Quelle défense européenne en 2040 ?
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L'Agence européenne de défense (AED) se projette en 2040 pour tracer les contours des futures capacités militaires de l'UE. Son dernier rapport, une analyse stratégique des tendances mondiales et technologiques, sert de boussole pour les décideurs. Il souligne l'urgence d'adapter les forces armées aux défis imminents du changement climatique, des bouleversements démographiques et de la complexité économique. Alors que l'Europe s'efforce de maintenir son influence dans un paysage géopolitique de plus en plus compétitif et multipolaire, l'AED appelle à une révolution cognitive et technologique pour préserver la sécurité et la souveraineté dans un avenir incertain.
L'Agence européenne de défense (AED) a publié le 23 octobre dernier une étude des tendances mondiales, capacitaires et technologiques à long terme dans le domaine de la défense. Le document analyse les grands défis à venir et met en lumière les virages technologiques à ne pas rater au cours des 20 prochaines années et au-delà. Cette étude sera présenter le 14 novembre 2023 aux ministres de la Défense de l’UE et servira de base de travail pour définir les priorités de l'UE en matière de développement des capacités militaires. Défense Zone l’a lu pour vous et analyse dans cette article la vision stratégique de l’Agence Européene de Défense.
En guise de préambule, l’AED identifie 7 grands facteurs qui influenceront les sociétés de demain. Le changement climatique figure en haut de la liste, suivi du vieillissement de la population, de la complexification des chaînes de valeur, avant de finir par l’impact de la politique, de la sécurité international et de la technologie sur les guerres du futur.
Facteurs stratégiques influençant l’avenir du monde
Dans un horizon se projetant aux alentours de 2040, des éléments clés se dessinent, modelant progressivement le paysage socio-économique et sécuritaire de notre planète.
Le changement climatique, une menace amplifiée :
Le changement climatique s'affirme en précurseur des défis de demain. L'accélération du réchauffement global prévoit une série de bouleversements : élévation du niveau des mers, températures extrêmes et désastres naturels récurrents. Ces phénomènes engendreront non seulement des conditions opérationnelles périlleuses mais exigeront aussi une redéfinition des capacités militaires pour s'adapter à des environnements de plus en plus hostiles. Les politiques de réduction d'émissions carbonées et la compétition accrue pour les matières premières essentielles deviennent des axes centraux pour les nations, déterminant leur pérennité sur l'échiquier international.
La démographie en tant que vecteur de changement :
L’Europe de 2040 présentera un visage démographique transformé. Vieillissement de la population, migrations non contrôlées, et l’érosion du pouvoir d'achat de la classe moyenne généreront de profondes secousses sociales. Ces changements asymétriques entre populations auront un impact direct sur la santé publique, la cohésion sociale et les marchés du travail, favorisant ainsi l'urbanisation massive et la tension ethnico-culturelle.
La complexité croissante des chaînes de valeur :
Dans le domaine économique, la complexification des chaînes d'approvisionnement, notamment pour des composants vitaux tels que les microprocesseurs, les minéraux rares ou les ressources critiques, souligne l'urgence d'une autonomie stratégique. L'Europe se trouve devant l'impératif de consolider sa base technologique et industrielle pour atténuer les risques liés à cette dépendance, tout en garantissant sa sécurité d'approvisionnement.
L'impact de la politique sur la sécurité :
Politiquement, l’instabilité internationale et les tensions grandissantes entre les puissances dénotent une transition vers un ordre multipolaire conflictuel. Les crises démocratiques, marquées par une défiance envers les gouvernements et une polarisation sociale, exacerbées par la désinformation et les conflits pour les ressources naturelles, constituent des catalyseurs de bouleversements importants. De plus, la montée en puissance des acteurs non-étatiques remet en question la souveraineté des États traditionnels.
La sécurité internationale face à de nouveaux défis :
Le spectre des risques sécuritaires s’élargit avec l’évolution des tactiques militaires et des technologies disruptives. De la guerre cognitive à la désinformation en passant par le terrorisme et la criminalité organisée, les sociétés se voient confrontées à des menaces d'une nouvelle ère, nécessitant des réponses adaptées et anticipatrices.
L'ère de la supériorité technologique :
Enfin, la supériorité technologique devient un enjeu primordial. L’essor rapide des technologies numériques, biotechnologiques, et autres avancées majeures promet une amélioration significative des capacités militaires. Toutefois, cet avantage peut se muer en vulnérabilité face à une démocratisation technologique qui érode le monopole traditionnel des États sur la haute technologie, ouvrant la porte à de nouvelles formes de conflits asymétriques.
Tendances à long terme en matière de capacités
L'Agence Européenne de Défense esquisse une vision où la technologie et la cognition s'entrelacent étroitement, établissant les fondements des capacités militaires de demain.
Supériorité cognitive et technologie de pointe
L'Agence Européenne de Défense envisage un avenir où la supériorité cognitive, renforcée par des technologies avancées telles que l'intelligence artificielle et les algorithmes complexes, est au premier plan. Cette suprématie cognitive sera capitale pour l'élaboration d'une situation opérationnelle multi-domaine et une réactivité presque instantanée aux crises. Les avancées dans le traitement de données volumineuses et les systèmes automatisés augmenteront la capacité de générer des narrations en temps réel et de maintenir l'initiative dans la 'Bataille du Récit'. Ces technologies offriront également des moyens plus robustes et résilients de communication grâce aux progrès attendus dans les technologies quantiques et blockchain, essentiels pour protéger les systèmes de communication et de données contre les vulnérabilités cybernétiques.
Intégration des systèmes dans un environnement opérationnel en évolution
Dans un contexte où l'environnement opérationnel est volatile, incertain, complexe et ambigu, l'adaptabilité est essentielle. La défense doit transcender les domaines traditionnels et s'étendre à l'espace et au cyberespace, impliquant l'utilisation de forces diverses et la conduite d'opérations dans un espace de combat sans frontières physiques évidentes. La capacité à mener des opérations multi-domaines contre des menaces hybrides devient un pilier pour dissuader l'adversaire tout en maintenant l'initiative. Pour cela, la planification stratégique exigera des systèmes de commandement et de contrôle décentralisés et automatisés, intégrant pleinement le concept de 'combat cloud' pour une gestion distribuée, robuste et résiliente des opérations.
Gestion des nouvelles menaces et dépendance spatiale
La défense doit désormais intégrer pleinement des systèmes de défense aérienne et antimissile pour contrer des menaces avancées telles que les missiles hypersoniques et les essaims de drones. La maîtrise du spectre électromagnétique et la dominance spatiale sont prépondérantes. La dépendance croissante à l'égard des capacités spatiales pour la communication, la surveillance et la navigation exigera des actifs spatiaux fiables et résistants. Pour faire face à la menace croissante que représentent les acteurs hostiles dans l'espace, une collaboration accrue avec le secteur commercial sera essentielle, ainsi qu'une adaptation des doctrines et des tactiques pour optimiser l'utilisation de ces capacités en expansion.
Les virages technologiques à ne pas rater
Interopérabilité et cyber-résilience des réseaux de commandement
L'avenir des capacités de commandement est indissociable des progrès dans la gestion de l'information et des communications. Des technologies telles que l'Internet des Objets (IoT), l'apprentissage machine et la blockchain seront cruciales pour développer des réseaux cybernétiques à la fois défensifs et offensifs. Des réseaux cyber-résilients seront nécessaires pour intégrer et maintenir des applications de commandement et de contrôle (C2) continues et sécurisées. Le commandement exigera des systèmes C4I automatisés et décentralisés pour assister la prise de décision stratégique. Face à un environnement encombré, la robustesse et l'adaptabilité seront des atouts face aux menaces électroniques et cybernétiques. L'empreinte spatiale et la redondance seront particulièrement déterminantes pour améliorer les communications interagences.
Suprématie informationnelle et cognitive dans un contexte ultra-numérisé
La supériorité informationnelle et cognitive deviendra un aspect clé, nécessitant la capacité de collecter, traiter, analyser et transmettre des données de manière sûre et rapide. La bataille future pour l'information sera fortement influencée par les domaines spatiaux et cybernétiques, qui deviendront les principaux fournisseurs de la conscience situationnelle. La coopération avec le secteur civil et privé sera essentielle pour le développement technologique, notamment dans le domaine spatial. L'intelligence artificielle sera le moteur principal des systèmes de fusion et d'analyse des données, jouant un rôle significatif dans le contrôle de l'information et les activités de contre-espionnage pour maintenir la supériorité cognitive.
Amélioration des capacités d'engagement et de protection des forces
Les capacités d'engagement bénéficieront de l'évolution des systèmes d'armement, avec le développement de munitions intelligentes, de nouvelles générations d'armes et de plateformes qui changeront la nature des confrontations. L'amélioration de la production et du stockage d'énergie ouvrira la voie à l'utilisation d'armes à énergie dirigée, tandis que la guerre électronique et les moyens cybernétiques offensifs joueront un rôle majeur dans le contrôle du spectre électromagnétique. Les systèmes autonomes et l'amélioration humaine pourraient également être des facteurs perturbateurs pour les capacités d'engagement. Enfin, l'environnement opérationnel futur exigera des améliorations majeures dans la protection des forces, où la cybersécurité sera un pilier essentiel, tout comme l'utilisation étendue de la robotique et des systèmes autonomes pour réduire les risques pour les vies humaines.