L'épineuse question du matériel militaire français vendu à la Russie
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En mars dernier, le média Disclose publiait une enquête mettant principalement en cause les industriels Thales et Safran. Selon le média d'investigation, les deux fabricants de matériel militaire français ont livré des équipements à la Russie jusqu'en 2020. Concernant Thales, il s'agissait de caméras thermiques "Catherine FC" et "Catherine XP". Ces équipements, qui ont été intégrés à plus de 1000 tanks russes, font partie intégrante du système de visée. Ils permettent de détecter des cibles humaines de nuit. Safran équipe quant à lui les chars russes "T-90", "T-72B3" ou encore "T-80BVM" avec la caméra thermique "Matis STD".
Toujours selon Disclose, l'industrie de défense française équipe également l'armée de l'air russe. Jusqu'en 2018, Thales a exporté vers la Russie son système de navigation "Tacan", son écran vidéo "SMD55S" ainsi que le viseur "HUD". Ces trois équipements sont destinés à 60 avions de chasse "Soukhoï Su-30". L'hélicoptère de combat "Ka-52" pouvant quant à lui compter sur un système d'imagerie infrarouge fourni par Safran.
Ces révélations précèdent de quelques jours des accusations de Mikhaïlo Podolyak, conseiller de Volodymyr Zelensky.
Le proche du président ukrainien a partagé le 22 avril dernier, une vidéo du journaliste Pavlo Kachtchouk qui s'étonne de la précision des tirs sur un véhicule civil à Boutcha : "Comment les soldats russes mal-entraînés ont-ils pu tirer de façon aussi précise avec du vieux matériel, post-soviétique ?" Selon le reporter ukrainien, la Russie doit cette précision à la caméra thermique qu'il désigne sur un char BMD - 4 capturé non loin de là par les forces ukrainiennes. "Les composants et les technologies de ces systèmes ont été vendus à la Russie par la compagnie française Thales" précise-t-il. Fait le plus embarrassant pour l'entreprise française, la date de fabrication est indiquée sur l'équipement en question. Elle remonte à juin 2016, c'est-à-dire deux ans après l'invasion de la Crimée et la mise en place par l'Union Européenne de l'embargo sur la vente d'armes à la Russie.
La mention "Made in Russia" apparaît également. En effet, ces équipements ont été assemblés en Russie grâce à des licences et des pièces vendues par Thales. “Ce n’est qu’un des nombreux schémas autorisant les entreprises françaises à contourner l’embargo", accuse Pavlo Kachtchouk dans sa vidéo. Ces informations on fait grand bruit en Ukraine, "Une famille a été tuée (...) avec des armes françaises vendues en contournement des sanctions." s'étaient immédiatement indignés les autorités de Kiev.
La clause "du grand-père" invoquée par la France.
“Aucun contrat d’export d’équipement de défense n’a été signé avec la Russie depuis 2014 et aucune livraison n’a été effectuée à la Russie depuis le début du conflit en Ukraine”, s'est défendu le groupe en avril dernier, avant d'ajouter que “toute information laissant penser le contraire est erronée et donc trompeuse”. Thales a depuis mis fin à toute activité en Russie.
Par ailleurs, Hervé Grandjean, le porte-parole du ministère des Armées avait justifié sur twitter : “la France [avait] permis l’exécution de certains contrats passés depuis 2014 au titre de la clause dite ‘du grand-père’”, selon laquelle “un contrat conclu avant l’annexion de la Crimée peut aller à son terme”. Selon le ministère des armées, “La France se conforme strictement à ses engagements internationaux, notamment le traité sur le commerce des armes et la position commune de l’UE”. Interrogé par la presse au cours d'un déplacement dans le Maine-et-Loire, le président Emmanuel Macron avait ajouté que "La France a pris les décisions qu'elle devait prendre en 2014 et je les défends ici, même si ce n'est pas moi qui les ai prises, nous nous y sommes scrupuleusement tenus et c'est qu'il convenait de faire"
Cette clause d'antériorité a permis aux industriels de défense français d'exporter pour près de 350 millions d'euros d'armement entre 2015 et 2020.
De nouvelles images viennent appuyer les propos Disclose
L'enquête de Disclose ne faisait pas seulement référence à Thales et Safran. L'entreprise grenobloise Lynred est également citée. Fabricant de capteur infrarouge destinés, entre autres, au marché militaire, Lynred a signé un contrat de 5,2 millions d’euros avec la Russie en octobre 2012, indiquent nos confrères. En 2016, soit 2 ans après l'entrée en vigueur de l'embargo sur la vente d'armes, il restait "258 détecteurs infrarouges" à livrer "à une société russe de défense".
Cette "société de défense russe" pourrait bien être celle qui fabrique les drones Orlan 10, très utilisés par l'armée de Vladimir Poutine. C'est en tout cas ce qu'indique les photos publiées sur Facebook le 18 mai par Pavlo Kachtchouk, le même journaliste ukrainien qui avait accusé Thales de violer les sanctions contre la Russie.
On peut y voir le détecteur Pico 640 Gen 2 produit par Lynred qui équipe la boule optronique de ce Orlan - 10. En outre, les photos laissent à penser que le drone a été fabriqué en février 2022 comme l'indique la date inscrite sur cette carte électronique.