Énergie, transport, économie… L’UE est-elle résiliente ?

Énergie, transport, économie… L’UE est-elle résiliente ?

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La "Task Force" OTAN-UE pour la résilience des infrastructures critiques, créée en début d’année 2023, a publié son rapport d’évaluation final. L'occasion de s'intéresser à ce sujet crucial. Les infrastructures critiques sont les fondations sur lesquelles reposent nos sociétés et nos économies. Les forces militaires dépendent également dans une large mesure de ces équipements publics et privés pour remplir leurs missions.

La résilience de ces infrastructures est principalement une responsabilité nationale, mais la coopération à l'échelle régionale et internationale est indispensable, notamment à travers des organisations comme l'OTAN et l'Union Européenne. Les infrastructures critiques du vieux continent sont confrontées à une multitude de menaces, à la fois naturelles et induites par l'homme. Variées et très dispersées, nombre d’entre elles peuvent être considérées comme des "cibles faciles" par un adversaire, en particulier dans le cadre de tactiques hybrides.

La guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine a montré que les infrastructures critiques peuvent être ciblées de diverses manières : par l'espionnage et le renseignement, l'attaque physique, la reconnaissance hostile, les activités cybernétiques malveillantes, l'exploitation des dépendances ou la saisie. Les organisations terroristes représentent également une menace pour les infrastructures critiques. Divers groupes terroristes ont ciblé à plusieurs reprises des infrastructures de transport par exemple. Par ailleurs, les catastrophes naturelles ou les conditions météorologiques extrêmes peuvent causer des dommages, perturbant ainsi les services énergétiques notamment. Ce dernier défi s'accroît d’autant plus avec le changement climatique : montée du niveau de la mer, évolution des conditions météorologiques, événements météorologiques extrêmes plus fréquents.

Dans un contexte de concurrence internationale croissante, il est important d'identifier et d'atténuer les vulnérabilités stratégiques et les dépendances pouvant être exploitées. Le contrôle étranger de secteurs technologiques et industriels clés, d'infrastructures critiques et de chaînes d'approvisionnement, pourrait permettre à ces acteurs de recueillir des informations sensibles sur les activités de l'OTAN et de l'UE, et potentiellement de nier et de perturber l'accès aux infrastructures critiques ou d'entraver les services qu'elles fournissent.

Analyse sectorielle

Les infrastructures critiques sont très diverses à l’intérieur d’un même secteur économique. Cependant, il est possible de dégager 5 secteurs clés au sein desquels on trouve des enjeux similaires.

Énergie

Nos économies et nos sociétés dépendent d'un approvisionnement énergétique fiable provenant de diverses sources. L'importance de la coopération internationale en matière d'énergie est soulignée par les liens commerciaux étendus entre les États membres et les alliés. Cependant, la sécurité énergétique est devenue un défi de taille dans le contexte géopolitique actuel, avec des acteurs hostiles qui manipulent les approvisionnements en énergie, mènent des activités malveillantes dans le cyberespace et emploient la coercition économique.

Le sabotage des pipelines Nord Stream illustre la vulnérabilité de l'infrastructure énergétique. De plus, le risque de pénuries dû à la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine a sensibilisé le public aux dommages potentiels pour la vie quotidienne. Les équipements énergétiques, qui s'étendent sur de longues distances et sont interconnectés, sont difficiles à surveiller constamment ou à protéger.

Transports

L'infrastructure de transport, essentielle pour nos populations, nos économies et nos forces armées, englobe des éléments tels que les routes, les chemins de fer, les aéroports et les ports. Sa maintenance est cruciale, en particulier pour le réseau de transport transeuropéen qui représente les principales voies à travers l'Europe.

Malgré la redondance du réseau, certains nœuds clés, y compris pour des fins militaires, ne sont pas facilement remplaçables. Ces infrastructures sont également vulnérables aux cyberattaques, qui peuvent causer des dommages économiques considérables et potentiellement perturber leur utilisation par les forces armées.

En outre, le secteur des transports est interconnecté avec d'autres secteurs, avec une dépendance croissante à l'égard du réseau électrique, des batteries et de l'infrastructure numérique. Cette numérisation croissante rend ces équipements plus vulnérables aux activités cybernétiques malveillantes et aux perturbations.

Infrastructures digitales

L'infrastructure numérique, qui constitue l'épine dorsale des communications, est de plus en plus importante pour les citoyens européens. Elle comprend une variété d'éléments, allant des câbles de fibre optique souterrains et sous-marins aux satellites, en passant par les antennes du réseau téléphonique. Les câbles de communication sous-marins, qui transportent 95% du trafic Internet mondial, sont particulièrement vulnérables et pourraient être une cible attrayante pour un adversaire.

Les gouvernements et les forces armées dépendent largement de l'infrastructure numérique détenue et exploitée par le secteur privé, soulignant l'importance de garantir la sécurité et la résilience de cette infrastructure. En outre, l'infrastructure numérique, qui repose sur des chaînes d'approvisionnement mondiales, est vulnérable aux perturbations, qu'elles soient accidentelles ou intentionnelles, une gestion rigoureuse des risques est donc plus que nécessaire.

Espace

Les compétiteurs stratégiques et les adversaires potentiels investissent dans le développement, les tests et l'opérationnalisation de capacités de contre-espace sophistiquées, ce qui pourrait menacer l'accès et la liberté d'action de l'OTAN et de l'UE dans le domaine spatial. En ciblant les infrastructures civiles et militaires, ils pourraient perturber, dégrader, tromper, empêcher ou détruire les capacités et services spatiaux sur lesquels dépendent d'autres infrastructures critiques. De plus, l'infrastructure spatiale est confrontée à des risques uniques liés aux débris spatiaux, qui peuvent causer des dommages collatéraux et réduire l'accessibilité aux orbites. Les conditions météorologiques spatiales peuvent également affecter à la fois les éléments en orbite et les communications terrestres et les réseaux électriques.

De nombreux services essentiels, tels que l'énergie, le transport, les finances et les infrastructures numériques, dépendent des données, produits et services spatiaux, qui fournissent connectivité, précision temporelle, positionnement précis, soutien à la surveillance, aux prévisions météo et à observation terrestre. Les perturbations de l'accès à ces données, produits et services peuvent avoir des implications profondes sur la résilience des États.

La sécurité économique comme vecteur de résilience

La crise économique survenue suite à la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine a mis en lumière l'importance d'avoir une économie résiliente face aux bouleversements du monde. La sécurité économique, qui englobe la stabilité économique, la protection des industries clés et la promotion de la croissance, est devenue un sujet de discussion majeur, comme en témoigne le récent sommet du G7 à Hiroshima, au Japon.

Cependant, le concept de sécurité économique suscite des divergences de vues, certains préférant parler de résilience économique. En effet, la sécurité économique était taboue dans un monde où l’économie mondialisée faisait figure de leitmotiv. Une bonne stratégie de l’Union Européenne en la matière doit tenir compte de ces divergences et des défis spécifiques auxquels chaque pays est confronté. Elle doit également être capable de gérer les risques économiques, tels que les fluctuations des marchés financiers, les crises, les chocs économiques externes, et les menaces telles que le cybercrime et l'espionnage. En Europe, la sécurité économique se bâtit sur une dangereuse fracture : la division entre l’économie, qui relève largement de la compétence de l’Union, et la sécurité, qui reste du ressort des États membres. La sécurité économique est donc un enjeu complexe qui nécessite une approche nuancée et stratégique.

La menace chinoise

Bien avant la pandémie de Covid-19 ou l’agression russe de l’Ukraine, c’est la Chine qui jouait déjà un rôle significatif dans la sécurité économique mondiale, en raison de ses capacités militaires, de sa puissance économique et de sa stratégie propre. Premièrement, la Chine possède une capacité militaire qui dépasse celle de l'Europe et peut donc menacer la sécurité européenne. De plus, elle a le potentiel de remettre en question les capacités militaires des États-Unis, le principal garant de la sécurité de l'Europe.

Deuxièmement, l'opacité du système chinois crée une incertitude sur sa fiabilité en tant que partenaire économique. Le contrôle du pouvoir central sur un marché aussi vaste et important pour l'Union européenne, basé sur un agenda politique, est une source de risque. De plus, la dépendance des entreprises européennes envers le commerce avec Pékin soulève des questions sur l'influence que le pays peut exercer sur ces entreprises et leurs pays d'origine.

Troisièmement, la Chine a clairement exprimé ses intentions de protéger et de promouvoir sa propre sécurité économique à travers divers documents stratégiques. Ces documents mettent en évidence l'objectif de Pékin de devenir un centre de production de haute technologie et d'accroître sa part de marché mondiale dans ce domaine, tout en augmentant sa résilience en réduisant sa dépendance envers les marchés étrangers.

Il est donc essentiel de réduire les dépendances à l'égard de la Chine tout en veillant à ce que les siennes soient maintenues et exploitées lorsque cela est possible, afin d'empêcher Pékin de devenir autosuffisant.

L’Union Européenne se dote d’une nouvelle stratégie

La nouvelle stratégie de sécurité économique de l'Union Européenne, publiée le 20 juin 2023, est une réponse adaptative aux défis géopolitiques et technologiques actuels. Elle vise à préserver la majorité des liens économiques précieux de l'Europe avec le monde tout en s'assurant que les nouveaux risques sont efficacement gérés.

La stratégie souligne l'importance de la diversification des chaînes d'approvisionnement pour renforcer la sécurité économique et appelle à une action coordonnée à l'échelle de l'UE pour une utilisation plus audacieuse et plus rapide des instruments existants. Reconnaissant que l'UE ne peut pas atteindre la sécurité économique seule, la stratégie met l'accent sur la transparence et la coopération avec les partenaires pour garantir que les politiques de sécurité économique n'aient pas de conséquences indésirables sur les pays tiers, en particulier les plus vulnérables. Elle propose également de renforcer le cadre actuel pour le rendre adapté à l'environnement technologique et de sécurité en évolution rapide, et suggère d'examiner les risques de sécurité pouvant résulter des investissements sortants. Enfin, la stratégie souligne l'importance de renforcer les partenariats avec les pays en développement qui pourraient jouer un rôle plus important dans les chaînes de valeur mondiales.