Dans les coulisses de la plus petite armée du monde

Dans les coulisses de la plus petite armée du monde

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Le corps des gardes suisses pontificales, souvent surnommé “la plus petite armée du monde”, constitue bien plus qu'un simple folklore coloré. Depuis leur création en 1506, ces gardes ont été les fidèles protecteurs du Saint-Siège. Leurs missions sont multiples : de la sécurité du Pape et des institutions du Vatican à l'assistance lors des événements pontificaux en passant par le secours à la personne.

Composée de soldats très entraînés, cette force de sécurité compte 135 membres. Recrutés exclusivement en Suisse, ces hommes sont soigneusement sélectionnés pour leur discipline, leur loyauté et leur engagement envers la protection du Pape. Leur uniforme distinctif ne date que de 1914 et, contrairement aux idées reçues, n’a pas été dessiné par Michel-Ange. C’est l’œuvre de Jules Repond, commandant de la Garde de 1910 à 1921, qui s'inspira des fresques de Raphaël. À Pâques ou à Noël, une cuirasse du XVIIème siècle vient la tenue.

Les recrues de la Garde Suisse suivent un entraînement intensif pour apprendre le maniement des armes. Durant les deux ans d'engagement obligatoire au sein de l'institution, ils travailleront également les techniques de self-défense et de combat au corps-à-corps. Les sous-officiers et les officiers accompagnent le Saint-Père lors de ses voyages apostoliques à l’étranger.

Au-delà de leur rôle de gardes du corps, les gardes suisses pontificales sont également là pour répondre à des situations d'urgence. Ils sont donc formés aux techniques de premiers secours, d’intervention sur un incendie et suivent des cours de psychologie afin de savoir comment négocier avec un éventuel forcené.

500 ans d’histoire

Au cours du XVe siècle, les mercenaires suisses acquirent une réputation de guerrier redoutable sur les champs de bataille européens, faisant face à des armées professionnelles avec une audace et une efficacité remarquables. Cette renommée impressionna également le pape, qui eut l'idée de créer une troupe régulière pour assurer sa protection. C'est ainsi qu'en 1506, la Garde Suisse pontificale vit le jour.

Cette décision fut largement influencée par les exploits des Confédérés suisses lors de leur victoire sur Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Le fait que des paysans suisses puissent triompher des armées professionnelles des Bourguignons attira l'attention des monarques européens. Les souverains de l'époque souhaitaient s'entourer de ces combattants suisses, reconnaissant leur valeur sur le champ de bataille.

Le concept de service militaire étranger, où des Suisses de toutes les classes sociales s'enrôlaient temporairement dans des armées étrangères, était devenu une source de revenus essentielle pour de nombreux individus. En 1497, le roi de France créa même une compagnie régulière de gardes suisses. Puis, en 1505, le pape Jules II fit une demande formelle aux Confédérés suisses pour l'envoi de 200 fantassins afin d'assurer sa protection. C'est ainsi que le premier commandant de la Garde Suisse, Kaspar von Silenen, accompagné de 150 hommes, entreprit la marche vers Rome.

Son périple fut semé d'embûches, mais il parvint finalement à Rome en janvier 1506. En l'espace de six mois, la Garde pontificale comptait déjà 300 hommes. Sous le commandement de Silenen, ils accompagnèrent le pape Jules II lors de ses expéditions contre Pérouse et Bologne, affirmant ainsi leur rôle de protecteurs du Saint-Siège. Souvent surnommé "il papa terribile" en raison de sa nature belliqueuse et ambitieuse, Jules II projetait de conquérir toute l’Italie. Cependant, après sa mort, ses successeurs abandonnèrent son projet et la Garde Suisse devint exclusivement une force de défense.

En Suisse, le mercenariat suscitait de plus en plus de tensions politiques, car les élites s'enrichissaient en envoyant des soldats servir dans les armées étrangères, parfois même contre leurs propres compatriotes. Ce contexte, associé à la vision réformatrice du curé Ulrich Zwingli, opposant farouche au mercenariat, contribua à façonner le rôle défensif et loyal de la Garde Suisse pontificale.

Le Sacco di Roma : Un triste jour pour la garde

Le 6 mai 1527, des troupes de mercenaires, principalement composées de lansquenets réformés de Charles Quint, ont attaqué la ville de Rome, perpétrant pillages et massacres. C’est le "Sacco di Roma" (sac de Rome). Ce pillage était le résultat des tensions entre l'Espagne dirigée par Charles Quint et la France dirigée par le roi François Ier, qui se disputaient la domination de l'Italie septentrionale depuis plusieurs années.

La Garde Suisse pontificale a joué un rôle important lors de cette journée. Alors que la ville était attaquée, 42 membres ont réussi à amener le pape en lieu sûr, tandis que les 147 autres ont pris position sur l’emblématique place Saint-Pierre pour protéger la basilique et l'enceinte du Vatican. Ces gardes étaient en nombre dérisoire face aux 20 000 attaquants, et ils ont été décimés jusqu'au dernier. Il a fallu attendre 1548, sous le pontificat du pape Paul III, pour que la Garde Suisse renaisse de ses cendres. Depuis lors, chaque 6 mai, lors de la cérémonie d'assermentation des nouvelles recrues, l'institution commémore le sacrifice de ses 147 soldats.

Entrer dans la modernité

Depuis son élection le 13 mars 2013, l’institution se modernise sous l'influence du pape François. Avant son arrivée, les interactions entre les gardes et le pontife étaient rares, mais désormais, le commandant peut parler directement avec le pape, sans avoir à suivre des protocoles rigides. Le pape argentin salue régulièrement les gardes, leur commandant, ainsi que d'autres employés du Vatican. Cette approche plus humaine et moins protocolaire a suscité un effet positif, ce qui se reflète dans le nombre réduit de recrues (23) qui ont prêté serment le 6 mai 2023. Nombres d’entre eux ont choisi de prolonger leur service.

Pour accompagner cette modernisation, un projet de nouvelle caserne a été présenté au pape en octobre 2020. Les bâtiments actuels, datant du XIXe siècle, ne respectent plus les normes en termes de logement, de conditions de vie, et de respect de l'environnement. Les travaux ont pris du retard et auraient dû débuter cette année. Ils devraient être lancés en 2026 et représentent un véritable défi. La nouvelle caserne doit être inaugurée le 6 mai 2027, lors de la commémoration des 500 ans du Sac de Rome.

La future caserne mettra en valeur le Passetto, un passage historique reliant le Palais Apostolique au château Saint-Ange. Ce corridor, abrita la fuite du pape Clément VII le 6 mai 1527. La rénovation comprendra également une partie de la Via Francigena, une route empruntée par les gardes suisses en 1506 pour rejoindre Rome depuis la Confédération. Par ailleurs, la nouvelle caserne offrira plus d'espace pour qu'ils puissent vivre avec leur famille dans des appartements adaptés.

Enfin, une étape importante vers la modernisation de l'institution est en marche. La future caserne sera conçue pour intégrer des membres féminins. Bien que la décision finale revienne exclusivement au Vatican et au pape lui-même, le pape François a déjà nommé des femmes à des postes de direction dans l'administration du Vatican et a signé un texte leur permettant de diriger la plupart des départements du Vatican. Ainsi, la Garde Suisse pourrait éventuellement accueillir des femmes à partir de 2027, marquant une révolution dans cette institution séculaire.

"L’étrange mort de trois gardes suisses à l’intérieur du Vatican"

Le 4 mai 1998, trois personnes sont assassinées à l'intérieur du Vatican, dont le commandant de la Garde et le jeune caporal Cédric Tournay. Plus de trente ans après les faits, le mystère persiste autour de cette affaire qui reste l'une des plus sensibles de l'histoire du Saint-Siège. Les événements se sont déroulés à quelques dizaines de mètres des appartements du pape Jean-Paul II. Frédéric Martel, écrivain, chercheur et journaliste, a enquêté puis publié ses conclusions dont voici un résumé.

Selon la version officielle du Vatican, le jeune caporal Cédric Tournay aurait pénétré dans l'appartement privé de son supérieur, le commandant Aloïs Estermann, et aurait assassiné ce dernier ainsi que sa femme avant de se suicider. Tournay aurait agi ainsi par vengeance, son commandant lui ayant refusé la médaille du mérite qu'il espérait.

Cependant, des éléments troublants remettent en question la version officielle. L'arme retrouvée sur les lieux du crime ne correspondrait pas à celle ayant tué Tournay, le calibre des balles ne correspondrait pas non plus, et la position du corps suggère qu'il n'aurait pas pu se suicider dans cette position. De plus, la présence de quatre verres utilisés sur la table du salon de l'appartement laisse supposer la présence d'une quatrième personne. Plusieurs gardes ont également démissionné après l'assassinat, ce qui pourrait indiquer leur désaccord avec la version du Vatican.

Certains estiment qu'Estermann aurait découvert un réseau de prostitution lié à du blanchiment d'argent à l'intérieur du Vatican, impliquant des membres de l'entourage du pape, et qu'il aurait été éliminé pour éviter qu'il ne divulgue ces informations. Tournay aurait été présent par hasard ou aurait été invité pour fournir un alibi.

L'enquête menée par la gendarmerie du Vatican et la justice vaticanesque a été critiquée pour son manque de professionnalisme et son caractère fantaisiste. Les autorités italiennes et suisses ont été tenues à l'écart de l'affaire, empêchant ainsi une enquête approfondie.

Aujourd'hui, de nombreux points restent à éclaircir, notamment le mobile des meurtres, l'arrière-plan financier de l'affaire, le rôle de l'évêque Marcinkus et de son réseau, ainsi que la nature de la relation entre Estermann et Tournay. Les révélations potentielles que cette affaire pourrait contenir ont conduit certains à demander la réouverture de l'enquête.