La saga du HK

La saga du HK

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2017 fut une année particulière pour l'armée française : elle a tourné la page FAMAS. Réputé pour sa très grande précision, le fusil d’assaut français est tout de même entré en service en 1979 et commençait à poser problème. Approvisionnement en munition, disponibilité et coût des pièces de rechange, entretient de plus en plus fastidieux, autant de raisons ayant motivé la DGA à lancer le programme AIF pour arme individuelle future. Le match pour la succession de l’emblématique fusil d’assaut opposa cinq finalistes dont aucun français. Certains l'ont regretté. Et pour cause, c’est la première fois dans l'histoire de l'armée française que ses soldats ne sont pas équipés de fusils tricolores. Présenté par l'État-major en juin 2017, son remplaçant est en cours de déploiement pour encore 6 ans. Retour sur la saga du HK 416F.

Un remplacement devenu vital

En 2012, au moment où la France officialise sa quête d’une « arme individuelle du futur » (AIF), l’armée de Terre se trouve dans une phase de transition comme elle en a connu peu. Elle prépare un nouveau modèle d’organisation dénommé « Au contact » et élabore le programme Scorpion qui signe son renouveau technologique. Le budget de défense de la France s’apprête à croître de nouveau et, par là même, c’est « un modèle économique d’un nouveau genre [qui est mis en place] pour l’armée de Terre » selon les mots de l’ancien chef d’État-major Jean-Pierre Bosser. « Il s’agit de chercher à saisir les opportunités, dès lors qu’elles sont à la fois soutenables financièrement et faisables techniquement, pour accélérer l’arrivée des nouveaux parcs, et ne plus entretenir de façon dépensière les anciens » explique-t-il au député de la commission défense de l’assemblée nationale. Le remplacement du FAMAS s’inscrit pleinement dans cette démarche : « Avec trois percuteurs ou six chargeurs, on s’achète une nouvelle arme » affirme le général. Mais comment en est-on arrivé là ?

En 1989, après plusieurs décennies de déclin, la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne qui a donné son nom au FAMAS, passe sous le contrôle du groupe GIAT Industries (aujourd’hui plus connu sous le nom de Nexter). S’ensuit une dizaine d’années de fusions et de rachats, notamment avec des entreprises européennes telle que FN Herstal, aux termes desquels GIAT réorganise ses activités. C’est la Fabrique Nationale, établi à Herstal en Belgique, qui prend la tête de la production des armes légères, signant ainsi la mort des ateliers stéphanois. L’usine du FAMAS ferme ses portes en 2001, à l’époque où le fusil d’assaut français est déjà plus que vieillissant. Les derniers modèles étant sortis des lignes de production en 1992. Durant les années qui suivirent, les défauts du légendaire “clairon” français se font de plus en plus sentir. Il nécessite un entretien minutieux d’au moins une heure pour compenser sa tendance à s’encrasser facilement. Il comporte de nombreux petits éléments faciles à perdre et fragilisés par l’usure des années. De plus, ses pièces de rechange pèsent lourd dans le budget des armées : un percuteur, à remplacer toutes les 3000 à 4000 cartouches, coûte 330 euros. Enfin, le FAMAS tire des munitions particulières, de 5,56 mm certes, mais incompatibles avec le standard OTAN. Lorsqu’en 1999, ferme la fabrique de munitions de petits calibres du Mans, l’approvisionnement devient problématique. Les armées se fourniront d’abord chez ADCOM, aux Émirats arabes unis, mais ces cartouches occasionneront au moins 37 accidents de tir. Plus tard, elles seront fabriquées par BAE System et IMI, mais celles-ci ne seront pas adaptées aux rayures du canon. Pour toutes ces raisons, le FAMAS ne pouvait plus rester aux côtés des soldats français.

Le programme AIF

Suite à ce constat, la DGA officialise le marché de l’arme individuelle futur et publie, en mai 2014, un appel d’offres européen. Un an plus tard, 5 finalistes sont retenus pour une phase de test.

  • Le HK416 de la firme allemande Heckler & Koch
  • Le Scar de FN Herstal
  • L’ARX 160 du fabricant italien très connu Beretta
  • Le VHS du croate HS Product
  • Le MCX de Swiss Arms

Toutes ces armes ont fait leurs preuves et sont utilisées par différentes armées autour du globe, à l’exception du fusil d’assaut croate, qui a fait figure d’outsider. Le Scar fait le bonheur du GSG-9 (l’équivalent du RAID en Allemagne), mais aussi des Navy Seals ou de certaines unités du SWAT. L’ARX 160 est utilisé par les forces armées italiennes bien sûr et s’est exporté en Europe de l’est et en Asie centrale. Le MCX, également connu sous le nom de SIG 516, est utilisé en Suisse, en Argentine et en Égypte. Enfin, le HK 416F équipe les armées hollandaises et norvégiennes ainsi que de nombreuses forces spéciales. Le 1er RPIMA, 13e RDP et le CPA 10 l’utilisent depuis plusieurs années. Sans surprise, le 23 septembre 2016, la Direction générale de l’armement (DGA) annonce avoir retenu le HK 416F dont « les livraisons […] s’échelonneront sur une dizaine d’années », précise la DGA, soulignant au passage l’aspect très politique de ce marché « qui contribue à renforcer les solides liens entre l'Allemagne et la France dans la Défense, et dans l'industrie de l'armement en particulier ».

Seule entreprise française à avoir candidaté, la PME stéphanoise Verney-Carron avait proposé une solution issue d’un transfert de technologie venant de l’international, au nom évocateur par ailleurs, le FAST pour Fusil d’assaut de Saint-Étienne. Mais deux obstacles s’opposaient à cette candidature. La DGA avait fixé un minimum de chiffres d’affaires de 80 millions, sorte de droit d’entrée pour espérer remporter l’appel d’offres. La PME ne réalisait en 2014 que 12 millions d’euros de chiffres d’affaires. « Avec notre partenaire étranger, nous dépassons largement les 80 millions d'euros de chiffre d'affaires » rétorqua Guillaume Verney-Carron, PDG de l’entreprise familiale créée en 1820. Il était également imposé des moyens d’étude, de production et d'approvisionnement situés au sein de l’UE. Soit, « Nous nous engageons à fabriquer les pièces essentielles à Saint-Etienne et non pas ailleurs en Europe » insista le directeur de la PME. Selon Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), la véritable raison de l’échec français n’est pas là. L’entreprise ne pouvait tout simplement pas endosser un tel contrat. « Elle n'avait pas la surface financière pour pouvoir offrir des garanties sur un tel contrat qui s'étale sur plusieurs années, puisqu'il y aura toute la maintenance à faire » explique-t-il. Un avis partagé par Jean-Yves Le Drian, Ministre de la Défense à l’époque, qui assure alors qu’aucune entreprise française ne détient la capacité de fabriquer ce type d’arme, et que l’installation d’une nouvelle filière serait trop coûteuse. À noter que l’acier du HK 416F, élément très important si l’en est, est produit par les aciéries Aubert & Duval situées près de Clermont-Ferrand.

À l’image du député Nicolas Bays, alors Vice-président de la commission de la Défense et commandant de réserve par ailleurs, de nombreuses voix s’élèvent alors, invoquant l’argument de la souveraineté et reprochant l’origine allemande de l’arme choisie. « Il aurait été souhaitable de trouver les moyens de créer une solution nationale, en totalité ou en partie », écrit le parlementaire dans un communiqué de presse publié le 28 septembre 2016, avant d’ajouter que l’arme individuelle des soldats français est aussi symbolique que stratégique. « Voir nos soldats équipés d’une arme légère étrangère n’est pas neutre. Il ne s’agit pas d’un missile ou d’un drone, mais de l’arme utilisée au quotidien par nos soldats en opérations intérieures comme extérieures, celle que les Français verront le 14 juillet sur les Champs-Elysées », argumente-t-il. Un avis que ne partage pas le général Jean-Pierre Bosser. « Il ne faut pas accorder trop d’importance au fusil en tant que marque de souveraineté. C’était vrai il y a cent ans, cela ne l’est plus aujourd’hui », a dit le CEMAT. « L’environnement du soldat a tellement évolué qu’on ne peut faire du fusil une marque de souveraineté nationale ». Pour le géopolitologue et spécialiste des questions de défense Jean-Pierre Maulny, il convient plutôt de s’inquiéter de la sécurité d’approvisionnement des fusils. Peut-on subir un embargo et ne plus avoir de fusils d'assaut en France ? « Au niveau européen, on s'est assuré depuis plusieurs années un principe de sécurité d'approvisionnement, c'est-à-dire qu'on ne peut pas s'interdire de se livrer des matériels entre Européens donc il n'y a aucun risque à ce niveau-là », explique le directeur adjoint de l’IRIS. Certes, il était impossible de choisir un fusil 100% français, mais le maintien en condition opérationnelle (MCO) aurait-il pu rester en France ? C’est la question qu’on posait les députés Yves Fromion et Jean-Jacques Candalier au délégué général pour l’armement de l’époque, Laurent Collet-Billon. Les deux parlementaires n’ont pas obtenu de réponse. La MCO a été confiée à Heckler & Koch pour une durée de 30 ans.

Pourquoi le HK 416F ?

« Parce qu’il était le meilleur sur le marché » affirme l’ancien CEMAT Jean-Pierre Bosser. Les munitions légères de l'armée de terre sont maintenant compatibles avec les munitions de nos alliés. C'était d’ailleurs le critère principal dans le choix de la nouvelle arme française. Il dispose par ailleurs d’une crosse réglable télescopique, d’un bipied, d’une sangle adaptée, de rails picatinny qui permettent d’installer toutes les aides de visée dont les soldats auront besoin. Sa visée est simplifiée, tout comme son entretien et son démontage. « C’est cela, le fusil des temps modernes » s’est réjoui le général. Enfin, il améliore l’autonomie des soldats en leur permettant d’emporter théoriquement dix chargeurs à 30 cartouches contre six à 25 pour le FAMAS. Cet avantage est à tempérer cependant, de nombreux militaires ont fait état d’un problème de verrouillage du magasin lorsque-ci est chargé au maximum. Bon nombre d’entre eux semblent donc avoir pris l’habitude de se contenter de 25 cartouches. Deux versions du HK 416F sont en cours de livraison, une longue (de 83 à 93 cm) et une courte (de 74 et 84 cm) pour les troupes embarquées et les unités engagées dans l’opération sentinelle.

Et maintenant ?

Le choix de la DGA a abouti sur une commande à 350 millions d’euros, notifiée le 22 septembre 2017. La livraison des 117 000 armes a commencé dès cette année-là et devrait durer jusqu’en 2028. À ce jour, aucun retard n’a été communiqué. C’est le 2e Régiment du matériel de Poitiers qui a réceptionné le premier lot de 400 fusils d’assaut le 3 mai 2017. Ceux-ci ont rapidement rejoint la 4e compagnie, la Section d’aide à l’engagement débarqué de la 13e Demi-Brigade de Légion étrangère et la 5e compagnie du 1er Régiment de Tirailleurs. 12 000 fusils d’assaut ont été livrés en 2022, faisant passer le cap des 50% de livraison soit 59 340 armes réceptionnées.