Les exportations françaises d’armement s’envolent
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En 2022, la France, propulsée par des contrats significatifs tels que la vente de Rafale aux Émirats arabes unis, s'est élevée au rang de deuxième exportateur mondial d'armes. Entre les alliances stratégiques, les innovations technologiques et les défis de contrôle des exportations, Paris tente de maintenir sa souveraineté et sa compétitivité sur l'échiquier mondial.
En 2022, le France a atteint un niveau record en matière d'exportations, avec un total de 27 milliards d'euros de prises de commandes, comparé à 11,7 milliards d'euros en 2021. Ce montant fait de Paris le second exportateur mondial d'armes, juste derrière les États-Unis et devant la Russie. Cette augmentation significative est principalement due à la vente de 80 avions Rafale aux Émirats arabes unis, ainsi que d'autres contrats de moindre envergure, avec la Grèce, l'Indonésie et la Pologne, couvrant divers équipements militaires tels que des frégates de défense et des satellites d'observation militaire.
Ces exportations ont non seulement des implications géopolitiques, mais elles jouent également un rôle crucial dans le soutien de l'industrie de défense française et européenne, assurant ainsi la pérennité et la résilience de la base industrielle et technologique de défense. Le secteur aéronautique et spatial est particulièrement bénéficiaire, représentant 65 % des prises de commande. Ces efforts ont également un impact significatif sur l'économie française, le secteur de l'armement soutenant environ 200 000 emplois à travers le pays.
Une clientèle qui évolue
La France a établi une clientèle diversifiée, s'étendant de l'Europe au Moyen-Orient et à l'Asie. Cette clientèle n'est bien sûr pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d'une stratégie de défense et de la formation de partenariats stratégiques avec différents pays autour du globe.
Europe : Une Destination Secondaire en Déclin
L'Europe, bien qu'étant un partenaire traditionnel, a vu sa part dans les exportations d'armement diminuer, passant de 42% en 2019 à 25% en 2021, puis à 23% en 2022. Cette baisse peut être attribuée à la préférence de certains États européens pour des équipements extérieurs et à une concurrence intra-européenne accrue, notamment de l'Allemagne. Cependant, des relations de défense solides persistent avec certains pays comme la Grèce et la Pologne, qui ont récemment acquis des équipements militaires français, tels que des avions de combat Rafale et des satellites d'observation de la Terre. Cette baisse en Europe s’inscrit dans une tendance plus globale de recul de l’implantation de l’industrie de défense française sur ce marché ces dernières années. À l’inverse, la zone Proche et Moyen-Orient représentait en 2022 environ 64 % des prises de commandes, avec en tête des pays importateurs d’armement français les EAU et l’Arabie saoudite.
Le Proche et Moyen-Orient : Une Priorité Stratégique
La France et les Émirats arabes unis ont établi une relation stratégique robuste, ancrée dans un accord de défense depuis 1995, renforcé en 2009. Cette relation est consolidée par des considérations stratégiques communes, telles que la lutte contre le terrorisme, la stabilité régionale, et la préservation de la liberté de navigation. Les Forces françaises aux EAU (FFEAU) jouent un rôle crucial pour assurer la capacité d'action de la France dans le Golfe et au Moyen-Orient. Les EAU ont démontré leur soutien en accueillant l'état-major tactique de l'initiative européenne de surveillance maritime dans la base navale d'Abou Dabi et en appuyant l'opération d'évacuation APAGAN.
En réponse aux attaques contre le territoire émirien en janvier et février 2022, la France a apporté un soutien militaire aux EAU, déployant des missions de protection du territoire par des Rafale et un dispositif Crotale. Ce soutien a renforcé l'interopérabilité entre les deux pays et a permis le développement d'une synergie face à la menace aérienne. Le contrat Rafale, d'un montant de près de 14 Md€, marque une nouvelle étape dans la relation armement, assurant une coopération militaire accrue et l'acquisition de systèmes d'armement modernes.
Croissance en Asie
L’Asie s’est distinguée en 2022 par le volume de prise de commande, reflétant une croissance de la demande pour les équipements militaires français dans la région.
L'Indonésie, après plusieurs mois de négociations, a officialisé le choix du Rafale pour la modernisation de sa flotte d'avions de combat. Le ministre de la défense indonésien, M. Prabowo Subianto, a annoncé l'intention d'acquérir 42 avions de combat dans les années à venir, avec un premier contrat pour l'acquisition de 6 avions entré en vigueur le 9 septembre 2022.
Cette décision est le fruit de travaux initiés dès 2020, impliquant Dassault Aviation, la Direction générale de l'armement, la Direction générale du Trésor et la BITD française. L'Indonésie est ainsi devenue le second pays à retenir le Rafale pour moderniser une flotte n'incluant historiquement aucun avion de combat français.
Un marché disputé
Dans un environnement de concurrence internationale intensifiée et de transformation du paysage concurrentiel, le rapport de 2023 sur les exportations révèle une reconnaissance de la vulnérabilité du modèle français (basé sur de forts partenariats) et de la nécessité de le modifier pour maintenir la position de la France dans le commerce mondial des armes. En effet, bien que les cinq principaux exportateurs d'armes mondiaux (États-Unis, France, Russie, Chine, Allemagne) constituent plus de 75% du marché mondial des armes, l'apparition de nouveaux concurrents tels que la Corée du Sud, la Turquie ou Israël, qui adoptent une politique d'exportation agressive et réalisent d'importants transferts de technologie, fait craindre un risque de convergence qui incite la France à vouloir fortifier et ajuster son modèle de soutien gouvernemental aux exportations.
Un enjeu de souveraineté
Les exportations d’armement sont perçues comme un outil de souveraineté nationale, visant à préserver les capacités industrielles et le savoir-faire de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Renforcer la BITD
Outre les alliances stratégiques, ces contrats sont destinés à maintenir les capacités industrielles et le savoir-faire de la BITD. Elles compensent une commande publique nationale souvent largement insuffisante pour assurer la continuité des chaînes de production. Le maintien de compétences nationales dans des domaines technologiques et industriels clés est impératif pour la France, afin de préserver son autonomie stratégique et de limiter sa dépendance extérieure.
Dans ce contexte, les exportations, en augmentant les volumes de production, permettent non seulement de réduire le coût unitaire des équipements, rendant ces derniers plus attractifs à l’export, mais aussi moins coûteux pour l’acheteur public français. Par exemple, la chaîne de production du Rafale ne peut être viable qu’avec un minimum d’avions produits par an, et les exportations sont nécessaires pour maintenir cette cadence.
Innovation et compétitivité
La concurrence internationale stimule l’innovation et la compétitivité des industriels français. L’exportation contribue à la compétitivité des chaînes de production et à l’évolution et la modernisation constante de l’activité industrielle de défense. La nécessité de rester compétitif sur le marché mondial pousse les industriels à innover et à maintenir des coûts attractifs, tout en répondant aux exigences et aux attentes spécifiques des clients internationaux.
L’analyse du potentiel à l’exportation et la mise en œuvre des mesures conservatoires sont intégrées dès la phase de préparation des programmes d’armement. Cette approche collaborative entre l’industriel et l’État français permet de développer des produits concurrentiels et de partager les coûts de développement, réduisant ainsi la charge financière pour l’État. Cette synergie a été mise en œuvre dans le programme Rafale et sur des programmes de missiles comme le MMP ou le MICA NG.
Des défis majeurs
La France n’est pas exempte de défis en matière d’exportation, notamment celui de l'harmonisation du contrôle au sein de l'Union Européenne. Bien qu'une position commune de l'UE existe, établissant des règles pour le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires, son application et son interprétation divergent considérablement entre les États membres. Cette situation a conduit à des appels à la réflexion sur une harmonisation possible du contrôle des exportations, avec des propositions allant jusqu'à la transformation de la position commune en un texte juridiquement contraignant.
C’est le cas de l'Allemagne par exemple qui s’apprête à adopter de nouvelles lois en la matière. Les Verts du Parlement européen vont encore plus loin en plaidant pour une communautarisation du contrôle, mais cette idée est loin de faire l'unanimité. Les exportations de matériel de guerre sont généralement considérées comme une compétence exclusive des États membres, intimement liée à leur politique étrangère. La France, pour des raisons de souveraineté, n’est pas favorable à l’idée de transférer cette compétence à Bruxelles, bien qu'elle ne s'oppose pas à une réflexion sur l’harmonisation des pratiques au sein de l’UE. La future révision de la Position commune, prévue pour 2024, est l'occasion de réexaminer ces questions, avec la mise en place d'un groupe de travail dédié à l’harmonisation du contrôle des exportations, coprésidé par l’Allemagne et la Suède.
À l’heure où les programmes d’armement en coopération se multiplient et où les outils de financements européens en faveur de l’industrie de défense abondent, la question du contrôle des exportations des équipements développés en coopération devient cruciale. Le blocage récent de l’exportation d’Eurofighter à l’Arabie saoudite par l’Allemagne, au détriment du Royaume-Uni, illustre cette problématique. La France a établi des accords relatifs au contrôle des exportations avec certains pays comme l’Allemagne et l’Espagne, mais des divergences subsistent avec d'autres partenaires. Le rapport au Parlement 2023 sur les exportations d’armement souligne la nécessité pour la France de définir, avec ses partenaires, les modalités d’exportation des matériels issus des programmes en coopération, tout en respectant la souveraineté de chaque État.