Soldat et diplomate : attaché de Défense en ambassade

Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.

L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.

Cette semaine, nous avons rendez-vous à l'ambassade américaine à Paris, avec le Colonel Allen Pepper. Cet officier de l'US Army occupe le prestigieux poste d'attaché de Défense des Etats-Unis en France. Avec lui, nous allons parler de diplomatie, des enjeux militaires de demain ainsi que de géopolitique.

Présentation du COL Allen Pepper

Son parcours

A l’âge de 17 ans il fait ses classes à Westpoint et devient officier d’infanterie en 1993. Il poursuit par les formations typiques (rangers, parachutisme…) avant d’être affecté dans l’infanterie légère puis l’infanterie mécanisée. Après douze ans dans cette spécialité, et grâce à ses compétences linguistiques, on lui propose une transition vers le poste de foreign area officer. Il devient ainsi spécialiste de la région d’Afrique subsaharienne qu’on lui attribue. Pendant seize ans, il travaille dans plusieurs pays africains au sein d’états-majors ou de commandement. Arrivé en fin de carrière, il prend le poste d’attaché de défense au sein de l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Le Colonel Pepper se dit très satisfait « de cette proposition car ça m’a permis de venir vivre dans une ville mythique pour les Américains, et en même temps de continuer à travailler sur les questions africaines », puisque la France joue un rôle important en Afrique. Il a ainsi l’impression d’apporter sa pierre à la coopération franco-américaine sur ce continent qu’il connaît bien.

Ses expériences en Afrique

Le Colonel Pepper a été affecté dans trois pays d’Afrique durant sa carrière : le Botswana, le Mali et la République Démocratique du Congo. Il a également été déployé plusieurs mois au Niger et en Centrafrique. En effet au début de l’opération Sangaris, il occupe le poste d’officier de liaison auprès de la mission de l’union africaine (qui a précédé la MINUSCA, la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique). Ses nombreuses années en Afrique lui ont permis de découvrir l’armée française sur le terrain et d’en retirer une appréciation très positive qu’il garde encore aujourd’hui : « j’étais très impressionné par leur volonté d’agir, d’opérer, dans un terrain difficile, avec des pertes humaines et matérielles, et dans une situation difficile mentalement en voyant des crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Centrafrique à cette époque-là. Ils étaient très engagés et opéraient sans cesse pour rétablir une certaine stabilité dans le pays. Ça m’est resté dans l’esprit. » Même aujourd’hui, ses souvenirs de ces expériences remontent souvent lorsqu’il entend parler d’une opération française, par exemple au Mali.

Ses missions en tant qu’attaché de défense

Ses missions se partage autour de quatre axes de travail.

Son premier rôle est d’être le conseiller militaire pour l’ambassadeur, car celui-ci a généralement une expérience au sein du gouvernement mais non dans le milieu militaire et manque de connaissance dans le domaine.

Sa seconde mission est d’être le représentant du secrétaire à la Défense des Etats-Unis et du chef d’état-major américain. Il est ainsi l’intermédiaire entre eux et les autorités françaises et délivre les messages dans un sens ou dans l’autre.

Il a également sous ses ordres le bureau de coopération militaire, chargé de la coopération dans le domaine de l’équipement et qui travaille donc en lien avec la DGA (Direction générale de l’armement) et l’armée française.

Enfin, il est aussi le relai pour tenir ses supérieurs informés des évolutions en cours dans l’armée française (vision stratégique du chef d’état-major, changement de posture au Sahel, loi de programmation militaire…)

Le Colonel Pepper précise que même si l’ambassadeur change à chaque nouvelle élection présidentielle, les missions de l’attaché de défense ne sont, elles, pas modifiées. La manière de travailler est propre à chaque ambassadeur, mais les relations internationales et la coopération militaire persistent.

Etre diplomate et militaire

Etre à la fois diplomate et militaire pourrait être perçu comme une difficulté. Pour le Colonel Pepper, c’est tout le contraire. Il se souvient avoir assisté à une cérémonie de prise de fonction d’un ambassadeur américain, et avoir relevé un discours similaire au sien : « c’était mot pour mot exactement le même sermon que j’ai moi-même prêté en tant qu’officier de l’armée de Terre. » Il relève ainsi que les engagements sont identiques malgré une manière de travailler différente, et que l’objectif commun d’un diplomate et d’un militaire est d’éviter le conflit, dont le risque est d’engendrer des pertes notamment humaines. Le diplomate a la responsabilité de réduire ces risques.

La coopération américaine avec la France

L’armée américaine au Sahel

Les Etats-Unis sont présents au dans la bande sahélo-saharienne dans trois domaines :

• Le transport aérien : autant stratégique (à partir de l’Europe vers la région du Sahel), que tactique (entre les différentes bases dans la région)
• Le ravitaillement aérien : bien que « la France ait un modèle d’armée complet, elle a comme toutes les nations des limites dans ses ressources et ses capacités ». Elle fait donc appel aux Etats-Unis pour combler son manque de ravitailleurs.
• Le renseignement : les Américains ont un rôle important dans la fourniture de renseignements pour l’armée française qui opère sur le terrain. L’échange se fait aussi dans l’autre sens, avec les militaires sur le terrain qui font remonter les informations.

Les atouts de l’armée française

En plus de la volonté d’agir relevée par le Colonel Pepper, celui-ci souligne le professionnalisme de l’armée française, composée de militaires connaissant leur spécialité et leur mission. Au contraire de certains pays, la France s’oriente vers l’action, son armée « n’est pas juste un outil qui reste dans la boîte à outil et n’est pas utilisé. La France voit que l’outil militaire a sa place et peut et doit être utilisé dans certains cas. C’est une armée qui est appelée à être souvent engagée sur le terrain, et ça se voit dans les opérations. » Cette capacité et cette volonté d’agir sont très appréciées par les officiers américains.

L’attaché de défense indique aussi que le grand atout de la France est d’être présente dans toutes les régions du monde avec des forces opérationnelles.

Les liens entre les armées française et américaine

Les forces des deux pays manœuvrent régulièrement sur des exercices conjoints afin de développer leur interopérabilité, un domaine capital pour le Colonel Pepper : « si nous voulons réussir sur le terrain lors d’un conflit, il ne faut pas attendre le début du conflit pour travailler ensemble ». Cela s’applique dans tous les domaines (espace, cyber, terrestre, maritime, aérien) pour des aspects techniques comme le ravitaillement entre des aéronefs des deux forces, les communications, le commandement ; mais aussi pour des aspects humains lorsque deux brigades aéroportées, l’une française et l’autre américaine, doivent avoir confiance l’une envers l’autre en sachant qu’elles mèneront toutes deux à bien leur mission. 

Une vision stratégique similaire

Le Colonel Pepper souligne que les deux chefs d’états-majors américain et français sont alignés sur une même vision stratégique, évoquant tous les deux la haute intensité comme avenir des conflits, avec la volonté toutefois « d’être prêt, mais tout faire aussi pour éviter [le conflit] ». Cette compétition entre les pays du monde à maitriser la haute intensité n’est pas sans rappeler la période de Guerre Froide. « Il y a des parallèles, on ne peut pas le nier, admet l’officier, mais on ne cherche pas une autre Guerre Froide. » Si à l’époque les opposants étaient faibles d’un point de vue économique, ce n’est plus le cas aujourd’hui et la Chine représente une menace plus importante. Toutefois, l’attaché de défense modère ces risques en constatant que l’économie chinoise est liée à celles des Etats-Unis et de l’Europe et qu’une fracture pourrait avoir de graves conséquences pour elle-même.

L’industries de l’armement

La France se distingue par une industrie de défense très développée. Elle fait appel aux Etats-Unis uniquement pour certains matériels de pointe (drone MQ-9 Reaper…) ou lorsque la demande représente une trop faible quantité pour le développement d’une industrie rentable en France. Le commerce des armes n’entre toutefois pas en compte dans les relations que tient l’attaché de défense qui se limite au domaine militaire, mais son bureau suit néanmoins les questions économiques et leurs évolutions.

Les liens internationaux

La mission Lynx

Dans les pays baltes, les Etats-Unis gèrent un bataillon en Pologne, tandis que la France est soit en Estonie soit en Lettonie. Cette mission Lynx revêt une grande importance pour les Etats-Unis, l'Europe et l’OTAN. LE Colonel Pepper explique que celle-ci a débuté en 2014 lorsque la Russie a envahi la Crimée. Les pays de l’Est de l’OTAN, inquiets de cette avancée de la Russie, ont demandé la présence renforcée des alliés. Il s’agissait alors de « montrer à nos adversaires et à nos alliés que nous sommes là », déclare l’officier américain. En plus de ce message stratégique, c’est aussi une opportunité pour l’Alliance de travailler ensemble l’interopérabilité lors d’entraînements communs.

L’avenir de l’OTAN

L’attaché de défense est confiant pour l’avenir de l’OTAN, qui a déjà démontré sa capacité d’adaptation à la fin de la Guerre Froide ou sur des opérations en Irak ou en Afghanistan. « Si ça s’est déjà fait par le passé, je suis plutôt optimiste sur ce qu’on sera en mesure de faire dans l’avenir », confie le Colonel Pepper.

La présence chinoise

La Chine n’est plus une puissance seulement régionale, et développe aujourd’hui des visées plus importantes. Elle s’étend, en mer de Chine, en Afrique, crée des bases militaires dans le monde comme à Djibouti par exemple. « Ce n’est pas anodin, mais ce n’est pas une surprise », note l’officier. Elle a des objectifs plus lointains, et c’est important que nous continuions d’opérer dans ces régions-là. » Si la présence chinoise est souvent perçue comme une menace, l’attaché de défense invite à la réflexion sur l’impact d’une présence étrangère qui peut avoir des effets positifs sur la population d’un pays : création d’emplois, financement de structures comme des routes, ports ou aéroports. Ces investissements opérés par le pays étranger servent ses propres intérêts, mais bénéficie aussi au pays hôte qui peut en profiter pour se développer et développer son industrie, son commerce, ses exportations. « Ça peut aider la population en croissance, ça peut être une bonne chose. Ça devient compliqué quand la Chine met de la pression politique après, que la dette devient tellement importante pour les pays africains que ces états sont devenus dépendants à la Chine. » Il faut donc analyser chaque situation au cas par cas et alerter si besoin les pays des risques afin que les lignes rouges ne soient pas franchies.

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