Tout savoir sur le coup d'État au Niger

Tout savoir sur le coup d'État au Niger

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Le Niger, en plein cœur du Sahel, est confronté à une crise politique majeure après le coup d'État du général Abdourahamane Tiani. Cette manœuvre audacieuse intervient dans un contexte de tensions exacerbées par des années de lutte contre le terrorisme islamiste, la pauvreté endémique et les effets dévastateurs du changement climatique. Les enjeux de cette crise politique sont multiples : l'approvisionnement en uranium crucial pour la France, la présence militaire française dans la région, l'influence croissante de la Russie et les conséquences géopolitiques qui pourraient redéfinir l'avenir politique de l'Afrique de l'Ouest.

Au cœur du Sahel, le Niger est en proie à une crise politique majeure. La récente prise de pouvoir par le général Abdourahamane Tiani a bouleversé l'ordre établi, plongeant le pays dans l’incertitude. Cette manœuvre audacieuse n'était pas sans fondement. En effet, des tensions latentes, exacerbées par des années de lutte contre le terrorisme islamiste, la pauvreté endémique et les effets dévastateurs du changement climatique, ont créé un terreau fertile pour le mécontentement. En 2021, l’élection de Mohamed Bazoum ne s’était pas faite sans encombre. Les taux de participation suspects dans les zones rurales acquises au parti du président élu (plus de 95 % dans certaines communes, voire 103 % pour l’une d’elles) ont attiré l’attention de l’opposition, appelant “tous les Nigériens” à se mobiliser ”pour faire échec à ce hold-up électoral”.

La France, partenaire historique du Niger, n'a pas été prise au dépourvu. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a révélé que Paris était au courant de la fragilité de la situation, ce qui a permis une évacuation rapide de plus de mille ressortissants français et européens. Cette anticipation montre à quel point la situation était préoccupante, bien avant l'événement fatidique.

Mais le Niger n'est pas un cas isolé dans la région. Le Mali et le Burkina Faso ont également été témoins de coups d'État similaires, soulignant une tendance inquiétante dans le Sahel. Ces bouleversements ne sont pas sans conséquences. La position géostratégique du Niger, couplée à ses ressources en uranium, le place au centre d'un échiquier complexe dont les enjeux dépassent largement les frontières du pays. Les implications pour les pays voisins, déjà confrontés à la menace du djihadisme, sont considérables. De plus, les grandes puissances, notamment les États-Unis et la Russie, observent attentivement, conscientes de l'importance du Niger dans le paysage géopolitique africain.

Les intérêts français

Orano et l’uranium nigérien

Depuis plus d'un demi-siècle, l'uranium est au cœur des relations franco nigériennes. Cette relation s'est cristallisée autour du groupe français Orano, anciennement connu sous le nom d'Areva, qui exploite l'uranium du pays depuis des décennies. Le récent coup d'État a suscité des inquiétudes quant à la continuité de cet approvisionnement essentiel pour les 56 réacteurs nucléaires français. Cependant, la dépendance de la France à l'égard de l'uranium nigérien est souvent exagérée. En réalité, seulement 20% de l'uranium importé par la France provient du Niger, le reste étant diversifié entre d'autres pays comme le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.

Orano, détenue à 90% par l'État français, a joué un rôle prépondérant dans l'exploitation de l'uranium nigérien. Actuellement, le groupe n’exploite plus que la mine Somaïr, la Cominak ayant fermé ses portes en 2021. Orano envisage également d'exploiter le site d'Imouraren, considéré comme l'un des plus grands gisements d'uranium au monde. Malgré les turbulences politiques, l’entreprise a confirmé la poursuite de ses activités d'extraction au Niger.

La situation actuelle met en lumière les défis géopolitiques et éthiques associés à la dépendance énergétique. La nécessité d'assurer un approvisionnement stable en uranium conduit la France à établir des partenariats avec des pays qui peuvent être confrontés à des instabilités ou qui peuvent avoir des antécédents discutables en matière de droits de l'homme. Toutefois, grâce à la diversification des sources d'approvisionnement et à des stocks conséquents, la France semble bien préparée pour faire face à toute perturbation à court terme de l'approvisionnement en uranium.

La relation entre la France et le Niger en matière d'uranium, bien que complexe, demeure essentielle pour la stratégie énergétique française. Les événements récents ont souligné l'importance de cette relation et les défis qui l'accompagnent.

La présence militaire française

Au cœur du Sahel, le Niger est devenu un point névralgique pour la stratégie militaire française en Afrique. Ces dernières années, la France a cherché à adapter sa présence militaire dans la région, et le Niger a fait office de laboratoire pour cette nouvelle approche. La base aérienne française de Niamey est un hub stratégique majeur. Des forces spéciales, des drones Reaper et d'autres équipements de haute technologie y sont déployés pour lutter contre les groupes armés djihadistes, notamment en collectant de l’information au profit de la DGSE. Si la France perd cette base, il ne restera que la Côte-d’Ivoire et le Tchad, deux pays bien plus éloignant de la zone cruciale des trois frontières.

Défense Zone a pu rencontrer, à Niamey, l’un des pilotes de ces drones Reaper engager dans la lutte contre le terrorisme.

Cette nouvelle stratégie, axée sur la mobilité et la réactivité, a été conçue pour répondre aux défis changeants du terrain. L’opération Barkhane, avait été remplacée part un partenariat avec les forces locales, visant à renforcer leurs capacités tout en assurant une présence française minimale mais efficace. Cependant, avec le renversement du président Mohamed Bazoum, la dynamique a changé. La junte militaire, cherchant à affirmer son autorité, a officiellement demandé le retrait des forces françaises du territoire nigérien. Cette demande, bien que prévisible, a mis en lumière les tensions sous-jacentes entre les aspirations nationales du Niger et les intérêts stratégiques de la France. Paris, en réponse, a insisté sur le fait que seules les "autorités légitimes" du Niger peuvent prendre une telle décision, soulignant ainsi son refus de reconnaître la junte militaire.

Au milieu de tout cela se trouve le mouvement M62, qui a gagné en notoriété en dénonçant les accords militaires entre la France et le Niger. Suite au coup d'État, le M62 a soutenu les militaires putschistes et a appelé à des manifestations devant l'ambassade de France à Niamey. Ce mouvement, qui se décrit comme "pacifique", milite pour "la dignité et la souveraineté du peuple nigérien".

L'échec apparent de la stratégie française au Sahel est devenu un sujet de débat parmi les experts. Les défis sécuritaires persistants, combinés à des tensions politiques et socio-économiques, ont mis en lumière les limites de l'approche militaire française. La question demeure : quel avenir pour la présence militaire française au Niger ? Si la France venait à reconnaître le CNSP (le “conseil national pour la sauvegarde de la patrie” qui a pris le pouvoir), elle devrait accepter toutes ses décisions, y compris le retrait des troupes françaises. Cependant, avec la complexité de la situation sur le terrain et les enjeux régionaux, la réponse à cette question reste incertaine.

Les djihadistes se frottent les mains

Le Sahel, cette vaste étendue qui s'étire de l'Atlantique à la mer Rouge, est depuis longtemps un terrain fertile pour les groupes extrémistes. Le Niger, en tant que pays clé de cette région, a joué un rôle crucial dans la lutte contre le terrorisme. Ce coup d'État pourrait bien profiter aux groupes djihadistes.

Le pays, tout comme ses voisins, est confronté à plusieurs menaces jihadistes. Au nord, près de la frontière avec le Mali, les combattants de l'État Islamique (EI) opèrent avec une audace croissante. À l'ouest, à la frontière avec le Burkina Faso, c'est Al Qaida, via le JNIM, qui pose une menace constante. Plus au sud, près de la frontière avec le Nigeria, la branche nigériane de l'EI et Boko Haram continuent de semer la terreur. Le pays est devenu un couloir de passage pour les renforts, les armes et les combattants entre différents pays, facilitant ainsi les mouvements des groupes terroristes.

Le coup d'État du 26 juillet 2023 a non seulement bouleversé la stabilité politique du Niger, mais a également créé un vide sécuritaire. Ce vide pourrait être exploité par les groupes jihadistes, qui verraient là une opportunité d'étendre leur influence et de renforcer leur présence. Les succès antérieurs du Niger dans la lutte contre ces groupes ont été rendus possibles grâce à une coopération étroite avec des partenaires internationaux, notamment la France et les États-Unis. Cette coopération semble révolue pour le moment.

Ce putsch n’a donc pas seulement des implications politiques et économiques, mais il a également des conséquences sécuritaires majeures. La montée en puissance des groupes jihadistes dans la région pourrait bien être l'une des conséquences les plus dangereuses de cette crise politique.

L’influence de la Russie

La Russie, en tant que puissance mondiale, a toujours cherché à étendre son influence dans différentes régions du monde. L'Afrique, et plus précisément le Sahel, n'est pas une exception. Cependant, malgré les rumeurs et les spéculations, le ministre Sébastien Lecornu a clairement indiqué que le groupe paramilitaire russe Wagner n'était pas impliqué dans cette affaire. Cette déclaration vise à dissiper les inquiétudes concernant une éventuelle ingérence russe dans les affaires intérieures du Niger.

Mais alors, pourquoi la Russie est-elle si séduisante pour les pays du Sahel ? La réponse réside dans la combinaison d'une assistance militaire, d'accords économiques avantageux et d'une absence de conditionnalités politiques souvent associées à l'aide occidentale. La Russie offre une alternative aux pays du Sahel qui cherchent à diversifier leurs partenariats tout en conservant une certaine autonomie politique. De plus, la Russie, avec ses vastes ressources et son expertise, peut offrir des solutions concrètes aux défis auxquels sont confrontés ces pays, qu'il s'agisse de sécurité, d'énergie ou de développement.

L'influence croissante de la Russie dans la région s'accompagne d'une montée des discours anti-français. Ces discours, qui ont longtemps été l'apanage des élites intellectuelles, ont désormais pénétré les couches populaires, en particulier urbaines. Les critiques à l'égard de la politique française en Afrique sont nombreuses, allant de la dénonciation du Franc CFA comme outil de contrôle à la présence militaire française perçue comme néocoloniale. Ces sentiments sont amplifiés par des acteurs tels que les néo-panafricanistes et sont même soutenus par des entités russes qui ont aidé à développer des écosystèmes de campagnes anti-françaises sur les réseaux sociaux. Cette dynamique complexe souligne la nécessité pour la France de reconsidérer et d'adapter sa stratégie dans la région face à une concurrence géopolitique croissante.

Une intervention militaire est-elle possible ?

La situation a suscité de vives réactions à l'échelle internationale. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a menacé de faire usage de la force pour rétablir Mohamed Bazoum. Cependant, plusieurs éléments rendent cette intervention militaire complexe et très risquée.

En effet, plusieurs experts estiment qu'une intervention militaire est peu probable. Kader Abderrahim, professeur de sciences politiques, souligne que peu d'armées membres de la CEDEAO seraient prêtes à intervenir pour Niamey. De plus, le Nigeria, possédant l'une des armées les plus puissantes du continent, se trouve dans une situation délicate en raison des liens ethniques entre ses soldats et le général putschiste Tiani.

Pour ce qui est de la France, Peer de Jong, vice-président de l'institut THEMIIS, estime qu’une intervention pourrait ne ferait qu’aggraver le sentiment anti-français, renforçant l'idée d'une France colonisatrice intervenant à répétition en Afrique. De plus, la présence potentielle de forces de Wagner et l'intérêt de la Russie pour la région rendent toute intervention française extrêmement délicate.

La complexité de la situation au Niger est telle que ni la France ni la CEDEAO ne semblent avoir les moyens de faire pression efficacement. L'Algérie, par exemple, a exprimé son opposition catégorique à toute intervention militaire au Niger. Kader Abderrahim souligne que l'Algérie voit le Sahel comme sa profondeur stratégique et est donc très préoccupée par la stabilité de la région. De plus, le Mali et le Burkina Faso, qui ont récemment suivi le même chemin que le Niger, ont d’ores et déjà promis leur soutien en cas d’attaque extérieur.

Quelles conséquences géopolitiques ?

Le coup d'État survenu au Niger a suscité des réactions tant sur le plan national qu'international, et il reflète les changements géopolitiques en cours en Afrique de l'Ouest. Le retrait de la France de la région et l'opportunisme de la Russie ont créé un contexte complexe, avec des conséquences qui pourraient façonner l'avenir politique de la sous-région.

Tout d'abord, la réaction de la CEDEAO, sous la direction du président nigérian Bola Tinubu, a été plus ferme que lors des précédents coups d'État au Mali et au Burkina Faso. Cette fermeté peut s'expliquer par plusieurs raisons. Tout d'abord, la région est déjà confrontée à des transitions non démocratiques dans quatre des cinq membres du G5 Sahel, ce qui rend la situation instable et potentiellement explosive. Les dirigeants régionaux cherchent à faire preuve de crédibilité face à ce défi croissant, et la CEDEAO voit dans cette occasion une opportunité de montrer sa détermination à défendre l'ordre constitutionnel.

Le Nigeria, en assumant la présidence de la CEDEAO, cherche également à renforcer sa position dans la région. En réagissant fermement au coup d'État, le pays montre qu'il est prêt à jouer un rôle plus actif dans les questions géopolitiques de l'Afrique de l'Ouest.

Les raisons qui ont conduit au coup d'État au Niger semblent être d'ordre mineur, impliquant une confrontation entre le président Bazoum et le chef militaire. Cependant, ce coup d'État n'est pas une première pour le pays qui a déjà connu des tentatives similaires par le passé. Cette instabilité politique récurrente est une source de préoccupation pour le Sahel.

La position de la France est également un élément clé dans cette situation. En retirant progressivement ses troupes du Mali et du Burkina Faso, la France voit son influence au Sahel s'effriter. Un retrait total du Niger aurait des conséquences désastreuses pour ses intérêts dans la région. Toutefois, les difficultés pour trouver des solutions durables aux défis sécuritaires et politiques qui secouent l'Afrique de l'Ouest étaient déjà présentes bien avant les putschs nigériens, maliens ou du Burkina Faso. Cela soulève des questions sur la pertinence et la viabilité de sa politique d'intervention dans la région.

Les coups d'État récents en Afrique de l'Ouest témoignent de changements géopolitiques majeurs. Ils reflètent notamment la volonté de nombreux Africains de rechercher des partenariats plus équilibrés avec les pays occidentaux plutôt que de les évincer totalement. Les populations africaines aspirent à une coopération renouvelée qui prenne davantage en compte leurs besoins et leurs perspectives.

Dans ce contexte, la Russie joue également un rôle croissant. En soutenant rapidement les pays dirigés par des juntes, elle cherche à renforcer son rôle de partenaire dans la région. Cependant, elle doit faire face à des défis, notamment les accusations portées contre ses troupes pour le massacre de Moura en mars 2022. Malgré ses tentatives d'expansion en Afrique, la Russie a également montré des signes de faiblesse, comme en témoigne le sommet Russie-Afrique qui a attiré moins de chefs d'État que lors de la première édition en 2019.

Ce coup d’État met en évidence les implications géopolitiques et les changements en cours en Afrique de l'Ouest. Les partenaires occidentaux de la région doivent repenser leur approche et renouveler leurs partenariats pour répondre aux aspirations des populations africaines. En même temps, la Russie doit faire face à des défis dans sa quête de s'affirmer comme un acteur majeur au Sahel. La stabilité politique et la sécurité restent des défis cruciaux pour le Niger et pour l'Afrique de l'Ouest dans son ensemble, et ils nécessiteront une coopération internationale éclairée et équilibrée pour être surmontés.