Le rôle de l’IHEDN
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Bienvenue dans Défense Zone, le podcast qui traite des questions de Défense et de sécurité. Cette semaine nous avons rendez-vous à l’école militaire avec le Général Durieux, directeur de l'Institut des hautes études de défense nationale et de l'Enseignement militaire supérieur. N’oubliez pas de vous abonner au podcast et au magazine papier en vous rendant sur le site internet defense-zone.com.
Présentation
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis le général Benoît Durieux, directeur de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l'enseignement militaire supérieur. Je suis rentré à l'école spéciale militaire de Saint-Cyr après deux ans de classe préparatoire en 1985. J'ai choisi l'infanterie. Ensuite, j'ai servi dans plusieurs régiments d'infanterie : d'abord au premier régiment de chasseurs parachutistes, qui était à l'époque à Souge près de Bordeaux et qui était un régiment d'appelés ; puis deux ans plus tard je me suis orienté vers la Légion étrangère. J'ai servi deux ans à Djibouti à la 13e demi-brigade de Légion étrangère. Ensuite, j'ai été affecté à Nîmes, au deuxième régiment étranger d'infanterie où j'ai commandé une compagnie d'environ 150 personnes. Avec cette compagnie, j'ai participé à deux reprises aux opérations en Bosnie, d'abord dans le cadre de l'ONU puis dans le cadre de l'OTAN. Après cela, j'ai préparé l'école de guerre, comme beaucoup d'officiers le font. À la Délégation Générale pour l'Armement (DGA), j'ai eu la chance de partir étudier aux États-Unis à l'université américaine de George Stand où j'ai fait un master en "National Security Strategy". J'ai également fréquenté l'Institut d'études politiques de Paris et l'école de guerre, qui s'appelait à l'époque le collège interarmées de défense. Puis, je suis reparti à Djibouti comme chef du bureau des opérations, où j'ai passé deux ans. Mon rôle était d'entraîner le régiment, d'organiser les activités du régiment et de participer aussi aux actions de coopération régionale. Ensuite, j'ai rejoint Paris où j'ai été rédacteur de discours, d'abord pour le chef d'état-major de l'armée de terre, puis pour le chef d'état-major des armées. Cela a duré en tout quatre ans, avant que je ne revienne à Nîmes pour commander le 2e REI. Ensuite, après un passage au centre des hautes études militaires, j'ai été affecté au cabinet militaire du ministre de la Défense, successivement avec Gérard Longuet puis Jean-Yves Le Drian. J'ai moi-même commandé le centre des études militaires pendant deux ans. J'ai également commandé la 6e BLB à Nîmes pendant un an, avant de devenir chef de cabinet militaire du Premier ministre, successivement avec Édouard Philippe puis Jean Castex. Enfin, à l'été 2021, j'ai été nommé directeur de l’IHEDN."
Comment le milieu universitaire a nourri votre expérience opérationnelle ?
Ça a été un peu les hasards. Je n'ai jamais vraiment été dans le monde universitaire, mais à l'école de guerre, j'ai découvert un professeur, Hervé Couteau-Bégarie, qui m'a proposé de m'engager dans un parcours de doctorat d'histoire. Ça a duré plusieurs années, mais j'ai soutenu cette thèse. J'avais trouvé dans cet exercice un espace de liberté intellectuelle, de découverte qui m'a plu. Et j'étais convaincu que c'était un très bon complément à l'expérience opérationnelle pour ensuite être capable d'envisager les questions de défense d'un niveau supérieur, d'augmenter ma culture générale dans ce domaine-là pour préparer les futures décisions.
L’IHEDN
Qu’est-ce que l’IHEDN ?
C’est un institut qui a été créé pour la première fois en 1936, à un moment où on sentait bien que la situation internationale se tendait, et où les leçons de la Première Guerre mondiale avaient montré qu'il fallait que la défense du pays repose sur une coordination accrue entre les chefs militaires et les responsables civils. Ça n'a pas suffi évidemment à éviter la défaite de 1940, mais l'expérience a dû être suffisamment concluante pour qu'en 1947, l'IHEDN soit recréé. Il accueille cette fois non seulement les hauts fonctionnaires et les militaires, mais aussi des responsables de toutes les composantes de la société. Et c'est encore le cas aujourd'hui ; dans la session nationale notamment, on accueille des parlementaires, des hauts fonctionnaires, des chefs d'entreprise, des officiers, des journalistes, des dirigeants d'ONG, des médecins, des professeurs d'université. Donc une gamme de profils extrêmement variés. On retrouve la même chose dans les sessions en région qui sont organisées à raison de six par an, dont une outre-mer. Et on a des sessions jeunes.
Quels sont les objectifs de l’IHEDN ?
L'idée de l'IHDN est de permettre d'abord à des responsables, des futurs responsables, des gens qui ont de l'influence à travers leur métier comme des journalistes, de comprendre les enjeux de défense, d'y être sensibilisés. On ne parle pas seulement de la défense militaire, mais aussi de la défense nationale dans son sens très large. On s'intéresse à la fois à la question de cohésion nationale, de lutte contre la désinformation, contre la subversion, à la défense de notre économie, mais aussi aux normes extraterritoriales, à la lutte contre les ingérences, à la lutte contre les prises de participation hostiles dans des entreprises sensibles, et puis aux questions de stabilisation de notre environnement international proche. Donc il s'agit de sensibiliser les auditeurs de façon à ce qu’ils aient toutes ces questions-là en tête, et que même si ce n'est pas leur métier principal, ils prennent des décisions responsables, ou ils sensibilisent autour d'eux nos concitoyens à ces questions.
Il y a un deuxième volet qui est en fait très important. C'est qu'on regroupe à l'IHEDN des gens qui viennent d'horizons extrêmement variés. Et on vit dans une société où les gens ont beaucoup de mal à se parler parce qu'on a tous nos références professionnelles, nos préoccupations qui sont légitimes. Et là, pendant un an ou pendant quelques semaines, en fonction du type de session, les auditeurs ont l'occasion de se côtoyer, de discuter, et de mieux se comprendre, et de débattre.
Les différences entre les sessions nationales et régionales
La session nationale est la plus longue. Elle dure entre 40 et 45 jours, répartis dans l'année entre les mois de septembre et juin. Les auditeurs ont le choix entre cinq options consacrées respectivement aux enjeux politiques ou militaires, à l'industrie de défense, aux enjeux de la mer et d'outre-mer, aux enjeux cybers et à la défense de la sécurité économique. Il y a un tronc commun qui représente à peu près un tiers du programme; le reste du temps est consacré aux enjeux spécifiques. Cette année, il y aura environ 290 auditeurs dans cette session nationale.
La session en région est sur un format plus resserré. Le plus souvent, c'est 4 semaines de quatre jours qui se déroulent dans quatre villes d'une région donnée. Ce n'est pas qu'une session consacrée aux enjeux en région, même si on cherche à appliquer les questions nationales aux réalités régionales. Cela peut mieux correspondre à certains profils, à certains agendas, à des gens pour qui il ne serait pas possible de se libérer pendant 40-45 jours. Il arrive parfois aussi que des auditeurs fassent successivement les deux, mais c'est assez rare.
Puis, chaque session en région est accompagnée d'un cycle jeune, qui dure une semaine seulement, pour des gens âgés entre 20 et 30 ans, et qui sont pour moitié des étudiants et pour moitié des jeunes professionnels.
Les enjeux de l’IHEDN
Je pense que l’IHEDN est plus que jamais d'actualité. Pourquoi ? Parce que quand on regarde les conflits, et si on regarde le conflit en Ukraine par exemple, on voit très bien à quel point celui-ci traduit le fait que les rapports internationaux se durcissent et que l'affrontement ne se limite pas à la seule question militaire, il y a aussi une dimension économique, Vladimir Poutine a fait une forme de chantage au gaz. Il y a des pays qui utilisent leur supériorité dans tel ou tel domaine économique pour exercer des pressions politiques. Les attaques cyber sont devenues monnaie courante et entrent, peu à peu et malheureusement, dans les mœurs. Donc, l’IHEDN, qui a pour vocation d'examiner les questions de défense dans un spectre extrêmement large, est à mon sens plus utile que jamais. Aussi, il est plus utile parce que nous avons une société aussi qui est plus diversifiée entre des domaines professionnels extrêmement variés. Faire se rencontrer les gens est essentiel, et on le sent très bien quand on voit les auditeurs, c'est plus important que jamais.
Faut-il augmenter les actions de l’IHEDN ?
Évidemment, nous avons une capacité humaine limitée, donc on cherche à en tirer le meilleur profit. Je vais vous donner un exemple d'innovation : cette année, dans la session nationale, nous avons proposé à des auditeurs résidant en outre-mer de suivre la session. Ils viendront quatre fois dans l'année en métropole pour suivre des activités soit en métropole soit pour accompagner les auditeurs de la session nationale dans des déplacements à l'étranger. Et ça, c'est quelque chose d'assez nouveau qui permet de faire participer les résidents ultramarins encore mieux à toutes les sessions de l'IHEDN. Nous avons aussi repris des sessions outre-mer, et on va essayer d'augmenter le nombre de sessions pour les jeunes. Pour l’IHEDN, il y a aussi un enjeu de communiquer et de partager avec les médias ces missions. Par exemple, il y a ce qu'on appelle les "Lundis de l’IHEDN", qui proposent des conférences à Paris, mais aussi du contenu, des interviews, des vidéos, des textes. C'est une façon de démultiplier notre action.
L’indépendance de l’IHEDN
Je dépends du Premier ministre, et l’IHEDN est un organisme gouvernemental. En tant que tel, nous nous inscrivons dans la politique du gouvernement et la politique étrangère du chef de l'État. Mais ce l’IHEDN apporte peut choisir des angles d'approche. On peut mettre l'accent sur tel ou tel sujet, conseiller tel ou tel livre. De ce point de vue, nous contribuons au débat. Je crois qu'il n'y a pas de contradiction entre s'inscrire dans la politique du gouvernement et animer ou contribuer à un débat, rassembler des acteurs qui éventuellement portent des vues différentes pour les faire discuter. C'est ce que nous faisons dans nos conférences, quand nous conseillons des ouvrages ou donnons des conseils de lecture, qui ne sont pas écrits par un membre du gouvernement mais par des auteurs qui ont toute liberté. Je crois qu'il y a un énorme espace de débat pour sensibiliser, éveiller les esprits et, finalement, contribuer indirectement à une plus grande pertinence des actions, à la fois des acteurs privés mais aussi publics, y compris gouvernementaux.
L’intérêt grandissant des Français pour la géopolitique
Il y a manifestement un véritable intérêt pour ce sujet. Pour preuve, en deux ans, le nombre de candidatures à la session nationale de l'IHEDN a augmenté de près de 50%, soit environ 20-22% par an. Cette initiative d'académie de défense découle d'un constat que j'ai fait, et que plusieurs d'entre nous ont partagé. Il nous semblait regrettable d'avoir tant d'organismes sans qu'ils coopèrent efficacement et qu'ils rayonnent davantage vers l'extérieur. Les travaux qui en découlent ne sont pas conçus uniquement pour des spécialistes, bien qu'ils soient souvent rédigés par eux. Ils s'adressent aussi à des non-spécialistes, ce qui est primordial. Si l'IHEDN peut contribuer à cela, nous en sommes très heureux.
Concernant l’attrait des officiers, je crois que, de par leur fonction, ils ont toujours été sensibles à ces questions. Comme le reste des Français, ils prennent de plus en plus conscience de l'importance de la stratégie. Ils se posent des questions telles que : à quoi sert l'action militaire ? Pour quels objectifs politiques ? Ces questions animent beaucoup d'officiers, qui sont donc naturellement enclins à enrichir leur réflexion, que ce soit par des sessions à l'IHEDN ou par des lectures. C'est d'une importance capitale. Il y a des moments dans l'histoire où l'on se focalise sur la tactique, comme pendant la Première Guerre mondiale ou entre les deux guerres. Cependant, il y a des moments où il est essentiel de penser stratégiquement.
Comment définiriez-vous l’esprit de défense nationale ?
À l'IHEDN, nous avons tenté d'y réfléchir afin de pouvoir l'expliquer clairement à l'extérieur.
Si l'on examine ces notions, on distingue plusieurs concepts, qu’on peut imaginer comme quatre cercles concentriques :
- La défense militaire : C'est le cercle central. Elle concerne l'utilisation de la violence physique, soit dans le contexte de la guerre ou de sa préparation. Il est crucial de noter qu'il y a une distinction fondamentale entre la guerre et la paix.
- La défense nationale : Ce cercle entoure le précédent. Tout en englobant la défense militaire, il va bien au-delà. Il traite de notre protection contre toutes les menaces, qu'elles soient militaires ou non, avec une intention politique. Ces menaces peuvent prendre diverses formes, comme l'espionnage, la désinformation, les attaques cybernétiques, ou l'instrumentalisation de la dette.
- La sécurité nationale : C'est un cercle plus large. En plus des menaces de la défense nationale, il englobe les risques non intentionnels, tels que les catastrophes naturelles, technologiques ou les pandémies.
- La sécurité internationale : C'est le cercle le plus externe. Il met en avant l'idée que ces problèmes ne peuvent être résolus seuls. Par exemple, la France privilégie une action multilatérale et concerté
Le cas ukrainien
Concernant la situation en Ukraine, elle semble interagir avec chacun de ces cercles. Sur le plan militaire, nos centres de doctrine analysent les confrontations entre Ukrainiens et Russes pour en déduire des enseignements, comme l'importance des drones ou de l'artillerie. Mais il y a aussi des leçons plus vastes, comme la résilience de la population ukrainienne, l'importance de la cohésion nationale, l'engagement d'acteurs privés et les enjeux énergétiques. L'Union européenne, notamment, a joué un rôle prépondérant dans la gestion de cette crise.
Au-delà, cela peut poser des questions de risque, et on le voit bien à travers les risques sur les centrales nucléaires, ou bien les risques que fait peser cette crise ukrainienne sur les réseaux d'approvisionnement en céréales. Par exemple, cela peut mettre des pays, notamment d'Afrique, en situation très difficile. Le fait de lister un peu tout ça donne l'impression qu'il y a une part encore plus importante, dans les conflits de demain, liée aux technologies, à l'innovation technologique, par le biais des drones, des satellites, etc. Mais il y a aussi, du coup, une part de l'entreprise, de l'économie, de l'entrepreneuriat qui est de plus en plus forte. On voit que dans l'économie américaine, beaucoup de grands milliardaires influencent la politique. On voit aussi qu'il y a une forme, près de chez nous en Allemagne par exemple, qui s'approche de la sous-traitance des armées, bien que ce ne soit pas exactement cela.
Y a-t-il un recul de la composante militaire ?
Il y a plusieurs questions. Il y a la question de savoir si l'affrontement militaire est toujours aussi central par rapport à d'autres modes d'action. Puis il y a une deuxième question sur la tendance, observée par certains, à la privatisation de la guerre. Sur la première question, je recommande la lecture du livre « Pensée et culture stratégiques russes » de Dimitri Minute, qui a étudié le débat militaire russe depuis les années 90 jusqu'à la guerre en Ukraine. Ce livre montre que les élites militaires russes, après de nombreux débats, se sont peu à peu convaincues que la lutte armée devenait marginale. L'essentiel serait plutôt le domaine du cyber, de l'intimidation, de la désinformation, etc. En observant la Crimée, elles étaient convaincues d'avoir été vaincues par l'Occident lors de la guerre froide avec ce type de mode d'action. C'est probablement ce qui a conduit une partie des chefs militaires russes à concevoir leur manœuvre initiale sur l'Ukraine. Évidemment, cela a échoué. Je pense que ce débat est extrêmement important, et ce livre est remarquable. Il montre que, malheureusement, la lutte armée reste l'ultima ratio. Depuis Louis XIV, pas grand-chose n'a changé à mon avis.
Concernant la privatisation accrue de l'affrontement, y compris armé, je pense qu'il faut rester prudent. Les entreprises jouent sans doute un rôle accru dans la fourniture de moyens non liés directement à la lutte armée : spatiaux, de communication, logistiques. Cependant, pour la lutte armée, ce serait une erreur de penser que nous allons vers plus de privatisation. Les événements récents en Ukraine avec la société Wagner vont probablement dissuader de nombreux pays de reposer leur défense sur des sociétés militaires privées. Ces sociétés peuvent présenter des risques internes majeurs. Je ne vois pas d'exemples récents où des sociétés militaires privées ont donné de bons résultats. Dans ces cadres, on perd la composante de défense nationale et d'esprit de défense car tout devient purement mercantile.
La Légion étrangère, un modèle d’inclusion des étrangers ?
Je pense que la Légion étrangère est évidemment quelque chose d'exceptionnelle. Elle permet de rassembler, pour l'exercice d'une mission commune, des étrangers qui viennent de partout. En général, dans la Légion, il y a plus de 100 nationalités. Comment cela se fait-il ? À travers l'apprentissage en commun du français, certes, mais aussi, et il ne faut jamais l'oublier, à travers un entraînement à la vie en commun, un entraînement physique, un entraînement au combat qui est tendu vers la finalité opérationnelle. C'est cela qui explique que la Légion étrangère soit aussi respectée. Quelles leçons en tirer pour la société civile ? La société civile n'a pas vocation à se préparer au combat, donc tout n'est sûrement pas transposable. Je pense que ce qui est transposable, c'est le fait qu'au sein de la Légion étrangère, on accorde énormément d'attention à la personne humaine, à la singularité de chaque légionnaire et à ce qu'il peut apporter à la collectivité. Ces leçons sont à la fois intemporelles et applicables partout. Il s'agit d'être capable de regarder une personne en considérant ce qu'elle peut apporter à la collectivité, avec un mélange d'exigence et de bienveillance.
Dernier conseil
A un autre jeune officier qui se lance dans la carrière des armes, je lui dirais de s'engager pleinement dans son métier, qui est le plus beau des métiers. Mais là, je ne suis pas très impartial. Il ne faut pas hésiter à commander et croire à ce que l'on fait, parce qu'il a choisi une fantastique aventure.
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