Afrique : terrain de la guerre d’influence franco-russe
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On assiste depuis les années 2010 à une véritable ruée internationale vers le continent africain. Près de 400 ambassades étrangères ont ouvert en Afrique en un peu plus de 10 ans, une croissance jamais enregistrée dans le monde. Sur le plan commercial, l’Inde a remplacé la France sur le podium des partenaires du continent, aux côtés de la Chine et des États-Unis. Cependant, c’est la Russie qui semble nuire le plus à la France. Moscou ne se contente pas d’influencer via les médias mais livre une véritable guerre informationnelle à la France, forçant Paris à revoir sa stratégie.
Stratégie et attaques russes
En 2019, 43 chefs d’État africain étaient présents à Stochi pour le sommet Russie-Afrique. Le combat contre l’omniprésence de l’occident dans les médias y fit l’objet de longues discussions. Sergueï Mikhaïlov, directeur de l’agence Tass évoqua la mise en place d’une « autre vision du monde et des questions internationales » pour se distinguer de celle des « médias occidentaux ». Il est vrai que les médias sont une pièce maîtresse de la stratégie déployée par les puissances mondiales pour promouvoir leurs intérêts et défendre leurs acquis. « Selon les périodes et les techniques élaborées, les États se sont toujours servis des moyens de communication pour [s’]affirmer […] dans les rivalités de pouvoir internationales, qu’elles soient politiques, économiques ou culturelles. Les médias sont des instruments au service de leurs objectifs dont le premier but est d’orienter les opinions publiques des pays étrangers en leur faveur. Dans les régimes autoritaires, le rapport médias/pouvoir suit une même ligne politique. Dans les régimes démocratiques, il apparaît plus subtil », explique le géographe Philippe Boulanger. C'est pour cette raison que Moscou élargi continuellement la présence sur le continent de l’agence Tass et des radios et télévisions RT et Sputnik.
Néanmoins, c’est sur les réseaux sociaux que la Russie semble se montrer le plus efficace. Fake news, informations hors contexte, sources douteuses et non vérifiées, en République centrafricaine ou au Mali, Moscou n’a de cesse de mettre en cause les positions de Paris. Tous les engagements français sont présentés au travers du prisme colonial et néocolonial. À l’image de l’opération Sangaris, qui, entre 2013 et 2016, a mis fin aux massacres qui ravageaient la RCA sans parvenir à stabiliser le pays dans la durée. Les quelque 130 militaires restant dans le pays sont partis le 15 décembre dernier. Ils assuraient une mission logistique (MISLOG) qui « n’avait plus de justification opérationnelle » et devaient composer avec la présence de la société militaire privée Wagner « de plus en plus intrusive », indique à l'AFP le général François-Xavier Mabin, à la tête de la MISLOG. « C'est avec beaucoup de regrets que nous constatons ce retrait unilatéral », a déclaré quant à lui Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du président centrafricain. « Aujourd'hui nous avons une armée aguerrie, merci à la France qui l'a formée et équipée pendant 62 ans. Maintenant nous allons faire avec Wagner ».
Outre le fait de renforcer l’image d’une France arrogante qui protège son pré carré. La Russie accuse régulièrement, via la société militaire privée Wagner, les soldats français de viol et autres exactions. L’affaire du charnier de la base de Gossi en est un bon exemple. Dans une vidéo diffusée le jeudi 21 avril 2022, un dénommé Dia Diarra, qui prétend être un « ancien militaire » et se revendique « patriote malien », montre des cadavres floutés, à moitié ensevelis dans le sable. La vidéo est accompagnée du commentaire : « C'est ce que les Français ont laissé derrière eux quand ils ont quitté la base à Gossi [...] on ne peut pas garder le silence sur ça ! ». L'armée française accusa les mercenaires de Wagner de manipulation de l'information, après avoir filmé des soldats de type caucasien en train d'enterrer des corps près de la base en question. Dans cette vidéo prise par un drone français, on peut en effet voir des soldats s'affairer autour de cadavres qu'ils recouvrent de sable. D'après Paris, il s'agit d'une séquence manipulée pour accuser les Français d'avoir laissé un charnier derrière eux. « Le monde a changé et notre pays est souvent attaqué. Il est attaqué dans les opinions publiques par les réseaux sociaux et des manipulations. Le continent africain en est le meilleur laboratoire », résumait Emmanuel Macron lors d’un discours devant les ambassadeurs de France. Même si c’est en Centrafrique et au Mali que les frictions avec la France sont les plus nombreuses. Ces deux pays ne constituent qu’une petite partie des efforts russes. Moscou se concentre d’avantage sur le Sénégal, le Nigeria et l’Éthiopie, l’Angola, Madagascar, la Tanzanie ainsi que la Guinée. Des accords ont été signés pour la diffusion de contenu russe via les médias africains. Les télévisions publiques égyptienne, algérienne, marocaine, sud-africaine et celle de la République démocratique du Congo diffusent le contenu du média russe Sputnik.
Du soft au hard power français ?
La France est présente en Afrique via ses médias internationaux depuis de nombreuses années. Jacques Chirac annonce la création de France 24 en 2006. L’enjeu, expliquait alors le président de la République, est de « porter partout dans le monde les valeurs de la France » et de « diffuser » un « regard français sur les événements » internationaux. France 24 est la première chaîne internationale en Afrique francophone et une des dix chaînes les plus regardées par l’ensemble de la population de ces pays. Pour résumer, le but est de favoriser l’adoption par les populations visées d’un regard proche de celui de la France, à des fins politiques et économiques. Plus ancienne encore, RFI (Radio France International) est créée le 6 janvier 1975. C’est la radio la plus écoutée par les cadres et les dirigeants dans plusieurs grandes villes telles que Kinshasa, Abidjan, Dakar, Libreville, etc. Les médias internationaux français sont maintenant rassemblés au sein de France Médias Monde (FMM). Ils occupent une place particulière dans l’espace audiovisuel africain et les candidats aux élections préfèrent intervenir sur ces antennes plutôt que sur les chaînes locales.
Pour lutter contre les attaques russes, Paris se fait le porte-voix des révélations sur les crimes commis par les milices Wagner. Le président de la république estime cependant que la France doit se montrer bien plus agressive à ce sujet, plaçant « l’influence » parmi les cinq fonctions stratégiques de la « Stratégie de défense et de sécurité nationale française ». Par ailleurs, un projet resté longtemps dans les tiroirs du ministère des Affaires étrangères serait sur le point d’aboutir, d’après des informations obtenues par la Lettre A. La France envisagerait de se doter d’un média ou d’une galaxie de médias pour mener, sur le sol africain, une guerre de l’information. Sur le plan pratique, ce média devrait se présenter comme un pure-player, c’est-à-dire en utilisant essentiellement de petites vidéos courtes et dynamiques, faisant appel à l’émotion et dont la viralité est la principale qualité. Si la ligne éditoriale de ce média devrait être contrôlée de près par le Quai d’Orsay, la production de contenu et la gestion des comptes du média devraient être externalisées à des sociétés privées : un appel d'offres devrait bientôt être publié à cette fin pour dénicher un partenaire extérieur capable de gérer ce média pour le ministère.