bouligeon recommande de tenir compte dans la programmation du « pic de MCO » que vont représenter les véhicules scorpions dans les prochaines années. « À titre de comparaison, le Griffon présente un coût d’entretien programmé des matériels (EPM) 2,4 fois plus élevé que le VAB (0,5 million d’euros pour un VAB version infanterie contre 1,2 million d’euros pour un Griffon) », indique le député. Tout l’enjeu sera donc d’analyser finement les coûts de maintenance de ces véhicules et de fiabiliser la programmation budgétaire correspondante. Le coût du Griffon, premier parc livré, ne peut pas encore être évalué car une partie des pannes n’est pas couverte pas le contrat passé avec Thales, Safran et Nexter. Selon le ministère des Armées, les coûts de maintenance du SERVAL (un véhicule plus compact) seront bien moindres.
La prise en compte du coût des stocks de pièces de rechange semble aussi primordiale à l’heure où le président de la République souhaite mettre en place l’« économie de guerre ». La reconstitution de stocks en est l’un des enjeux principaux.
Qui dit « économie de guerre » dit « MCO de guerre »
Si la problématique du niveau des stocks de munitions et de pièces de rechange était déjà bien identifiée, notamment dans le rapport sur la Haute intensité des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès, François Cormier-Bouligeon estime « que l’enjeu du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres devrait être davantage pris en compte dans le cadre des réflexions actuellement menées sur « l’économie de guerre ». Dans le cadre des travaux en cours, dix sujets prioritaires ont été désignés par le ministère des armées. Le MCO n’en fait pas partie. Christian Jouslin de Noray, le directeur central de la SIMMT, œuvre pourtant à la mise en place du « MCO de guerre » qui est, selon lui, « une conjonction entre une industrie de guerre, tant étatique que privée, qui a été préparée, (capacités, stocks, RH, normes) et une maintenance opérationnelle capable de conférer l’autonomie tactique nécessaire aux unités interarmes (système d’armes, logistique privée et étatique sécurisée, etc.) ». Pour être capable de faire face à un conflit, le SIMMT a identifié deux principaux points d’améliorations dont le premier est commun à d’autres aspects de « l’économie de guerre » :
- Identifier, produire et stocker les matériaux et équipements critiques et nécessaires aux six premiers mois de guerre.
- Pouvoir induire en amont la création, par contrat, d’une capacité industrielle chez l’entreprise, qui permettra ensuite d’accélérer les cadences en temps de guerre.
Appliquée au VBCI, cette deuxième mesure conduirait la SIMMT à contractualiser pour créer une capacité de 110 000 heures (le potentiel est établi à 90 000 heures actuellement), afin d’être en capacité de passer à 330 000 heures en temps de guerre, si cela s’avérait nécessaire. À titre de comparaison, s’agissant du char Leclerc, près de 15 000 heures de potentiel sont aujourd’hui financées pour l’année, via les crédits dédiés au MCO, ce qui correspond à un peu plus d’une heure d’entraînement par équipage et par semaine. Lors de son audition en commission le 12 octobre dernier, le CEMAT, le général d’armée Pierre Schill, a indiqué qu’en cas de conflit, le besoin en potentiel pourrait s’élever à 90 000 heures, ce qui pose la question de l’ajustement de l’outil industriel et sa capacité à changer d’échelle.
Un enjeu capital
Le maintien en condition opérationnelle des matériels est un enjeu crucial pour garantir l'efficacité opérationnelle des armées françaises dans un contexte sécuritaire mondial complexe. Les transformations survenues dans les dernières années (notamment la mutualisation des parcs de matériels) et les augmentations successives de budget rassurent, elles ont permis d’accroître significativement la disponibilité. Cependant, des défis restent à relever pour accomplir l’adaptation à la « haute intensité », voulue par Emmanuel Macron. L’entrée en service des véhicules Scorpion va faire exploser les coûts de maintenance alors que la mise en place de « l’économie de guerre » va nécessiter d’importants investissements.