Le lundi 29 mai, dans le nord du Kosovo, des manifestations ont fait trente blessés parmi les soldats de l’OTAN. L’Occident a condamné d’une seule voix ces violences et a rejeté la faute sur le très nationaliste Albin Kurti, premier ministre du Kosovo. Ces affrontements font suite à un regain de tension ces derniers mois, faisant ressurgir le spectre de la guerre.
Le lundi 29 mai, une manifestation organisée par des Serbes du Kosovo devant la Mairie de Zvecan, au nord du pays, a dégénéré en violents affrontements avec la police kosovare. La situation a rapidement dégénéré, nécessitant l'intervention des soldats de la Force de l'OTAN déployée au Kosovo (KFOR). Ces affrontements témoignent des tensions persistantes dans la région qui menacent la stabilité dans cette zone hautement sensible des Balkans.
Les forces de police kosovares ont initialement fait usage de gaz lacrymogène et de grenades éblouissantes pour disperser les manifestants. Les soldats de la KFOR sont alors intervenus pour séparer les deux groupes, mais ils ont eux-mêmes été pris pour cible par les protestataires. Les affrontements ont été particulièrement violents, avec des jets de pierres et d'engins incendiaires.
Parmi les rangs de la KFOR, on dénombre trente blessés dont onze soldats italiens et dix-neuf soldats hongrois. Sept d'entre eux sont grièvement touchés, selon les informations du ministère de la Défense hongroise. Les blessés italiens ont quant à eux été confirmés par le ministère des Affaires étrangères d'Italie. Trois soldats hongrois auraient été blessés par des armes à feu, précise la KFOR. Les autres ont subi des blessures traumatiques, dont des fractures et des brûlures dues à l'explosion d'engins incendiaires. Ces soldats avaient été déployés dans quatre municipalités du Nord "dans le but de contenir les violentes manifestations en cours". Ils "ont été la cible d'attaques non provoquées et ont subi des blessures traumatiques avec des fractures et des brûlures dues à l'explosion d'engins incendiaires", indique le communiqué de la KFOR. Forte de 4000 hommes, la Force de maintien de la paix au Kosovo est présente dans le pays depuis la fin de la guerre, en 1999.
Ces affrontements ne se sont pas limités à une seule municipalité, mais ont également eu lieu dans d'autres régions du nord du pays, une zone qui concentre la moitié de la population serbe vivant au Kosovo, bien que cette dernière ne représente qu'environ 5 % de la population totale. Le président serbe, Aleksandar Vucic, a accusé les forces de police kosovares d'avoir blessé au moins 52 Serbes du Kosovo, dont trois grièvement. Il a également affirmé qu'un homme de 50 ans avait été blessé par balles par les "forces spéciales" de la police.
La situation reste tendue. Le mercredi 31 mai, les manifestants ont déployé un gigantesque drapeau serbe de plus de 200 mètres de long, reliant le centre-ville aux abords de la mairie. Le bâtiment est désormais encerclé par les troupes de la KFOR, qui ont renforcé sa défense avec du fil barbelé et une barrière en métal, selon les informations d'une journaliste de l'Agence France-Presse. Les manifestants exigent le départ des maires albanais, qu'ils considèrent comme "illégitimes", ainsi que celui de la police kosovare.
Des condamnations unanimes
Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN, a vivement condamné ces attaques, les qualifiant d'"inacceptables". Il a annoncé l'envoi de renforts en conséquence. "Nous avons décidé de déployer 700 soldats supplémentaires de la force de réserve opérationnelle pour les Balkans occidentaux et avons mis un autre bataillon des forces de réserve en état d’alerte avancé (un millier de soldats environ)", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. Il a également souligné que la violence au Kosovo mettait en péril les aspirations européennes de la région.
Crédit photo : Dan Harmer/DoD
Emmanuel Macron, de son côté, a pointé du doigt la responsabilité des autorités kosovares dans l'aggravation de la situation. Lors d'une conférence de presse conjointe avec la présidente de la République slovaque, Zuzana Caputova, il a déclaré : "Très clairement, il y a une responsabilité des autorités kosovares dans la situation actuelle et un non-respect d’un accord qui était pourtant important et qui avait été scellé il y a juste quelques semaines".
À ce stade, aucune force française n'a été engagée, car Paris n'a pas été sollicité par l'OTAN. Cependant, des soldats allemands, polonais et américains de la NATO Rapid-Reaction Force ont été déployés dans la zone de tensions, équipés de blindés légers.
L'Union européenne, qui joue un rôle de médiateur entre les deux anciens ennemis depuis une décennie, a lancé un appel aux deux parties pour "désamorcer les tensions immédiatement et sans conditions".
Un premier ministre qui dérange
En plein tournoi de Rolland Garros, le serbe Novak Djokovic a passé un message très politique : “Le Kosovo, c'est le cœur de la Serbie ! Stop à la violence” À l’instar du joueur, la Serbie, soutenue par ses alliés russe et chinois, n’a jamais reconnu l’indépendance proclamée en 2008 par son ex-province, une décennie après la guerre meurtrière qui a opposé les forces serbes aux rebelles indépendantistes albanais. Depuis son arrivée au pouvoir en 2021, le premier ministre kosovar, Albin Kurti, connu pour son nationalisme, s'est engagé à mettre un terme à cette ambiguïté, quitte à déstabiliser la région. Les affrontements violents survenus lundi sont donc la conséquence d'une montée de tension qui couvait depuis plusieurs mois.
Selon un accord datant de 2013, Pristina a organisé de nouvelles élections dans les quatre municipalités entourant Mitrovica, où la population serbe est majoritaire. Ces élections ont été largement boycottées par la population serbe qui ne reconnaît pas l'autorité de Pristina, reste fidèle à Belgrade et redoute la mise en place d'un gouvernement parallèle contrôlé par la Serbie. Reporté à plusieurs reprises à la demande des parrains occidentaux du Kosovo, cet important scrutin s'est finalement tenu le 23 avril 2023. Seuls 1 500 albanophones ont participé aux élections (sur environ 45 000 inscrits), ce qui a permis l'élection de quatre maires de la communauté albanaise. Le vendredi 26 mai, ces nouveaux maires ont tenté de prendre leurs fonctions en retirant les drapeaux serbes qui ornaient encore les institutions municipales pour les remplacer par des drapeaux kosovars, déclenchant ainsi la colère des Serbes. "Nous avons très clairement signifié aux autorités kosovares que c'était une erreur de procéder à ces élections", a souligné Emmanuel Macron.
Les États-Unis, alliés historiques du Kosovo et fervents défenseurs de son indépendance, ont pointé du doigt la responsabilité d’Albin Kurti, dans cette crise. Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, a déclaré que la décision d'introniser les maires avait "fortement et inutilement aggravé les tensions". En conséquence, Washington a exclu le Kosovo d'un programme d'exercices militaires multinationaux, imposant ainsi sa première sanction à Pristina. Les États-Unis ont également menacé, de manière inédite, de mettre fin à leur soutien diplomatique à la reconnaissance internationale du territoire kosovar, actuellement reconnu par environ une centaine de pays.
Le Kremlin quant à lui, a appelé au respect des droits des Serbes du Kosovo et a exprimé un "soutien inconditionnel" à la Serbie et aux Serbes. "Tous les droits et les intérêts légitimes des Serbes du Kosovo doivent être respectés", a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Le premier ministre kosovar n’a pour l’instant montré aucun signe de recul et a affirmé que toute autre option que la prise de fonctions des maires élus serait une violation de leurs obligations constitutionnelles. "J'invite tout le monde, en particulier les citoyens serbes du Kosovo, à coopérer avec les nouveaux maires et leurs équipes, qui seront multiethniques, multiculturelles et multilingues", a-t-il déclaré via son compte Facebook. Albin Kurti, déjà critiqué pour son intransigeance lors des négociations difficiles avec la Serbie, semble maintenant prêt à s'affranchir des soutiens diplomatiques qui avaient permis au Kosovo de se maintenir sur la scène internationale.
Le spectre de la guerre
À la suite des récents troubles survenus dans la région, le président serbe Aleksandar Vucic a pris des mesures alarmantes en ordonnant à l'armée de se tenir en état d'alerte et de se déployer le long de la frontière avec le Kosovo, ravivant ainsi les craintes d'un nouveau conflit armé. La guerre du Kosovo, qui a pris fin en 1999 avec la campagne de bombardements de l'OTAN dirigée par les États-Unis, a opposé la majorité albanaise à la minorité serbe comptant 120 000 membres, dont un tiers vit dans le nord du pays.
Il n’est pas aisé d’être serbe dans le nord du Kosovo. Bien que considérés comme des citoyens d’un pays à part entière par Pristina, les Serbes sont toujours considérés par Belgrade comme résidant dans un pays non reconnu. Ils se retrouvent ainsi pris entre des pressions et des obligations contradictoires. Le dialogue entre le Kosovo et la Serbie, facilité par l'Union européenne suite à une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, a abouti à de nombreux accords visant à améliorer la vie quotidienne de ces habitants. Cependant, leur interprétation divergente par les deux parties, voire le refus de les mettre en œuvre, a créé des situations ambiguës et une profonde lassitude. Selon Pierre Mirel, directeur général honoraire de la Commission européenne et chargé d’enseignement à Sciences Po Paris, “il n’y a pas d’alternative à une intensification du dialogue, encadré par des procédures plus transparentes et strictes, dont le succès dépendra beaucoup de l’implication de la société civile et des perspectives d’adhésion des deux pays à l’UE”.