L’armée suisse aussi doit fidéliser ses soldats

L’armée suisse aussi doit fidéliser ses soldats

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En Suisse, comme en France, les armées peinent à recruter et fidéliser leurs effectifs. Chaque année, des militaires ne sont pas remplacés, mettant encore un peu plus en danger les capacités opérationnelles des deux pays. Pour remédier au problème, la Suisse planche sur un modèle d’armée Triple A. La France, quant à elle, se concentre sur sa réserve.

La Suisse fait face à un problème de fidélisation de ses soldats. C’est même “la préoccupation majeure” du chef de l’Armée, le commandant de corps Thomas Süssli. “Chaque année, jusqu’à 7000 soldats quittent l’armée après leur école de recrues pour accomplir le service civil”, affirme le département fédéral de la Défense. C’est “2000 de plus que ce que l’armée peut se permettre”, précise-t-il par ailleurs. Selon les estimations actuelles, il manquera quelque 20 000 militaires en 2030.

L’armée française connaît elle aussi le même problème. Les difficultés de recrutement et de fidélisation augmente année après année, sans aucune des mesures prises n’aient l’effet escompté. “Le ministère des armées connaît une augmentation des sorties définitives (+ 6,2 % entre 2019 et 2022), qui touche plus particulièrement le personnel civil (+ 25 % sur la même période)”, écrivent les députés Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli, auteurs d’un rapport parlementaire faisant le bilan de la LPM 2019-2025. Pour les militaires du rang de l’armée de terre, le taux de dénonciation des contrats des militaires du rang atteint près de 32 %, tandis que le taux de renouvellement des contrats pour cette catégorie n’est que de 37,5 %. Sept cents postes n’ont pas pu être pourvus en 2021. Ce qui pose question quant aux objectifs de recrutement. L’armée française aimerait créer 6300 postes d’ici à 2030. “Nous sommes habitués à avoir un turnover dans les équipes, mais nous n’avions jamais vu ce phénomène avec une telle ampleur”, a regretté le directeur des ressources humaines du ministère des armées, Thibaut de Vanssay, lors d’une audition dans le cadre de ce rapport.

Des conséquences identiques pour les deux pays

Les conséquences du problème de fidélisation des soldats touchent tant la Suisse que la France. En effet, ces deux pays font face à des enjeux qui menacent la disponibilité opérationnelle de leurs forces armées respectives.

L'investissement financier et humain consenti dans la formation des jeunes militaires ne peut être rentabilisé que s'ils restent engagés pour une durée minimale dans l'armée. Selon l'officier responsable des ressources humaines du 1er régiment étranger de cavalerie à Carpiagne, cette durée minimale est estimée à au moins 7 ans. En outre, les départs fréquents de soldats, qu'ils soient sous-officiers ou militaires de rang, ayants vocation à devenir sous-officiers, créent un déficit préjudiciable en termes d'encadrement des jeunes recrues. Ce déficit s'avère d'autant plus problématique dans le contexte d'une augmentation significative des recrutements.

Un cercle vicieux se met ainsi en place. Les départs constants augmentent et affaiblissent l’apprentissage des soldats restants, ce qui entraîne une dégradation des conditions de travail. Cette dégradation peut à son tour inciter les militaires à quitter l'institution.

La problématique de la fidélisation ne concerne pas seulement les militaires, elle affecte aussi le personnel civil. Le turnover est tel que les responsables doivent passer d’une logique de stock à une logique de flux, de la même façon que pour les militaires. “le ministère des Armées […] est aujourd’hui pleinement passé pour le personnel civil, à l’instar de ce qui se pratiquait déjà pour le personnel militaire, d’une logique de stock à une logique de flux. Nous devons prendre en compte cette nouvelle donne car ce phénomène touche directement les capacités opérationnelles des armées, directions et services du ministère, y compris ses fonctions essentielles et sensibles comme le numérique, les infrastructures ou le renseignement”, affirme le Secrétaire général pour l'administration (SGA) du ministère des Armées, interrogé par les députés Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli.

Améliorer l’attractivité des armées

Bien que les risques soient similaires, les solutions pour remédier au problème des départs sont bien différentes, notamment dû à la différence d’échelle entre les deux armées.

Le Triple A suisse

Côté suisse, la solution envisagée porte le nom de Triple A, en référence à la note maximale donnée dans le monde de la finance. Il s’agit d’un plan en trois axes devant améliorer l’attractivité des armées en traitant trois sujets majeurs : l’apport en effectif, l’instruction et les équipements.

L'un des principaux défis auxquels est confrontée l'armée suisse est le manque de flexibilité du modèle d'obligation de servir, qui pousse de nombreux jeunes à quitter prématurément le service militaire. Consciente de cette problématique, l'armée examine actuellement des mesures visant à mieux concilier le service militaire et la vie civile. Une première mesure annoncée est la réduction à deux semaines de la durée des cours de répétition, ce qui permettrait aux réservistes de consacrer plus de temps à leurs engagements civils tout en maintenant leur rôle dans la défense nationale.

Pour garantir une formation adéquate et maintenir les compétences de défense de ses militaires, l'armée suisse doit disposer de suffisamment de places d'exercice. Avec l'augmentation de la population dans les agglomérations, il est essentiel que l'armée puisse s'entraîner dans des environnements urbains densément construits, comme le confirme le rapport du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) sur l'avenir des forces terrestres et la guerre en Ukraine. Actuellement, les deux villages d'exercice de Bure et Walenstadt ne suffisent pas à répondre à ces besoins. Le chef de l'Armée propose donc soit la construction d'une nouvelle place d'exercice, soit une collaboration avec des armées disposant de telles infrastructures.

La modernisation et le renouvellement de l'armée suisse représentent un investissement financier conséquent, avec un coût total dépassant les 40 milliards de francs (41 milliards d’euros). Ce financement proviendra du budget ordinaire de l'armée. Parmi les éléments importants de cette modernisation, on trouve le nouvel avion de combat F-35 et le système de défense sol-air de longue portée Patriot. De plus, il est prévu de remplacer, au cours des vingt prochaines années, un total de 24 systèmes principaux ayant atteint la fin de leur durée d'utilisation.

La LPM 2024-2030 française

La prochaine Loi de programmation militaire comprend plusieurs mesures destinées à améliorer la fidélisation des soldats français. Celle-ci prévoit un budget de 500 millions d'euros à partir de 2024 pour contribuer spécifiquement à la fidélisation des militaires. En parallèle, le ministère des armées intensifiera ses efforts pour prendre en compte les sujétions liées à l'état militaire. Cela inclut l'amélioration des conditions de vie dans les enceintes militaires et le soutien aux familles des soldats. Une attention particulière sera portée aux blessés et à leurs proches, avec une simplification administrative, une réparation adéquate des préjudices subis et un accompagnement renforcé.

Une autre préoccupation importante concerne le taux d'entraînement des militaires, qui est resté en deçà des normes de l'OTAN malgré les ambitions de la LPM en cours. Pour remédier à cela, la préparation opérationnelle sera renforcée en mettant l'accent sur des entraînements de haute intensité pour développer les compétences nécessaires aux engagements de court terme. La simulation sera également largement utilisée dans tous les domaines opérationnels, permettant ainsi une capitalisation plus rapide des savoir-faire essentiels à un engagement efficace dans un conflit de haute intensité.

Enfin, pour compenser les départs et répondre aux besoins du renseignement et du cyber, la France souhaite augmenter considérablement les effectifs de sa réserve. L'objectif est de passer de 40 000 à 105 000 personnes d'ici à 2035. Cette expansion de la réserve vise notamment à attirer des ingénieurs talentueux dans ces domaines stratégiques, où la concurrence pour les meilleurs profils est intense.