Hypervélocité : intérêt stratégique ou emballement international ?

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Le 27 juin 2023, la France a franchi un cap majeur dans l'ère de l'armement hypersonique, en testant avec succès son planeur "V-MAX". Cette prouesse technique, orchestrée par ArianeGroup et l'ONERA sous la supervision du ministère des Armées, a été saluée comme "un nouveau jalon vers la maîtrise française de l’hypervélocité". Cependant, dans un monde où la course à l'hypersonique se durcit, la question de l'utilité et de l'efficacité réelle de ces engins se pose. D'autant plus que les défenses antimissiles modernes commencent à s'adapter à ce nouveau défi, comme en témoigne la première interception réussie d'une arme hypersonique en mai 2023. Alors, quelle place pour les missiles hypersoniques dans l'arsenal de demain ? L'équation est complexe.

Le 27 juin 2023, le ministère des Armées a confirmé l'essai réussi d'un planeur hypersonique. C’est « un nouveau jalon vers la maîtrise française de l’hypervélocité », s’est félicité le ministre des armées, Sébastien Lecornu. Le planeur, nommé "V-MAX", a été lancé depuis une nouvelle base d'essai située à Biscarrosse, dans les Landes. L'essai a été réalisé dans la soirée du 26 juin, suite à un avertissement préalable émis par la France, invitant à éviter la navigation maritime et aérienne sur un corridor de 2000 kilomètres autour de la zone de lancement.

Le développement du V-MAX a été confié à ArianeGroup et à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) par la Direction générale de l'armement (DGA). Le programme avait été initialement annoncé en janvier 2019 par l'ancienne ministre des Armées, Florence Parly, qui avait souligné l'importance de développer des capacités hypersoniques : « Beaucoup de nations s’en dotent, nous disposons de toutes les compétences pour le réaliser : nous ne pouvons plus attendre. » La France a déjà annoncé le lancement du V-MAX-2, un démonstrateur "plus performant" qui devrait voler en 2024 ou 2025, selon les déclarations de l'amiral (2S) Charles-Henri du Ché, conseiller militaire d'ArianeGroup. Le futur missile de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire française, l'ASN4G, qui devrait être opérationnel à l'horizon 2035, entrera également dans la catégorie hypervéloce.

Ce terme désigne des engins manœuvrant évoluant à des vitesses hypersoniques, les plus hautes parmi les vitesses supersoniques (au-delà de la vitesse du son : 343 m/s ou 1225 km/h, soit Mach 1) : par convention, sont hypersoniques les vitesses au-delà de Mach 5.

Ce type d’engin évolue à des vitesses supérieures à Mach 5, soit 5 fois la vitesse du son (1225 km/h). De telles vitesses leur permettent de rebondir sur l’atmosphère, rendant leur trajectoire imprévisible et leur interception extrêmement difficile. « C’est une démarche évidente lorsque l’on observe l’évolution des performances des moyens de défense sol-air », affirmait Emmanuel Chiva, le Délégué général à l’armement, lors d’une audition devant les députés de la commission Défense de l’Assemblée Nationale. Pourtant l’utilité réelle de ces vecteurs et loin d’être démontré et l’on peut craindre un emballement international plutôt qu’un véritable impératif stratégique.

Comprendre les armes hypersoniques

Les armes hypersoniques se présentent sous deux formes principales, chacune reposant sur une technologie spécifique : le superstatoréacteur et le rebond atmosphérique.

Les missiles de croisière hypersoniques sont essentiellement des versions accélérées des missiles de croisière existants. Ils sont propulsés par un statoréacteur à combustion supersonique, également connu sous le nom de superstatoréacteur. Ces missiles sont plus petits et plus maniables car ils obtiennent l'oxygène nécessaire à leur propulsion directement de l'atmosphère. Cependant, le développement d'un moteur capable de fonctionner à une vitesse hypersonique dans l'atmosphère a nécessité plusieurs décennies de recherche en raison des conditions extrêmes impliquées. À ce jour, aucun système d'armes utilisant un superstatoréacteur n'est en service actif, en raison des défis techniques persistants.

D'autre part, les planeurs hypersoniques sont des engins non motorisés qui dépendent d'une fusée pour être lancés et libérés dans l'atmosphère à des altitudes comprises entre 40 et 100 kilomètres. Une fois libérés, ils volent sans moteur vers leur cible.

Une course à l’armement

L'une des principales caractéristiques des armes hypersoniques est leur capacité à utiliser le rebond atmosphérique. Cette technique, qui exploite la portance aérodynamique de l'engin, rend la trajectoire de l'arme et donc sa cible imprévisible. Cela pose un défi majeur pour les défenses antimissiles actuelles, conçues pour contrer des armes suivant une trajectoire balistique plus simplement prévisible. De plus, les vecteurs hypersoniques adoptent une trajectoire beaucoup plus plate, parfois à seulement quelques centaines de mètres du sol. Combinée à leur grande vitesse, cette trajectoire rend les missiles hypersoniques difficiles à détecter par les radars et difficiles à abattre. Les radars sont principalement dirigés vers le haut pour détecter les avions et les projectiles conventionnels.

La course à l'hypersonique est devenue un enjeu majeur de la compétition stratégique internationale. Aux États-Unis, le missile de croisière hypersonique AGM-183 ARR, capable d'atteindre Mach 20, a été testé avec succès en mai 2022. En Chine, le planeur hypersonique DF-ZF, capable de voler à Mach 10, serait opérationnel depuis 2019.

En Russie, le planeur hypersonique Avangard, capable de voler jusqu'à Mach 24, est officiellement en service depuis décembre 2019. De plus, la Russie a utilisé deux autres engins hypersoniques, le Zircon et le Kinzhal, en Ukraine. Enfin, l'Iran a récemment dévoilé son premier missile balistique hypersonique, le Fattah, fabriqué localement, lors d'une cérémonie en présence du président Ebrahim Raïssi.

Quelle place pour les missiles hypersoniques ?

Le 4 mai 2023, un missile hypersonique russe Kinzhal a été détruit par le système antimissiles Patriot fournit à l’Ukraine. Cela marque la première interception publiquement confirmée d'une arme hypersonique et a suscité des interrogations sur la véritable efficacité de ces nouvelles armes.

En effet, bien que techniquement réalisables, l'utilité militaire des armes hypersoniques, en particulier à des distances stratégiques, reste incertaine. Un des principaux défis des missiles hypersoniques réside dans leur vitesse. Tout objet se déplaçant à au moins cinq fois la vitesse du son doit soit ralentir pour changer de direction, soit faire une courbe suffisamment large pour ne pas endommager le missile. Cela complique l'atteinte de cibles petites ou mobiles. Quand un missile hypersonique ralentit pour effectuer un virage ou atteindre une cible en mouvement, il devient une cible facile pour les systèmes antimissiles à courte portée.

Les armes hypersoniques seront donc probablement plus utiles au niveau sous-stratégique. Ils pourraient servir à contrecarrer les défenses locales et offrir des capacités de frappe rapide contre les forces armées déployées sur place. La Russie et la Chine envisagent de se doter de missiles hypersoniques antinavires, tels que le 3M22 Tsirkon russe et le Starry Sky-2 chinois, qui pourraient rendre les porte-avions vulnérables.

Les États-Unis ont également mis au point leur propre missile hypersonique, l'AGM-183 ARRW, qui fournira à leurs bombardiers une portée suffisante pour atteindre des cibles jusqu'à 1 000 miles (1 610 kilomètres) dans un futur proche.

En somme, bien que les missiles hypersoniques jouent un rôle dans les conflits actuels, leur utilisation est déterminante. La Chine et les États-Unis sont les leaders dans ce domaine, la mobilité et le nombre de plateformes de lancement leur conférant un impact potentiel majeur sur le champ de bataille. Cependant, en raison de leurs limites, les missiles hypersoniques ne deviendront probablement pas la colonne vertébrale des guerres futures.

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