Les coulisses de l'opération Sangaris
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L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Cette semaine, nous partons à la rencontre du capitaine Thibault. Cet officier de la Légion étrangère était jeune lieutenant en 2014 pour sa première opération extérieure. Il est envoyé en Centrafrique pour l’opération Sangaris. À cette occasion, un photoreporter français : Édouard Elias, a suivi sa section pendant plusieurs mois pour documenter les moments de tension sur le terrain, mais aussi le quotidien des jeunes soldats à l’occasion de cette mission aux conditions souvent très rustiques. Dans le numéro 4 de Défense Zone, nous avions consacré le portfolio au travail de ce talentueux photographe.
Présentation
Thibault est actuellement commandant d’unité de la 1er compagnie du 2e régiment étranger d’infanterie de Nîmes (2e REI). Après des études de commerce, il décide de s’engager comme officier sous contrat (OSC) dans la voie "encadrement". Après une formation générale aux écoles de St Cyr Coëtquidan et une spécialisation à l’école d’infanterie, il choisit la Légion étrangère. Pendant quatre ans il exercera les fonctions de chef de section avant de passer capitaine. Aujourd’hui le jeune officier est dans sa deuxième année de commandement. Il « rendra » sa compagnie à l’été.
Sa première OPEX
Pour son premier départ, le jeune lieutenant a décidé de tenir un journal de bord. Il partage ses premières notes. « 2014, 2 juillet putain ça y est, je pars en OPEX. C’est un sentiment mitigé. Départ en bus de Nîmes vers Paris Charles de Gaulle. 3 juillet 8h30. Embarquement dans l’avion, direction Bangui, c’est un départ vers l’inconnu. Clairement j’en ai gros sur le cœur. Je pars dans une zone de guerre, moi qui 2 ans et 7 mois auparavant ne connaissait rien du monde militaire. Je pars pour une mission complexe. Texto de mes proches, touchants. Je réalise que c’est une mission importante, une mission d’où je peux ne pas revenir ou alors complètement différent. J’arrive à Bangui. La vie du bidonville à M’poko près de l’aéroport et du camp français me met dans l’ambiance. Je reprends un petit avion, direction Bria bastion des ex-séléka. Installation dans un camp à l’est de la RCA pour relever une section du 92e RI. L’emprise est gardée par des soldats congolais de la MINUSCA. Le brief du soir me paraît complexe, il va falloir comprendre et vite, dans trois jours ma section sera sur place. Je suis responsable de mes 32 légionnaires, de leur vie, de leur mort. La situation est calme, mais il y a 2 mois le lieutenant que je relève était braqué par des rebelles. Par son sang-froid, il a réussi à calmer la situation… »
Pour Thibault la situation doit être vite comprise pour pouvoir ensuite donner des ordres à ses légionnaires. « Mes hommes ne sont pas là pour faire de l’analyse. C’est à moi de le faire, de comprendre et de traduire tout cela en ordre clair. Je dois rendre simple à ses yeux une situation complexe. »
Le sentiment d’être prêt ? Le poids de la responsabilité ?
« Même si on ne peut jamais dire être complètement prêt, c’est pour ces moments-là que l’on s’engage. La formation, l’entraînement, le cheminement intellectuel de l’engagement et de la préparation ensuite permettent de se sentir prêt à accomplir la mission. On fait beaucoup confiance à notre préparation physique et tactique. Tout doit bien se passer, car nous avons été formés pour ça ». Pour Thibault, dont c’était le premier séjour en Afrique (hormis un passage de deux semaines à Djibouti avec la division d’application des lieutenants), le chef ne doit pas se poser de question une fois sur place. Elles se posent et doivent se poser avant le départ, car « sur place c’est trop tard ». Le chef doit être à la hauteur de ce que l’on attend de lui, pour ces hommes et pour sa chaîne hiérarchique.
Quelle était la mission ?
Sur cette zone, théâtre de nombreuses exactions, les militaires français devaient empêcher les affrontements entre les deux factions rebelles (ex-séléka et anti-balaka) qui avaient déjà fait de nombreuses victimes. C’était aussi protéger la population pour leur permettre de retrouver une vie la plus "normale" possible. Dans ces conditions les premières interventions sont toujours marquantes « il faut prendre des décisions lourdes de sens avec à la clé la vie de ses hommes » affirme Thibault.
Les conditions de vie sur place ?
« Nous vivions de façon très rustique, mais comme tous les soldats savent le faire. Notre entraînement nous avait préparés à ça. La grosse différence reste le climat. C’est un environnement tropical avec de fortes chaleurs et beaucoup de pluie. Pour affronter ces conditions difficiles, nous pouvions compter sur une très forte cohésion.
Les légionnaires sont déjà habitués à vivre ensemble une grande partie de leur temps. Les 5 premières années, ils logent tous au quartier, dans les mêmes chambres. Les week-ends, à Noël, tous ces moments créés une relation très puissante avec chacun d’eux. Ce ne sont pas des collègues entre eux, ce sont des frères d’armes. La relation avec le chef est aussi particulière, car nous passons, comme les soldats, une grande majorité de notre temps avec nos hommes. Le respect du chef est inscrit dans le code d'honneur du légionnaire, c’est une relation très particulière avec lui. Tout cela donne une cohésion exceptionnelle dans la section et permet d’affronter toutes les situations avec beaucoup plus de force. »
Comment commander des légionnaires du même âge ou plus vieux que soi ?
Pour le capitaine, quand on arrive comme jeune chef de section, il faut savoir écouter les plus anciens. Les cadres étaient militaires du rang auparavant et ont une vraie expérience, notamment le sous-officier adjoint. Il faut apprendre d’eux, en toute humilité. C’est aussi être à l’écoute des hommes, les respecter, les comprendre pour mieux les commander. Pour qu’ils vous suivent à la guerre, ils doivent avoir confiance en vous et elle se gagne déjà au quartier, au quotidien, mais aussi sur le terrain lors des entraînements. Pour le légionnaire le chef est sacré. D'instinct on lui fait confiance, car il a été formé . Cela oblige et impose d’être digne de cette confiance et de toujours tout faire pour prendre les bonnes décisions.
L’arrivée d’un photographe en opération
« Avec Édouard Elias tout s’est passé très naturellement. C’est une personne humble qui s’est tout de suite intégrée à la section. Nous avions un peu parlé de son passé et je savais qu’il avait déjà vécu des choses très difficiles sur le terrain lors de ses précédents reportages, mais il restait discret là-dessus. Il a de suite compris la particularité de cette opération et celle d’être avec des légionnaires. Il y a quelque chose d’extra ordinaire à suivre des militaires de 20 à 30 venus des quatre coins de la planète pour servir l’armée française dans un coin perdu de l’Afrique centrale. La force d’Édouard est d’avoir réussi à capter ça dans ces superbes photos. Il a réussi à mettre en image les relations humaines, la force des regards, lors d’opérations évidemment, mais aussi au jour le jour, pendant les phases de repos, d’attente, etc. Ces images sont rares, mais elles correspondent bien à ce que nous avons vécu. Aujourd'hui je garde une vraie relation d’amitié avec lui. Elle s’est faite grâce à sa personnalité et le fait qu’il soit resté de longues semaines avec nous, il a vraiment voulu s’intégrer à la section. Nous avons créé des liens de confiance très forts entre nous. »
Les médias montrent-ils une bonne image de l’armée ?
Pour l’officier, son travail n’est pas dicté par la façon dont il est regardé par les médias. Mais il est toujours difficile à retranscrire pour quelqu’un de l’extérieur. Les photos d’Édouard Elias n’étaient pas faites pour du sensationnel et la presse a particulièrement bien reçu son travail (récompensé quelques mois plus tard par le prix Sergent Vermeille, un concours annuel des meilleures photographies sur les missions de l’armée de Terre ). Le travail d’Édouard a ensuite été exposé au pont du Gard. « C’était un bel hommage pour tous mes légionnaires, cette exposition a mis en valeur leur engagement, nous avons été touchés de ce geste et des magnifiques photos montrées au public. »
Un conseil pour un futur officier ?
« Déjà de choisir la Légion étrangère ! C’est un commandement extraordinaire. Je ne regrette pas mon choix. Ce que vous donnez au légionnaire il vous le rend par 100 ! Il ne faut pas compter son temps ni pour les former et les entraîner, mais aussi les orienter, les comprendre et tout simplement les écouter. Ils sont venus pour donner un cadre et un sens à leur vie, mais aussi pour trouver un chef. Comme chef de section, vous devenez le lien entre eux et la France tout simplement. C’est pour ça que le jeune officier est aussi respecté. Il y a beaucoup de satisfaction à vivre avec ses soldats exceptionnels sur le terrain. Huit ans plus tard, je partirais à l’autre bout du monde sans hésitation avec ceux que j’avais sous mes ordres lors de l’opération Sangaris.
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Le reportage complet d'Édouard Elias dans le numéro 4 de Défense Zone
Le numéro 6 de Défense Zone consacre son dossier à la Légion étrangère
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