Le reportage de terrain avec Régis Le Sommier

Le reportage de terrain avec Régis Le Sommier

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Bienvenue dans Défense Zone, le podcast qui traite des questions de Défense et de sécurité. Cette semaine nous partons à la rencontre de Régis Le Sommier, journaliste spécialiste des territoires en guerre, directeur de la rédaction du média Omerta et ancien directeur adjoint de Paris Match. Avec lui nous parlerons de traitement médiatique, notamment concernant le conflit en cours en Ukraine.

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Présentation

Régis Le Sommier, 54 ans, compte plus de la moitié de sa vie dédiée au journalisme, en particulier sur le terrain. Ayant passé 27 ans à Paris Match, dont 10 ans en tant que directeur adjoint, il n'a jamais abandonné le terrain. Sa passion pour le journalisme se manifeste par un "tropisme divergent pour le terrain", comme quelqu'un l'a un jour décrit. Il aime discuter de sujets tels que la société et la géopolitique, en s'appuyant toujours sur ses expériences et les témoignages recueillis dans le monde. Bien qu'il reconnaisse la valeur du savoir encyclopédique, sa singularité réside dans sa capacité à raconter les histoires des autres et à puiser dans celles-ci des éléments pour expliquer des points de vue, des phénomènes ou des évolutions de la société.

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Le média Omerta

Les débuts du média

Régis Le Sommier, fort de ses 27 ans d'expérience à Paris Match, où il travaillait en collaboration avec des photographes, a développé une approche narrative centrée sur l'image. Cette méthode, basée sur la scénarisation et le storytelling, s'est avérée adaptable aux nouvelles plateformes de communication numérique. Le concept d'Omerta a émergé de son désir d'appliquer cette approche à un autre contexte, en l'occurrence, la guerre en Ukraine. Ayant également couvert la guerre en Afghanistan, il a décidé de se pencher sur cette dernière avec Omerta, explorant les réalités sous le joug des talibans. Pendant deux semaines, l'équipe a plongé dans le pays pour documenter les espoirs, les défis et les différentes facettes de la vie afghane, notamment la situation des femmes et des toxicomanes. Le résultat est un documentaire de 52 minutes qui offre une perspective alternative aux médias mainstream en explorant un territoire souvent négligé.

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Un média indépendant et libre

Omerta, un média au positionnement défini et à l'identité affirmée, se distingue par sa double approche nationale et internationale. Couvrant des thèmes variés tels que la sécurité, l'immigration, et explorant des sujets internationaux tels que l'Arménie, le Liban, l'Arabie Saoudite, la Tchétchénie, le média s'attache à rester libre dans ses choix éditoriaux. Avec une équipe agile, Omerta se permet une grande flexibilité, à l'instar de la liberté qu'avait Régis Le Sommier à Paris Match. Le média adopte une approche magazine trimestrielle, dérivée de ses reportages vidéo, tout en offrant une plateforme de streaming vidéo, comparable à myCanal ou Netflix. Cette dualité permet à Omerta de conserver une liberté éditoriale plus grande, moins tributaire des pressions d'actionnaires ou d'annonceurs. L'équipe restreinte favorise des prises de décisions rapides et une capacité constante à se réinventer. Contrairement à des expériences passées avec des médias plus importants, l'absence de frictions hiérarchiques permet une plus grande agilité dans la gestion des divergences d'opinions au sein de l'équipe. Globalement, Omerta se définit comme un média indépendant, offrant une perspective éditoriale assumée, tout en conservant la flexibilité nécessaire pour explorer des sujets variés et se réinventer continuellement.

 

Journalisme et déontologie : au-delà des étiquettes politiques

Régis Le Sommier rejette fermement l'idée de "journaliste militant", estimant qu'elle va à l'encontre de la véritable nature du journalisme. À son avis, un journaliste peut certes être engagé, mais le militantisme, tel qu'il est souvent perçu, implique une partialité qui déforme délibérément la réalité. Pour lui, le journalisme authentique implique la capacité d'exprimer des critiques, même envers des individus que l'on apprécie : « quand on va couvrir un conflit côté russe, par exemple, on doit pouvoir dire aujourd'hui que les Russes ont des défauts, qu’ils font des choses parfois aberrantes, etc. Il faut pouvoir être critique par rapport à ça. Critique, il faudrait aussi l'être côté ukrainien, pas pour les mêmes raisons, mais en tout cas, essayer d'appliquer un maximum de l'idée de 'je ne vais pas cacher les choses, je vais montrer ce que je ressens, montrer et essayer avec mon honnêteté'. »

Le journaliste insiste sur le fait que l'orientation politique dans le journalisme est regrettable, qualifiant cette pratique de "pitoyable". Il remet en question la définition d'un média de gauche ou de droite, soulignant que de nos jours, ces étiquettes sont souvent utilisées pour exprimer le contraire d'un point de vue politique opposé. Pour Le Sommier, la réalité dépasse ces catégorisations, et les humains vont au-delà des idées qui leur sont attribuées. Il plaide en faveur d'une approche journalistique qui va au-delà des valeurs politiques, mettant en avant l'humanité derrière chaque individu, même ceux engagés dans des combats idéologiques. Il encourage les journalistes à déceler ces nuances et à raconter le monde au-delà des notions révolutionnaires ou conservatrices.

Il cite Daniel Philippot, un des fondateurs de Paris Match, qui affirmait qu'un « journaliste ne possède que son honnêteté. » Le Sommier conclut en exprimant sa conviction profonde selon laquelle le monde est une somme d'erreurs humaines, présentant des aspects à la fois grandioses et pathétiques. Pour lui, cette réalité est bien éloignée des polarités politiques souvent mises en avant, confirmant ainsi sa vision du journalisme.

 

 

Le reportage de terrain

Sur le front russe

Régis Le Sommier évoque la particularité du conflit en Ukraine, soulignant son caractère conventionnel avec des fronts opposés, marquant une différence notable par rapport aux conflits asymétriques des dernières années. Il fait référence à la contre-offensive ukrainienne annoncée pour le printemps, notant les gains territoriaux tant du côté ukrainien que russe, illustrant une guerre frontale avec un équilibre d'équipement et de matériel. Le journaliste partage son expérience de couverture du conflit dès ses débuts, lorsqu'il a passé une dizaine de jours côté ukrainien, offrant un aperçu de la montée des tensions. Il mentionne ensuite ses visites en Russie, notamment à Kherson, décrivant une ambiance particulière dans cette ville peu acquise aux Russes. Son périple continue à Zaporijia, à la centrale, puis à Marioupol et finalement dans le Donbass, formant une vision complète du conflit. Le Sommier aborde ensuite son documentaire intitulé "Front Russe", réalisé pendant l'automne, couvrant les activités des Russes et les conditions sur le front nord de Bakhmout. Il partage une expérience marquante aux côtés des combattants russes, soulignant la réalité de leurs ressources, démentant les spéculations sur leur manque d'équipement et de munitions. Il met également en lumière la motivation des soldats russes, rappelant leur conviction de défendre la Sainte Russie contre ce qu'ils perçoivent comme une menace extérieure. Il souligne les similitudes dans les conditions de vie entre les Ukrainiens et les Russes, dévoilant le quotidien difficile marqué par les combats d'artillerie et les menaces constantes, en particulier les attaques de drones. Il insiste sur la persistance du discours de Poutine, mobilisant l'idée que l'Occident veut détruire la Russie, un argument qui semble trouver écho parmi les soldats. Le Sommier conclut en rejetant l'idée que les Russes ne font que sauver leur peau, soulignant des motivations profondes qui persistent après plus d'un an de guerre.

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Son analyse du conflit

Pour Régis Le Sommier, les erreurs stratégiques russes dans le conflit en Ukraine sont évidentes depuis le début. Une tentative rapide de prendre Kiev a échoué, suivie d'un repli de la zone de Kiev. Une contre-offensive ukrainienne a contraint les Russes à évacuer la partie Est de la ville, orchestrée par le général Zalujnil. Le retrait de Kerson était logique d'un point de vue militaire, compte tenu des difficultés de ravitaillement. La ville montrait des signes de pénurie alimentaire et d'eau. Le général Surovikin a ensuite consolidé les défenses du front en créant des champs de mines, des tranchées et d'autres fortifications sur jusqu'à 500 km. Cette stratégie défensive efficace a permis aux Russes de consolider leur emprise sur le Donbass. Comprendre ces dynamiques complexes est difficile pour les Occidentaux, en particulier en ce qui concerne les perceptions culturelles différentes de termes tels que le nazisme ou le soviétisme, ce qui ajoute une couche de complexité au conflit.

 

Les experts des plateaux télé

Régis Le Sommier aborde le concept de "généraux de plateau" dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il décrit ces commentateurs comme des individus qui, bien que parfois ayant des expériences militaires, ont tendance à émettre des opinions passionnées et haineuses sans nuance, se positionnant fermement contre les actions russes. Il souligne que cette attitude contribue peu à la compréhension du conflit et peut être perçue comme une perte de temps. En outre, il critique la propension à spéculer sur des événements fictifs, par exemple en ce qui concerne la santé de Vladimir Poutine. Il mentionne le bruit médiatique qui a pu entourer des rumeurs sur la santé du président russe, soulignant que ces spéculations servent parfois à détourner l'attention des problèmes apparents du côté occidental, par exemple ceux liés à Joe Biden. Il met en garde contre la tendance à déformer la réalité et à s'engager dans des récits sensationnalistes au lieu de se concentrer sur des faits concrets et vérifiables. Enfin, il soulève la question de la responsabilité des médias dans la manière dont ils couvrent ces sujets, mettant en évidence le besoin de revenir à des normes éthiques fondamentales dans le journalisme.

 

Les critiques à son retour du front russe

Régis Le Sommier exprime sa préoccupation face à la censure qui semble augmenter dans les médias français. Il partage son expérience en tant que journaliste, soulignant qu'il n'est plus invité par certains médias, peut-être en raison de ses reportages sur la guerre en Ukraine et son approche de la vie quotidienne des soldats russes sur le front. Il évoque le changement notable depuis ses débuts dans le journalisme de guerre en Irak, où il était salué pour ses reportages, comparant cela à la réception actuelle où il est attaqué et suspecté par des personnes qui n'ont pas vécu ces expériences : « vous revenez, vous êtes attaqué, c’est horrible, vous êtes suspecté par des gens qui n'ont jamais connu ça, par des gens qui n'ont jamais quitté le cul de leur chaise, qui viennent vous sermonner, vous traiter sur Twitter, ce truc hyper facile de propagande ». Le Sommier mentionne la tendance à étiqueter certains journalistes comme "pro-russes" ou d'autres termes similaires, soulignant qu'il a simplement fait son travail en rapportant des faits du terrain. Il critique ceux qui propagent des accusations sans fondement, comparant son expérience en Afghanistan à celle du travail côté russe ou syrien : « ça fait des années que je vais en Afghanistan auprès des talibans, avant quand ils étaient dans l'opposition, et maintenant j'arrive toujours à mes entrées. J'ai jamais vu d'articles où on disait que je fais leur propagande, ou que je suis un djihadiste, jamais. Alors, pourquoi ça arrive lorsque je vais côté russe ? Je trouve ça assez fou, et c'est toujours la même clique d'individus, en général, qui sont des gens souvent payés, c'est pas des journalistes ni des experts, c'est des gens qui appartiennent à des think tanks, soit payés par les Américains, soit créés par les Américains, ou des types avec des orientations néoconservatrices. » Il met en lumière les pressions et les critiques auxquelles les journalistes peuvent être confrontés, soulignant l'importance de rappeler l'humanité des personnes impliquées dans les conflits, même du côté russe. Enfin, il exprime son inquiétude face à ce changement dans la perception des journalistes de guerre et la difficulté croissante à faire leur travail dans un climat de suspicion et de censure.

 

S’informer aujourd’hui

Pour Régis Le Sommier, « il faut picorer ». Il suggère une approche de collecte d'informations basée sur la diversification des sources, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il souligne l'utilisation de Twitter pour accéder à des documents non disponibles dans la presse traditionnelle. Cependant, il met en garde contre la crédulité envers toutes les informations sur Twitter et encourage à vérifier les sources. Il souligne l'importance de vérifier ces sources pour obtenir une vision plus précise des événements sur le terrain. Il critique les propagandistes qui déforment l'information pour servir leurs intérêts et mentionne des blogueurs exagérant certaines situations. Il encourage à rechercher des instituts plus sérieux, citant les rapports de la Rand Corporation, tout en soulignant leur alignement avec les intérêts américains. Enfin, Le Sommier recommande la lecture de journaux américains tels que le New York Times, le Washington Post et le Wall Street Journal, qu'il considère comme fournissant des informations de qualité et axées sur les faits, contrairement à certains médias français.

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Dernier conseil

« C’est un peu banal, mais écoutez les autres », indique le journaliste, qui inclut aussi les collaborateurs car leurs jugements peuvent être empreints de bon sens, et que l'erreur est possible dans un monde en constante évolution, surtout dans le domaine des médias où la réactivité est cruciale. Il encourage à écouter les critiques, à condition qu'elles ne soient pas motivées par une intention de nuire socialement. L'auteur exprime son vif désir de participer à des débats sur des chaînes grand public, notamment en ce qui concerne le conflit en Ukraine. Il souligne l'importance journalistique d'inclure des représentants des deux côtés du conflit dans ces débats, regrettant que cette pratique ne soit pas courante dans les médias grand public. Cette absence de débats ouverts est critiquée pour restreindre la perception et l'ouverture d'esprit face au conflit en question.

 

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