La France renforce son soutien à l’Arménie
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Face à la montée des tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la France réaffirme son soutien à Erevan en autorisant notamment la vente de matériel militaire. Soutenu par la Turquie, Bakou renforce sa position stratégique sous le regard indifférent d'une Europe divisée. Entre enjeux énergétiques, défense des droits humains et liens diasporiques, la région du Caucase est au cœur des préoccupations françaises.
La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, était en déplacement à Erevan le 3 octobre 2023 pour réaffirmer le soutien de la France à l’Arménie, quelques jours après l’offensive victorieuse de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh. La cheffe de la diplomatie française a annoncé que Paris avait autorisé la vente de matériel militaire à l’Arménie, sans préciser la nature des équipements concernés. "La décision de la France […] ne contribue pas à la paix, mais plutôt à un nouveau conflit, et si de nouveaux affrontements éclatent dans la région, la France en sera responsable", a immédiatement réagi le président azerbaïdjanais. C’est le ministre des Armées, Sébatien Lecornu, qui apportera des précisions vingt jours plus tard, lors d’une conférence de presse donnée avec son homologue arménien en visite à Paris, Suren Papikyan. Erevan a fait l’acquisition de trois radars GM200 auprès de Thales. Le radar de moyenne Ground Master peut détecter un aéronef ennemi à 250 km de distance, qu’il s’agisse d’un drone ou d’un avion de combat.
"La détection n'a de sens que si elle s'accompagne de modules d'intervention et d'interception des attaques qui viendraient du ciel", a ajouté Sébastien Lecornu. Ces radars s’accompagnent donc d’une lettre d'intention d'achat à MBDA pour "des dispositifs de type Mistral". Outre le matériel à destination de la défense sol-air arménienne, qui fera d’ailleurs l’objet d’un audit français, Erevan s’est fourni en jumelles de vision nocturne produite par Safran.
L’annonce de ces achats intervient au moment même où l'Azerbaïdjan a lancé des exercices militaires avec la Turquie non loin de la frontière arménienne. Erevan craint que le Haut-Karabakh ne soit qu’une étape dans les plans de Bakou. En effet, le président Aliyev veut reprendre le contrôle d’une longue bande de territoire Arménien qui sépare le gros du territoire Azerbaïdjanais de son enclave du Nakhitchevan. Enclave qui partage une frontière commune avec le grand allié turc. D’un point de vue froidement géopolitique, Bakou aurait tort de s’en priver. L’Azerbaïdjan bénéficie, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, d’un avantage stratégique indéniable.
Des liens étroits entre l’Europe et l’Azerbaïdjan
Paris semble faire cavalier seule sur ce dossier, l’Union Européenne n‘a pas bougé le petit doigt lors de la dernière offensive de Bakou, provoquant l’exode de plus de 100 000 personnes, soit la quasi-totalité de la minorité arménienne de la région. Et pour cause, lorsque l’Union Européenne (UE) a dû réduire ses importations de gaz russe - qui représentaient tout de même 45 % des importations européennes - elle s’est tournée, entre autres, vers le gaz azerbaïdjanais. L’accord a été signé en juillet 2022 et devrait conduire au doublement des exportations de Bakou vers l’UE d’ici à 2027, soit 20 milliards de mètres cubes par an.
Au début du mois d’octobre, le parlement voté à 491 voix pour et 9 contre, un texte plaidant pour le "réexamen des relations de l’UE avec l’Azerbaïdjan". Celui-ci réclame des "sanctions ciblées contre les fonctionnaires du gouvernement responsables de violations du cessez-le-feu et de violations des droits humains au Haut-Karabakh" et de "réduire sa dépendance à l’égard des importations de gaz azéri et, en cas d’agression militaire ou d’attaques hybrides importantes contre l’Arménie, d’arrêter complètement les importations de pétrole et de gaz azéris".
En 2022, ces importations représentaient environ 3% des achats de l’UE, contre 2% en 2021. Un pourcentage qui peut sembler dérisoire mais qui ne l’est absolument pas pour Bakou à qui elles ont rapporté 15,6 milliards d’euros en 2022. Le 20 septembre dernier, la Commission européenne a dit s’attendre à une part "équivalente" pour cette année. Soit dit en passant, Bakou est soupçonné de revendre à prix d’or du gaz russe qui a seulement transité par son territoire.
Pourquoi ce sursaut français ?
L’aide militaire française à l’Arménie ne s’arrête pas à la vente de matériel. Des instructeurs militaires vont être envoyés en Arménie d’ici le début de l’année 2024 afin de dispenser le même type de formations que celles données aux soldats ukrainiens. Au programme : défense sol-air, tir de précision, combat débarqué et en montagne. Un officier français sera détaché auprès du ministère de la Défense arménien en tant que conseiller militaire. Le Quai d’Orsay prévoit, par ailleurs, d’ouvrir une antenne consulaire dans le sud du pays, convoité par les forces azerbaïdjanaises, et d’envoyer un attaché de Défense dans l’ambassade de France à Erevan.
La France espère ainsi entraîner ses partenaires européens pour l’aider à attirer ce pays qui à montrer sa volonté de s’éloigner du giron de Vladimir Poutine. L'Allemagne et les Pays-Bas sont prêts à passer à l’action, mais d'autres, comme l'Autriche et la Hongrie ne veulent surtout pas prendre le risque de froisser leurs relations avec Bakou.
Si Paris semble vouloir mieux assister Erevan, c’est parce qu’après le génocide de 1915, plusieurs dizaines de milliers d'Arméniens se sont installés en France. En 2001, Paris a été l’une des premières capitales occidentales à reconnaître le génocide arménien, vingt ans avant les États-Unis. La diaspora arménienne s’élèverait aujourd’hui à 500 000 personnes. De quoi tisser des liens étroits entre les deux pays.