La France renforce sa coopération avec l’Irak

La France renforce sa coopération avec l’Irak

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La mort récente de trois soldats français en Irak remet en lumière l'engagement militaire de la France dans le pays, près de dix ans après le lancement de l'opération Chammal. Entre formation des troupes irakiennes, coopération sécuritaire et intérêts économiques, Paris cherche à renforcer ses liens pendant que l'Irak continue de panser les plaies des conflits passés.

Crédit photo : Compte X Armée de Terre

Le sergent Baptiste Gauchot, du 19e régiment de génie, l’adjudant Nicolas Latourte, du 6e régiment du génie, et le sergent Nicolas Mazier du commando parachutiste de l’air n° 10. Trois soldats français sont morts en Irak en l’espace de quelques jours. Bientôt 10 ans après le lancement de l’opération Chammal, que fait l’armée française en Irak ?

Vingt ans après la guerre, le pays souffre encore des contre-coûts de l’invasion américaine. Son armée, sa police et ses autres institutions, dissoutes par les Américains, ne se sont jamais vraiment relevées. Cela à sans nul doute renforcer l’instabilité du pays et de sa région et donc l’influence des groupes terroristes. Les estimations varient mais de nombreux experts s’accordent à dire que la guerre de 2003 et ses répercussions ont causé la mort de 650 000 personnes.

C’est sur ce terreau favorable que Daech s’est considérablement renforcé jusqu’à la prise de Mossoul, le 6 juin 2014. L’État Islamique s’étendait alors sur la moitié de la Syrie et un tiers de l'Irak. Il faudra attendre 2017 pour que la coalition internationale, les armées syrienne et irakienne ainsi que les combattants kurdes infligent un sévère contrecoup à l’organisation terroriste. Daech n’est pas complètement défait pour autant et c’est bien là la raison principale de la présence de l’armée française en Irak.

Le sergent Nicolas Mazier a été tué au cours d’une opération anti-djihadiste, sur une île du Tigre, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. Les hommes du CPA10 et les militaires irakiens sont tombés dans une embuscade tendue par Daech. Quatre autres militaires français ont été blessés. Le sergent Baptiste Gauchot et l’adjudant Nicolas Latourte, ont trouvé la mort lors d'une sortie de route et d'un accident au cours d'un exercice avec les forces irakiennes.

Une organisation redevenue clandestine mais toujours active

Bien que la menace terroriste ait été en grande partie contenue, elle demeure une préoccupation majeure pour la région. En effet, un rapport de l'ONU datant d'août 2022 indique que Daech dispose encore de 10 000 combattants, principalement situés dans le Nord-Est syrien et au centre-est de l'Irak. Ce même rapport met en lumière "l'attrition" des cadres de l'État Islamique, dont l’espérance de vie diminue progressivement sous l’effet des frappes de drones. Par ailleurs, les ressources financières de Daech ont "significativement diminué" par rapport aux années précédentes.

L'Irak est confronté à des défis majeurs. Myriam Benraad, professeur en relations internationales à l'université internationale Schiller, analyse la situation complexe du pays : "L'Irak est un État rongé par la corruption où s'est développée une économie souterraine faite de trafics illicites (pétrole, antiquités, êtres humains) à la faveur des djihadistes, qui ont su s'insérer dans cette économie de guerre. On peut ajouter à cela une économie du racket généralisée et les extorsions".

Une situation que l'État islamique cherche a exploité en revenant à ses méthodes insurrectionnelles d'origine. Son objectif est de perturber toute tentative de stabilisation politique en menant des attaques et des attentats ciblés. Si ces actions sont moins fréquentes et mortelles qu'il y a dix ans, elles n'en demeurent pas moins préoccupantes. L'organisation terroriste cible principalement les forces militaires, cherchant à éliminer toute influence étrangère en Irak. La négligence de l'État irakien envers les régions sunnites éloignées offre à Daech une opportunité de recrutement parmi les communautés les plus marginalisées.

L’opération Chammal

En 2014, une coalition internationale de 80 pays voit le jour à la demande du gouvernement irakien. Celle-ci a pour principal objectif de reprendre les territoires conquis par Daech en Irak et en Syrie. Si les États-Unis en sont les principaux acteurs, effectuant la majeure partie des bombardements, la France n'est pas en reste. Dans le cadre de son opération Chammal, elle est responsable de 10 % des frappes aériennes. De plus, elle soutient les troupes au sol avec des canons Caesar et des forces spéciales. L'engagement français atteint son pic entre 2015 et 2017, période marquée par la reprise des villes emblématiques de Mossoul en Irak et Raqqa en Syrie.

Avec la chute du califat, Paris réduit le dispositif de l'opération Chammal. Actuellement, environ 300 militaires français sont déployés dans plusieurs pays de la région, notamment l'Irak, la Syrie, la Jordanie, le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis. La force aérienne française est composée de 10 Rafale, basés en Jordanie et aux Émirats arabes unis, et est soutenue par une frégate en mer Méditerranée. Des avions radar, de surveillance et de ravitaillement viennent renforcer le dispositif de manière ponctuelle.

Alors pourquoi la France maintient-elle une présence militaire en Irak ? La réponse est double. D'une part, il s'agit de stabiliser le pays pour prévenir une éventuelle résurgence de Daech, qui pourrait alors orchestrer de nouveaux attentats terroristes visant l'Europe depuis l'Irak et la Syrie. D'autre part, les intérêts français en Irak sont avant tout stratégiques. Comme le souligne la chercheuse Héloïse Fayet, il existe une volonté française de transformer l'Irak en “une sorte de pivot régional au Moyen-Orient au sein d’un axe qui commence à se dessiner avec l’Egypte et la Jordanie”, moins susceptible aux influences étrangères. En outre, la présence de TotalEnergies, exploitant le gaz et le pétrole dans le sud de l'Irak, nécessite une stabilité militaire régionale que l’armée française cherche à garantir.

Un important volet formation

Après l'adoption de la loi de programmation militaire, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a effectué son premier déplacement hors de France depuis plusieurs mois, choisissant le Qatar et l'Irak comme destinations. Ce déplacement témoigne de la volonté de la France de renforcer ses liens avec le Moyen-Orient, considéré comme un enjeu sécuritaire et stratégique majeur.

À cette occasion, le ministre a validé un nouveau programme de formation destiné aux militaires irakiens, qui débutera en octobre pour une durée d'environ deux ans. Une centaine de soldats français participeront à la formation de "bataillons du désert", des unités irakiennes polyvalentes. Cette formation s'inspire de celle dispensée aux soldats ukrainiens en Pologne.

Ce nouvel engagement s'inscrit dans la continuité d'une coopération initiée entre 2015 et 2019, axée sur la formation d'unités irakiennes en contre-terrorisme et en artillerie. Après 2019, la France a orienté ses efforts vers l'accompagnement des états-majors et la planification d'opérations. Aujourd'hui, avec un volet "capacitaire", Paris espère promouvoir la vente d'équipements militaires, tels que les canons Caesar ou les Rafale, répondant ainsi aux besoins de modernisation de l'armée irakienne.

Face à une opposition croissante à la présence américaine en Irak, Paris perçoit une opportunité. Et cherche à se faire un allié, tout autant qu’un client, dans une zone où les intérêts français sont nombreux. L'objectif est de faire de l'Irak un pivot régional. Cette ambition a été soulignée par le président Emmanuel Macron lors de la conférence des ambassadeurs, annonçant sa participation à la troisième édition de la conférence sur la sécurité de Bagdad, une initiative franco irakienne.