Rencontre avec Michel Goya, spécialiste de l'Histoire militaire
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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Dans ce nouvel épisode nous partons à la rencontre de Michel Goya. Cet ex-colonel des troupes de marine est aujourd'hui un historien, écrivain et un analyste militaire reconnu et régulièrement invité sur les plateaux des médias. Pour Défense Zone, il revient sur sa carrière, mais aussi la place de l'armée, des engagements ou de la guerre dans la société civile.
Présentation
Michel Goya est né en avril 1962. Après son Baccalauréat il intègre une classe préparatoire au Lycée militaire d’Aix-en-Provence pour préparer le concours d’entrée à l’école spéciale militaire de Saint Cyr Coëtquidan. Malgré son échec au concours, en 1983 il décide d’intégrer l’armée de Terre au groupement de qualification des sous-officiers à l’école d’application d’infanterie à Montpellier. À l’issue de sa formation, il choisit le 170e régiment d’infanterie à Épinal. En 1988 il réussit le concours d’intégration à l’école militaire interarmes, promotion Valmy, dont il ressortira major deux ans plus tard. Comme jeune lieutenant, il choisit les troupes de Marine et sert comme chef de section au 21e régiment d’infanterie de marine à Fréjus. « Je voulais partir en opération et c’était l’époque de l’armée de conscription. Les OPEX étaient, la plupart du temps, réservées aux régiments professionnalisés de la Légion étrangère ou des troupes de marine ». Le jeune lieutenant Goya est déployé avec sa section au Rwanda en 1992 pour l’opération Noroît, puis en juillet 1993 comme Casque bleu à Sarajevo « Certainement ma mission la plus intense ». Quelques années plus tard, il commande sa compagnie en Guyane à la compagnie forêt du 9e RIMa.
Après avoir réussi le concours de l’école de guerre, Michel Goya entame ce qu’il appelle sa « troisième carrière militaire ». Il retourne sur les bancs de la faculté pour passer un DEA en histoire moderne et contemporaine, complété par un doctorat qu’il soutiendra en 2008. Au centre d’entraînement et de doctrine des forces pour faire du RETEX des opérations, notamment au grand Moyen-Orient. Il sort son premier ouvrage : « La chair et l'acier : l'armée française et l'invention de la guerre moderne, 1914-1918 », qui étudie les évolutions de l’armée française pendant la Grande Guerre. Avant un deuxième ouvrage consacré à la guerre américaine en Irak. Muté au cabinet du CEMA (général Georgelin) il qualifie cette expérience de passionnante « Je pense que mon profil d’abord de militaire ayant vécu pollueurs opération, de docteur en histoire et de spécialiste des RETEX intéressait le CEMA. Je devais lui faire des fiches récapitulatives de divers sujets, pour nourrir sa réflexion ». Il est ensuite affecté comme un des directeurs du domaine d’étude « nouveaux conflits" de l’institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) tout juste créé avant de terminer sa carrière militaire avec une mutation au CDEF « ma cinquième à Paris, ce qui est plutôt rare ». Il quitte définitivement l’institution le 31 décembre 2014.
Aujourd’hui Michel Goya continue d’écrire de nouveaux ouvrages notamment sur la guerre moderne, le comportement au combat ou l’innovation.
Devenir écrivain, une suite logique ?
« Je n’avais pas forcément imaginé ça au début de ma carrière. Mais le livre "sous le feu » j’y pensais depuis très longtemps. Je trouvais qu’il y avait un décalage entre l’entraînement et la réalité des combats. C’est difficile, car pas forcément reproductible lors des préparations aux projections. J’ai toujours été surpris de voir des tests physiques se faire en tenue de sport par exemple. On doit se préparer au combat donc tenter de reproduire les conditions les plus proches possibles. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre des notes, c’était le début de ma réflexion. Après ma réussite au concours de l’École de guerre et mon passage à la Fac, il fallait que je réfléchisse à une stratégie de carrière. N’ayant pas été cyrard je savais que j’étais « condamné » à des postes d’état-major et que le commandement sur le terrain était, hélas, terminé. Écrire et me faire connaître dans mon domaine de spécialité était le moyen de changer un peu mon destin. Évidemment avoir une certaine notoriété peut être parfois mal perçu dans les armées, mais ce côté « intellectuel » m’a permis d’avoir de meilleurs postes aussi. Maintenant que j’ai quitté l’institution, l’écriture est aussi un substitut, c’est pour moi un moyen de rester connecté à ce milieu, je peux dire avec humour que je suis définitivement piégé. »
Comment devient-on expert pour les médias ?
Pour Michel Goya c’est une conjonction de plusieurs phénomènes. « Je suis sur Paris depuis longtemps, c’est donc plus facile pour un média de m’avoir sur un plateau rapidement. À une époque j’étais disponible, présent et relativement libre. Comme l’armée est frileuse sur les questions internes ou de stratégie, un « jeune » ancien qui prend la parole intéresse forcément. Je me souviens d’ailleurs d’être invité au moment de la démission du général de Villiers. Je demande quel sera le militaire présent sur le plateau, on me répond « personne, sauf des experts civils ». J’avoue avoir été très surpris.
Quand les premiers passages télé se passent bien, vous êtes rapidement sur un listing de personnes qu’ils appellent régulièrement. En 2015 je recevais un appel par jour environ. Lors de la démission du CEMA, j’en ai eu plus d’une trentaine dans la journée. Aujourd’hui je réponds à un quart des demandes environ, sinon je n’ai plus de temps à moi ou pour me consacrer à l’écriture. Je refuse beaucoup de sollicitations qui pourraient être en désaccord avec mes convictions. J’ai l’impression de défendre l’institution, pas par vanité, mais pour expliquer la chose militaire le mieux possible. L’armée de son côté ne me donne aucune consigne. Pourtant il y a des moments où j’aimerais avoir des infos, des points de vues pour arriver avec le plus d’éléments possible lors d’interview, mais je n’ai jamais été contacté. »
Collaboration avec le Red Team
La Red Team est un groupe d’auteurs de science-fiction qui travaillent sur des scénarios de conflit dans le futur. Ce groupe permet de stimuler la réflexion sur les menaces à 20 ou 30 ans. L’armée est un gros paquebot et la lourdeur d’une telle institution impose de réfléchir à long terme. C’est une bonne base de réflexion même si je pense que l’on pourra toujours s’appuyer sur le passé. Ensuite c’est la vision du futur qui influence le présent pas le futur seul. C’est pour cela que la Red Team est une idée intéressante. Depuis la fin de la guerre d’Algérie, nous avons plusieurs fois changé de concept d’emploi. De la gestion de crise, de la police humanitaire, mais depuis 2008, nous sommes constamment en guerre. Aujourd’hui la génération de chefs a connu ses guerres, ils sont donc prêts à ces concepts. Mais c’est surtout à l’inattendu qu’il faut se préparer, c’est le plus difficile, mais c’est ça la vraie stratégie.
La prise de risque et la mort
Le problème c’est que nous sommes dans une société qui a évacué l’idée de la mort. Même les campagnes de recrutement ont tendance à l’occulter. C’est hypocrite à mon sens, car la finalité de l’engagement c’est bien le combat. Le courage, les héros ou la bravoure ne sont pas des concepts de notre temps. Il existe d’autres métiers qui demandent du courage, mais le militaire a cette particularité d’être prêt à risquer sa vie tout autant que de l’ôter. On présente souvent les militaires en périphérie des combats c’est dommage, car à mon sens leur engagement est souvent pour partir en OPEX. Si on les déçoit, ils partent. C’est comme la guerre. On emploie très peu ce mot alors que sur le terrain c’est une réalité. C’est peut-être ce « non emploi » qui fait que la mort des soldats marque autant. Il ne faut pas prendre les citoyens pour des enfants, on doit leur dire la réalité des prix.
La société et la guerre
La société civile s’est rendu compte de la réalité de la guerre en 2015 au moment des attentats. Pourtant, nous sommes en guerre contre le djihadisme depuis 1994 et les premiers attentats du GIA. Après il y a eu Vigipirate et Sentinelle. Je pense néanmoins que ces missions n’ont jamais empêché un attentat. Cela rassure la population et c’est surtout très facile pour les politiques d’engager des militaires. Ce type de mission coûte cher, monopolise beaucoup de monde et diminue les périodes d’entraînement. Entre 2008 et 2015, on a réduit les armées de 95 000 postes.
En quelques jours, sous le coup de l'émotion, la politique de recrutement s’est totalement inversée. Cela prouve aussi que notre perception de la mort ou de l’engagement peut radicalement changer en fonction des évènements. La notion de combat n’est plus taboue aujourd'hui, mais pour revenir aux héros, nous sommes encore dans le culte du héros sacrificiel. On ne parle de lui que quand il est mort. J’aimerais que l’on parle d’eux avant qu’ils ne soient tués. Et que l’on arrête aussi de se cacher de la population. Les militaires ne se présentent que par leurs prénoms, sortent dans la rue en tenue civile et passent à la télé avec un masque. L’institution doit être moins frileuse et remettre le militaire dans la société, un peu comme aux États-Unis, sans forcément basculer dans l’excès.
Conseil à un militaire qui voudrait écrire
Qu’il le fasse ! Je souffre encore de ne pas avoir écrit sur mes expériences opérationnelles quand j’étais sur place. Qu’ils racontent de belles histoires, qu’ils transmettent leur passion. C’est un excellent exercice et cela permet de faire le lien avec ceux qui ne connaissent pas ou ne comprennent pas ce que font les militaires. Parler, écrire, analyser, critiquer, c’est comme ça que l’on progresse. Ce n’est pas trahir l’institution que d’avoir un avis et de profiter de l’espace pour réfléchir librement pour le bien et le service de la France. Plus on a de militaires qui écrivent, plus on existera dans le paysage français.
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