Préparation opérationnelle : Comment répondre à « l’hypothèse de l’engagement majeur » ?
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La commission défense de l’assemblée nationale a lancé l’année dernière plusieurs missions flash dont le but est de faire le point sur les principaux défis auxquels les armées françaises doivent faire face. L’une d’entre elles, dédiée à la préparation opérationnelle des soldats, vient de rendre ses conclusions.
La préparation opérationnelle des forces armées est un enjeu majeur pour garantir la crédibilité de la défense française et doit donc faire partie intégrante de la stratégie de dissuasion du pays. Selon la définition donnée par Morgan Paglia de l’Institut français des relations internationales (IFRI) : « De la formation initiale à la conduite d’exercices interalliés, la préparation opérationnelle vise à mettre en cohérence les capacités militaires (équipements, doctrines, savoir-faire) avec les contrats opérationnels décidés au niveau stratégique ». Elle repose sur une doctrine claire, des équipements performants et des personnels entraînés selon les bonnes tactiques.
À l’issue de cette mission flash, Madame Brigitte Liso et Madame Anna Pic, toutes deux membres de la commission défense de l’assemblée nationale, considèrent que « les forces sont aptes à remplir les missions de la situation opérationnelle de référence (SOR) prévues par leur contrat opérationnel, mais que l’ambition serait désormais d’augmenter les standards de la préparation opérationnelle et les volumes de forces concernés pour être en capacité de répondre à l’hypothèse d’engagement majeur tout en développant la dimension multi-milieux et multi-champs de l’entraînement ».
Des difficultés tenaces
Ce rapport identifie plusieurs freins pour atteindre les objectifs de préparation opérationnelle prévus dans la loi de programmation militaire. La disponibilité de certains matériels, cités dans de nombreux documents ces dernières années, continue d’inquiéter les deux députées. La présence de « creux capacitaires » engendre également un manque d’entraînement « sur certains segments ». Les rapporteures pointent par ailleurs la disponibilité des soldats français. En effet, « le temps consacré à la préparation opérationnelle par les forces armées doit être concilié avec un engagement opérationnel soutenu ».
C’est l’armée de l’air et de l’espace (AAE) qui concentre la majorité des inquiétudes en matière de disponibilité des équipements. L'activité de l'aviation de chasse a été réduite ces dernières années, notamment du fait du retrait des Mirage 2000C de la flotte et de la mise à disposition de plusieurs Rafale afin d’honorer rapidement des contrats d’exportation. Le général de corps aérien Frédéric Parisot, cité dans ce rapport, évalué ainsi les conséquences de ces prélèvements : « Afin d’honorer les commandes passées par la Grèce et la Croatie, l’AAE devra se séparer de 24 Rafale, sur les 102 qu’elle possédait en 2020. Les conséquences de ces cessions dans les deux années à venir concerneront moins les contrats opérationnels que les capacités d’entraînement des pilotes : en 2021, les pilotes de chasse s’entraîneront en moyenne 164 heures contre environ 147 heures pour l’année à venir ». Cette situation devrait s'améliorer progressivement avec la reprise des livraisons de Rafale ainsi que l’arrivée des Mirage 2000D rénovés, mais il faudra encore attendre plusieurs années avant de voir l'aviation de chasse française disposer d'un parc d'équipements adaptés aux objectifs de préparation opérationnelle. Par ailleurs, l'aviation de chasse est confrontée à différentes carences, notamment un léger déficit d'équipage. 7% des postes en unité de première ligne de la brigade aérienne de l’aviation de chasse (BAAC) reste à pourvoir. L’AAE souffre également d’un nombre limité de « missionnels » (pods de désignation laser, nacelles de reconnaissance, etc…) et d'équipements indispensables à l'armement des appareils qui sont prioritairement destinées aux OPEX.
Pour ce qui est de la marine nationale, la disponibilité des bâtiments est très satisfaisante, permettant de maintenir un niveau d’activité stable. Cependant, la montée en puissance voulue pour répondre à la dégradation du contexte géopolitique internationale devra attendre. La loi de programmation militaire en cours avait anticipé une stabilisation de l’activité navale française, celle-ci devant recommencer à croître en 2022. Il faudra finalement attendre plus longtemps, « la remontée du niveau d’activité a été reportée à 2024, voire 2025 », affirment les députées. En matière de maintien en condition opérationnelle (MCO), la mise en place des contrats « verticalisés » a permis de faire des progrès considérables. Cependant, des « creux capacitaires » subsistent sur certains équipements, notamment la disponibilité des patrouilleurs de haute mer (PHM), les chasseurs de mines, sans oublier les hélicoptères NH90 Caïman. La disponibilité de ces derniers demeure très en deçà du niveau attendu et continue de constituer une difficulté majeure pour l'entraînement. « Pour y remédier, une assistance technique renforcée d'Airbus Hélicopters doit être mise en place sur les bases aéronavales de Lanvéoc et de Hyères, et un groupe de travail se réunit avec les industriels concernés », indique le rapport.
Concernant l’armée de Terre, la préparation opérationnelle est particulièrement touchée par la conjoncture actuelle. L’augmentation des coûts de MCO (notamment dû à l’arrivée des véhicules Scorpion) et l’inflation font peser un risque sur les ressources qui y sont consacrées. « Le segment de décision, essentiel en haute intensité, surtout la cavalerie et l’infanterie (chars Leclerc, véhicules blindés de combat d’infanterie, VBCI) sont les plus affectés », estiment les députées. D’autant plus que la cession de matériel à l’Ukraine a eu un effet sur la préparation des soldats. L’entraînement des parachutistes pâtit également de la faiblesse du taux de disponibilité des aéronefs qui ne permet pas de réaliser les sauts de sécurité requis.
Les 7 propositions des députées
Proposition 1 :
« Poursuivre et intensifier l’effort budgétaire en faveur des crédits dédiés à la préparation opérationnelle et à l’entretien programmé du matériel (EPM) dans la prochaine LPM, afin d’assurer un niveau de disponibilité des matériels garantissant le maintien d’un niveau d’activité suffisant ».
Le coût élevé de l'activité continue d'entraver l'augmentation des ambitions de préparation opérationnelle des forces armées. Le financement du maintien en condition opérationnelle (MCO) est crucial pour la préparation des forces, et la hausse des coûts risque de limiter les ressources consacrées à la préparation opérationnelle. Le rapport recommande donc la mise en place d’un « MCO de guerre » afin de faire face à ces difficultés. En somme, il s’agirait de faire remonter le MCO dans l’ordre de priorité. Au sein de l’armée de l’air et de l’espace, plus encore que pour les autres milieux, l’entraînement du personnel navigant dépend fortement de la disponibilité des appareils, des moyens concourant à l’activité (pistes, radar, espace aérien, etc.) et du volume d’entraînement, en heures de vol, qu’il peut réaliser. Les députées insistent donc sur la nécessité de poursuivre le renouvellement de la flotte et de porter une attention particulière à l’activité chasse et transport tactique.
Proposition 2 :
« Financer le développement du réalisme et le passage à l’échelle des outils de simulation, tout en veillant à ce que les simulateurs correspondent aux derniers standards des équipements en dotation dans les forces ».
Les outils de simulation actuels ne permettent bien sûr pas de se passer d'entraînement en condition réelle. Cependant, ils ont des avantages certains et leur utilisation doit être développée. Les simulateurs devraient être en mesure de correspondre aux derniers standards reçus et évoluer concomitamment à la modernisation des équipements dans les forces.
Proposition 3 :
« Saisir les opportunités offertes par la possibilité de contractualiser avec le secteur privé, tout en veillant à la compétitivité, la confidentialité et à la souveraineté des solutions proposées et sans se départir de compétences clés en interne ».
L'externalisation ou la sous-traitance peuvent répondre à trois principaux besoins des armées : palier une disponibilité technique des matériels trop limitée pour répondre aux besoins d’entraînement, améliorer le réalisme des entraînements en déployant, par exemple, une force adverse, ou encore déléguer des missions d’élaboration de scenarii ou d’appui et de soutiens lors de grands exercices. Cette solution est généralement guidée par une logique d’efficience, dans un contexte ou les ressources sont limitées. Le choix de l'externalisation soulève cependant des questions en matière de souveraineté et de perte d'expertise opérative au sein des armées. Il est donc nécessaire que le recours aux prestataires soit encadré, ponctuel et évalué au cas par cas en fonction des besoins, afin de ne pas créer de faiblesse au sein de l’armée française. Il convient également de favoriser les solutions développées en interne, lorsque cela est possible, et ce d'autant plus lorsque ces dernières sont gages d'une plus grande indépendance pour les armées. L'équilibre doit être préservé entre la quête d'efficience et la préservation des savoir-faire.
Proposition 4 :
« Augmenter le niveau des stocks de munitions, y compris complexes, pour donner la possibilité aux militaires de s’entraîner davantage en conditions réelles ».
Le manque de munitions (en particulier les très onéreuses munitions complexes) est un frein important à la préparation opérationnelle. Dans le cadre de la mise en place de l’économie de guerre, une réflexion est en cours avec les industriels de la base industrielle et technologique de défense, pour réduire les coûts. À titre d’exemple, l’entraînement sur LRU varie selon la gamme des moyens mobilisés : allant de la procédure de feu sans tir, en passant par le tir avec des munitions d’exercice (munitions anciennes, anciens lanceurs allemands, sans effet militaires), aux munitions de guerre. En raison du coût élevé des munitions (une roquette coûtant entre 100 000 et 150 000 euros), cette dernière option n’est utilisée que pour sanctionner la procédure de tir.
Proposition 5 :
« Approfondir la prise en compte des enjeux du combat multimilieux et multichamps et l’acquisition des savoir-faire dans le haut du spectre pour faire face aux exigences de la haute intensité ».
Les rapporteures soulignent la nécessité pour les forces armées de s'adapter rapidement à l'évolution des menaces en maintenant une préparation opérationnelle réactive et adaptable. Cela implique une formation accrue pour traiter les champs matériels et immatériels des guerres d’aujourd’hui, de manière combinée. Les forces armées recrutent et forment des experts pour prendre en compte les enjeux spatiaux, les cyberattaques, les fonds marins ou a très haute altitude. Cependant, la fidélisation de personnel qualifié en matière numérique et cyber est un vrai défi.
Pour autant, les compétences historiques ne doivent pas en pâtir et la réduction de la dépendance au numérique doit rester un objectif majeur dans la quête de résilience des armées françaises.
Proposition 6 :
« Continuer de rechercher une plus grande interopérabilité entre les trois armées et avec les armées partenaires à travers l’organisation d’exercices interarmées et interalliés ».
La consolidation de la préparation interalliée est essentielle. Ce type d’entraînement correspond aux scenarii d’engagement de la France en coalition et rend crédible la capacité de la France à assurer le rôle de Nation cadre. L'interopérabilité interarmées est également un réel besoin, notamment en ce qui concerne l'interaction des systèmes d'information entre les trois armées. Les grands exercices permettent de s'entraîner avec l'ensemble des services de soutien, ce qui est essentiel pour tirer des enseignements complets. En outre, il est judicieux de continuer à rapprocher la préparation opérationnelle du domaine des opérations en multipliant le nombre d'exercices réalisés durant les missions opérationnelles, comme AIGLE en Roumanie ou LYNX en Estonie.
Proposition 7 :
« Sensibiliser et réfléchir aux modalités d’association de toutes les composantes de la Nation aux enjeux de la préparation opérationnelle dans une perspective de Défense globale ».
Cette dernière proposition a fait débat. Brigitte Liso considère qu’il peut s'avérer nécessaire d'initier avec les administrations et les employeurs, des protocoles qui permettent d'éviter les réactions de panique en cas d'alerte. La perspective d’un conditionnement de toute la Nation paraît disproportionnée et potentiellement dangereuse. Il est certes indispensable d’identifier les enjeux et les défis d’une réponse nationale à une crise, Madame Anna Pic serait cependant davantage favorable à une acculturation aux protocoles de réaction à une alerte de type militaire.