LPM 2019-2025 : l’assemblée nationale fait le bilan
de lecture - mots
Le 15 février dernier, les députés Thomas Gassilloud, Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, publiaient un rapport parlementaire faisant le bilan de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Ce document dresse le constat d’une période charnière pour la France. Une période devant « réparer » les capacités de défense tricolore. Les députés soulignent plusieurs succès tels que la modernisation de nombreux équipements ou le soin apporté à la sincérité des budgets. Ils relèvent également quelques axes d’améliorations. Le problème de fidélisation des armées semble être le plus important.
Des armées affaiblies face à des menaces croissantes
La réduction de l'effort de défense de la France a entraîné une diminution significative des capacités militaires tricolores. L’armée de l’air et de l’espace en est un exemple parlant : le nombre total d'aéronefs a diminué de 139% entre 1990 et 2025. Cette baisse des capacités de défense n’est pas propre à la France. Comme le rappel une étude de l'Institut français des relations internationales (IFRI), elle a été décidée par l’ensemble des pays européen pour adapter leurs modèles d'armées à un autre type de guerre. « Entre 1999 et 2014, les pays européens ont ainsi réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface. Inversement, les moyens de projection comme le ravitaillement en vol (+ 6 %) et de mobilité tactique comme les hélicoptères (+ 27 %) s’accroissaient, attestant de la transition d’un modèle de haute intensité vers un modèle expéditionnaire à l’empreinte légère ». Cette réduction des budgets a eu un impact sur les contrats opérationnels, tels qu'ils ont été établis dans les différents livres blancs sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN). Ils ont été revus à la baisse, en particulier dans le cadre d'un conflit de haute intensité. Cela a été particulièrement difficile à supporter pour les armées, qui ont été engagées dans des opérations extérieures en Afghanistan (2001-2012), en Libye (2011) ou au Mali (2013), ainsi que dans de nouvelles missions intérieures telles que Sentinelle (2015). Comme l'a souligné l'ancienne ministre des Armées, Florence Parly, cette situation était devenue intenable : « Depuis des années, notre défense, nos armées, les personnels militaires et civils qui s'engagent pour servir notre pays sont confrontés à des tendances contraires : d'un côté, des budgets toujours plus contraints, des réductions drastiques d'effectifs, des programmes soit retardés, soit même, pour certains, arrêtés ; de l'autre, un engagement croissant, en opérations extérieures comme sur le territoire national, qui a fortement sollicité notre outil de défense ».
Le contexte dans lequel s’est inscrite la LPM 2019-2025 est décrit dans la revue stratégique de défense et de sécurité nationale (RNS), publiée en octobre 2017. Celle-ci fait le constat de l’augmentation des menaces pensant sur la France. Malgré la baisse d’activité de Daech au Levant, le djihadisme reste la plus importante. Mais elle n’est pas la seule. La période est également marquée par le retour de la « compétition militaire ». Elle se matérialise par une militarisation croissante des compétiteurs stratégiques de la France et des puissances régionales, dans un contexte de « remise en cause de l’ordre multilatéral » et de « déconstruction de l’architecture de sécurité en Europe », indique la RNS. Le réarmement opéré depuis les années 2000 par des acteurs comme la Chine, la Russie ou encore la Turquie est en effet massif.
Cette dégradation du contexte stratégique se fait à travers un double processus, analyse la RNS. D’une part, l’extension de la conflictualité à de nouveaux domaines (espace numérique, espace exo-atmosphérique…) et, d’autre part, l’émergence d’une forme d’hybridité des conflits, marquée par des actions sous le seuil du conflit et difficilement attribuables. Malgré ce constat, l’accent mis sur le risque terroriste djihadiste ainsi que la situation sécuritaire au Sahel ne militaient pas pour une remise en cause du modèle expéditionnaire de nos forces armées, principalement vouées à intervenir dans le cadre de conflits asymétriques et d’opérations de gestions de crise. Une analyse confirmée récemment par le président de la République lors de ses vœux aux Armées du 20 janvier 2023 : « Cela signifie, en premier lieu, de consolider notre cœur de souveraineté, là où le modèle de la précédente loi de programmation militaire [la LPM 2019-2025] mettait plutôt l'accent sur la capacité expéditionnaire et la lutte contre le terrorisme ».
« Réparer » les armées
La LPM 2019-2025 s'articule autour de quatre axes prioritaires visant à améliorer les conditions de travail des soldats, à moderniser les capacités opérationnelles, à garantir l'autonomie stratégique et à encourager l'innovation en renforçant les moyens financiers et l'organisation dédiée. Ces quatre volés avaient pour but de poser les fondements de l'armée de demain, telle que promue par l'Ambition Opérationnelle 2030. Elle prévoyait un effort financier sans précédent, avec une augmentation du budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB d'ici 2025, soit 197,8 milliards d'euros de ressources budgétaires pour la période 2019-2023. Cet effort financier est toutefois séquencé et progressif, avec une « marche » de 3 milliards d'euros cette année, contre 1,7 milliard pour la période 2019-2022. En parallèle, la LPM prévoit une augmentation de 6 000 postes sur la période, afin de redresser la tendance baissière des effectifs. Enfin, la sincérité budgétaire a été renforcée, en évitant de fonder les projections financières sur des recettes exceptionnelles hypothétiques, comme cela avait été le cas dans les précédentes LPM. En somme, la LPM 2019-2025 marque une rupture nette avec les précédentes LPM, tant au niveau financier que stratégique.
L’amorce d’une modernisation
La trajectoire financière de la LPM 2019-2025 a été respectée. Les « marches » programmées à hauteur de 1,7 milliard d’euros de 2019 à 2022 puis de 3 milliards d’euros en 2023, ont été respectées. Cette exécution de la programmation financière a pour conséquence d’éviter les reports et étalements conséquents de programmes capacitaires, qui se sont avérés particulièrement coûteux pour les finances publiques dans le passé. À titre d’exemple, la réduction de cibles et l’étalement du programme frégates multimissions (FREMM) en 2009 et 2014 ont abouti à ce que « les huit FREMM vont au total coûter aussi cher que les 17 prévues initialement, soit un doublement de leur prix unitaire », affirme la Cour des comptes.
Une partie importante de cet effort financier a bénéficié à la dissuasion nucléaire. Les crédits de ce segment sont passés de 3,2 milliards d’euros en 2018 à plus de 4,6 milliards en 2023, soit une augmentation de près de 44 %. Depuis 2019, les principaux efforts ont notamment porté sûr : le programme SNLE de 3ème génération, les travaux de préparation missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G), la réalisation des infrastructures d’accueil des équipements de la dissuasion, tels que l’accueil des avions ravitailleurs multi-rôles MRTT sur les bases aériennes à vocation nucléaire (BAVN). La prochaine LPM devra nécessairement poursuivre un tel effort, notamment en vue de la réalisation des deux programmes structurants pour garantir la crédibilité de notre dissuasion à l’horizon 2035 : le SNLE 3G et l’ASN4G.
La période 2019 - 2022 fût également marquée par de nombreuses livraisons. L’armée de Terre a reçu, entre autres : 452 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon, 70 VBMR légers Serval, 38 engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar. Du côté de la Marine Nationale, la France bénéficie d’un nouveau sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), dix avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés au standard 6, cinq hélicoptères NH90 NFH, deux bâtiments de soutien et d’assistance métropolitains, deux FREMM à capacité défense aérienne renforcée et deux frégates légères furtives (FLF) de type Lafayette rénovées. Quant à l’armée de l’air et de l’espace, elle a réceptionné huit avions ravitailleurs multi-rôles MRTT, six avions de transport A400M, vingt-trois Mirage 2000D rénovés, trois avions légers de surveillance et de reconnaissance et un Rafale. Le franchissement de la marche de trois milliards d’euros en 2023 aboutira à une forte accélération de cette modernisation capacitaire, à travers notamment une hausse de près de 38 % des autorisations d’engagement et de 6,2 % des crédits de paiement du programme 146 dédié à l’équipement des forces.
Enfin, les députés soulignent l’attention portée sur les petits équipements, qui constitue un axe important de la LPM « à hauteur d’homme » promu par les autorités. Les fusils d’assaut HK416 (69 340 livraisons) remplacent progressivement le FAMAS, tandis que les fusils de précision SCAR-H et les pistolets Glock 17 arrivent également au sein des régiments. Les treillis de combat F3 marquent également un saut qualitatif pour nos soldats. Il convient cependant de souligner qu’il existe un risque fort que la cible 2025 pour ces équipements ne soit pas respectée. Selon les données fournies par le ministère des Armées, près de 473 000 treillis de combat F3 ont été livrés de 2019 à 2022 (pour une cible LPM à la même date de 512 000).
Plusieurs failles restent à combler
Le rapport passe également en revue les différentes failles qui persistent au sein des armées françaises, notamment liées à l’activité opérationnelle. Ce terme recouvre l’activité liée, d’une part, à la conduite des opérations et, d’autre part, à la préparation opérationnelle. Comme l’a souligné le major général de l’armée de terre, l’activité opérationnelle détermine non seulement nos capacités opérationnelles et donc la crédibilité de nos armées, mais constitue également le sens de la mission de nos soldats, ainsi qu’un facteur d’attractivité et de fidélisation.
À ce sujet, la LPM prévoit une remontée en puissance en deux temps, avec une phase de régénération puis une augmentation de l’activité en vue d’atteindre, à compter de 2023, les normes dictées par l’OTAN. Malgré les ambitions affichées, les normes d’activité restent sensiblement inférieures (de 10 à plus de 30 %) aux directives de l’alliance. Certains secteurs, tels que l’activité sur hélicoptère de l’armée de terre, avions de chasse et de transport de l’armée de l’air et de l’espace, sont particulièrement touchés. Concernant l’aviation de chasse, le taux d’activité de 147 heures prévu en 2023 est historiquement bas. Il souffre notamment de l’impact de l’export Rafale et du retrait anticipé des Mirage 2000C, comme l’a souligné le major général de l’armée de l’air et de l’espace : « Les conséquences de la légère baisse du format Rafale dans les deux années à venir concerneront moins les contrats opérationnels que les capacités d’entraînement des pilotes : cette année, 164 heures par pilote de chasse contre environ 147 heures pour les deux ans à venir. Notre potentiel technique est moindre puisque nous disposons de moins d’avions et que le nombre de pilotes est le même ». Ce constat devrait toutefois s’améliorer à compter de 2025 grâce aux nouvelles livraisons de Rafale.
Autre difficulté commune aux trois armées : le recrutement. La LPM 2019-2025 marque une rupture avec la dynamique déflationniste des effectifs portée par les précédentes LPM, en prévoyant une augmentation nette de 6 000 effectifs du ministère des Armées. Ces objectifs n’ont pas été réalisés à ce stade. Alors qu’une augmentation nette des effectifs de 1500 postes était programmée entre 2019 et 2022, l’augmentation nette effective sur cette période est de 1 063 postes au 1er septembre 2022. Cette situation est d’autant plus inquiétante que ce n’est qu’à compter de 2023 que la LPM prévoyait une forte augmentation de la création nette d’effectifs, avec un passage de 450 créations nettes de postes en 2022 à 1 500 en 2023. Selon les députés, « il est donc vraisemblable que l’écart entre les prévisions de la LPM et la réalité des augmentations nettes d’effectifs s’accroisse en 2023 ».
Cette échec des schémas d’emploi ne s’explique pas tant par les difficultés de recrutement que par un déficit de fidélisation des effectifs. Il s’agit là d’une difficulté croissante au sein des armées, qui constituent un point d’attention majeur. Ainsi que l’a résumé le directeur des ressources humaines du ministère des Armées, M. Thibaut de Vanssay, lors de son audition par la commission défense de l’assemblée nationale, « nous sommes confrontés à de très grandes difficultés pour retenir le personnel, en particulier militaire mais aussi civil (fonctionnaires et contractuels) […] Nous sommes habitués à avoir un turn-over dans les équipes, mais nous n’avions jamais vu ce phénomène avec une telle ampleur ». Le ministère des armées connaît en effet une augmentation des sorties définitives (+6,2 % entre 2019 et 2022), qui touche plus particulièrement le personnel civil (+25 % sur la même période). Pour les militaires du rang de l’armée de terre, le taux de dénonciation des contrats des militaires du rang atteint près de 32 %, tandis que le taux de renouvellement des contrats pour cette catégorie n’est que de 37,5 %.
Selon les personnes auditionnées, ce déficit de fidélisation s’explique par des causes structurelles. L’écart croissant de rémunération avec le secteur civil ainsi que la moindre acceptation des sujétions liées à l’état militaire par les jeunes générations ont été mentionnés comme les deux principaux défis à relever. Sont également citées, l’imposition de la mobilité géographique ainsi que les problématiques liées à l’activité opérationnelle, notamment le déficit de préparation opérationnelle et le manque de disponibilité de certains équipements.
Les conséquences opérationnelles de ce déficit de fidélisation sont fortes. Sur le plan financier, l’investissement dans la formation des jeunes militaires n’est rentable que si ces derniers restent pour une durée d’au moins sept ans. Par ailleurs, les départs de sous-officiers ou de militaires de rang qui auraient eu vocation à devenir sous-officiers se traduisent par un déficit préjudiciable d’encadrement des jeunes recrues. L’escadron de chasse de la base aérienne de Nancy-Ochey a ainsi un taux d’encadrement d’1,4, alors que l’objectif est de 2. Enfin, les députés soulignent le risque d’un cercle vicieux, car les départs accroissent mécaniquement la charge de travail de ceux qui restent, de sorte que la dégradation des conditions de travail de ces derniers peut les inciter à quitter l’institution à leur tour.