Rencontre avec le chef de corps de la compagnie des carabiniers du Prince de monaco
de lecture - mots
Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secret, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, qu'elles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Dans ce podcast nous sommes allés à la rencontre du lieutenant-colonel Martial Pied, chef de corps de la Compagnie des carabiniers du Prince de Monaco. Cet ancien officier supérieur de l'armée de Terre nous en dit un peu plus sur ce poste particulier au service d'une famille souveraine dans un pays étranger. Quels sont les missions de la compagnie, le recrutement des carabiniers et la particularité de service en principauté.
Présentation du chef de corps
Mon colonel, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Je commande depuis le 16 janvier dernier la Compagnie des Carabiniers, mais je suis arrivé en Principauté le 1er août 2017 après 26 ans de carrière dans l'armée française. J'ai commencé comme appelé du contingent au 14e RPCS. J’ai ensuite bénéficié d’un contrat ORSA et j’ai présenté le concours de l’EMIA. À ma sortie de scolarité j’ai choisi l’arme du génie et une fois mon application terminée j’ai intégré le 1er RPIMa qui offrait une place de sapeur. J'ai passé mes 4 années de lieutenant à Bayonne avant de repartir dans le génie pour commander ma compagnie d'administration et de soutien à Metz. J'ai ensuite été affecté 4 ans 17e régiment du génie parachutiste puis trois années au 31e régiment du génie à Castelsarrasin. À Montauban, j'ai participé au parrainage du régiment par la princesse Caroline. Et vous comprendrez que de fil en aiguille, ça m'a amené jusqu’ici.
Comment bascule-t-on de l'armée de terre française à la Compagnie des Carabiniers et du Prince à Monaco ?
C'était un peu une surprise. Je n’avais jamais postulé pendant que j'étais à l'armée pour venir à Monaco. C'est le colonel Fringant, un ancien de l’armée de Terre lui aussi, qui était en charge du parrainage du côté de Monaco qui m'a recontacté en 2016 en me demandant si j’étais intéressé par le poste d’adjoint chez les carabiniers. J'étais surpris, agréablement surpris même. J'ai quand même réfléchi un petit peu en pesant le pour et le contre, mais mon chef de corps m'a dit "le plat ne repassera pas deux fois". Après avoir envoyé mon CV et une lettre de motivation, j’ai eu un entretien avec le prince souverain, et très rapidement, j'ai su que le souverain avait acté ma candidature en tant qu'adjoint au sein de sa compagnie.
Combien de temps reste-t-on chef de corps de la compagnie des carabiniers ?
En France le temps de commandement est normé, il est de deux ans. Ici cela peut durer beaucoup plus longtemps tant que tout se passe bien et que l'on n'est pas atteint par la limite d’âge. Si je prends les colonels Rebaudengo et Fringent, ils y sont restés respectivement 8 et 12 ans. Mon prédécesseur, le colonel Covertini y a servi pendant cinq années. Donc, la longévité n'est pas franchement établie, je pense que quand on fait bien son travail et qu'on est toujours là pour servir la famille souveraine on peut rester en place assez longtemps.
Quelle est la journée d'un chef de corps ?
Ici le chef de corps fait beaucoup de ressources humaines. Il faut assister aussi à toutes les réunions au niveau du gouvernement pour l’organisation des principales manifestations monégasques et celles qui se font directement au palais. Dans tous les cas, il y a aussi dans la journée un passage au palais pour voir les carabiniers qui y montent la garde. Le palais est vraiment notre point principal. On a aussi toutes les activités administratives : traitement du courrier, RH, budgétaire, infrastructure. C’est un peu comme en régiment, mais ici centralisé autour du chef de corps et son second.
Quelle est la première impression quand on arrive à Monaco pour prendre ses fonctions ?
Malgré son expérience militaire, on pense à se faire tout petit, parce qu'on arrive dans un milieu qu'on ne maîtrise pas. Monaco, c'est particulier, protocolaire et nous sommes une unité militaire, mais insérée dans un milieu civil. Il faut donc déjà appréhender l’environnement, car il change vraiment de ce que l’on connaît. Déjà il faut connaître toutes les personnalités de Monaco pour pouvoir les identifier et ne pas faire d'impair. Ensuite, au fur et à mesure, on réussit à faire un peu le tour des missions parce que c'est assez cyclique. Au bout d'une année, on arrive à avoir une vision plus claire et une bonne connaissance. Du personnel qui sert à la compagnie d’abord, mais aussi de l'extérieur. Au début on regarde ce qu’il se passe, on essaie de voir, de comprendre comment ça fonctionne. Et c'est très plaisant, parce qu'on est dans un environnement qui est très sain et sécuritaire dans lequel on peut vraiment s'épanouir. Pour un chef de corps ou à l'époque, un adjoint, tout ce que l'on pense pouvoir faire est réalisable à Monaco. C'est une vraie satisfaction de pouvoir entreprendre quelque chose de cohérent et de faire évoluer la compagnie qui est une vieille dame, 200 ans d’existence, mais qui continuent d’évoluer dans un environnement global et international. Il y a toujours des choses à faire, que ce soit au niveau de l’entraînement, de la garnison des ressources humaines. Je suis donc arrivé comme observateur, parce que c’est nécessaire et après, au fur et à mesure, on prend ses marques et on se fait réellement plaisir.
Êtes-vous devenu un spécialiste, people et des têtes couronnées ?
C’est certain que quand il y a des personnalités qui arrivent sur la place du Palais on ne le sait parce qu'elles sont attendues et que notre travail est de les accueillir. Il faut savoir aussi chasser les paparazzis parfois. Quand j’ai pris mes fonctions, le premier conseil que m’a donné le colonel Fringent c’est : "fais-toi tout petit, observe et reste tranquille". C'est-à-dire que nous servons la famille princière, on est là pour que tout se passe bien. Nous sommes des travailleurs de l’ombre et le but, c'est de prendre conscience de se positionnement particulier qui nous permet au quotidien de remplir nos missions correctement.
Quelle a été pour vous la principale différence avec ce que vous avez connu dans l’armée de Terre ?
Je pense que c'est l'autonomie. Ici on a une autonomie complète, budgétaire essentiellement, mais aussi opérationnelle. On peut se reposer sur des carabiniers que l'on choisit, qui sont complètement autonomes dans leur mission. Au début, c'est un peu perturbant, parce qu'on a envie de voir ce qui se passe, de s'occuper un peu de tout. Puis, on s'aperçoit que c'est une machine bien rodée, avec énormément de spécialités, énormément de missions. Au fur et à mesure, on arrive à comprendre comment cela fonctionne. C'est un peu un mix de la Garde républicaine et d’une unité de l'armée de Terre.
Vous avez servi à plusieurs reprises en opérations extérieures, comment vous sentez-vous en tant que militaire dans un pays neutre ?
Je dirais que je ne ressens pas forcément de différence, car nous avons une forte culture de l'accomplissement de la mission. Nous avons une mission à remplir, et nous la remplissons. Bien sûr, Monaco n'a pas d'engagement politique dans des opérations extérieures comme certains pays, mais nous sommes pleinement engagés auprès de la famille princière et nous y pensons constamment. Il n'y a pas de décalage, c'est une continuité de mission mais avec une vie différente. Nous ne ressentons pas le besoin de partir, car nous ne sommes pas politiquement engagés. Je ne regrette pas mon choix. C'est une incroyable deuxième partie de carrière. Cela arrive au bon moment, car en tant qu'officier supérieur dans l'armée française j’étais destiné à être en état-major ou en régiment. Pour ma part c'est intéressant de pouvoir basculer vers quelque chose de complètement différent où je peux m'épanouir. Je ne regrette vraiment pas. L’armée de Terre m’a énormément apporté et sa richesse réside aussi dans le fait que ses officiers sont reconnus et qu'ils ont la possibilité d'aller vers d'autres organismes et sociétés à la fin de leur carrière, ce qui est intéressant, notamment comme je le vis aujourd'hui à Monaco.
Depuis que vous êtes arrivés, vous avez eu des souvenirs particuliers, des moments forts ?
Il y a le grand prix évidemment, mais uniquement par son côté festif et exceptionnel. Ce qui est le plus impressionnant, c'est la transformation de la ville. Elle est complètement transformée quand le circuit est construit, on a l'impression de découvrir une autre ville. Après, c'est vrai que le Grand Prix, c'est quand même exceptionnel. Il y a aussi les visites officielles, comme celle du président chinois, Xi Jinping. C'est vrai que là, c'était aussi assez particulier, autant dans la préparation que le jour de la cérémonie. On se dit qu'on vit des moments historiques, en fin de compte. On est au cœur d'une vie où il se passe des régulièrement des choses atypiques. C'est ça qui est un peu "croustillant" à Monaco.
Vivre des moments comme le Grand Prix de Formule 1 en tant que carabinier doit être incroyable ?
Oui, c'est l'impression de vivre un événement de l'intérieur et d'y participer pleinement. C'est quelque chose que vous regardiez auparavant de loin, mais maintenant vous y participez. En fait, quand nous sommes en mission militaire, nous sommes toujours entourés de militaires, même si nous sommes dans un poste de commandement tactique, il y a toujours des militaires à proximité. Ce qui diffère à Monaco, c'est qu'en fin de compte, nous sommes les seuls militaires, aux côtés des pompiers, et tout le reste relève de cellules de crise interministérielles. C'est un peu différent ici, car nous sommes plongés dans un environnement où nous côtoyons des civils, la Croix-Rouge, la sécurité, l'Automobile Club lors du Grand Prix, et il y a énormément de monde. Nous baignons dans un environnement très riche en contact et en diversité. Nous sommes militaires, mais nous sommes pleinement intégrés à la vie de la ville et de l'État. Cette sensation est unique et ne se vit pas quotidiennement en tant que militaire français déployé à l’étranger.
La compagnie des carabiniers
Qu'elle est la mission de la Compagnie des carabiniers du Prince ?
La Compagnie des Carabiniers du Prince a pour mission de veiller à la sécurité et des biens de la famille souveraine et de rendre les services d'honneur et protocolaires et éventuellement d'établir l'ordre public en soutien à la sûreté publique qui est la police monégasque. Cette unité est forte de 124 personnes. C'est la taille d'une compagnie. Cette compagnie forme corps, car historiquement, on parle du corps des carabiniers du prince. Au quotidien elle est au service de la famille souveraine, à la garde du Palais Princier, à la surveillance de la place du Palais qui est attenante au Palais Princier, et aussi sur le domaine de Roc Agel qui est la résidence secondaire du souverain.
Comment est-elle organisée ?
Nous avons trois officiers et cinq sous-officiers supérieurs qui sont les chefs de section. L’effectif complet est de 124 carabiniers qui sont répartis dans les sections. Tous les carabiniers font le service général. C'est-à-dire la garde du palais, la police de place, le service d'escorte, mais ils ont aussi des spécialités différentes, et ils sont aussi employés au quotidien dans ces spécialités. Il y a des plongeurs, des musiciens, un comptable, un secrétaire, un vaguemestre, des personnes au garage, au centre opérationnel. Le quotidien des carabiniers est assez varié, parce qu'ils sont employés, d'abord dans le service général, et ensuite, dans toutes ces spécialités.
Cela veut dire qu'un carabinier doit être quelqu'un d'assez polyvalent ?
Très polyvalent ! On recrute quelqu'un qui est déjà de nature à pouvoir remplir la mission. Il faut être en bonne forme physique, mais aussi être capable de comprendre comment fonctionne la compagnie. Il faut être capable d’autonomie, mais aussi d’intelligence de situation. On cherche des gens qui ne sont pas forcément formatés, mais qui sont capables d’appréhender la mission et répondre au plus juste aux attendus du moment. Nous avons des missions qui nous sont données, mais sur la place du Palais, en fonction de la foule, des touristes qui sont là, en fonction de la famille souveraine, les plans peuvent changer. Il faut être en mesure de s'adapter pour remplir au mieux la mission. Et c'est vraiment cette intelligence des situations qui est un peu un des marqueurs de la compagnie.
Vous avez des carabiniers qui gardent le palais mais possèdent aussi d'autres spécialités. Quelles sont leurs missions à Monaco ?
Pour les motards par exemple, il y a plusieurs missions. Il y a celles dédiées au palais, pour le courrier pour porter des plis ou des affaires particulières entre différents bâtiments du gouvernement ou de la famille princière. Cela peut être aussi des missions d’escorte protocolaire pour la venue d’un chef d’État, parfois en binôme avec les gendarmes français de la DSR06. Le plongeur, lui, va effectuer des entraînements et des missions de secours avec les pompiers, mais il peut aussi être en appui du Musée océanographique pour des missions d'accompagnement de scientifiques en mer. Ce type de spécialité, même si elle n’est pas pratiquée tous les jours, oblige à maintenir des compétences pour être prêt le moment venu.
Il y a toujours un nombre de postes dédiés par spécialité ?
Pour l'instant oui. Motards, plongeurs, orchestre, c'est assez normé. Nous essayons en parallèle de créer de nouveaux postes, comme la cellule communication par exemple. Notre but, c'est de pouvoir avoir assez de personnes sur des spécialités, avec un "pyramidage" cohérent. Il faut pouvoir répartir tous nos carabiniers sur toutes les spécialités. Donc, en règle générale, hormis les grosses spécialités qu'on a citées, plongeur, motard et orchestre, nous avons trois ou quatre carabiniers par spécialité. L’orchestre est un cas particulier, car il représente un nombre important de personnels. Les musiciens sont avant tout des carabiniers, mais aussi recrutés sur leurs compétences musicales et en fonction des besoins de l’orchestre. On recherche des pupitres particuliers, parce que c'est un orchestre essentiellement à base de cuivre, et il faut pouvoir entretenir tous ces pupitres. Nous avons eu des départs à la retraite assez conséquents de personnes qui avaient été recrutées dans les années 90, qui provenaient essentiellement d'orchestres militaires. Maintenant que les musiques militaires ont fortement diminué, notre recrutement est tourné maintenant aussi vers le milieu civil, vers les écoles et académies de musique. Nos musiciens ont de nombreux rendez-vous : les hymnes du grand prix, les cérémonies protocolaires, mais aussi la relève de la garde, sans compter les prestations extérieures.
Comment devenir carabinier
Comment rentre-t-on chez les carabiniers du Prince ?
C’est assez méconnu, parce que tout le monde se fait des idées sur le fait qu'il faut être monégasque. Pourtant c’est faux. C’est aussi ouvert à tous les jeunes hommes de nationalité française âgés de 19 ans à 27 ans. Nous avons un site internet dédié, toutes les conditions sportives et tous les tests y sont mentionnés. Notre cellule de recrutement et d'instructions est là pour instruire les dossiers. Elle est le point d’entrée de tous les jeunes qui vont téléphoner. Ils auront toujours un interlocuteur privilégié qui va prendre le temps de leur expliquer comment fonctionne la compagnie pour qu'ils puissent, ou pas, postuler. Les dossiers sont à déposer en juin et les tests de recrutement se déroulent entre septembre et novembre. Ensuite le souverain valide les candidatures en fonction des résultats et l’incorporation se fait en février avec une formation initiale jusqu’à fin mai.
Comment se déroule le recrutement ?
Il y a d'abord des épreuves académiques : français, maths et un résumé de texte. Ensuite nous avons des épreuves sportives : natation, un parcours sportif et un Cooper. Le candidat passe aussi plusieurs tests médicaux assez complets qui prennent quasiment deux jours. Enfin il y aura plusieurs entretiens avec des médecins et la chaîne de commandement pour déterminer le profil psychologique et la motivation du candidat. Une fois ce parcours terminé, nous mettons tout cela incohérence pour déterminer si la personne est à même d’intégrer la compagnie. Cette année, nous avons eu 19 dossiers pour 4 places ouvertes. Normalement, à chaque contingent, nous avons le quota de personnes, mais pas forcément beaucoup plus. C'est pour cela que nous essayons de rayonner et communiquer pour augmenter un petit peu les candidatures. Nous devons arriver à intégrer des jeunes particulièrement motivés pour servir et pour certains prêts à faire une carrière qui peut aller jusqu’à 30 ans de service.
Les candidats anciens militaires sont conscients que, contrairement à l’armée française, ils ne partiront pas en OPEX ?
Effectivement le carabinier est "scotché" au rocher. Il est au service de la famille souveraine et des lieux de résidence : le palais, la place du Palais et Roc Agel. L'épanouissement, il ne l'aura pas à l'extérieur, parce que dans tous les cas, on n'a pas vocation à quitter Monaco pour des missions. Mais je suis convaincu que c'est une source de satisfaction de servir la famille souveraine. Sans compter les nombreuses spécialités au sein desquelles il pourra s’épanouir. Musicien, plongeur, motard, mais aussi formateur, comme en tir ou en secourisme, les activités sont finalement nombreuses et variées.
Qui sont les jeunes qui postulent pour intégrer la compagnie, est-ce que vous recherchez des profils particuliers ?
Quand il y avait le service national, on recrutait essentiellement d’anciens militaires. Aujourd'hui, avec la suspension du service national c’est moins le cas. Évidemment que les anciens militaires nous intéressent, mais quand on regarde le recrutement actuel, ils ne représentent que la moitié des candidats. Quand le candidat se présente, on regarde déjà si son profil peut correspondre à nos besoins. Une fois les tests passés nous sommes aussi attentifs à ce qu’il peut apporter à la compagnie. Comme nous avons un turn-over important, il faut qu'il y ait une plus-value conséquente. Donc, soit ça peut être fait avec une expérience militaire, soit ça peut être fait avec une autre expérience civile dans certains domaines. Cela peut être un menuisier, un musicien, un mécanicien ou un ferronnier. Ceux qui ont eu un cursus militaire vont servir d'accompagnant pour la formation initiale avec jeunes qui n'ont pas eu ce vernis militaire. C’est ce mix de recrutement qui rend la compagnie si intéressante et permet de faire évoluer l'ensemble des personnels.
Avez-vous aussi des personnels issus de la police ou de la gendarmerie ?
Nous en avons aussi et même d'anciens pompiers volontaires qui pourraient avoir le réflexe d'intégrer les pompiers de Monaco, mais qui finalement souhaite changer en postulant chez nous. Nous sommes vraiment ouverts à toutes les propositions, il faut juste remplir les critères et réussir les tests. Il y a quand même un point particulier, la taille minimum doit être d’1m80 et maximum de 2 mètres. Nous avons imposé ces critères pour avoir une troupe assez uniforme et avoir aussi des personnes d'une certaine stature. Nous sommes la garde du souverain, nous devons avoir une certaine stature.
Une fois le passage des sélections et recrutement terminés, comment se déroule la formation avant de monter la garde au palais ?
Le début de la formation se fait en février, pendant 4 mois. Durant celle-ci , il y a une formation purement militaire, notamment le maniement de l'arme, donc le Glock et le M16. Ensuite, ils ont une formation historique pour bien connaître l’histoire de Monaco et de la famille princière. Il ne faut pas oublier que l’on change de pays. Il faut savoir comment il est organisé et quelle est la place de la compagnie dans son organisation. Nous avons aussi une formation police judiciaire, car les Carabiniers sont adjoints de police judiciaire et une formation en secourisme. Ensuite, on passe au cœur du métier avec le service général. Le jeune carabinier doit apprendre comment se déroule une garde au palais, qu'est-ce qu'on attend d'eux sur les différents postes et le service de police sur la place. Évidemment, pendant toute la formation il y a beaucoup de sport avec nos moniteurs qui leur préparent des séances ciblées. Cela permet aussi de leur faire prendre conscience, que même s’ils ont un bon niveau en entrant à la compagnie, ils devront le maintenir, car ils seront soumis à des tests sportifs durant toute leur carrière.
Comment se déroulent la carrière et l'avancement du carabinier ?
En règle générale, la carrière peut durer une trentaine d'années. Il peut arriver à 50 ans et partir à la retraite. C’est aussi possible au bout de 15 ans de service, mais ce n’est pas la majorité. Les carabiniers se sentent bien à la compagnie. L’avancement quant à lui se fait en fonction des départs à la retraite. Comme je n’ai pas de sureffectif, c'est vraiment la vacance de poste. L’avancement reste donc assez contraint. Un jeune qui entre comme carabiniers de seconde classe peut prétendre à passer première classe après une dizaine d’années ce qui est normal en évolution de carrière chez nous. Une fois qu'il a obtenu ce grade, on identifie le potentiel pour devenir cadre. Certaines personnes pourront être choisies en fonction des notations et de leurs compétences pour évoluer et passer sous-officiers. Mais nous n'avons pas aujourd'hui de cursus de formation comme le CM1 ou l BSTAT que l’on trouve dans l’armée de Terre. Nous avons une formation initiale, et après, c'est vraiment une formation opérationnelle sur place et avec une idée d'identification des potentiels pour pouvoir progresser en interne. L'avancement se fait vraiment sur le mérite, mais en revanche, il faut être très patient. C'est aussi une des qualités du Carabinier : savoir être patient et se dire que dans tous les cas, si je fais bien mon travail, j'aurais un résultat, et ce résultat, dans tous les cas, se matérialisera par une progression en grade.
Un jeune qui s'engage peut espérer terminer à quel grade après 30 ans de service ?
Normalement brigadier. Mais les meilleurs pourront terminer sous-officier supérieur, voir officier. Dans tous les cas c’est un système d'entonnoir. Quasiment tous les Carabiniers peuvent passer carabiniers de première classe. Pour les brigadiers il y aura des choix jeunes, des choix vieux. Si le Carabinier fait bien son travail, il sera au moins brigadier minimum. Après, c'est en fonction de ses compétences, de ses capacités et puis aussi peut-être des spécialités qui pourront le porter ou pas, ou de son travail au quotidien. Nous proposons une carrière longue il faut donc garder une certaine motivation tout au long de ses années de service. Ce n’est pas évident, surtout pour un ancien militaire, de se dire que pendant 10 ans il ne changera pas de grade. Mais notre système est différent. Il faut le comprendre, l’accepter et se dire qu'il y a une notation annuelle, qui permet d’évoluer. Mais tous nos carabiniers ont de vraies responsabilités.
À l’engagement les carabiniers sont contractuels. Ils signent des contrats de cinq ans. Pour les sous-officiers, ils peuvent prétendre à passer de carrière, sous condition de notation et d'aptitude physique, après deux ans de grade. Quand on passe de carrière il n’y a plus de tests professionnels. Ceux sous contrat doivent passer des tests physiques, de tir et de connaissances techniques tous les ans.
Servir à Monaco
Quand on vient servir à Monaco, on sert à l'étranger. Est-ce qu'on peut en demander la nationalité monégasque ?
La demande de nationalité existe. Mais pour y prétendre il faut au moins 40 ans de présence à Monaco, ou alors pouvoir justifier d'une présence familiale d'au moins 40 ans. Si un Carabinier se marie avec une Monégasque il pourra aussi faire sa demande, mais seulement après plusieurs années. Mais ce n'est pas du tout la vocation du Carabinier. Il est français, il s'engage à Monaco, il sert le souverain, et il faut vraiment prendre conscience qu'il y a un après, et cet après, c'est souvent un retour en France. Parce que dans tous les cas, on ne peut pas rester à Monaco. C'est-à-dire, on habite à Monaco, on y est résident pendant notre service. Mais une fois que l’on n'est plus Carabinier, on ne peut plus rester à Monaco.
Est-ce que servir à Monaco et une famille princière en particulier demande une certaine adaptation ?
On s’adapte assez vite en fin de compte. Il y a un véritable aspect familial, et c'est ça qui est assez intéressant ici. Le souverain connaît parfaitement tous ses Carabiniers, il y a aussi une reconnaissance que l’on n'a pas forcément ça en ailleurs. En France on sert un État, mais on ne voit pas au quotidien le président de la République. Là, le Carabinier est au palais, et dans l'absolu, il peut voir le souverain et sa famille tous les jours. Il y a une proximité, toute relative, mais une proximité quand même avec la famille que l'on sert et que l’on côtoie quotidiennement, cela donne encore plus envie de les servir au mieux. Il y a cette notion d'intérêt commun qui fait que ça fédère tout de suite, même ceux qui n'ont pas eu de vocation à être militaires avant.
La préparation opérationnelle des carabiniers
L'entraînement pour le Carabinier est quotidien. Vous leur demandez d'avoir un niveau opérationnel assez poussé ?
Évidemment ! Il faut pouvoir réagir. On voit le Carabinier à la porte d'honneur, sous la guérite, mais ce Carabinier au final est entraîné à utiliser ces armes de dotation, à pouvoir réagir et à changer de configuration. Il ne faut pas oublier que même si on est dans un pays très sécurisé, elle reste relative. Comme dans n’importe quel pays on doit pouvoir être en mesure de contrer n'importe quelle menace. Nos Carabiniers sont formés pour pouvoir utiliser de l'armement avec des protections balistiques, de pouvoir évoluer en binôme, en trinôme. Ça, c'est pour l'aspect opérationnel. Pour la condition physique, ils bénéficient d’en entraînement sportif quotidien. Ils ont à cœur de s'entretenir et de garder le meilleur niveau possible. Il y a une certaine émulation entre les Carabiniers parce qu'il n’y a pas beaucoup de spécialités. Certains sont concentrés sur les sports de combat, d'autres sont des cyclistes, plongeurs, nageurs. Il y a quand même un tronc commun qui reste la course à pied. Il n'y a pas forcément de séances communes compagnie, mais nous faisons du sport tous les jours. Chaque Carabinier gère sa séance au niveau en fonction de son service. Mais il peut constamment bénéficier de l’appui du bureau des sports pour l’aider. Nous avons la chance d’avoir un environnement propice à de nombreuses pratiques. Nous avons aussi des athlètes de très hauts niveaux. Certains carabiniers participent à des compétitions militaires internationales. Nous avons recruté dernièrement un jeune triathlète qui a un niveau européen, mais il monte la garde au palais comme tous les autres carabiniers.
Vous bénéficiez d’un matériel très moderne, notamment pour l’armement. C’est assez loin de l’image du carabinier en tenue de tradition.
C'est peut-être l'image que beaucoup de gens ont, et puis c'est celle qu'ils donnent quand ils sont de garde devant le palais. Mais ce sont des personnes qui sont formées pour protéger la famille princière. Ils sont capables de réversibilité si jamais il devait se passer quelque chose. En permanence nous sommes en capacité de pouvoir intervenir avec des moyens que l'on ne voit pas. Nous ne dévoilons pas tous nos moyens, mais nous sommes prêts à faire face à de nombreuses situations. Nous donnons l’image d’une force tranquille qui reste dans l'ombre, mais en mesure d'intervenir et, s'il faut, de frapper fort.
Il y a eu en France, notamment pas très loin à Nice, des attentats assez sanglants. Est-ce que vous avez changé de posture depuis ces événements ? Avez-vous réfléchi à une nouvelle organisation ou une adaptation de vos entraînements ?
C'était une réflexion et un révélateur au niveau national, pas forcément que pour les carabiniers. Je pense qu'effectivement, la sûreté aussi a pris conscience, et on a eu des efforts de fait pour pouvoir s'équiper et réagir en conséquence. Une nouvelle acquisition d'armement spécifique et de protection balistique date de ce moment-là. Nous avons aussi mis en place des entraînements pour pouvoir réagir, soit à des mouvements de foule, soit effectivement gérer ce qu'on appelle des tueries de masse. Ça a modifié nos entraînements, mais aussi notre façon de penser. Devant le palais tout se passe bien, mais si la situation devait dégénérer, comment la gérer ? Plusieurs milliers de personnes passent chaque jour sur cette place. Le point d’orgue est la relève de la garde à 11h55. À ce moment-là nous avons une affluence, au plus haut de l'été, qui peut être de 3 000 à 4 000 personnes pendant une petite demi-heure. C'est un point névralgique à gérer, mais nous sommes en capacité de le gérer. Même s’il est très difficile de pouvoir anticiper la réaction d'une foule en cas de panique, nous travaillons avec certaines sociétés sur de la modélisation. Cela permet, comme dans les stades de foot par exemple de travailler les modes d’évacuation sur des endroits très restreints. Nous menons un travail d'anticipation pour savoir quels sont les axes d'amélioration, et toujours nous remettre en question.
Est-ce que vous travaillez avec des services français, que ce soit pour l'entraînement, le relationnel ou simplement pour échanger ?
Il y a toujours eu ces échanges, que ce soit avec la gendarmerie, pour l'aspect motard essentiellement, avec la Garde républicaine, ou la police nationale pour nos moniteurs de tir, qui sont formés à Cannes. Ensuite, nous avons un lien naturel avec l'armée française. Tous les princes de Monaco ont servi un moment de leur vie l'armée française. Il y a toujours ce lien et, de fait, aussi avec des camarades de promotion, qui sont aussi toujours en bonne place dans les régiments, les états-majors, pour pouvoir nous faire bénéficier d’une veille technologique, mais aussi d’accueillir les Carabiniers. Mes hommes ne partent pas en OPEX, mais j'essaie de les envoyer régulièrement en France pour découvrir autre chose, s'aguerrir et profiter de ces contacts pour évoluer aussi.
L'avenir des carabiniers du Prince
Est-ce qu'on peut parler d'avenir pour la compagnie des carabiniers, est-ce qu'il y a des réflexions sur les modes de fonctionnement ?
Oui, bien sûr. La compagnie des carabiniers est en perpétuelle évolution. Par exemple, nous avons récemment acquis des drones avec des télépilotes. Nous ne savons pas encore quelles seront les prochaines évolutions à venir dans certains domaines de compétence. En ce qui concerne les effectifs, nous sommes actuellement 124. Il est possible que cela évolue dans le temps, car nous avons des missions de plus en plus importantes et un engagement croissant auprès de la famille souveraine. Une unité qui n'évolue pas régresse, donc notre objectif est de faire évoluer la compagnie. Il peut y avoir des évolutions en termes de ressources humaines, d'infrastructure, de projets liés à l'infrastructure de la compagnie, tels que des déménagements structurels. Il y a beaucoup de choses en cours, notamment des projets pour le musée des carabiniers afin de le rendre plus accessible au public. Donc oui, nous sommes constamment en évolution pour faire avancer et rayonner Monaco et ce rayonnement peut se faire à travers la compagnie des carabiniers dans de nombreux domaines.
Pour conclure, auriez-vous un conseil à donner à un jeune qui souhaiterait rejoindre les carabiniers ?
Je lui dirais de ne pas hésiter mais de bien réfléchir. C'est une vocation, et il faut peser le pour et le contre. Il faut vraiment considérer qu'on vient servir un souverain pendant 30 ans, donc il est important de vivre des expériences avant de rejoindre les carabiniers. Prenez le temps de vous préparer physiquement et de découvrir la vie avant de vous engager pleinement dans ce métier. C'est un beau métier au service d'un souverain mais il faut rester motivé tout au long de sa carrière. Alors, je leur dirais de venir, ils ne seront pas déçus, mais ils doivent être préparés, car comme dans toute institution, il faut faire ses preuves et faire preuve d'humilité. Toutes les motivations sont bonnes, mais il faut rester humble tout au long de sa carrière chez les carabiniers.
Pour écouter cet épisode
Pour en savoir plus
Vous pouvez acceder à toutes les informations sur la compagnie des carabiniers du Prince et sur les modalités de recrutement en vous rendant directement sur leur site.
Vous pouvez retrouver l'ensemble de nos podcasts sur notre chaîne Youtube
Vous pouvez aussi vous abonner à notre magazine et recevoir notre tout dernier numéro, dont le dossier est consacré à la dissuasion nucléaire, accéder à des contenus exclusifs, bénéficier des offres de matériels et équipements de nos partenaires. Rendez-vous dans la rubrique premium.