Dynamic Monarch : quand l’OTAN réinvente le sauvetage sous-marin
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Du 9 au 19 septembre dernier, l'un des ports norvégiens s’est transformé en base de sauvetage sous-marin. Au-delà des manœuvres, l’alliance nord atlantique a pu y effectuer une démonstration de puissance et de solidarité dans un contexte géopolitique en pleine mutation.
Arendal offre un spectacle saisissant en ce matin de septembre : de grands navires militaires de différentes nationalités, aussi hauts que les immeubles environnants, partagent le port endormi avec de petits voiliers de plaisance. Pourtant, cette petite ville de la côte sud de la Norvège n’est pas en état de guerre. Elle accueille, pour une dizaine de jours, Dynamic Monarch, un exercice de sauvetage de sous-marins orchestré par l’OTAN.
La flotte, principalement composée de bâtiments de soutien et de recherche, s’apprête à appareiller. Aujourd’hui, sa mission sera de localiser et secourir le HMS Uppland, un sous-marin suédois parti plus tôt se dissimuler dans les reliefs côtiers norvégiens.
Le sauvetage de submersibles comporte des défis uniques, bien différents de ceux de la traque en temps de conflit. « Un sous-marin en détresse est silencieux, ce qui le rend bien plus difficile à localiser qu’un bâtiment actif », explique un responsable norvégien.
À la guerre comme à la paix
Ce défi, l’OTAN l’a bien compris. Tirant les leçons de l’échec du sauvetage du Koursk, l’organisation a créé en 2003 l’ISMERLO (International Submarine Escape and Rescue Liaison Office), une plateforme d’alerte qui transcende les conflits et les rivalités. Depuis l’adhésion du Maroc l’an dernier, elle regroupe désormais les quarante nations disposant d’une flotte sous- marine. En cas de disparition (DISSUB) ou d’accident (SUBSUNK) d’un sous-marin, l’autorité (SUBOPAUTH) d’un pays membre peut solliciter l’assistance des autres signataires et activer un protocole de sauvetage approprié.
L’exercice Dynamic Monarch donne à l’OTAN une occasion d’afficher sa puissance en matière de dissuasion, mais l’organisation souhaite mettre l’accent sur l’entraide et la coopération internationales. En 2011, la Russie avait même envoyé un sous-marin pour y participer avant que l’annexion de la Crimée, quelques années plus tard, ne mette fin à cette collaboration. «Lorsqu’un sous-marin est en difficulté, les règles de la mer priment sur celles de la guerre. Il n’y a alors plus d’ennemis, mais seulement des vies à sauver », souligne le capitaine Molaschi, responsable de l’ISMERLO.
En 2008, l’OTAN a complété son système d’alerte par une capacité de réponse rapide avec le NSRS (NATO Submarine Rescue System). Ce système modulaire, basé à Glasgow en Écosse, est détenu conjointement par le Royaume-Uni, la France et la Norvège. Il se compose d’une quarantaine de conteneurs et regroupe tous les éléments nécessaires au sauvetage, du submersible SRV1 aux chambres hyperbares. Transportable en quelques heures par quatre avions C-17 vers n’importe quel point du globe, il peut être aménagé sur tout navire adapté.
Cette année, il est installé sur le CGV Barentshav, navire norvégien, et une innovation est testée pour la première fois : le transport du personnel et des équipes de secours par des vols commerciaux. Bien que cette méthode semble contre-intuitive, elle permet d’alléger la chaîne logistique et de réduire le temps de lancement des opérations de sauvetage à moins de 72 heures, contre 96 heures précédemment.
Le sauvetage, une course contre la montre
À Arendal, la chasse est lancée et la flotte mobilise l’ensemble des technologies disponibles pour trouver le sous-marin en détresse. Le TCG Alemdar, fleuron de la marine turque en la matière, cartographie les fonds marins avec ses sonars, tandis que le HMS Belos suédois prépare son propre submersible, l’URF, a effectué une sortie pour inspecter un écho suspect. Au-dessus d’eux, un P-8 Poseidon de l’US Navy, plus habitué à lancer des charges anti-sous-marines, quadrille méthodiquement le secteur et déploie des balises actives pour repérer le submersible en détresse.
Une fois le sous-marin localisé à 80 mètres de profondeur, des ROV (véhicules télécommandés) descendent pour inspecter les environs et détecter d’éventuels problèmes, tandis que des plongeurs en scaphandres se tiennent prêts à intervenir. Bien que la technologie en présence soit impressionnante, la présence des plongeurs reste essentielle. « Les ROV peuvent atteindre des profondeurs bien supérieures aux plongeurs, qui sont limités à 200 mètres », explique Joakim Classon, responsable de l’URF, « Pourtant, leurs actions restent restreintes, et l’intervention humaine demeure souvent nécessaire ».
C’est au SRV1 d’entrer en action pour extraire les marins piégés. Après une descente rapide, le pilote repère la croix marquant l’emplacement du sas de secours et manœuvre habilement les joysticks de commande pour s’accoupler en douceur avec le sous-marin immobile. Grâce à la standardisation des systèmes de secours, ce submersible peut s’arrimer à la plupart des bâtiments modernes jusqu’à 610 mètres de profondeur, avec une capacité d’accueil de quinze rescapés et des rotations plus rapides que celles de ses concurrents.
Une fois à bord, les marins sont ramenés à la surface et transférés dans des chambres hyperbares situées sur les navires de surface. Le protocole TUP (Transfer Under Pressure) permet de maintenir une pression constante tout au long du sauvetage afin de minimiser les risques liés à la décompression. Vient ensuite le tri et le traitement des blessés, les infirmiers et médecins partageant ces espaces pressurisés, parfois pour plusieurs jours, avec les survivants.
Un exercice aux enjeux géopolitiques
Créé en 2011, Dynamic Monarch se déroule cette année pour la première fois depuis 2014 en eaux froides, un choix qui reflète les récents bouleversements géopolitiques. Alors que les sous-marins étaient jusqu’alors déployés principalement au Moyen-Orient pour des missions de lancement de missiles ou de transport de troupes spéciales, le conflit en Ukraine a redéfini les priorités stratégiques.
Le corridor stratégique du GIUK (Greenland-Iceland-UK gap), qui relie la mer Baltique à l’Atlantique, est une priorité de l’OTAN. En effet, l’activité sous-marine russe y a fortement augmenté, au point qu’un sous-marin nucléaire, armé de missiles balistiques, a été détecté près des côtes américaines. En parallèle, la surveillance des infrastructures et des câbles sous-marins dans les mers du Nord a été renforcée depuis le sabotage du pipeline Nord Stream en 2022, acte d’abord imputé à la Russie avant d’être attribué à l’Ukraine.
Les faibles profondeurs de ces régions ajoutent un risque supplémentaire pour les sous-marins, qui ne peuvent pas toujours se mettre à l’abri. « La majorité des accidents surviennent en plongée périscopique, soit près de la surface, où le risque de collision est bien plus élevé », explique le commandant Chris Baldwin, officer des opérations du NSRS.
Se préparer au pire
Le paradoxe du NSRS réside dans le fait qu’il n’a encore jamais été utilisé pour une opération de sauvetage réelle. Bien que le protocole de secours d’ISMERLO ait été déclenché plusieurs fois depuis sa création, aucun sauvetage n’a pu être mené à terme. Les sous-marins San Juan en Argentine et Nanggala en Indonésie ont disparu bien avant que les secours ne puissent intervenir et à des profondeurs inaccessibles aux équipements du NSRS, tout comme le submersible civil Titan, qu’ils ont contribué à localiser.
Les sous-marins modernes, de plus en plus furtifs, compliquent d’avantage cette course contre la montre pour les équipes de sauvetage. « C’est un jeu du chat et de la souris », explique le commandant Engebretsen. « Et, à ce jeu, le sous-marin gagne la plupart du temps.» Mais grâce aux exercices tels que Dynamic Monarch, les équipes d’ISMERLO et du NSRS espèrent bien faire mentir l’adage et déjouer cette règle du jeu.
Reportage texte et photo : David Taché / Collectif DR pour Défense Zone