L’espace : futur champ de bataille ?
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Il est 8h, le lundi 15 novembre 2021, quand les sept astronautes présents dans la station spatiale internationale se réfugient dans leur navette. « Nous venons d'être informés de l'explosion d'un satellite. Il faut que vous vous mettiez à l'abri », leur annonce-t-on calmement depuis la terre, afin de pouvoir réagir vite si la situation dégénère. La Russie vient d'effectuer un test pour le moins dangereux en tirant un missile sur l'un de ses vieux satellites inutilisés, à seulement une quarantaine de kilomètres de l’ISS. Selon Washington, l'explosion provoqua un nuage de « plus de 1 500 débris orbitaux traçables » sans compter les « centaines de milliers de morceaux plus petits ». Qualifié de « dangereux et d’irresponsable » par le département d’État américain, cet « essai destructeur d'un missile antisatellite à ascension directe » est loin d’être une première. Aujourd’hui, les satellites sont indispensables à la vie moderne et sont devenus une condition sine qua non à la réussite d’une opération militaire terrestre. Pour autant, ils sont depuis quelques années en proie à un changement de paradigme. Les menaces à leur encontre se multiplient et l’on voit apparaître des stratégies offensives opérées depuis et pour l’espace. Démonstratrice de ces nouveaux risques, l’affaire du satellite russe Loutch - Olymp-K fit office d’électrochoc auprès des autorités françaises. En 2019, deux ans après, le président de la République Emmanuel Macron annonçait la création du Commandement de l’espace. Celui-ci a pour mission de mettre en œuvre la nouvelle stratégie spatiale de défense française.
Un enjeu militaire qui n'a rien de nouveau
Terrain d’affrontement entre l’URSS et les États-Unis durant la guerre froide, l’espace revêt des enjeux militaires depuis le début de la conquête spatiale. Les deux puissances avaient alors compris le rôle crucial que pouvait jouer l’espace extra-atmosphérique dans la conduite d’opérations militaires. C’est pourquoi, après Spoutnik 1, les satellites militaires font partis des premiers objets complexes à être envoyés dans l’espace. Ce sont les États-Unis qui ouvrent le bal en 1959 avec le programme Corona, l’URSS ne tardera pas à faire de même. Ces premiers engins de reconnaissance servaient à « faire une cartographie fine des cibles adverses qu’il serait utile de détruire » explique Isabelle Sourbès-Verger, Directrice de recherche au CNRS. Parallèlement à la mise en service de satellites, se développe le moyen de les neutraliser. Le premier tir de missile antisatellite est l’œuvre des États-Unis et il a lieu la même année que la mise en orbite de Corona. S’ensuivront de nombreux tests dans un camp, comme dans l’autre, jusque dans les années 80’. Ces tests ont permis de mettre au jour leur extrême dangerosité. Les débris générés par l’explosion d’un satellite peuvent en détruire d’autres et ainsi créé une réaction en chaîne incontrôlable. « Ça ne peut pas être l'arme de demain pour neutraliser des capacités adverses », affirme le général Michel Friedling qui dirige le Commandement de l’espace. Cela n’a pas empêché la Chine, les États-Unis, l’Inde et la Russie de réitérer l’expérience. « L'espace a toujours été le miroir du contexte stratégique dans lequel il fonctionne », souligne Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique. En effet, à la fin des années 2000, le milieu spatial est de nouveau le théâtre des rivalités terrestres, sino-américaines cette fois. La Chine effectue à son tour un tir ASAT (antisatellite) en 2007. Isabelle Sourbès-Verger, spécialiste de l’espace extra-atmosphérique affirme que ce test chinois fut un coup de pouce politique pour George W. Bush, il permit de justifier les dépenses pharaoniques dans les capacités spatiales du pays. Les États-Unis, qui avaient pourtant officiellement abandonné ce projet, riposteront avec un dernier tir en 2008. Ces essais sont bien plus politiques que véritablement stratégique. L’Inde effectue le sien en 2019, lorsque Narendra Modi est sur le point de perdre les élections et a besoin d’un symbole de puissance. « C'est un moment de fierté pour l'Inde », avait déclaré le premier ministre indien, estimant ainsi que son pays venait de rejoindre les « superpuissances de l'espace ».
L’importance cruciale des satellites
Un peu plus de 60 ans après le début de la conquête spatiale, une dizaine de milliers de satellites appartenant à 80 nations gravitent autour de la terre. Environ la moitié sont en activité, 5 465 précisément, selon les chiffres de l'Union of Concerned Scientists. Ces outils sont peu à peu devenus indispensables au bon fonctionnement de l’économie. À commencer par les services de positionnement qui sont hautement stratégiques. États-Unis, Russie, Chine, Europe, chaque grande puissance dispose de son système souverain. Les données issues de ces constellations de satellites GNSS (système global de navigation par satellite) sont utilisées pour la géolocalisation sur terre, en mer et dans les airs. Elles véhiculent par ailleurs une information fiable et précise sur l’heure et permettent ainsi de synchroniser les réseaux de distribution d’énergie, de télécommunications ou les systèmes bancaires. « Les GNSS sont certainement les systèmes satellitaires les plus utilisés. Leur perte entraînerait de graves perturbations sur le fonctionnement de nos sociétés » insiste le gouvernement. Les satellites de télécommunications permettent quant à eux d’accéder aux réseaux de télévision, téléphonie ou internet partout sur terre. Enfin, les images en provenance de l’espace sont primordiales pour les prévisions météorologiques, la surveillance des risques climatiques ou environnementaux ainsi que pour les services de cartographie.
Sur le plan militaire également, les satellites sont devenus vitaux. « Anticiper et planifier les manœuvres, repérer l’ennemi, guider nos forces sur le terrain et communiquer, plus une seule de nos opérations ne peut se passer de nos capacités spatiales », écrit l’ancienne ministre de la défense, Florence Parly, dans l’avant-propos de la stratégie spatiale de la France. L’observation depuis l’espace (satellites Helios 2A et 2B, Pléiades et CSO) et l’écoute électromagnétique (satellites CERES) fournissent des informations sur les activités ennemies et la géographie militaire. Les télécommunications (satellites Syracuse) ne permettent pas uniquement aux hommes de communiqués. Elles répondent aussi aux besoins de connectivité des systèmes d’armes modernes. Sans oublier les services de géolocalisations qui guident les missiles et les obus, en plus d’être à la base de l’infovalorisation du champ de bataille : le maître mot du programme Scorpion. Les diverses capacités spatiales sont donc principalement tournées vers la terre mais ce constat est en train de changer.
Une course à l'armement à la hauteur des enjeux
« On a constaté ces dernières années le développement de stratégies offensives, ou tout au moins, tendant à dénier à d’autres États l’utilisation de l’espace », alerte Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Celles-ci mènent à la multiplication de moyens d'un genre nouveau allant du satellite espion permettant de capter ou de brouiller les communications d’autres satellites, aux armes capables de mettre hors service un appareil ennemi, tels que l’aveuglement laser ou la cyber attaque. La Chine a récemment fait montre d’une capacité que peu de pays possèdent. À 25 000 km/h, un satellite présenté comme un appareil civil est sorti de son orbite pour rejoindre celle d'un autre et se placer juste à côté, pouvant ainsi le ravitailler en carburant ou effectuer des opérations de maintenance, rien de très inquiétant à première vue. Cependant, cette même technologie peut être utilisée pour détruire un satellite sans générer de débris, dégrader son orbite ou tout simplement pour aveugler ses moyens d’observation. AGI, l’entreprise américaine qui a découvert cette activité suspecte, appelle cela un « Rendez-vous - Opération - Proximité », (ROP). Cette preuve du savoir-faire chinois en matière de ROP a fortement inquiété Washignton qui dispose pourtant d’un budget 4 fois supérieur et de satellites capables de telles prouesses. En effet, la domination américaine est incontestable, deux tiers des satellites en fonctionnement leur appartiennent, contre 10% pour la Chine (et moins de 5% pour la Russie). Il s’agit donc d’un facteur de puissance capital pour les États-Unis qui ne peuvent tolérer la moindre menace à ce sujet et dépensent sans compter pour protéger leurs biens. Le drone spatial militaire américain X-37B par exemple, a un coût estimé à un milliard de dollars.
Selon la version officielle, ce drone, en service depuis plus de 10 ans, serait utilisé pour « tester et valider » de nouvelles technologies en lien avec des missions très secrètes sur lesquels le gouvernement américain ne donne que très peu de détails. Les anciens députés Oliver Becht (aujourd’hui ministre délégué auprès du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères) et Stéphane Trompille, considèrent dans un rapport sur le secteur spatial de défense que le X-37B est utilisé comme « arme anti-satellite, engin de renseignement spatial ou plateforme d’emport et de lancement de charges militaires ».
Si de telles activités peuvent se développer librement c’est essentiellement parce que le droit international relatif aux activités spatiales est très permissif. Le Traité de l’Espace de 1967, établit le principe de liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace, déclarées « apanage de l’humanité toute entière ». À la différence de l’espace aérien, le milieu spatial n’appartient donc à aucune nation, laissant aux États toute autonomie pour y conduire les activités spatiales de leur choix. Aucune application civile ou militaire n’y est interdite à l’exception des armes de destructions massives ainsi que la militarisation de la Lune et des autres corps célestes. Plus tard, en 2008, la Chine et la Russie ont proposé devant l’Organisation des nations unies, une résolution pour interdire les armes dans l'espace. Le projet a été rejeté par les États-Unis et ses alliés qui considéraient que la définition de ce qui est une arme ou ne l'est pas est extrêmement complexe. Ils voyaient surtout en ce projet, une tentative pour entraver l’avance prise par les Américains.
Le cas de la guerre en Ukraine
La guerre du Golfe était qualifiée de « première guerre spatiale » à cause des moyens satellitaires utilisés par les États-Unis pour soutenir leurs opérations terrestres. Trente ans plus tard, le think tank Atlantic Council, considère que la guerre menée par la Russie en Ukraine est « peut-être la première guerre spatiale bilatérale ». David T. Burbach, auteur pour le très suivi think tank américain et professeur de sécurité spatiale, retient trois leçons principales à destination des dirigeants politiques et militaires.
« Les opérations spatiales offensives sont plus susceptibles d'être cybernétiques ou électroniques que cinétiques » affirme-t-il. Le 24 février, dès les premières heures du conflit, la première action menée par la Russie fut une cyberattaque contre les modems satellitaires de l’entreprise américaine ViaSat. Ceux-ci étaient alors massivement utilisés par l’armée ukrainienne mais également par des milliers d’utilisateurs à travers l’Europe. Cette « attaque a causé des perturbations importantes dans les communications qui ont affecté les services publics, les entreprises et les citoyens utilisateurs en Ukraine, mais aussi plusieurs États membres de l'UE », affirma l’Union européenne dans un communiqué publié quelques jours après. Le succès de ce piratage informatique a également montré que le point faible des satellites peut également se trouver sur terre, dans les terminaux qui permettent de dialoguer avec le ciel.
Outre les installations terrestres, la protection des acteurs privés au sens large, est devenue un impératif de résilience. Et pour cause, les entreprises privées sont en train de jouer un rôle de premier plan dans la guerre en Ukraine, en fournissant par exemple des images de qualité. Mykhailo Fedorov, le ministre ukrainien de la transformation numérique a appelé les entreprises à partager leurs données sans attendre. Selon l’homme politique, le conflit ukrainien est la « première guerre où les capacités spatiales commerciales jouent un rôle si important », notamment en fournissant des informations sur les positions des troupes et les flux des réfugiés.
Pour remplacer ses modems ViaSat, les forces armées ukrainiennes se sont tournées vers les terminaux du réseau StarLink, exposant l’entreprise d’Elon Musk aux attaques russes. « Jusqu’à présent, Starlink a résisté aux tentatives de brouillage et de piratage de la cyberguerre russe, mais ils intensifient leurs efforts », a déclaré le milliardaire américain, via son compte twitter.
Grâce aux alliances stratégiques et aux "produits spatiaux" issus du secteur privé, les belligérants peuvent conduire des opérations spatiales sans posséder le moindre satellite. L'Ukraine ne dispose d’aucune capacité spatiale nationale. Néanmoins, les outils spatiaux ont joué un rôle important dans l'effort de guerre ukrainien. L’armée ukrainienne utilise les réseaux de télécommunications européen et américain, non seulement pour ses soldats, mais aussi pour ses systèmes d’armes. GIS Arta, également appelé “le Uber de l’artillerie”, est une application Android utilisant les communications par satellites pour recueillir des informations à partir de drones, de flux de renseignements américains et de l'OTAN et d'observateurs avancés conventionnels, pour les redistribuer sous forme d’ordres de tirs aux unités sur le terrain.
Par ailleurs, les images produites par les satellites commerciaux, n’ont parfois rien à envier à la qualité militaire. Elles sont capables de montrer des véhicules militaires individuels, et les constellations de plusieurs satellites peuvent photographier n'importe quelle cible toutes les quelques heures. Cette capacité fournit suffisamment d'informations pour permettre aux combattants d'attaquer des objectifs fixes ou de repérer des drones évoluant au-dessus de cibles mobiles. La guerre en Ukraine démontre que ce qui compte vraiment, ce n’est pas de posséder des satellites mais de garantir son accès à ce qu’ils produisent.
La stratégie spatiale de défense française
En 2017, la France découvre qu’elle a été victime d’une manœuvre ROP. Athena-Fidus, un satellite de télécommunication utilisés les services de Sécurité civile et les forces armées françaises et italiennes, a été approché par un satellite militaire russe nommé Loutch - Olymp-K. L’appareil, qui va de satellite en satellite sûrement à des fins de renseignement, est maintenant surveillé de près assure le commandement de l’espace.
La naissance du commandement de l’espace
Cet évènement est le premier à être révélé publiquement et fait suite à une série d’incidents qui pourraient être qualifiés d’actes d’espionnage. Le général Jean-Daniel Testé, qui dirige alors le Commandement interarmées de l’Espace, avait révélé lors d’une audition à l’Assemblée nationale qu’un satellite de télécommunication Syracuse avait été approché par un « autre objet, de plus petite taille ». Deux ans plus tard, son successeur, le général Jean-Pascal Breton laissait entendre que ce type de rencontre provoquée entre deux satellites est récurrente : « plusieurs de nos satellites ont ainsi été approchés par des objets de type satellites inspecteurs », affirma-t-il, également lors d’une audition parlementaire. Ces évènements n’ont rien d’anodin et sont révélateurs de l’agressivité accrue des usages de l’espace. En réponse à cela et près de 10 ans après la création du commandement interarmées de l’espace, la France amorce en 2019 une montée en puissance dans la défense spatiale. Une dizaine de jours après une brève annonce par Emmanuel Macron, à la veille de la fête nationale, c’est Florence Parly qui officialise la création, à Toulouse, du nouveau Commandement de l’espace. « Disposer d'une défense spatiale renforcée est absolument essentiel : c'est notre liberté d'appréciation, d'accès et d'action dans l'espace qui est en jeu », avait alors expliqué l’ancienne ministre des armées, annonçant une extension de 700 millions d'euros du budget spatial militaire, portant le total prévu par la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 à 4,3 milliards d'euros.
Cette nouvelle institution rassemble les fonctions du commandement interarmées de l'espace (CIE), du Centre militaire d'observation par satellites (CMOS) et du Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (Cosmos). Il est chargé de la mise en œuvre de la stratégie spatiale de défense et coordonne les moyens spatiaux de la France. Le bâtiment définitif prévu en 2025 « comprendra 400 postes de travail, une salle d'opération organisée autour des compétences spatiales de surveillance, d'écoute et de repérage, un laboratoire d'innovation, un centre de formation et une salle technique », précise le ministère des Armées.
Une ligne directrice défensive mais pas naïve
Établie sur deux axes majeurs, la stratégie française se veut défensive mais s’inscrit pleinement dans la militarisation en cours dans le milieu extra-atmosphérique. Porte-avions nouvelle génération (PANG), Rafale F4, drones, projet SCAF, programme SCORPION… Les enjeux satellitaires à venir sont nombreux et imposent une protection renforcée des moyens spatiaux du pays. Par ailleurs, « face à un acte inamical dans l’espace […], la France se réserve le droit de prendre des contre-mesures ». Le pays ne souhaite donc pas uniquement se protéger mais également répliquer « dans l’unique objectif de mettre un terme à l’attaque ». À noter que cette doctrine porte sur les satellites militaires mais également sur ceux qui sont opérés par des entreprises françaises.
L’observation du ciel
La connaissance de la situation spatiale répond à trois besoins fondamentaux décrits par le ministère des armées :
- L’évaluation des menaces que des systèmes spatiaux adverses peuvent faire peser sur nos satellites, sur notre territoire ou sur nos forces déployées.
- La prévention des risques de collision dans l’espace entre satellites actifs et autres objets.
- La coordination avec les autres acteurs de l’espace, notamment en matière de brouillage involontaire.
Pour répondre à ces besoins la France s’appuie sur les radars du programme GRAVES (Grand réseau adapté à la veille spatiale).
Implantés sur deux sites, ces radars observent les positions des satellites en orbite basse, entre 400 et 1000 kilomètres d’altitudes. Ce système, entré en service opérationnel en 2005, a bénéficié d’une modernisation finalisée cette année. Son remplacement complet est prévu pour 2030. Le radar GRAVES est couplé à l’utilisation de trois radars de trajectographie nommés SATAM. Le premier système assure une observation large et continue du ciel. Le deuxième (conçu pour le suivi des munitions) offre plus de précision. Ces deux outils sont couplés à l'utilisation du système Geotracker d'Ariane Group, qui a détecté l'affaire du satellite russe Loutch - Olymp-K. Le perfectionnement de ces systèmes sera d’une importance capitale à l’avenir, insiste le géopolitologue et expert des questions spatiales Jean-Pierre Maulny, car « les puissances qui déclencheront des actes hostiles chercheront à les réaliser de la manière la plus furtive possible ».
L’appui aux opérations terrestres
L’appui aux opérations terrestres rassemble toutes les fonctions utiles au bon déroulement des manœuvres militaires. En ce qui concerne les communications, la France est en plein renouvellement de sa flotte de satellites. Le programme Syracuse IV vise à remplacer les satellites Syracuse III en service depuis 2007. Le premier appareil de nouvelle génération a été lancé le 24 octobre 2021 et qualifié par la DGA le 16 septembre dernier. Syracuse 4B devrait quant à lui être lancé en 2023. L’année prochaine devrait également voir la commande du troisième et dernier satellite Syracuse IV, si l’on en croit le Projet de Loi de finance adopté par le gouvernement. Ce programme comprend également le déploiement de 400 stations sol utilisés pour établir la liaison avec les satellites.
En matière d’observation du sol, la France utilise 3 constellations : Pléiades, Helios et la plus moderne d’entre-elles, CSO. Son premier satellite a été lancé en fin d’année 2018, le deuxième a rejoint son orbite 2 ans plus tard. CSO-3 aurait dû être mis en orbite en cette fin d’année mais l’agression russe de l’Ukraine a bouleversé les plans français. Le satellite devait être lancé depuis Kourou par un lanceur Soyouz. Moscou ayant annoncé sa décision de ne plus faire de lancement depuis le centre spatial guyanais, c'est Ariane 6, dont le premier vol a lui aussi été repoussé à fin 2023, qui devrait emporter CSO-3. Bien que pas encore achevé, le successeur de la constellation CSO est d’ores et déjà connu, il s’agit du projet IRIS prévu aux alentours de 2030. L'intelligence artificielle peut être d'une aide précieuse pour analyser les milliers d'images produites par les satellites d'observation. En octobre dernier, la Direction générale de l'armement (DGA) a notifié une commande de 240 millions d'euros à la start-up Preligens, spécialisée dans le renseignement. Il s'agit du marché TORNADE (Traitement Optique et Radar par Neurones Artificiels via Détecteurs) dont le but est de développer des logiciels capables de traiter et exploiter de grandes masses de données. Grâce à des technologies de vision par ordinateur et de "deep learning", ces outils peuvent, par exemple, générer des cartes à partir d'images satellites puis détecter, identifier et comptabiliser les objets présents sur ces images.
« Le modèle général qui se dessine laisse entrevoir la coexistence à venir entre méthodes et technologies issues du New Space et celles qui ont porté le spatial jusqu’à présent. Il s’agit donc de capitaliser sur le meilleur de chaque approche, tout en préservant les exigences spécifiques du domaine militaire » explique le ministère des armées. C’est dans le domaine du renseignement que la France compte faire tout particulièrement usage de ces nouvelles technologies de micro et nano satellite permettant de réduire le prix d'accès à l'espace. Mardi 16 novembre 2021, la fusée Véga a mis en orbite le système militaire de satellite CERES. Ces trois microsatellites d'écoute électromagnétique gravitent en formation, à la même altitude sur deux orbites basses voisines. Leur mission est de produire du renseignement en repérant, quantifiant, et cartographiant les émissions radios, radar et électroniques d’éventuelles armées adverses. Seuls les États-Unis, la Russie et la Chine disposent de satellites similaires. Tout comme CSO, leur successeur est déjà connu sous le nom du programme Céleste.
Ce type de petits satellites est également utilisé pour surveillant l’environnement de plus gros appareils. Le Commandement de l’espace devrait renforcer ce type d’usage, dans un souci de résilience voulue par le gouvernement. Aujourd’hui, il ne s'agit plus d'utiliser l'espace seulement au service de ce qui se passe au sol mais aussi pour l'espace en tant que tel : c’est la mission du programme Ares (Action et Résilience Spatiale) qui est censé couvrir l’ensemble des capacités de surveillance, de détection et d’action dans l’espace.
Concernant l'armement spatial, le gouvernement ne distille que très peu d'informations. Quoi qu'il en soit, le 29 novembre 2022, le ministère des armées a affirmé officiellement son engagement à ne jamais effectuer de tir de missile antisatellite qu'il juge « déstabilisateur et irresponsable ». Cette annonce fait suite à l'adoption d'une résolution (co-parrainée par la France) de la Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies appelant tous les États à s’engager à ne pas conduire ce genre de tir. La France privilégie donc à coup sûr les moyens non cinétiques (brouillage, micro-ondes, cyber attaque...) telles que les armes à énergie dirigée. Depuis 2016, l'Onera (Office national d'études et de recherches aérospatiales) mène, pour le compte de la DGA, des recherches sur l'utilisation de laser. En 2019, les scientifiques du laboratoire français ont utilisé un laser ionique pour éblouir temporairement les capteurs d'un vieux satellite Spot. L’Onera affirme pouvoir développer un laser capable de mettre un satellite hors d'usage, de façon durable, sans pour autant créer de débris.
La collaboration internationale
Dans le document établissant la stratégie spatiale de défense, le gouvernement affirme vouloir développer de solides partenariats.
En Europe d'abord, le pays souhaite établir une « vision commune », des menaces comme des actions pour y faire face, afin de bâtir une « industrie spatiale européenne fondée sur des dépendances mutuellement consenties ». C'est vers l'Allemagne que la France se tourne en priorité, l'exécutif jugeant que c'est avec ce pays que l'hexagone partage le plus de points communs à propos de la défense spatiale. Pour le moment, la collaboration franco-allemande se limite à de l'échange de données d'observation du sol (satellite SAR-Lupe et SARah côté allemand) et du ciel (radar allemand Gestra). L'Italie est également un partenaire important, en témoigne le partage du satellite de télécommunication Athena-Fidus ainsi que le programme de satellites Sicral 2. Par ailleurs, la France appartient à l'alliance atlantique et bénéficie donc d'une partie du programme spatiale américain. Plus récemment, en mars 2017, deux accords sur la surveillance de l’espace ont été signés afin d’accroître la coopération dans le domaine spatial avec le Japon.
Les failles dans la défense spatiale française
Deux écueils majeurs dans la défense spatiale française méritent d'être soulignés : son volet industriel et sa collaboration avec les membres de l'Union Européenne.
En 2020, en France, les 1 704 sociétés appartenant à la filière emploient 33 200 salariés pour leurs activités spatiales. Le chiffre d'affaires résultant de cette activité atteint 10,8 milliards d'euros, provenant en majorité du secteur civil. Le marché européen est dominé par deux grands maîtres d’œuvre que sont Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space. Malgré plusieurs atouts indéniables, les deux leaders ont pris du retard face à l'évolution des besoins du secteur public et à la réduction du coût d'accès à l'espace qu'offre le New Space. L'exécutif lui-même considère en effet qu'il est urgent de proposer une réelle offre de services, tant dans le domaine des télécommunications que dans le domaine de l’observation spatiale, permettant de mutualiser des moyens et d’augmenter en conséquence la résilience globale du système de défense. En outre, l’industrie spatiale satellitaire européenne compte de nombreuses redondances de compétences industrielles. Une rationalisation et/ou un rapprochement réfléchi à l’échelle du continent donnerait à cette industrie des avantages décisifs sur le marché mondial aussi bien sur les satellites que sur les prestations de services associés.
Par ailleurs, il semblerait que la composante spatiale de la défense européenne prenne le même chemin que son volet terrestre. « Il existe depuis 2016 une stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne, et la question spatiale doit être l’occasion de développer une réponse commune militaire », plaide Jean-Pierre Maulny lors d'une interview parue sur le site de l'IRIS en 2019. Les appels de la France sont louables mais ils se limitent à cela et ne prennent pas la forme de propositions concrètes. C'est pourtant la langue commune du numérique qui règne dans l'espace. Il n'y a pas de soldat, très peu d'équipements, donc aucun des obstacles qui entrave la coopération européenne terrestre. Selon le directeur adjoint de l'IRIS, la « timidité française » s'explique par le manque de temps dont elle dispose. « La France a tardé à prendre conscience de la menace et du défi industriel » que représente le milieu spatial. La position affichée dans la Stratégie spatiale de défense, « illustre la crainte que le temps qui serait nécessaire pour convaincre les partenaires européens de la nécessité d’agir et de s’entendre sur la réponse serait trop long par rapport aux défis auxquels le pays fait face » estime-t-il.
À sa manière, l'espace n'est pas le champ de bataille du futur, il l'est depuis bien longtemps. Cependant, il est vrai que la France est ses alliés doivent faire face à une récente militarisation incontestable du milieu spatial ainsi qu'au caractère offensif que prennent les nombreux actes inamicaux et d'espionnages entre satellites. C'est dans la réponse à cette dégradation du contexte stratégique propre à l'espace que se jouent les forces et les faiblesses de demain.