Dans les coulisses d'un lycée militaire
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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Dans ce nouvel épisode, nous avons rendez-vous avec le chef de corps du lycée militaire de Aix-en-Provence. Cet ancien membre des forces spéciales est désormais à la tête de cet établissement qui forme des lycéens mais aussi des étudiants en classe préparatoire pour intégrer les écoles d'officier.
Présentation
Le Colonel Christophe Lhomme a plus de trente années de carrière. Ses premiers pas dans l’univers militaire ont commencé en 1987 dans ce lycée d’Aix-en-Provence qu’il commande aujourd’hui depuis deux ans.
Du lycée militaire aux forces spéciales
Après trois ans de classe préparatoire, il intègre la promotion Général Guillaume de l’école de Saint-Cyr avec l’option lettres et relations internationales. Entouré dans sa famille de commando et de forces spéciales, avec un père et un oncle nageurs de combat dans le Commando Hubert, ainsi que deux frères dans les services secret et GIGN, c’est tout naturellement qu’il se dirige vers l’infanterie. Il débute au 110e régiment d’infanterie (aujourd’hui dissous), au sein de la brigade franco-allemande. L’officier qui a toujours été attiré par les relations internationales, a ainsi démarré à l’étranger, un « positionnement qui m’a suivi pendant toute ma carrière », indique-t-il.
Après plusieurs opérations extérieures en Guyane et en Bosnie, il souhaite rejoindre les forces spéciales. « J’ai eu la chance d’être accepté au 1er RPIMA », se réjouit l’officier qui y passera trois années à la citadelle de Bayonne, « sans doute les plus belles de ma carrière d’un point de vue opérationnel. » De nombreuses Opex et sa réussite au stage Rapace lui ont ouvert les portes « d’un univers que j’ai beaucoup apprécié et dans lequel je serai bien resté ». Toutefois en tant qu’officier, il est « rattrapé par les études et l’école de Guerre » pour évoluer dans sa carrière, et quitte le 1e RPIMA pour préparer le concours, qu’il réussit.
La transition forces spéciales / école de Guerre
Revenir sur les bancs de l’école après trois ans au sein des forces spéciales aurait pu être une transition difficile. Mais le Colonel Lhomme affirme que l’essence même du militaire, et encore plus de l’officier, est de s’adapter : « quand on passe sa vie à changer de métier, à un moment donné on a ça dans le sang ». Il précise également que le parcours est connu, que l’officier sait qu’il ne restera pas vingt ans au même poste. Enfin, son passage au sein des FS a pour lui une réelle plus-value : « toute expérience apporte quelque chose dans la besace, dans le vécu. Et s’il y a bien une affectation qui m’a beaucoup apporté c’est celle chez les forces spéciales ». Le colonel indique ainsi avoir dû gérer des équipes, son autonomie, mais aussi certaines appréhensions, plus que dans d’autres unités. Et cette appréhension nécessite aussi d’être gérée lorsqu’on prépare un oral (à l’école, lors d’échanges…).
Christophe estime être devenu un « passeur de savoir » grâce à sa longue carrière, et a été amené plusieurs fois à témoigner. Il se souvient notamment de son master géopolitique à l’âge de 30 ans, alors qu’il était entouré de jeunes de 20 ans. Ceux-ci étaient à la fois étonnés de voir un militaire sur les bancs de la fac, mais aussi de voir qu’il était capable de parler des Balkans de manière très concrète. Il a ainsi réalisé plusieurs exposés, en complément des cours théoriques dispensés par les enseignants.
La nécessité de se projeter
La capacité d’adaptation vient aussi de celle à construire des projets, selon le chef de corps du lycée militaire : « l’aptitude à se projeter permet d’accepter les changements. Il y a une forme d’excitation chez toute personne qui a un projet professionnel. Être capable de dire « c’est ce que je veux faire plus tard » permet de donner des buts, soit intermédiaires soit finaux. Et ça provoque pour moi, souvent la réussite ou l’envie de réussir, si ce n’est pas immédiat ; et ça donne les qualités pour s’adapter, car quand on a le projet devant soi on accepte les changements de meilleure grâce, car c’est au service d’un objectif supérieur. » Il considère que n’importe quel individu, quel que soit son âge, doit avoir un projet, et c’est ce qu’il conseille aux élèves qu’il reçoit.
Une seconde partie de carrière a l’étranger
Après l’école de Guerre et sa scolarité à Genève, l’officier se concentre sur les relations internationales, une spécialité qui l’a toujours attiré. Il est affecté à Norfolk, où il gère les transformations et adaptations des forces armées de l’OTAN à leur environnement. Après trois années à ce poste, il enchaîne sur un séjour à Bruxelles, puis de nombreux autres postes à l’étranger. Il pense d’ailleurs avoir probablement le record d’affectations à l’étranger en qualité de Colonel ! Il insiste toutefois que même en dehors des frontières françaises, il reste « au service de la France ». Plus tard, le choix s’offre à lui de poursuivre sa carrière « classiquement » en état-major à Balard (Paris), ou de prendre la tête du lycée militaire d’Aix-en-Provence. S’il n’était au départ pas forcément enthousiaste à l’idée de cette seconde proposition, c’est finalement celle-ci qu’il choisit après réflexion, « et un peu pris de nostalgie », avoue-t-il.
Être au commandement d’un lycée militaire
Ce poste particulier de chef de corps d’un lycée militaire s’assimile, selon le jargon de l’armée de Terre, a un « deuxième temps de commandement », indique l’officier. Il nécessite obligatoirement un temps de responsabilité au préalable, c’est-à-dire d’avoir eu un poste de commandement en régiment ou en état-major. Le parcours atypique du Colonel Christophe ne l’a pas amené à commander de régiment, mais il a effectué son temps de responsabilité à l’international, lors d’une affectation en état-major à Paris. Le chef de corps précise que ce poste et ses responsabilités n’est pas forcément recherché, car sensible. Il explique ainsi que les officiers les plus brillants, destinés à devenir des généraux, ne passent pas par ce type d’affectation : « on est sans arrêt en train de gérer les affaires sensibles avec les jeunes, ce qui explique qu’on essaye de protéger les meilleurs d’entres nous et qu’on ne les expose pas dans ces postes-là. »
Les missions du chef de corps du lycée militaire
Le chef d’un lycée militaire a deux missions principales :
- Une mission d’aide à la famille. Elle concerne essentiellement le secondaire (seconde à terminal). L’objectif est d’aider les enfants de parents militaires (qui représentent 70% des élèves) à accéder à une certaine stabilité et à un enseignement de qualité.
- Une mission d’aide au recrutement. Elle concerne essentiellement les élèves de classes préparatoires, à différents niveaux : les classes prépa aux grandes écoles militaires (école de Saint-Cyr, école navale, école de l’air…) qui formeront les futurs officiers et les classes prépa à l’enseignement supérieur.
« C’est un travail à la fois passionnant et harassant », souligne le Colonel, car certains jeunes sont pressés, d’autres fantasment la carrière militaire, et d’autres au contraire se sont trompés. Le travail des six écoles de défense est pourtant important, car c’est lui qui « qui détermine l’avenir des armés finalement ».
La vie au lycée militaire
Si la formation au lycée militaire reste académique et n’a rien à voir avec des classes militaires, certaines valeurs de l’armée y sont toutefois déjà transmises, telles que le goût de l’effort ou la cohésion. L’admission est sélective, mais l’excellence est visée.
L’admission dans un lycée militaire
Pour la partie secondaire, l’effectif est composé de trois groupes d’élèves : les enfants de militaires (70%), les enfants de fonctionnaire (15%) ou les enfants boursiers participant au plan égalité des chances (15%). Les critères d’admission sont ensuite scolaires et académiques, l’élève doit avoir de bons bulletins au collège, car de mauvais résultats aggraveraient une vie déjà potentiellement déstabilisée (missions/opex des parents, internat et rigueur du lycée militaire)
Concernant la partie classes préparatoires, ce sont essentiellement les résultats scolaires qui sont regardés (via Parcoursup). La motivation est également un facteur clé très étudié, car il faut être sûr que l’élève soit motivé par la carrière militaire notamment d’officier. Cela serait une perte de temps pour le lycée que les élèves rejoignent le civil après leurs classes préparatoires ; le lycée mène ainsi une réflexion pour améliorer « la perception de la motivation militaire. »
Le Colonel Lhomme précise que si la mission de recrutement est essentielle lors des classes préparatoires, elle n’est pas un objectif pour le secondaire. Il souligne tout de même qu'avec 70% des enfants ayant des parents militaires, certains ont déjà des « envie de militarité. Il y a un vivier assez important de jeunes à recruter, mais ce n’est pas la finalité du lycée militaire en secondaire. »
Le prix du lycée militaire
Le coût de scolarité en secondaire s’élève à 2300€/an de frais de trousseau.
Les classes préparatoires quant à elles sont gratuites, sous condition de réussite. L’élève doit ainsi rester dans la fonction publique (école d’officier, engagement comme militaire du rang etc…) sous peine de devoir rembourser ses frais d’études d’un montant de 2300€/an. A noter que l’échec est important, puisqu’entre 30 et 40% des élèves quittent après la première année.
De meilleurs résultats grâce à l’environnement militaire ?
« Je dirai que ce n’est pas l’uniforme ou le vernis militaire qui donne de meilleurs résultats, mais c’est le double encadrement qui permet de s’approcher de l’excellence », revendique le chef de corps du lycée d’Aix-en-Provence. En effet, les élèves sont encadrés à la fois par un corps enseignant (ainsi que des conseillers principaux, surveillants…) et par des militaires (chefs de sections, commandants d’unités…). L’équipe de direction est aussi impliquée dans les échanges avec les élèves. Il y a ainsi un encadrant pour sept élèves, ce qui fait qu’un « élève qui est en détresse est très vite repéré et pris en charge », précise le l'officier supérieur et ajoute que le lycée détient une cellule psychologique en cas de besoin. Les échanges entre le binôme enseignants de l'Éducation nationale et chefs de section du ministère des Armées, participent aussi à cette réussite : « quand on travaille main dans la main on a souvent des résultats exceptionnels. »
Le corps enseignant
Les enseignants en poste dans un lycée militaire sont détachés de l’Éducation nationale. En général ils se plaisent dans cet environnement et y restent longtemps, car les jeunes sont « de bonne qualité, souvent bénévoles, polis, ce ne sont pas des cas difficiles », soutient l’officier.
Le recrutement est enclenché dès qu’un poste se libère, en appui du réseau du proviseur du lycée et des inspecteurs des académies. Les candidats ont ensuite un entretien avec le chef de corps et le proviseur du lycée. Certains enseignants sont parfois impliqués particulièrement dans l’univers de la Défense, en étant réserviste ou responsable Défense mémoire par exemple.
Le Colonel Christophe précise que si le programme est fixé par l’Education nationale, l’enseignant a toute la liberté pédagogique de choisir la manière dont il enseigne. L’officier n’a pas pour ambition de donner des directives sur ces façons de procéder, mais apporte parfois son expérience et ses conseils. Il pousse par exemple le lycée à être « à la pointe de l’éloquence car c’est une qualité importante », en développant la participation aux concours. Son second axe d’amélioration concerne, et l’on s’en doute de par son parcours, les relations internationales et l’apprentissage des langues étrangères.
La transition lycée militaire / école Saint-Cyr
Le Colonel Christophe note une « vraie différence » entre les années en classes préparatoires et l’école militaire. Dans le premier cursus, il s’agit davantage d’ « agriculture intensive », dont le but est d’accumuler des connaissances. L’objectif est d’être le meilleur : « ici on ne prépare pas des militaires, on prépare de supers étudiants », affirme l’officier, bien que l’encadrement militaire transmette quelques fondamentaux (revue de chambres, esprit de groupe, petites marches…). Par la suite, les école militaire donnent essentiellement les fondamentaux de leur futur métier, et forme les « chefs de demain », en alternant cours académiques, cours militaires et passages sur le terrain.
Dernier conseil pour atteindre ses objectifs
Le chef de corps insiste sur la nécessité d’avoir des projets, de pouvoir se projeter dans l’avenir. Il souligne que l’important « ce n’est pas de voir le mur qui est devant, mais le chemin qui est derrière. Il y a toujours un mur, mais il faut avoir le don de voir ce qui est derrière ce mur. »
Pour lui, il est aussi important d’être altruiste : « pensez souvent aux autres et ça vous donnera beaucoup de bonheur. S’investir, sans forcément s’oublier, dans le collectif, une paroisse, un club de sport, sa propre famille, est un bon conseil pour être bien dans sa vie, bien dans sa peau, être heureux tout en poursuivant ses objectifs. »
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