Commander un régiment d'infanterie, avec le Colonel Pierre Prod'homme, 8e RPIMa

Commander un régiment d'infanterie, avec le Colonel Pierre Prod'homme, 8e RPIMa

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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
 
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
 
Dans ce nouvel épisode, nous partons dans le Sud-Ouest de la France, à la rencontre du Colonel Pierre Prod'homme, chef de corps du 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine.
Avec lui nous allons aborder plusieurs thématiques très intéressantes, notamment le recrutement, l'entraînement mais aussi les missions des parachutistes de l'armée de terre.
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DZ : Nous sommes avec le Colonel Prod’homme, Chef de Corps du 8ème RPIMa. Est-ce que vous pouvez vous présenter ? Nous parler de votre mission et comment vous en êtes arrivé à ce poste-là ?

 

COL : Comment j’en suis arrivé là, ça risque d’être long. Mais ce que je dirai c’est que j’ai eu la chance de servir le « Huit » à quatre reprises, puisque c’est ma première affectation régiment en tant que jeune lieutenant sorti d’école. J’ai servi trois ans en tant que chef de section en compagnie de combat. J’ai eu la chance ensuite de revenir comme capitaine pour commander une compagnie, puis en tant que Chef OPS et enfin Chef de Corps. C’est un parcours en quatre étapes qui est particulièrement gratifiant parce que le « Huit » est de ces belles boutiques que l’armée de terre possède, et on sert avec toujours beaucoup de fierté dans ce régiment.

 

DZ : Quelle est la mission du Chef de Corps en quelques mots ?

 

COL : Le « Huit » fait partie de ces boutiques qui avancent toutes seules. Ce sont des régiments solides, professionnalisés depuis longtemps, et qui connaissent le job depuis très longtemps. Pour autant, je dirai que le rôle du Chef en général, et du Chef de Corps en particulier, est de

  1. Etablir une vision, qui soit en cohérence avec les problématiques de l’armée de terre du moment
  2. Donner l’impulsion
  3. Conduire le changement dès lors qu’il y a besoin de changement

C’est vraiment de donner l’impulsion, d’orienter l’action, et d’inscrire son action au sein de la manœuvre générale qui est conduite par l’armée de terre.

De mon côté, concernant mon mandat entre 2019 et 2021, il y a quatre grandes lignes d’opération qui jalonnent cette action.

Le premier dans le domaine opérationnel, où il s’agit de réorienter les efforts en matière de préparation opérationnelle pour préparer le régiment aux chocs les plus durs et aux conflits à venir avec une conflictualité de type inter-étatique qui redevient un scénario crédible.

La deuxième ligne d’opération c’est dans le domaine logistique où il s’agit de gérer le matériel que nous confie la Nation en bon père de famille. C’est-à-dire que les ressources matérielles sont toujours comptées, il s’agit de bien les employer, et d’en assurer le bon suivi pour en assurer la disponibilité derrière et donc la capacité opérationnelle du régiment.

Le troisième axe d’effort est un axe dans le domaine des ressources humaines où le défi est simple : il s’agit de fidéliser la ressource afin de bénéficier des moyens humains pour remplir les missions qui sont confiées au régiment. Et enfin le dernier axe d’effort est tourné vers la consolidation de l’esprit de corps, qui a pour but de combattre l’individualisme dont notre société est aujourd’hui frappée.

La société construit des jeunes individualistes, qui pensent d’abord à eux-mêmes, qui pensent plus à leurs droits qu’à leurs devoirs. Il s’agit de combattre cet individualisme par le biais de l’esprit de corps, et de rassembler la famille régimentaire élargie à la composante de réserve, des anciens de l’amicale, et à nos familles, nos épouses, conjointes, nos enfants.

 

8e rpima parachutiste

 

DZ : Le Chef de Corps est un peu le père de famille élargie ?

 

COL : Oui, c’est une sorte de père de famille, comme chaque chef à son niveau est un père de famille en puissance. Le caporal qui est chef d’équipe est le père de famille de deux marsouins parachutistes, le sergent c’est d’une dizaine de marsouins parachutistes. Et chacun à son niveau a un véritable rôle. Le commandement s’exerce de la même manière à tous les échelons. C’est avant tout du commandement et de l’humain.

 

DZ : Dans le civil on appelle ça du management. Est-ce qu’il a une pression au quotidien pour vous en tant que manager, commandant, et que faites-vous pour la gérer ?

 

COL : Il y aune différence entre le management et le commandement, même si dans notre commandement nous faisons aussi un peu de management. Je définirai le management comme la gestion au juste besoin et au meilleur des capacités des ressources qui nous sont confiées. Mais le métier de soldat ne s’arrête pas là, parce que notre mission est d’aller au combat, défendre les intérêts de notre pays et de nos concitoyens ; et on peut aller jusqu’à donner la mort et la recevoir pour remplir cette mission. C’est sans doute la différence qui existe entre le management et le commandement, c’est qu’à un moment donné les décisions que nous allons prendre peuvent entraîner la mort, qu’elle soit en la donnant ou en la recevant.

 

DZ : Combien d’hommes et de femmes compte le 8e RPIMa ?

 

COL : Comme tout régiment d’infanterie, c’est environ 1200 hommes et femmes répartis en compagnies de service et de combat.

 

DZ : C’est un volume conséquent de personnes à gérer !

 

COL : Oui, mais nous avons un système pyramidal où s’exerce de manière prononcée la subsidiarité. Je ne suis pas tout seul pour commander 1200 parachutistes. J’ai mes commandants d’unités, mes capitaines qui commandent les compagnies, vont au charbon tous les jours et ont la responsabilité de 174 parachutistes. J’ai également des chefs de service chacun dans leur domaine (opérationnel, logistique et ressources humaines), et mon commandant en second, qui sont là pour m’appuyer et relayer la direction générale que je donne.

 

DZ : D’après ce que j’ai pu voir, le 8e RPIMa n’est pas un régiment qui a du mal à recruter au niveau national. Comment cela s’explique-t-il ?

 

COL : C’est difficile d’expliquer d’où vient la notoriété du régiment parce qu’il est assez jeune, puisqu’il a été créé ex nihilo en Indochine en mars 1951. C’est un régiment qui a 70 ans d’existence, jeune, qui pour autant a un passé opérationnel très riche.

Il a été engagé dans toutes les opérations qu’a conduit la France depuis l’Indochine jusqu’à nos jours, et qui s’est illustré au travers de grandes batailles emblématiques comme la bataille de Diên Biên Phu, où c’est avec le 1e BEP le seul bataillon parachutiste qui a fait l’intégralité de la bataille. Il est vrai que nous n’avons pas de mal à recruter parce que nous jouissons d’une image et d’une notoriété assez importante qui se relaie bien souvent de bouche-à-oreille, ce qui est intéressant.

Alors bien sûr nous faisons des efforts de communication, via les réseaux sociaux et nos moyens de communication. Mais je crois surtout que c’est le bouche-à-oreille, les anciens du « Huit », qui ont été profondément marqués par ce régiment à la forte personnalité et à l’esprit de corps très puissant, qui ont été marqués au fer rouge toute leur vie par la force des relations humaines et la simplicité des relations humaines qui sied entre les différentes catégories.

Et finalement ce seront les meilleurs ambassadeurs du régiment. J’ai nombre d’exemples de jeunes marsouins, qui à l’engagement lorsque je leur pose la question « pourquoi le 8e RPIMa ? » me répondent : « j’en ai entendu parler à la télé », « j’ai un ami qui m’a dit de choisir le « Huit » », ou « j’ai quelqu’un de ma famille qui est militaire, qui sert dans une autre arme, un autre régiment, mais qui m’a conseillé de servir au « Huit » ». Je pense que c’est surtout le fruit du travail des différents ambassadeurs qui ont servi au sein du régiment qui fait que nous jouissons de cette excellente notoriété.

 

8e rpima parachutiste

 

DZ : Vous êtes très actif sur les réseaux sociaux, vous avez une grosse page Facebook, vous avez une chaine YouTube... Pourquoi ce choix ? Est-ce un choix unique, ou est-ce que tous les régiments communiquent comme ça ? Quels sont les particularités de vos choix de com à destination du recrutement ?

 

COL : Je ne sais pas si nous sommes particuliers en la matière. En tout état de cause je considère que les perceptions sont aujourd’hui un lieu d’affrontement et un lieu sur lequel nous devons agir, que ce soit en conflictualité directe : on voit bien sur les différentes tables d’opérations où chacun use de différents moyens de propagande pour diffuser ses idéologiques et ses messages. En ce qui concerne le régiment, pour notre communication je considère que j’ai deux cibles prioritaires à toucher : une cible interne et une cible externe. Ma cible interne ce sont mes parachutistes.

En diffusant un certain nombre de productions via nos médias et réseaux sociaux, le but est de les mettre en valeur et mettre en valeur leurs actions, car je peux vous dire qu’ils sont tous les jours au charbon et donnent sans compter. C’est un juste retour des choses que de reconnaître leur mérite.

Ça c’est le premier de mes objectifs en termes de communication. Le deuxième, effectivement ça rejoint la problématique du recrutement. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre ! Il s’agit donc de monter au travers de nos productions qui nous sommes et ce que nous faisons pour donner envie aux jeunes de s’engager, de franchir le pas et de s’engager pour leur pays, et si possible au 8e RPIMa.

 

DZ : Qu’est ce qui fait qu’un jeune s’engage comme ça à partir de 18 ans dans un régiment para d’infanterie de marine ? Qu’est ce qui revient le plus quand vous discutez avec eux ?

 

COL : Les raisons sont assez diverses. La plupart du temps c’est qu’ils veulent donner, donner pour la collectivité. Ils ont soif d’aventure, d’action, et ils recherchent un cadre. Et je crois que l’armée en règle générale, l’armée de terre en particulier, et aussi au 8e RPIMa bien évidemment, nous leur donnons tout cela. Notamment le cadre que la société dans le civil peine à leur fournir. Nous leur donnons des valeurs, une direction générale à suivre, ils ne seront pas perdus chez nous. Ils savent où ils vont car nous leur expliquons, nous essayons de donner du sens à l’action et ils s’engagent pour le collectif. C’est bien l’intérêt générale qui guide l’action de l’armée, l’intérêt supérieur de la Nation et de nos concitoyens.

 

DZ : L’aventure ils sont servis puisque ce régiment est régulièrement déployé sur le terrain. Au moment où nous tournons cet entretien, il me semble que vous êtes en alerte « guépard », et vous avez ce tour assez régulier. Est-ce que vous pouvez nous en parler, nous dire sur quels types de missions vous êtes amenés à être déployés ?

 

COL : Nous ne sommes pas encore tout à fait en « guépard », dans une petite semaine. Les types de missions sont assez classiques. Nous ne faisons pas exception, nous faisons partie des forces vives de l’armée de terre.

Les missions auxquelles nous participons sont des missions de sécurité sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle.

Et des missions a l’extérieur, soit des missions de courte durée dans les départements, territoires et collectivités d’outre-mer, ce qu’on appelle les forces de présence et/ou les forces de souveraineté (forces de souveraineté ce sont bien les territoires et collectivités outre-mer, les forces de présence ce sont les unités qui sont présentes dans les pays avec lesquels nous entretenons des accords de défense, comme par exemple le Sénégal ou le Gabon)

Ensuite, il y a les opérations extérieures, qui sont la source première de motivation du para qui s’engage au 8e et qui a soif d’aventures.

 

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DZ : Quelles sont les principales missions extérieures ?

 

COL : Tout dépend du moment. Il y a quelques années le théâtre phare était la Côte d’Ivoire, puis l’Afghanistan, puis un peu le RCA. Aujourd’hui effectivement le théâtre d’opération majeur sur lequel l’armée de terre est engagée est bien la bande sahélo-saharienne (sahel, mali pour citer plus précisément) C’est un théâtre sur lequel les paras ont envie d’être projetés pour pouvoir faire leur métier, tout simplement.

 

DZ : Par rapport à toutes ces missions, opérations, déploiements, j’imagine qu’il y a une grosse composante d’entraînement pour être prêt à gérer tous ces théâtres et déplacements ? Comment ça se passe dans le quotidien d’un para ?

 

COL : Notre finalité est une finalité opérationnelle. C’est l’engagement opérationnel, ce pourquoi nous sommes payés et ce pourquoi nous sommes faits, qui fait en plus partie de l’ADN du régiment. Tout doit être tourné vers l’engagement opérationnel, car le 8e RPIMa, au même titre que les autres régiments de l’armée de terre, se doit d’être un outil utile en termes de sécurité au profit de la Nation.

Pour cela, quand nous ne sommes pas engagés en opération, que ce soit sur le territoire national comme à l’étranger, notre devoir est de régénérer le potentiel et de se préparer aux futurs engagements. Notre quotidien ici à Fayolle est de la préparation opérationnelle, avec des choses très simples. Sans rentrer dans le détail il y a beaucoup de domaines dans lesquels nous travaillons. Je dirai qu’il y a trois composantes majeures pour un régiment para : l’entraînement physique pour être fort dans son corps, l’entraînement au saut, et enfin l’entraînement au combat.

Dans ce dernier il y a beaucoup de composantes, comme l’entraînement au tir, à la manœuvre, au secourisme au combat, il y a énormément de composantes à l’intérieur. Ces trois pans majeurs constituent le socle de préparation opérationnelle.

 

DZ : Il y aussi des entraînements que vous faites avec les autres composantes de l’armée française, des autres armées, et avec des alliés, tel l’exercice Eagle Volunteer récemment ?

 

COL : Oui, pour se préparer à l’engagement opérationnel. Un régiment d’infanterie ne sera jamais engagé tout seul, il sera toujours engagé à côté d’autres armes. Donc c’est bien le combat interarmes dont nous parlons ici, c’est à dire avec des camarades sapeurs, cavaliers, artilleurs, de l’ALAT, le tout formant un groupement tactique interarmes.

Il s’agit d’abord de maîtriser son domaine, c’est-à-dire le combat d’infanterie, mais dans un environnement interarmes. Les séquences de préparation opérationnelle que nous conduisons ici à Castres ou dans les camps de manœuvre de l’armée de terre mettent en œuvre ce combat interarmes.

Par ailleurs dès lors que la France est engagée sur ses théâtres d’opérations avec des alliés, nous nous devons de travailler l’interopérabilité.

C’était un des grands objectifs de l’exercice Eagle Volunteer qui a eu lieu en septembre/octobre dernier, ici dans le Tarn, avec une unité de la 173e brigade américaine aéroportée basée en Italie. Le tout évidemment dans un scenario qui nous amène aux conflits les plus probables, les conflits à venir, les plus durs, de haute intensité.

Nous nous devons de travailler en amont cette interopérabilité pour que le jour où nous serons déployés sur un véritable théâtre d’opération, nous ayons développé cette connaissance mutuelle, cette connaissance humaine fondamentale et puis l’interopérabilité au niveau des procédés, qui nous permet d’agir de manière efficace conjointement.

 

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DZ : D’autant plus sur les conflits comme Barkhane où nous voyons que la France est de moins en moins seule avec des alliés qui viennent se greffer au process. C’est intéressant à voir. Quelles sont les observations que vous avez noté depuis votre arrivée dans ce régiment en tant que jeune lieutenant ? Et sur les différentes opérations sur lesquelles vous avez été déployé, quelles ont été les grandes évolutions ? Comment se passe le combat aujourd’hui, la préparation opérationnelle, y a-t-il des grandes évolutions ?

 

COL : Il y a déjà des choses qui n’ont pas changés, ce sont les hommes, notamment les paras du « Huit » qui restent des guerriers exceptionnels, qui ont le culte de la mission et qui ont une générosité dans l’effort qui est tout à fait remarquable. Ils font preuve à la fois au quotidien sur des missions moins nobles comme au combat, d’un courage exceptionnel que je tiens à souligner ici.

J’ai eu la chance de pouvoir les voir dans toutes les combinaisons possibles et imaginables. Cela fait partie des grandes invariances, la qualité des hommes qui composent le régiment.

Concernant la deuxième partie de question, quelles sont les évolutions ? J’ai vu énormément en 20 ans d’évolution en termes de matériel. Des petits matériels individuels, notamment le matériel du fantassin, ont énormément évolué entre les années 2000 et aujourd’hui. On s’est vraiment équipé comme une armée moderne avec des moyens d’armement, d’optronique, de protection, qui sont tout à fait remarquables et qui nous assurent la meilleure efficacité au combat.

Evidemment tout n’est pas parfait, rien ne sera de toute façon parfait, c’est un puit sans fond. Mais il y a une évolution qui est vraiment notable en la matière.

Ensuite en combat, je ne suis pas persuadé qu’il y ait beaucoup d’invariant non plus, car in fine c’est bien la confrontation de deux volontés humaines, et c’est celui qui tient le dernier quart d’heure qui gagne. Quels que soient les moyens qu’on met en œuvre, quelle que soit la manœuvre qui soit imaginée, l’objectif étant d’avoir la supériorité opérationnelle sur notre ennemi et de le faire craquer moralement.

Et ça je pense que ça ne changera jamais car nous ne sommes pas des machines et c’est d’abord la tête qui guide le corps.

 

DZ : Au niveau des doctrines, on parle de la vision stratégique qu’a mis en place le CEMAT récemment. Il y a une grosse partie sur le matériel mais aussi une grosse partie sur l’entraînement qui doit être plus dur, plus cohérent par rapport à des conflits de haute intensité. Quelle est votre vision par rapport à ça, comment appliquez-vous cette évolution ?

 

COL : Je dirai que pour faire face aux conflits les plus durs il y a plusieurs composantes. Une composante rusticité ou aguerrissement, pour laquelle il s’agit de renforcer la résilience de la troupe pour avoir une troupe qui au final est dure à l’effort et est capable d’encaisser les chocs les plus rudes. Là je pense que ça fait partie des invariants ; que l’on soit face à une armée conventionnelle moderne ou face à des insurgés c’est encore une fois le mental qui fera toute la différence. Et dans ce cadre-là s’entraîner à l’aguerrissement et la rusticité est assez simple, surtout pour un fantassin : c’est du parcours d’obstacles, de la course d’orientation, ce qu’on appelle nous ici le cross barda (vous prenez vos équipements et vous allez courir dans la montagne).

C’est passer des séquences sur le terrain jour, nuit, avec peu de sommeil et beaucoup de sollicitations. C’est avoir beaucoup de rusticité sur le terrain en emportant le minimum de confort. Ça je dirai on sait faire, ce n’est pas très compliqué.

Ensuite vous avez une composante qui est plus technique, parce que face à un adversaire de même pied, voire qui a une forme de supériorité opérationnelle sur vous via la technologie, il y a certains domaines sur lesquels il faut plus travailler. Je pense à la guerre électronique. Il faut savoir réagir à une attaque ou une intrusion de guerre électronique, savoir réagir et se protéger face à une attaque NRBC, savoir réagir face à un tir d’artillerie, savoir s’enterrer...

Parmi tous ces savoir-faire certains sont nouveaux (comme la guerre élec), d’autres sont aussi vieux que la guerre (savoir s’enterrer pour réagir face à un tir d’appui ennemi). Il y a également le combat anti-char pour lequel nous menons déjà des actions pour pouvoir renforcer les compétences que ce soit avec des moyens règlementaires (roquettes anti-char, missiles anti-char) mais aussi des moyens de circonstances un peu plus rustiques (explosifs, cocktail molotov...)

Pour toutes ces composantes-là, on doit être capable de mettre en œuvre un certain nombre de moyens qui nous permettent de combattre efficacement un ennemi blindé mécanisé.

 

DZ : C’est quelque chose qu’on a pu voir sur l’exercice Eagle Volunteer justement, où vous avez mis en place cette doctrine qui est, comme vous dites, pas nouvelle et aussi vieille que la guerre. Ce sont des techniques utilisées par la résistance pendant la seconde guerre mondiale. C’est intéressant au final, à l’heure où l’on parle de Scorpion, de la nouvelle technologie intégrée à l’armée… Comment fait-on pour revenir à des moyens plus conventionnels ?

 

COL : Je dirai que dans un combat de haute intensité, chaque composante a sa place et chaque composante à sa place. Pour la composante TAP, pour nous fantassins, nous avons vocation, une fois largués derrière les lignes ennemies, à combattre à pied, avec des moyens technologiques qui sont forcément plus limités que lorsque vous opérez à partir d’un engin qui porte la technologie.

Et pour autant nous avons notre place car nous sommes capables de mettre en œuvre des moyens à la fois rustiques tout comme performants, comme le poste anti-char MMP qui est un bijou de technologie.

Mais nous devons être capables quand ce dernier n’a plus de missiles ou est inopérant, de savoir travailler avec les moyens du bord. Et ça je pense que c’est aussi un des invariants de la guerre, d’être capable de maîtriser la technologie du moment qui nous permettra d’augmenter nos chances d’avoir la supériorité opérationnelle, mais nous devons être capable de travaille en mode dégradé, parce que in fine, encore une fois, c’est bien le moral qui fera que la décision sera remportée dans un camp ou dans l’autre, et non pas le matériel. C’est bien le mental qui comptera.

 

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DZ : D’où l’importance de l’esprit de corps, l’importance de lutter contre l’individualité ?

 

COL : Oui il n’y a pas de Rambo chez nous, ça n’existe pas c’est juste au cinéma. Notre force provient du collectif. C’est un peu à l’image d’une équipe de rugby : un ailier n’est rien tout seul, un avant n’est rien tout seul, un arrière n’est rien tout seul. On a besoin du pack, des ailiers, de l’arrière, de tout le monde. C’est la force du collectif qui fait qu’a la fin on arrive à marquer l’essai ou pas. C’est bien ce collectif que nous nous devons de développer et de consolider, car c’est bien ça qui fera la différence à la fin.

 

DZ : On parlait des troupes aéroportées. Sachant que dans les confits aujourd’hui, il y a moins d’opérations aéroportées, quel est l’intérêt aujourd’hui d’avoir une force aéroportée dans l’armée française ?

 

COL : C’est très intéressant ce que vous dites car ça fait partie des idées reçues qu’il faut battre en brèche. Depuis la seconde guerre mondiale ce sont des milliers d’opérations aéroportées qui ont été menées par les différents pays qui possèdent cette composante. Je dirai que pour l’armée française, la dernière opération aéroportée qui a été menée, ce n’est pas très loin de nous, c’est quelques mois en arrière par le 3e RPIMa dans le Sahel.

Des opérations aéroportées sont menées en permanence, mais ne sont pas forcément connues parce que ça fait partie d’une des phases de la manœuvre. Sauter en parachute n’a pas de finalité en soit, c’est la mission derrière. Mais l’avantage de sauter en parachutiste c’est que vous vous insérez par surprise à un endroit qui est forcément clé dans le dispositif ennemi, et que vous cherchez justement à le déstabiliser.

C’est un mode d’action qui est utile pour créer la surprise, créer des déséquilibres dans la manœuvre ennemie. Ce n’est pas une fin en soit mais c’est une composante importante dans la manœuvre. D’ailleurs pour s’en convaincre, je vous pose la question inverse : pourquoi les plus grandes nations guerrières et militaires aujourd’hui (je prends l’exemple des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine…), pourquoi ces grandes nations vont-elles conserver une composante aéroportée ? Si elles l’ont conservée c’est qu’il y a une bonne raison.

 

DZ : Les nations européennes l’ont plutôt délaissée, la France fait figure d’exception au sein de l’Europe avec cette composante. Il y a un peu les allemands, les anglais, mais c’est réduit. Je voulais vous faire réagir dessus parce que c’est intéressant justement ce que vous dites. Il y a une idée reçue qui se demande à quoi ça sert d’envoyer 300 parachutistes dans le désert par voie aéroportée quand on a d’autres moyens de le faire éventuellement.

 

COL : Tout simplement c’est pour créer la surprise, parce qu’il est impossible de prévoir une opération aéroportée. Et dès lors que vous voulez surprendre un ennemi, même sur un schéma classique : vous parachutez à un endroit X parachutistes qui vont se mettre en ligne d’arrêt. Et avec un dispositif terrestre beaucoup plus visible et prévisible, vous allez pousser, mettre en mouvement, rabattre les insurgés sur ce butoir qu’ils n’ont pas vu venir. On peut tout imaginer en fait, et ça nous donne cette souplesse d’utilisation.

Par ailleurs, au-delà du combat asymétrique ou symétrique sur lequel les paras ont toute leur place, je pense notamment au fait que la France a tout intérêt à conserver cette composante aéroportée. Car vous le savez, dans le monde nous avons une communauté de ressortissants importante, et il y a eu beaucoup d’opérations aéroportées pour procéder à des évacuations de ressortissants suite à des exactions qui ont été réalisées.

La plus emblématique évidement est celle de Kolwezi en 1978. C’est un outil très réactif qui au final consomme peu de ressources, encore une fois contrairement aux idées reçues. Et qui procure un surcroît de liberté d’action aux décideurs politiques.

 

DZ : C’est une option supplémentaire.

 

COL : Exactement. Et à la guerre, il y a un principe de base qui est le contournement de la puissance. Dès lors que vous ne possédez pas l’intégralité des outils, l’ennemi cherchera à s’en équiper justement pour contourner votre puissance.

 

DZ : On est plus dans la diplomatie, mais est-ce que ce n’est pas ça qui attire les forces américaines à venir s’entraîner avec vous ici dans la montagne noire, parce que vous avez cette composante ? Car je sais que vous faites parfois aussi des échanges de brevet sur des exercices ?

 

COL : Le partenariat entre les Etats-Unis et la France date depuis la révolution américaine. Nos deux pays sont de vieux alliés et nous avons toujours eu l’habitude de travailler ensemble. L’Histoire ne ment pas, regardez la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale.

La France et les Etats-Unis sont deux pays qui se connaissent bien et qui s’estiment je pense, et sur lesquels les forces armées ont toujours eu l’habitude de travailler ensemble.

 

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DZ : Vous concernant, de manière personnelle, j’ai lu que vous avez fait un séjour aux Etats-Unis pendant un an pour étudier à l’US Army War College ?

 

COL : Oui c’est ça tout à fait.

 

DZ : Vous pouvez me parler un peu de cette expérience ?

 

COL : Une belle expérience déjà à vivre en famille, sur une année. C’est vraiment intéressant car vous voyez votre famille évoluer dans un nouveau milieu, avec un nouvel environnement, avec une langue à apprendre, une langue à apprivoiser, surtout quand vous avez des enfants en bas âge.

Une véritable aventure familiale. Et d’un point de vue professionnel j’ai trouvé ça particulièrement enrichissant car vous vous retrouvez le seul officier français sur les 400 stagiaires dont 76 étrangers (de 76 pays différents), donc une richesse incroyable parce que venant de tous les horizons.

Enrichissant aussi pour le contact avec nos camarades américains afin de comprendre quelle est leur perception du monde, les points d’appui sur lesquels ils posent leur vision stratégique. C’est toujours intéressant d’approfondir ses connaissances de nos alliés et de créer des connections. Nous parlions d’Eagle Volunteer, c’est grâce à ce stage aux Etats-Unis que j’ai fait la connaissance de l’actuel colonel qui commande la 173e brigade basée en Italie et qui nous a permis de réaliser cet échange.

 

DZ : Le réseau ! On a fait un bon tour d’horizon de votre métier. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de votre expérience en Afghanistan, où vous avez été déployé au cours d’un mandat particulièrement intense pour l’armée française ?

 

COL : J’ai vécu deux missions en Afghanistan qui étaient foncièrement différentes car j’occupais deux postes différents. Ma première expérience était en 2008 en tant que capitaine commandant d’unité. Là j’étais avec mes marsouins paras dans la mêlée et nous étions déployés sur le terrain pour lutter contre les insurgés, les talibans. Le nez dans le guidon et dans la mêlée. Une expérience très forte d’un point de vue humain.

Nous étions engagés au combat de manière quasi quotidienne, donc beaucoup de souvenirs et des moments un peu difficiles aussi, mais une expérience inoubliable et qui nous a permis de tisser aussi ces liens dont je vous parlais tout à l’heure entre certains de mes parachutistes et moi-même que je connais depuis plus de 20 ans.

C’était ma première expérience, une expérience à consonance plutôt guerrière, qui dissone de manière assez étonnante avec ma deuxième expérience puisque c’était dans le cadre de la mission Ecole de guerre. J’étais stagiaire Ecole de guerre et donc j’étais à ce moment-là déployé sur Kaboul en tant qu’adjoint au conseiller communication, qui lui-même conseillait le général commandant la Task Force Lafayette (la brigade française déployée en Kapisa).

C’est donc plus sous un prisme communication que j’ai vécu ce mandat, un mandat très intense parce qu’effectivement il y a eu beaucoup de tués dans les rangs français et il y a eu des événements aussi assez incroyables comme la mort de Ben Laden suite à l’action américaine au Pakistan. Donc des évènements à traiter en termes de communications qui étaient particulièrement intéressants.

 

DZ : C’est sur ce mandat également qu’il y a eu la mort d’un photographe du sirpa. Un évènement qui n’était pas arrivé depuis très longtemps, qu’un communiquant de l’armée tombe au combat.

 

COL : Quand on parle de guerriers, il y a le guerrier qui tient le fusil, et il y a le guerrier de l’image, qui a troqué son fusil soit par une caméra soit par un appareil photo. Et je vous une admiration sans borne pour ces guerriers de l’image. Car lorsque ça tire dans tous les sens, eux ne conservent que leur moyen d’image, leur caméra, et suivent au plus près pour pouvoir témoigner de ce qu’il s’est passé.

Il faut énormément de courage parce que le reflexe premier de tout humain normalement constitué est de justement se protéger. Et bien eux s’exposent, pour pouvoir témoigner des actions de combat, de feu. Et effectivement nous avons perdu un de nos camarades lors d’une de ces actions de feu, ce qui montre bien l’engagement de tous. Ce n’est pas parce qu’on ne porte pas de fusil qu’on n’est pas un guerrier dans l’âme.

 

  

DZ : C’est Sébastien Vermeil qui a perdu la vie à ce moment-là, le 13 juillet 2011. En deux mandats complétement différents, qu’est-ce que ça vous a appris sur la communication à ce niveau-là ? Parce qu’au final c’est une de vos responsabilités en tant que chef de corps, vous êtes responsable de la com du régiment. Qu’est-ce que vous avez appris et comment ça impacte vos actions au quotidien ?

 

DZ : Je vous ai parlé tout à l’heure du champ de bataille des perceptions. Je pense que cette mission m’a aidé à comprendre l’importance de ce champ de bataille qu’il ne faut pas négliger. Parce que vous pouvez avoir sur le terrain une victoire tactique, mais une défaite stratégique parce que d’un point de vue communication les résultats obtenus sur le terrain ne seront pas du tout relayés de la bonne manière.

On peut perdre d’un point de vue communication même si on a gagné tactiquement d’un point de vue militaire. Donc les deux sont forcément liés surtout dans nos démocraties où l’opinion publique est particulièrement importante.

Et donc ça m’a permis de comprendre l’importance des perceptions sur ce champs de bataille qui est immatériel mais ô combien important. Comment est-ce que ça agit sur la communication que nous menons aujourd’hui au régiment ?

C’est une communication très différente car ce n’est pas une communication opérationnelle, qui relève de l’état-major des armées, mais une communication dite organique, avec les deux objectifs que je vous ai indiqué tout à l‘heure : à la fois cultiver la fierté d’appartenance de mes parachutistes au 8e RPIMa, et chercher à attirer d’autres jeunes et les inciter à venir s’engager pour leur pays.

Pour autant, bien conscient de l’impact de cet aspect-là, nous menons une communication que j’essaye des plus actives pour pouvoir toucher les objectifs que nous nous sommes fixés dans la matière.

 

DZ : Pour terminer, s’il y avait un conseil à donner, quel conseil vous donneriez à un jeune qui pense éventuellement à s’engager au « Huit » ou ailleurs, qui s’intéresse aux faits militaires ? De toute votre expérience et votre retour.

 

COL : Franchis le pas, franchis la porte ! Parce qu’il pourra y découvrir ce qu’il est venu chercher, c’est-à-dire un cadre, de l’aventure, et la capacité d’évoluer parce que le système et notre institution sont ainsi fait que l’escalier fonctionne.

On a toujours l’habitude de parler d’ascenseur social mais je n’aime pas cette expression car l’ascenseur vous appuyez sur le bouton et sans effort vous montez au 10e étage.

L’escalier social vous le montez à la force des muscles des jambes et c’est vraiment ce qui fonctionne dans notre institution. Je vais donner un exemple très simple, celui d’un de mes lieutenant, qui est actuellement à l’équipe de mes commandos parachutistes qu’il a rejoint l’été dernier. Il y a exactement 8 ans, il s’est engagé en tant que jeune marsouin au 8e RPIMa. Il a grandi au sein du « Huit », il a fait ses preuves, il a fait son trou. Et à la force du poignet et grâce au mérite, qui est quand même quelque chose de prégnant au sein des armées, il a gravi les différents échelons et a réussi un concours exigeant.

Il s’est très bien classé pour pouvoir choisir à nouveau le 8e RPIMa. Il est revenu avec deux barrettes de lieutenant aujourd’hui et il est aux commando para, et ça c’est un magnifique exemple d’escalier social qui doit inciter nos jeunes à franchir le pas et à se dire « En avant, je me donne les moyens de mes ambitions, je n’ai pas envie d’être un assisté, j’ai envie de progresser, j’ai envie d’y aller ».

 

DZ : merci pour votre temps et tout ce partage d’expérience !

 

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