Djibouti : un carrefour stratégique
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Le 14 décembre dernier, une rencontre cruciale a eu lieu à Djibouti, impliquant les ministres français des Armées et des Affaires étrangères. Au cœur des discussions, la renégociation d'un traité de coopération essentiel liant la France et Djibouti depuis 1970. Cette rencontre intervient dans un contexte de tensions accrues dans la région, mettant en lumière l'importance stratégique de Djibouti pour la France, et pour de nombreuses autres nations. Djibouti se trouve depuis plus d’un siècle au centre d'un jeu géopolitique complexe.
Les ministres des Armées et des Affaires étrangères étaient en déplacement à Djibouti le 14 décembre dernier pour renégocier un des accords de Défense les plus importants aux yeux de la France. Le traité de coopération qui unit Paris à Djibouti, créé en 1970 et renouvelé en 2011, arrive bientôt à son terme. Ce qui a été remis en jeu, ce n’est rien de moins que l’accès à la mer Rouge, à l’Indo-Pacifique, ainsi que la présence des 1500 soldats déployés sur la plus importante base française sur le continent africain. Les autorités djiboutiennes souhaitaient revoir à la hausse le loyer français, qui s’élèverait actuellement à 30 millions d’euros par an (beaucoup moins que pour les autres nations présentent sur ce territoire), et reprendre la main sur une partie de la presqu’île du Héron, où se trouve la base.
Une zone hautement stratégique
Bordant le détroit de Bab Al-Mandeb - où transit 40% du commerce international - Djibouti se trouve à la frontière entre l’océan Indien et la mer Rouge. C’est via sa base militaire que Paris projette ses forces en Afrique et dans toute la zone Indo-Pacifique. Autrefois majoritaires, les Français ne sont maintenant plus si nombreux en comparaison des 4500 soldats américains déployés sur place. Attiré elle aussi par la position géographique de Djibouti, la Chine y a ouvert en 2017, son unique base militaire hors du pays.
L’importance de Djibouti s’est encore accentuée depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. Les rebelles Houthis ont multiplié les attaques de drones en mer Rouge, contre des navires de commerce, mais aussi des bâtiments militaires. La frégate française Languedoc a détruit en fin de semaine dernière plusieurs aéronefs considérés comme hostiles. C’est justement à Djibouti que le navire devra recompléter ses munitions. Ce lundi 18 décembre encore, une explosion dont l’ampleur et les conséquences sont encore inconnues se serait produite à proximité d’un navire transitant par le détroit.
Les Forces Françaises à Djibouti
De 1896 à 1977, Djibouti était une colonie française appelée la “Côte françaises des Somalis” puis le “Territoire français des Afars et des Issas”. En 1977, bien que la République de Djibouti soit créée et prenne son indépendance, une présence militaire demeure. Les FFDj, forces françaises stationnées à Djibouti, représentent aujourd’hui la plus grande présence militaire française (hors OPEX) sur le continent africain, et assurent de nombreuses missions.
La Légion Etrangère est présente sur place entre 1962 et 2011, et participe pendant presque 50 ans à des missions aussi bien militaires qu’humanitaires. Ainsi, la 13e DBLE (Demi-brigade de Légion étrangère), implanté au quartier Général Monclar, forme des militaires somaliens et ougandais, prend part à diverses opérations (Turquoise au Rwanda, en 1994 ; Licorne en République de Côte d’Ivoire en 2022) et aide les populations locales par des travaux d’infrastructure (réhabilitation d’une maison des femmes, aménagement d’une cour d’école…) En 2011, la Légion Etrangère quitte Djibouti pour les Émirats Arabes Unis.
Peu de temps après la Légion étrangère, en 1965, le 57e RIAOM (régiment interarmes d’outre-mer) arrive à Djibouti et y restera jusqu’en 1969. Cette année-là, le 5e RIAOM est créé et lui succède.
L’armée de l’Air y est quant à elle présente depuis 1932 avec la création d’une escadrille de la Côte française des Somalis. Les avions de chasse Mirage s’établissent en 1978, rejoints dans les années 2000 par un avion de transport tactique C-160 Transall et des hélicoptères Puma et Fennec.
En 1977, la République de Djibouti déclare son indépendance. Par la signature d’un premier accord de défense, les forces militaires françaises restent toutefois sur le territoire afin de garantir la souveraineté du nouvel État face à ses voisins envieux de ses ressources. Une zone de responsabilité permanente (ZRP) est aussi créée pour étendre la zone d’action et de surveillance de la France sur l’ensemble de la corne de l’Afrique. Le traité est renouvelé en 2011, et deux ans plus tard, en 2013, un Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale définit Djibouti comme une zone de présence stratégique.
Les effectifs des militaires français à Djibouti ont progressivement baissé depuis la fin des années 1980. En 1978, il y en avait 4 300, puis 2000 au début du siècle. Aujourd’hui, les Forces françaises stationnées à Djibouti comptent 1490 militaires et civils de la Défense.
La spécificité des FFDj repose sur la présence des trois composantes Terre/Air/Mer de l’armée Françaises. L’armée de Terre représente la majorité des effectifs avec 805 soldats (54% des FFDj). L’armée de l’Air et de l’Espace compte 500 aviateurs (35%) et la Marine Nationale 134 marins (9%). Une dizaine de civils de la Défense (2%) complètent le dispositif. Enfin, 900 Djiboutiens sont employés par les FFDj, dont 600 en tant que personnel civil de recrutement local (PCRL).
La presqu’île du Héron n’est pas la seule emprise française dans la région. Paris dispose depuis les années 2000 de la base d’Abu Dhabi d’où opère en réalité une large majorité des navires de la Marine nationale opérant au Moyen-Orient. Djibouti conserve néanmoins une importance capitale. En cas d’embrasement des tensions entre l’Iran et l’occident, le détroit d’Ormuz et le reste du golfe Persique seraient complètement bloqué. Sans Djibouti, la France disposerait donc d’aucun relais d’actions dans la région.
Le CECAD
Le Centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert de Djibouti profite de cet environnement particulier pour former et aguerrir les militaires : c’est l’école du désert. Plusieurs cursus sont dispensés, autour de trois axes.
- Le combat interarmes fait intervenir des unités variées (artillerie, cavalerie, génie, infanterie…).
- La connaissance du territoire permet de mieux appréhender le pays, la ZRP, l’environnement, les partenaires militaires locaux, et de rayonner grâce à des actions civilo-militaires (rénovation d’une école…)
- L’aguerrissement se fait en majeure partie par le milieu en lui-même (conditions de terrain, climatiques…).
Les trois quarts des stagiaires sont des militaires français, et une majorité d’entre eux sont en mission à Djibouti, avec un passage préalable obligatoire au CECAD pour s’aguerrir et être formé au combat en zone semi-désertique. Un quart des stages sont au bénéfice d’unités étrangères, quelques-unes américaines mais surtout djiboutiennes. Situé à Arta, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, le CECAD offre des terrains variés (montagnes, désert, mer) pour proposer des exercices qui le sont tout autant : parcours d’obstacles nocturne, parcours nautique, combat, parcours d’audace (sur la célèbre « Voie de l’Inconscient »).
Un théâtre d’affrontement Est/Ouest
Djibouti est un exemple d’agrégat d’intérêt géostratégique comme il y en a peu dans le monde. Ce petit territoire concentre des bases militaires française, américaine, chinoise mais aussi allemande, japonaise et espagnole.
L'expansion récente de la base navale chinoise à Djibouti est observée avec une attention particulière par les puissances occidentales. Stratégiquement positionnée à proximité immédiate du port de commerce, également sous contrôle chinois, cette installation militaire se trouve à seulement une dizaine de kilomètres du camp Lemonnier. Historiquement un bastion de la Légion étrangère française, le camp Lemonnier est devenu depuis 2002 un hub majeur pour les forces américaines, abritant des milliers de soldats et équipé de moyens aériens tels que des avions de transport C-130 et des V-22 Osprey. Cette base joue un rôle central dans les opérations spéciales américaines dans la région. Non loin de là, la base chinoise côtoie également la base française du Héron.
L'émergence de la Chine à Djibouti a bouleversé l'équilibre précaire entre les alliés historiques, transformant la capitale en un nid d’espion digne de Vienne au 20ème siècle. Pour les Djiboutiens, la présence de bases militaires étrangères est perçue comme une aubaine commerciale. Pékin a su répondre à ces attentes en investissant massivement dans des projets d'infrastructure, notamment la construction du chemin de fer reliant l'Éthiopie à Djibouti et du port polyvalent de Doraleh. Cependant, il est désormais évident que la base chinoise, initialement présentée comme une simple installation logistique en soutien aux opérations antipiraterie, a acquis une envergure bien plus considérable, dépassant largement le cadre d'une simple enclave logistique.