Ce n’était pas arrivé depuis 1987. L’armée française, en l’occurrence la frégate multimissions Languedoc, a détruit des aéronefs jugés dangereux. Cet évènement, ainsi que tous les incidents qui l’ont précédé, met en lumière l’apparition d’un nouveau front maritime dans la guerre qui oppose Israël au Hamas et ses soutiens. Les Houthis y font figure de leader dans l’"Axe de la résistance" piloté par l’Iran.
En mer rouge, le 19 novembre dernier, des rebelles yéménites houthistes se sont servis d’un hélicoptère de transport pour détourner le Galaxy Leader, un cargo propriété d’un homme d’affaires israélien. La vidéo de l’attaque a fait le tour du monde. On peut y voir un hélicoptère Mi-17, armé de deux lance-roquettes et décoré de drapeaux yéménites et palestiniens, apponter brièvement sur le navire pour y déposer un commando d’une dizaine d’hommes armés de fusils d’assaut. Le cargo, retenu près des côtes du Yémen, est devenu une attraction touristique. Influenceurs et curieux viennent en nombre pour s’y filmer et danser sur le pont. Il s’agit là, pour le mouvement Houthis, de démontrer sa popularité au Yémen et dans toute la région. Depuis qu'il a pris le contrôle de Sanaa en 2014, ce groupe armé zaydite (une branche du chiisme) soutenu et armée par l'Iran, a inscrit la lutte contre Israël comme l’un de ses principaux objectifs.
Le détournement du Galaxy Leader marqua l’ouverture du front maritime de la guerre qui oppose Israël au Hamas et ses soutiens. Depuis, les attaques se succèdent et la tension ne fait qu’augmenter en mer Rouge, en particulier dans le détroit de Bab al-Mandab. Le jeudi 23 novembre, le navire américain USS Thomas Hudner intercepte et détruit, pour la seconde fois cette semaine-là, plusieurs drones lancés depuis une zone contrôlée par les Houthis. Ce destroyer patrouillant en mer Rouge fait partie du groupe aéronaval du porte-avions USS Gerald R. Ford, déployé en Méditerranée orientale depuis le début du mois d’octobre 2023. Le lendemain, un autre navire, commercial cette fois, a été endommagé par une frappe de drones. Le dimanche suivant, c’est un pétrolier appartenant à un autre homme d’affaires israélien qui a été détourné au large des côtes yéménites.
Samedi 9 décembre, dans la soirée, c’est au tour de la France de se défendre. Détectant deux drones hostiles se dirigeant vers elle, la frégate multimissions (FREMM) Languedoc ouvre le feu et abat ces deux engins, très certainement au moyen de missiles Aster 15. C’est la première fois, depuis le 7 septembre 1987, quand une batterie Hawk du 403e Régiment d'artillerie de Chaumont avait détruit un Tupolev 22 menaçant N'Djamena, qu’une unité française neutralise des aéronefs considérés comme dangereux.
Les Houthis, nouveaux acteurs majeurs
Même si l’arraisonnement du Galaxy Leader marque le début d’une nouvelle ère dans la guerre qui oppose le Hamas à Israël, il n’est pas pour autant la première action hostile menée par les Houthis. Le 27 octobre, un missile, vraisemblablement lancé depuis le Yémen en direction d’Israël, avait été intercepté par un navire américain en mer Rouge. Quelques jours plus tard, c’est un drone américain qui a été détruit la milice.
S'ils régnaient autrefois sur le Yémen, le mouvement Houthis s’est peu à peu affaibli. Sa milice armée, dont le nom officiel est Ansar Allah, a été créée pour servir de mouvement d’opposition au président de l’époque, Ali Abdullah Saleh. En 2014, Ansar Allah s’empare de Sanaa, la capitale du pays. Ce revirement géostratégique pousse alors l’Arabie saoudite à alimenter la guerre civile Yéménite et déclarer la guerre contre les Houthis avec le soutien américain et israélien. Riyad voyait dans cette prise de pouvoir un risque majeur pour ses échanges commerciaux passant par le Golfe d’Aden.
Aujourd’hui, les Houthis sont devenus l’un des éléments clés de “l’axe de résistance” affilié à l’Iran : c’est notamment le corps des gardiens de la révolution iranien, et le Hezbollah libanais qui les ont armés et entraînés durant leur guerre face à l’Arabie saoudite.
Inquiétudes pour l’approvisionnement en hydrocarbures
L’opération menée par le Hamas le 7 octobre, et la réponse israélienne qui a suivi, ont largement perturbé le marché mondial des hydrocarbures. Un cinquième de la consommation mondiale de pétrole transite via le détroit d’Ormuz tout proche. Pour ce qui est du gaz, 80 millions de tonnes métriques, soit 20 % des flux mondiaux, passent par là chaque année.
Cette résurgence du conflit israélo-palestinien a mis l’Iran en position de force. Téhéran, qui finance les Houthis et le Hezbollah libanais, a appelé les membres de l’OPEP à cesser les exportations d’hydrocarbures vers les pays soutenant Israël. Le pays fait ainsi pression sur les marchés mondiaux, et déstabilise son ennemi hébreu, sans craindre les contrecoups de l’escalade militaire sur son territoire. Seuls ses bases et convois en Syrie ou en Irak subissent des attaques. Ni Israël, ni les États-Unis ne souhaitent s’engager dans une confrontation directe avec l’Iran au risque de mettre toute la région à feu et à sang. De surcroît, les violences commises à l’égard de la population palestinienne par Israël ont renforcé le narratif des groupes soutenant le Hamas.
La réponse de l’OTAN
La mer Rouge constitue rien de moins que la liaison entre l’Orient et l’Occident. La sécurisation de ses flux maritimes est donc primordiale pour les chaînes d’approvisionnements occidentales. Depuis cet été, lorsque les tensions avec l’Iran se sont multipliées, les déploiements de navire se succèdent. Washington y a envoyé les portes-avions USS Gerald R. Ford et USS Dwight D. Eisenhower, avec des flottes comprenant entre autres deux destroyers et un croiseur à missiles guidés. En réponse aux attaques sur les navires britanniques du 4 décembre, un destroyer type 45 HMS Diamond a aussi été envoyé rejoindre la frégate Lancaster dans la région pour à priori sécuriser le trafic maritime. Côté français, outre la frégate Languedoc, on peut citer la mise en œuvre d’un E-2C Hawkeye et de plusieurs Rafale qui ont protégé le passage de l’USS Dwight D. Eisenhower dans le détroit d’Ormuz.
En plus de la présence renforcée, les récentes attaques démontrent la nécessité d’un questionnement stratégique. L'utilisation de missiles Aster à plus d'un million d'euros, avec un délai de production de trois ans, était pleinement justifiée, même contre des engins rudimentaires guidés par GPS et transportant des charges de 40 kg tels que ceux qui se dirigeaient vers la Languedoc. Cependant, il y a fort à parier que ces situations vont être amenées à se répéter. Il devient donc urgent de développer de nouvelles capacités défensives moins onéreuses pour répondre aux menaces moins complexes. Ces nouvelles capacités ne devraient d’ailleurs pas être réservées aux bâtiments les plus imposants mais aussi au Patrouilleur Outre-Mer, par exemple. L’utilisation massive de drone ne tardera pas à gagner le narcotrafic, la piraterie et, bien sûr, les groupes terroristes.