L’impossible lutte contre le terrorisme

L’impossible lutte contre le terrorisme

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Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les gouvernements et les organisations internationales se sont employés à mettre en place des moyens pour lutter contre le terrorisme. En 2017, la France a mis sur pied la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) chargée de coordonnée les très nombreux services impliqués dans la lutte contre le terrorisme : CNCT, DGSE, DGSI, DRM, etc… Malgré ces efforts, la menace persiste. Qu’ils s’agissent des assaillants du Bataclan ou des frères Kouachi, auteurs du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo; ou bien des assassins du père Jacques Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray ou encore de l’homme qui a assassiné Samuel Paty; tous étaient connus, voir activement surveillés, par les services de renseignements français. Alors pourquoi ces morts n’ont-elles pas pu être évitées ?

Une menace changeante

Après la terrible année de 2015, une commission d’enquête « relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme » a été créée. « Nous avons tout eu » a résumé devant les députés celui qui était alors le coordonnateur national du renseignement, Monsieur Didier Le Bret. « Des actes d’ampleur, préparés, planifiés, coordonnées; des actes isolés, perpétrés par des acteurs revenant de théâtres de guerre en Syrie ou par d’autres qui, sans jamais quitter le territoire national, ont pu agir à l’instigation d’un contact sur place ; enfin, des individus relevant de la fameuse catégorie des "loups solitaires" qui, autoradicalisés, ont pris leur décision sur un fondement strictement personnel, mais le plus souvent à partir d’internet ». La menace terroriste est complexe et difficile à appréhender. Elle se caractérise par la diversité des groupes, des individus et des motivations qui les animent.

Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et ceux de Bruxelles en mars 2016 ont été perpétrés par Daech. Ce groupe terroriste disposait alors d’un réseau bien structurant, offrant de fortes capacités : une structure dédiée aux opérations extérieures, un système de recrutement bien établi ainsi qu’une filière de falsification de documents administratifs. Ces attaques ont eu lieu alors que les méthodes opératoires de Daech étaient en train de changer profondément. Elles ont été l'apogée de ce que Marc Hecker, directeur de la recherche à l’Institut français des relations internationales (Ifri), appelle le « terrorisme projeté », c'est-à-dire la capacité de Daech à former des combattants et à les envoyer en Europe pour mener des attaques. Pour réaliser ce genre d'actions, Daech avait besoin d'une certaine logistique, comme ses camps d'entraînement en Syrie. Par la suite, l’organisation terroriste a changé de stratégie et a préféré mettre en œuvre un "terrorisme téléguidé", c'est-à-dire en s'appuyant sur des opérateurs basés en Syrie et en Irak pour recruter des terroristes potentiels via des messageries cryptées et leur assigner des cibles à attaquer. C'est ce type de d’attaque “téléguidé” qui a conduit à l'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, ou à la tentative d'attentat à Notre-Dame de Paris en septembre 2016. Les attaques les plus récentes semblent relever d’une troisième forme de « terrorisme d’inspiration », développée en même temps que le « terrorisme téléguidé » et qui est en train de prendre sa place. Dans ce type d’attaque, l’individu agit seul, sans contact extérieur, mais en s'inspirant de la propagande djihadiste diffusée en ligne. C’est maintenant la méthode la plus utilisée par Daech, l’organisation ayant perdu une grande partie de ses moyens. « Avec le terrorisme d’inspiration, on est entré dans l’ère du terrorisme “low cost” qui, le plus souvent, se traduit par des attaques à l’arme blanche, parfois spectaculaires, souvent peu meurtrières », analyse Marc Hecker. Cela s’inscrit dans le cadre de la stratégie des « 1 000 entailles » théorisée par Al-Qaida et Daech pour « saigner le corps social d'un pays » par une multiplication d'attaques de ce type.

« Le risque zéro n’existe pas »

Le Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) dénombre plus de 8132 personnes, avait annoncé le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, en août 2020. On comprend donc aisément pourquoi il est extrêmement difficile de garder un œil sur chaque individu potentiellement dangereux. De plus, ces nouveaux profils de terroristes, radicalisés rapidement, agissant seuls, sans lien avéré avec un réseau organisé, rendent très difficile leur détection par les services de renseignement.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, Bernard Cazeneuve s'était défendu de toute « faille » au sein des services, rappelant que le « risque zéro » n'existait pas. Mais la facilité déconcertante avec laquelle certaines attaques ont été menées, ne cesse de poser question. « C'est le signe d'un échec total et absolu depuis dix ans », se désole, au sujet des attentats du 13 novembre, un ponte du renseignement intérieur toujours en activité. « Il s'agit moins d'une faille globale que d'une série de dysfonctionnements dans l'acquisition, le traitement et la diffusion des informations », tempère Alain Juillet, ancien directeur du renseignement à la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), interrogé par Libération.

En 2008, le gouvernement a fusionné la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG) pour créer la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en 2014. Cette décision avait pour objectif de mettre en place un "FBI à la française" et de mettre fin aux doublons. Cependant, cette fusion a eu pour effet de désintégrer le réseau de sources tissé par les RG au fil des années. Selon de nombreux experts du renseignement, les RG avaient une capacité de détection remarquable grâce à leur contact avec la population et leur dialogue avec de nombreuses sources, comme les imams, les chefs d'établissement et les assistants sociaux. La destruction des RG a été considérée comme une erreur stratégique majeure qui a entraîné la perte d'une génération de potentiels terroristes et la division d'équipes de policiers soudées. Pour retrouver le maillage qu’offraient les RG, Manuel Valls, alors Ministre de l’intérieur, lance fin 2013 la refondation du Renseignement territorial (RT). Le Renseignement territorial (RT) est composé d'environ 2 000 fonctionnaires, soit 60% de l'effectif des anciens RG, mais il assure 90% de leurs missions. Un autre problème est que le RT n'a pas accès au secret-défense. Lorsqu'il transmet un dossier à la DGSI, cette dernière ne lui fournit donc aucune information en retour. Cela oblige parfois le RT à retenir ses informations jusqu'au dernier moment, ce qui peut entraîner des conséquences graves.

Un abus de technologie ?

Le renseignement technique a connu un développement considérable au début des années 2010, au détriment du renseignement humain. Le livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, paru en 2008, a proposé d'augmenter les investissements technologiques pour les services de renseignement afin de rattraper le retard de la France en la matière. Les responsables politiques et des services de renseignement ont été séduits par cette orientation. La collecte massive de données transitant par les câbles sous-marins, mise en place cette année-là, est toujours en vigueur. Elle a été légalisée par la loi sur le renseignement qui autorise et encadre divers moyens de surveillance technique. En cohérence avec son orientation stratégique, la DGSE et la DGSI recherchent en priorité des ingénieurs (en base de données, en cœur de réseau, en sécurité informatique…) et cryptomathématiciens, plutôt que des analystes. Un ancien de la DGSE, Claude Moniquet, explique l’omniprésence des moyens techniques :  « Il est plus facile d'avoir du budget pour un supercalculateur que pour des hommes de terrain ». Sauf que les résultats ne sont pas les mêmes, insiste-t-il : « Le renseignement est d'abord une affaire d'hommes. La technique est un appoint ». Ce constat est d’autant plus vrai que de nombreux chefs terroristes n'utilisent pas de moyens de communication électroniques, à l'image d'Oussama ben Laden. L'ancien chef d'Al-Qaeda recourait à quelques messagers de confiance pour déjouer toute surveillance technologique.

Il est évident que la prévention des attaques terroristes est un défi complexe, et qu'il est impossible de surveiller tous les individus potentiellement dangereux. Cela nécessite une approche multiforme, qui comprend la surveillance et la collecte de renseignements, mais aussi la prévention de la radicalisation et la lutte contre la propagande en ligne. Seul un travail collaboratif entre les gouvernements, les forces de l'ordre et la société en général peut permettre de lutter efficacement contre le terrorisme.