Le G20 passe au Sud

Le G20 passe au Sud

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Le 18e sommet du G20, qui s'est déroulé les 9 et 10 septembre 2023 à New Delhi, a été marqué par des tensions palpables et un manque de consensus flagrant. Malgré les attentes élevées et une campagne de communication ambitieuse orchestrée par le gouvernement indien, le sommet n'a pas réussi à produire des avancées significatives, en grande partie en raison de divergences profondes sur des questions clés telles que la guerre en Ukraine. Quoi qu’il en soit, il est clair que les pays du Sud, notamment les BRICS, sont en train d’opérer un changement de directoire au sein du G20.

L'Inde avait placé la barre très haut pour ce sommet. Depuis le début de sa présidence en décembre 2022, les villes indiennes étaient ornées d'affiches proclamant la devise de cette présidence : "Une terre, Une famille, Un avenir". Cependant, les aspirations de l'Inde à rééquilibrer les institutions internationales et à se positionner comme le porte-parole des pays du "Sud global" ont été entravées par plusieurs obstacles.

D'une part, la réticence des pays occidentaux à céder leur pouvoir prédominant dans les institutions mondiales, malgré leurs promesses de soutenir l'Inde dans sa quête d'un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. D'autre part, la montée des tensions avec la Chine, exacerbée par des affrontements à la frontière himalayenne et des revendications territoriales contestées, a ajouté une couche supplémentaire de complexité à la dynamique du sommet.

La décision du président chinois Xi Jinping de ne pas y assister, préférant envoyer le Premier ministre Li Qiang à sa place, a été perçue comme un affront direct à Narendra Modi. Cette absence, combinée à la non-participation de Vladimir Poutine en raison de la situation en Ukraine, a mis en évidence les défis auxquels est confronté le G20 pour maintenir sa pertinence et son efficacité dans un paysage géopolitique dont l’évolution s’est considérablement accélérée. Seul le temps dira si le G20 pourra surmonter ces défis et retrouver sa place en tant que forum clé pour la coopération internationale.

Kiev désavoué

Dans leur communiqué conjoint, les membres du G20 ont choisi de ne pas mentionner explicitement l'agression russe en Ukraine. Cette omission est perçue comme une victoire pour Moscou et un revers pour Kiev.

Le communiqué stipule : "Concernant la guerre en Ukraine, dans le cadre de la charte de l’ONU, tous les états doivent s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force pour chercher à obtenir des gains territoriaux au détriment de l’intégrité territoriale". Cette formulation marque un changement notable par rapport aux positions précédentes du G20, qui avaient été plus critiques à l'égard de la Russie.

Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, n'a pas caché sa satisfaction face à ce résultat, déclarant lors d'une conférence de presse : "Nous avons été capables de déjouer les tentatives de l’Occident d’ukrainiser l’ordre du jour". En revanche, du côté ukrainien, la déception est palpable. Oleg Nikolenko, porte-parole du ministère des affaires étrangères ukrainien, a exprimé son mécontentement sur Twitter, affirmant que "le G20 n’a pas de quoi être fier".

Le président français, Emmanuel Macron, a tenté de nuancer cette position lors d'une conférence de presse post-sommet. Selon lui, le G20 est avant tout un forum axé sur les questions économiques, financières et climatiques, et non géopolitiques. Toutefois, il a tenu à rappeler que sur les 19 pays du G20, à l'exception de la Russie, 16 avaient soutenu les résolutions de l'ONU condamnant la Russie, tandis que trois s'étaient abstenus. "Je n'ai pas le sentiment que ce soit une victoire diplomatique massive ni autre chose qu'une réalité d'isolement et de situation très minoritaire", a déclaré Emmanuel Macron, soulignant que le G20 n'était pas le lieu approprié pour des avancées diplomatiques sur la question ukrainienne. Quoi qu’il en soit, les alliés de l’Ukraine ont préféré assurer la sortie d’un communiqué conjoint, garant de l’intégrité de l’institution, plutôt que de soutenir Kiev coûte que coûte.

Un strict minimum pour le climat

Face à l'urgence climatique, le G20 semble avoir du mal à s'aligner sur des objectifs communs. Alors que 2023 est en passe de devenir l'année la plus chaude jamais enregistrée, la déclaration finale du sommet n'a pas réussi à appeler à une sortie des énergies fossiles. Toutefois, elle soutient pour la première fois l'ambition de tripler la capacité en énergies renouvelables d'ici 2030.

Le président français, Emmanuel Macron, a reconnu que les engagements pris étaient "insuffisants". Il a insisté sur la nécessité d'adopter des objectifs plus ambitieux, en particulier en ce qui concerne la sortie du pétrole. La question de l'abandon des énergies fossiles, principale cause de la crise climatique actuelle, est au cœur des négociations internationales qui devraient culminer lors de la COP28 à Dubaï en décembre.

Le G7 avait déjà approuvé le principe d'une sortie des énergies fossiles au printemps, sans toutefois fixer de calendrier. Les ONG espéraient que le G20, qui représente 80% des émissions mondiales de carbone, donnerait une impulsion significative à cette initiative. Cependant, plusieurs membres du G20, dont de grands producteurs d'hydrocarbures comme l'Arabie saoudite, la Russie et la Chine, restent réticents à envisager la fin des énergies fossiles.

L'engagement à sortir du charbon est toutefois une avancée notable, même si aucun calendrier précis n'a été fixé. Chaque pays est libre de définir son propre rythme. L'accent mis sur le triplement des capacités en énergies renouvelables pourrait faciliter un accord contraignant lors de la COP28.

L'Inde, hôte du sommet, a exprimé sa frustration face aux promesses non tenues des pays riches. Elle fait référence à l'engagement de fournir 100 milliards de dollars par an aux pays les plus vulnérables pour financer leur adaptation au changement climatique. Ces pays en développement, déjà confrontés à des événements météorologiques extrêmes et à l'insécurité alimentaire exacerbée par la guerre en Ukraine, appellent à une augmentation substantielle des investissements et du financement pour la transition verte.

Quelques succès tout de même

Pour l’Union Africaine

Le G20 a marqué un tournant historique en intégrant officiellement l'Union africaine (UA) en son sein. Cette décision, qui représente une victoire diplomatique majeure pour l'Inde, renforce sa position en tant que leader des pays du Sud. L'adhésion de l'UA au G20 offre à l'Afrique, continent en plein essor économique, une plateforme pour faire entendre sa voix et défendre ses intérêts sur la scène internationale.

Basée à Addis-Abeba, l'UA regroupe 55 pays membres (dont six actuellement suspendus) représentant un PIB total de 3 000 milliards de dollars. Jusqu'à présent, l'Afrique n'était représentée au G20 que par l'Afrique du Sud. Son président, Cyril Ramaphosa, s'est félicité de cette avancée, saluant la reconnaissance accordée à l'UA.

Pour les États-Unis

Les États-Unis ont profité de l’occasion pour présenter un projet audacieux visant à établir un couloir logistique reliant l'Inde, l'Europe et le Moyen-Orient. L'objectif sous-jacent est clair : offrir une alternative aux nouvelles routes de la soie promues par la Chine.

Un accord de principe a été conclu entre plusieurs acteurs majeurs, dont les États-Unis, l'Inde, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la France, l'Allemagne et l'Italie. Le président américain a qualifié cet accord d’"historique" lors d'une table ronde réunissant les dirigeants des pays concernés, soulignant l'importance stratégique de cette initiative pour redéfinir les dynamiques commerciales et logistiques à l'échelle mondiale.

Renversement des rapports de force

Dans une vidéo publiée sur sa chaîne Youtube, le géopolitologue Pascal Boniface affirme que la “montée en puissance du G20, comparativement au G7, correspond à celles des BRICS et aux autres émergents qui s’affirment sur la scène internationale”. Il s’agit donc là d’une perte de puissance pour les membres du G7 qui voit leur influence diminuée à mesure que les pays du Sud prennent le contrôle. Emmanuel Macron le faisait remarquer lors de la récente conférence des ambassadeurs, de nombreuses nations sont candidates pour rejoindre les BRICS, aucune ne l’est pour intégrer le G20.