L’importance du journalisme et de l’information
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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Dans de précédents épisodes, nous nous sommes beaucoup intéressés aux questions de communications, d'un point de vue institutionnel. Cette fois, nous allons nous rendre de l'autre côté, et aborder la question de l'information et du journalisme, avec Franck Cognard, journaliste à France Info et spécialiste des questions de Défense.
Présentations
Sa carrière de journaliste
Franck Cognard, 52 ans, est diplômé de l’Ecole de journalisme de Bordeaux, et exerce cette profession depuis 1993. Sa carrière commence par des piges, en CDD, à Radio France entre 1993 et 1999. Il signe ensuite un CDI et travaille à la rubrique police/justice du même média, dans laquelle il évoque les affaires judiciaires, les procès, le banditisme et des faits divers. Après 15 années dans ce service, il devient rédacteur en chef à France Inter. Il garde ce poste durant trois ans, puis ressent un besoin de « retrouver le terrain » après une période à « ne voir que des journalistes pour commander des sujets, valider des sujets ». France Info cherchait un correspondant défense et il saisit alors cette occasion : « c’était un sacré coup de pied au cul à 47 ans de repartir de zéro », avoue-t-il. Il n’a toutefois pas l’impression de rétrograder, simplement de « continuer sa carrière avec des postes différents ». Il apprécie ce retour sur le terrain : « je voulais voir du monde, voir autre chose, voir du pays », indique le journaliste qui ne s’imaginait plus continuer dans un bureau avec un casque sur les oreilles et devant un écran.
La thématique de la Défense
Franck a fait son service militaire à la base aérienne 102 de Dijon. Au poste de marqueur à la tour de contrôle, il notait les décollages et atterrissages des avions, trois jours par semaine, parfois de nuit. Ce rythme lui laissait le temps à côté de travailler à Radio France Bourgogne. « J’arrivais à concilier les deux », explique-t-il, ce qui lui a permis de ne pas perdre trop de temps. « Sur le moment, ça me paraissait une corvée », ajoute-t-il. « L’univers hiérarchisé, très normé, ça m’énervait et je n’aimais pas trop ». Avec le recul, son avis a un peu changé, mais reste mitigé. Lorsqu’il devient correspondant Défense, il ne connaît ce milieu que par le travail d'autres collègues, notamment du journaliste Simon Tivolle.
Le stage pour les journalistes au CNEC
Au Centre national d’entraînement commando, la DICOD organise des stages à destination des journalistes se rendant en zones compliquées. Franck a participé à ce stage, qui lui a appris beaucoup de « choses personnelles et professionnelles », comme le comportement à avoir à un checkpoint, la topographie etc. Il a aussi dépassé ses limites sur le parcours en hauteur autour du fort, qu’il ne pensait pas réussir. « Ce qui m’a marqué », souligne-t-il, « c’est qu’ils ont réussi, avec une vingtaine d’individus qui ne se connaissaient pas, de médias différents, à faire de nous un groupe ». Autre point clé du stage, la simulation de prise d’otages « apprend des choses sur soi, sur les autres, sur des trucs », souligne-t-il sans rentrer dans les détails. Cette partie du stage a été très utile au journaliste, qui a été touché notamment par les paroles d’Edouard Ellias, photojournaliste venu témoigner de sa prise d’otage par Daesh en 2011. Côté matériel, Franck a pu comparer les effets des balles de "kalash" ou de FAMAS, apprendre à mettre en sécurité une arme, et voir les différents types de plaques balistiques. Ce dernier point lui a d’ailleurs permis, à son retour, de conseiller à France Info un changement de matériel plus efficace. Ce type de formation se déroule toutefois de plus en plus dans le privé, ce que le journaliste regrette : « quand tu es amené à évoluer dans un milieu militaire, un milieu de guerre, le mieux est d’être avec ceux qui la font le plus », rapporte-il.
La relation entre journalistes et militaires
Franck a de bonnes relations avec les armées, grâce à son appartenance à un média « qui compte », qui touche des milliers voire millions de personnes en France, ce qui facilite les entrées par rapport aux journaux locaux ou aux indépendants. Cette relation est aussi facilitée par ce qu’il représente, un média « neutre, assez factuel », sans polémique.
Il pense que les militaires ont une bonne image des journalistes, qui prennent parfois des risques pour documenter. Il peut y avoir de la rancœur quand les soldats doivent prendre eux-mêmes des risques pour libérer des journalistes capturés. Mais selon Franck, militaires et journalistes reconnaissent l’un en l’autre la notion d’engagement, de risque d’être tué, de courage, et de respect mutuel pour ces valeurs partagées. Le correspondant de France Info relève également que « l’égo est chez tous les journalistes, photographes, reporters », qui veulent rentrer avec LA photo. Lui n’a jamais été pris dans des tirs, mais a connu plusieurs moments de tensions, en redoutant un engin explosif sur la route d’un VAB (véhicule de l’avant blindé) par exemple.
L’indépendance des médias
L’absence de censure à Radio France
Franck raconte tout d’abord une anecdote lorsqu’il était reporter à Europe 1 : début 1990, il réalise un sujet sur la grève des caissiers à Carrefour. Convoqué par son rédacteur en chef, celui-ci lui annonce que son sujet est bien, mais ne sera publié car Carrefour est annonceur. « Je n’ai jamais eu ça ici depuis 1993-1994 », indique-t-il, en précisant aussi que Radio France a des syndicats, qui sauront diffuser l’info « dans le Canard, dans Libé, dans Le Monde etc » si les journalistes subissent « des pressions du pouvoir ». La seule exception remonte à 2003, lorsqu’un terroriste du groupe armé AZF menaçait de poser une bombe sur une voie de chemin de fer si l’Etat n’accédait pas à sa demande de rançon. Le journaliste, comme d’autres de différents médias, reçoit un appel du Ministère de l’Intérieur. Celui-ci souhaite temporiser et « garder l’affaire secrète quelques jours » car la police était sur la piste du terroriste et ne voulait pas que la presse puisse contrecarrer l’enquête ou l’interpellation. « C’est la seule fois où j’ai été confronté au dilemme je dis/je dis pas », précise Franck. Le correspondant soutient aussi qu’il ne s’auto-censure pas lors de ses reportages, même s’il fait plus attention dans le domaine militaire, pour des raisons de sécurité opérationnelle. Il sait par exemple où est localisée la base de la Task Force Sabre au Burkina Faso, car il s’y est rendu, mais ne donnera pas la localisation exacte : « on peut l’appeler comme on veut, mais pour moi ce n’est pas de la censure. »
L’objectivité en journalisme
« Je ne suis pas objectif », annonce Franck, « je réfute cette notion journalistique, je lui substitute la notion d’honnêteté. » Il se rappelle une conversation en 1994-1995, avec un policier en fin de carrière, qui lui expliquait que l’objectivité était une « connerie ». Le major prend en exemple un accident de voiture avec délit de fuite, pour lequel dix témoins fourniront dix témoignages différents en étant convaincu qu’ils ont raison. « Le regard de chacun est différent », poursuit Franck, « sur le même endroit, notre regard journalistique ne va pas être attiré par les mêmes choses. » Il préfère ainsi la notion d’honnêteté : « je suis capable de défendre ce que je raconte ».
La ligne éditoriale d’un média
« Oui, il y a des médias qui sont politisés oui, qui ont une ligne politique. Qu’elle soit de gauche, de droite, ou anti-gouvernement », reconnaît Franck, qui assure que Radio France est « assez neutre » dans sa ligne éditoriale, « contrairement à Libé, Figaro, Médiapart etc. »
Dans ses domaines de prédilection, il soutient que les militaires ou forces de l’ordre peuvent subir un traitement biaisé, qui ne reflète pas la réalité. Dans le cas de la révélation du néo-nazisme au sein des armées, Franck affirme que, si certains médias ont laissé entendre qu’ils représentaient la majorité des militaires, ce n’est en réalité pas un fait majeur ; mais ce type d’article peut "faire du clic". Nommer la profession ou l’ancien métier d’un soldat ou d’un policier lorsque celui-ci est au cœur d’une affaire judiciaire, est aussi très racoleur. Franck cite l’exemple de Lelandais, toujours présenté comme un ex-militaire alors qu’il a seulement fait trois ans de service.
L’importance de signaler d’où vient l’info
Le journaliste souligne la nécessité de citer la source de l’info, la manière dont elle a été récupérée (par un correspondant, un témoin…) Lors de ses reportages, « je raconte ce que je vois », explique Franck, ce qui est intéressant pour ses interlocuteurs car ils savent que les propos ne seront pas déformés ni hors contexte. Par ailleurs, lorsqu’il est « embeded » il souhaite que cela soit précisé. Être « embeded » signifie réaliser un reportage aux côtés des forces armées, encadré par un officier de communication. « Quand je pars en reportage en embeded, ce n’est pas un reportage au Mali mais un reportage avec l’armée française au Mali », différencie Franck, qui estime alors être « dans une bulle militaire », avec un planning et des destinations programmées, un angle de vue précis.
Différence entre journalisme et communication opérationnelle
« L’information n’est pas la communication », note Franck. Et si l’armée peut avoir un intérêt à emmener un journaliste sur le terrain, celui-ci doit « sentir quand on ne lui montre que du positif » et faire la distinction. Même lorsqu’il est en reportage « embeded », Franck essaye de parfois se détacher de l’officier de communication, qui est responsable de l’image de l’armée, afin d’en avoir une vision plus naturelle. Il regrette par exemple la fois où des soldats ont dû mettre des « uniformes impeccables » pour la photo, après des heures de convois dans le désert, la poussière, la graisse, alors qu’il aurait préféré montrer la réalité « parce que c’est dur leur boulot. »
Celui qui voudrait montrer les douches de fortune, les lessives dans des bassines, les scènes de vie quotidiennes en somme, déplore la volonté de la communication de vouloir « montrer l’armée telle que les hauts gradés voudraient qu’elle soit vue, plutôt que telle qu’elle est. » Il évoque également les interviews coupées par l’officier communication, qui crispe et ferme l’interlocuteur : « il [le militaire] était en train de me parler de son ressenti humain, ce qu’il avait vécu sur un convoi, l’IED qui touche le camion devant lui, qui blesse… et l’off com l’a coupé. » Pour ne pas être bridé dans sa « recherche du côté humain, plus que du langage militaire », il demande maintenant à ce que l’officier de communication n’intervienne plus lors de l’interview. Franck rappelle que « la plupart des militaires sont conscients du métier qu’ils font », connaissent un minimum les règles de sécurité et ne vont pas mentir ou raconter ce qu’ils ne devraient pas. La communication avec les journalistes fait de toute façon partie de la préparation opérationnelle du militaire. Enfin, même s’il expose une information par mégarde, Franck assure que le rôle du journaliste n’est pas d’appuyer sur cette erreur.
Dernier conseil à un jeune journaliste
Le conseil est simple pour le jeune reporter qui voudrait se spécialiser dans le milieu de la Défense : « s’il a envie, il faut y aller ! », résume Franck. Il faut avoir l’envie de raconter, il faut le faire avec enthousiasme pour le faire bien, et se lancer, « surtout que l’Institution est plutôt accueillante. » Dans ce milieu, le spectre des sujets est en plus très large, et passionnant : les terrains en opérations extérieures, les industries, les familles, comment fonctionne un siège éjectable, comment Dassault design un Rafale, comment l’arrivée du Glock est perçue par les régiments… Les sujets sont nombreux, les interlocuteurs en général ouverts, mais il ne faut pas faire ça pour l’argent ni pour le confort de travail. « C’est un beau métier, à condition de vouloir le faire et d’avoir l’enthousiasme de se lever chaque matin pour ça », conclut Franck.
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