Ukraine : le rôle des forces spéciales

Ukraine : le rôle des forces spéciales

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Le SOFINS, salon dédié aux forces spéciales, se tiendra du 28 au 30 mars en Gironde, sur le camp du 13e régiment de dragons parachutistes. Le thème de cette année : "Les opérations spéciales en milieu contesté". Ce rendez-vous incontournable pour les unités d'élites du monde entier, accompagne ainsi la transition en cours dans de nombreuses armées occidentales. Les forces spéciales doivent s'adapter à la nouvelle donne géopolitique que le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, résume par le triptyque "compétition - contestation - affrontement". Nul doute que le conflit qui fait rage en Ukraine va influencer cette transition. 

Salon dédié aux forces spéciales et à leurs partenaires industriels et de recherche et développement, le SOFINS célèbre ses 10 ans avec cette édition 2023. Organisé tous les 2 ans, l’évènement est une plateforme d’innovation incontournable du savoir-faire français au service des forces spéciales. Durant 3 jours, du mardi 28 au jeudi 30 mars, le SOFINS se tiendra sur le camp de Souge, à Martignas-sur-Jalle, en Gironde, lieu d’implantation du 13e régiment de dragons parachutistes (RDP). "Les opérations spéciales en milieu contesté", voilà le thème de cette année. Un choix forcément influencé par l’agression de l’Ukraine par la Russie.

Entre sabotage, opération amphibie et contre-offensive, cette guerre a vu de nombreuses opérations des forces spéciales, parfois menées par des volontaires issues du monde civil. Les forces ukrainiennes se sont plusieurs fois distinguées, notamment lors de la contre-offensive de septembre dernier, dans le Donbass. Ou bien sur l’île aux serpents, à plus de 30 km de la côte ukrainienne la plus proche. Indirectement, des commandos britanniques ont sûrement joué un rôle dans cette mission. Côté français, aucune preuve formelle ne permet d'affirmer que les forces spéciales françaises sont intervenues sur le sol ukrainien. Pour autant, cela ne veut pas dire que le conflit n'aura aucun impact sur les unités d'élites tricolores. Celles-ci avaient déjà entamé leur adaptation à la possibilité d’un conflit de haute intensité. Nul doute que la guerre en Ukraine va accélérer et influencer cette transition.

L’élite des forces ukrainiennes

Des brigades de volontaires, ukrainiens en majorité, mais également venus de pays étrangers, se sont formées dès le début du conflit. Très bien entraînés et équipés par l’aide international, certains de ces hommes se sont constitués en forces spéciales.

Les saboteurs du bataillon Bratstvo

Le bataillon Bratstvo est constitué de volontaires très performants, composé de vétérans de la guerre du Donbass, mais aussi d’anciens civils. L'essentiel des membres de ce groupe fait partie d'un mouvement nationaliste chrétien et forme une unité de forces spéciales peu ou prou depuis le début de la guerre. Le bataillon opère en toute clandestinité en territoire occupé ainsi que sur le sol russe.

Ces hommes ne sont pas reconnus par l'armée régulière, une situation qui convient parfaitement à Kiev, car elle permet de nier toute responsabilité dans les actions menées en territoire russe. Le groupe gère également un réseau d'informateurs, mis à profit pour la collecte de renseignements.

La fonction principale du bataillon n'est pas tant de tuer, mais de gêner, de bloquer, (par le minage de routes stratégiques par exemple), de ralentir au maximum l'avancée des troupes ennemies et de marquer les esprits. Lors d'une action de sabotage d'un site stratégique en territoire occupé, quatre membres du groupe ont été tués. Ils transportaient des fusils-mitrailleurs, de l'équipement de communication et 40 kilos d'explosifs. Des photos et vidéos terribles de leurs corps ont été diffusées par les réseaux russes. Le bataillon Bratstvo continue néanmoins à mener des missions de sabotage avec détermination et efficacité.

Opération amphibie sur l’île aux serpents

Le 6 au 7 juillet 2022, une unité conventionnelle cette fois, du 73e Centre de missions navales spéciales ukrainienne, a mené une opération discrète sur l'île aux serpents, à 35 km de la côte ukrainienne la plus proche.

Après une longue approche nocturne au moyen d'engins sous-marins motorisés, ces hommes ont ouvert la voie aux sapeurs de la 59e Brigade d'infanterie motorisée accompagnés de marins du 801e détachement naval. Les démineurs des forces spéciales ont vérifié que les Russes n'avaient pas laissé derrière eux des pièges explosifs et ont tenté de récupérer des renseignements sur les matériels abandonnés sur l’île.

Au lever du jour, des navires russes sont arrivés sur place et ont repris les bombardements. Moscou a affirmé que les soldats ayant débarqué avaient été neutralisés. Kiev, de son côté, a affirmé que ses commandos s'étaient exfiltrés juste à temps, en laissant flotter au vent des drapeaux ukrainiens.

Bien que cette île n'ait pas un grand intérêt stratégique, sa reprise par les forces ukrainiennes marque l'un des premiers succès du pays dans ce conflit. Envoyant un message fort à la Russie et renforçant considérablement la détermination de l'Ukraine à défendre son territoire.

La bataille de Bakhmout

Depuis de nombreuses semaines, c’est autour de Bakhmout que se trouvent plusieurs unités des forces spéciales ukrainiennes. Elles y mènent, aux côtés des forces conventionnelles, la bataille la plus sanglante et la plus longue à ce jour. Depuis la fin mars ces hommes sont en première ligne dans la défense de la ville mais aussi dans la contre-offensive qui a commencé. Aux grands regrets de nombreux soldats d’ailleurs. Interrogé par Le Monde, un officier des forces spéciales ne cache pas son incompréhension. "Bakhmout, des deux côtés, c’est politique et rien d’autre. Les commandants russes veulent prouver à Poutine, après leurs défaites, qu’ils peuvent "libérer" une ville du Donbass. Et du côté ukrainien, toute l’armée, jusqu’à l’état-major, pense depuis des semaines qu’il faudrait évacuer Bakhmout."


Les Marines britanniques

Les commandos britanniques ont mené des "opérations discrètes" dans un "environnement extrêmement sensible", a admis Robert Magowan, ancien commandant général des Royal Marines dans le Globe and Laurel, la revue officielle des Marines. Tout d'abord, 350 marines du "45 commandos" ont quitté un exercice en Norvège pour évacuer l'ambassade britannique de Kiev. Ils y sont ensuite retournés en avril pour rétablir la mission diplomatique et assurer la protection du personnel critique. "Au cours des deux phases, les commandos ont soutenu d'autres opérations discrètes dans un environnement extrêmement sensible et avec un haut niveau de risque politique et militaire", a ajouté Robert Magowan, sans donner plus de précision.

Ces opérations n'ont pas manqué de faire réagir le Kremlin. La commission d'enquête nationale de la Fédération de Russie, principale autorité judiciaire de Moscou, a déclaré qu'elle engagerait des investigations suite à une information rapportée par l'agence de presse russe RIA Novosti. Citant une source des services de sécurité russe, RIA Novosti affirme qu'une vingtaine de membres des SAS ont été envoyés dans la région de Lviv, une ville de l'ouest de l'Ukraine, située à environ 70 km de la frontière polonaise. D'autres informations venant des autorités russes suggèrent que le Service de sécurité ukrainien (SBU) et les services spéciaux du Royaume-Uni "complotent une provocation à Lisichansk similaire à celle de Bucha". Interrogée sur le sujet par les médias anglais, une source proche du ministre de la défense britannique a répondu : "Nous ne commentons pas les histoires concernant les forces spéciales, en particulier celles qui sont diffusées par les agences de presse russes, car des spéculations inexactes peuvent mettre la vie des gens en danger, c'est pourquoi nous ne confirmons ni n'infirmons les informations."

Ces opérations ne constituent pas les premières interventions britanniques en Ukraine. Depuis 2015 et jusqu'au début de la guerre, des membres des forces spéciales ont formé des militaires ukrainiens. Après une courte pause, au début du conflit, ce travail a repris, au moins durant l'été 2022. Cette fois auprès de volontaires ukrainiens. Cette formation pour les civils "représente une étape logique dans l'assistance britannique à l'Ukraine", avait déclaré le ministère de la Défense en octobre, au sujet des programmes ayant lieu sur le sol britannique.

Enseignements pour les forces spéciales françaises

Lors de ses vœux aux armées du 20 janvier dernier, Emmanuel Macron affirmait vouloir renforcer les forces spéciales françaises en "leur apportant l’équipement qu’elles méritent, c’est-à-dire le meilleur, le plus adapté évidemment, celui qui tire toutes les conséquences des technologies les plus avancées". Quelques jours plus tard, Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, apportait quelques précisions dans un entretien accordé au journal Le Monde. "Nous avons choisi de durcir notre modèle en relevant l’ambition pour leurs équipements, avec un effort inédit de 2 milliards d’euros", a-t-il indiqué. Et d’ajouter : "Nous resterons dans le trio de tête des meilleures forces spéciales au monde." Une montée en puissance censée accompagner la mutation des forces spéciales de la lutte antiterroriste vers les rivalités entre grandes puissances.

Le COS doit donc être capable de faire face à un conflit latent avec d’autres États, en restant sous le seuil du conflit armé. Autrement dit, "intervenir en zone grise" selon les termes du commandement des opérations spéciales. Pour cela, les forces spéciales devront développer des modes actions très peu utilisés ces dernières années : la reconnaissance discrète, l’association (assumée ou non) avec des acteurs tiers ou le sabotage par exemple. D’après le chef d’état-major des armées (CEMA), le général Thierry Burkhard, la situation géopolitique actuelle peut être décrit par le triptyque "compétition - contestation - affrontement". "Les forces spéciales ont les moyens de se positionner dans l’ensemble de ce spectre", considère le colonel Laurent Bansept, qui a effectué l’essentiel de sa carrière dans les forces spéciales et est aujourd’hui chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Caractéristique de la "zone grise", l’influence pourrait bien être l’un des missions principales des forces spéciales à l’avenir. En effet, habituée à la discrétion, les unités d’élites sont particulièrement adaptées à ce type de mission. En prenant le pouls des populations, diffusant des tracts ou en rencontrant directement des personnages influents. À la différence d’autres armées, les forces spéciales françaises ne disposent pas véritablement de composante dédiée exclusivement aux opérations d’influence ou aux PSYOPS (Psychologic Operations), bien que ce type d’opérations fassent partie de l’éventail capacitaire.

Les opérations d’influence nécessitent par ailleurs un filtrage optimal des flux informationnels afin de séparer le vrai du faux. Ainsi, les forces spéciales ont un rôle à jouer dans la collecte et l’analyse des informations nécessaires à l’influence de la France. L’un des enjeux capacitaires majeurs concerne donc "le système d’information des opérations spéciales, qui devra permettre de tirer le bon grain de l’ivraie parmi la masse des informations collectées" et s’avérera selon le général Vidaud, ancien commandant du COS, "indispensable pour distinguer les opportunités opérationnelles, alors que l’infobésité génère un nouveau brouillard de la guerre, susceptible de paralyser la décision. Notre capacité à digérer ces masses d’informations conditionnera notre efficacité en matière d’information, de ciblage et d’influence."