Commander une base aérienne (BA123 d'Orléans)

Commander une base aérienne (BA123 d'Orléans)

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Bienvenue dans Défense Zone, le podcast qui traite des questions de Défense et de sécurité. Cette semaine, nous avons rendez-vous avec le commandant de la BA 123. C’est dans cette base de l’armée de l’Air et de l’Espace que sont stationnés différents escadrons de transports, notamment des A400M ainsi que trois unités des forces spéciales. N’oubliez pas de vous abonner au podcast ainsi qu’à notre magazine papier en vous rendant sur le site defense-zone.com

Nous vous souhaitons une bonne écoute.

 

Présentation

Je suis le Colonel Guillaume Vernet, commandant de la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy depuis un peu plus d'un an et demi. Je suis de l'armée de l'Air et de l'Espace et pilote d'hélicoptère de formation. J'ai passé la majeure partie de ma carrière à Cazaux, au sein d'une unité nommée le Pyrénées, où je me suis spécialisé dans le sauvetage au combat en hélicoptère. Vers le milieu des années 2010, j'ai effectué une transition vers les Forces Spéciales. J'ai eu la chance d'être sélectionné pour un échange aux États-Unis, où j'ai passé trois ans. J'ai également passé du temps en état-major, ce qui fait partie de notre cursus, avant d'arriver à Orléans pour prendre la tête de cette base.

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Les missions de la BA 123

Le point de départ d’opérations

Nous sommes devant l'outil principal d'une base aérienne. Vu de l'extérieur, on pourrait penser qu'il s'agit simplement d'une piste, mais c'est bien plus que cela. La plupart de nos opérations et engagements extérieurs se font depuis nos bases aériennes. Les avions partent d'ici, accomplissent leur mission, et reviennent. Cette base est un outil de combat où les gens, dès qu'ils passent l'entrée le matin, sont déjà au cœur des opérations. Cela concerne les équipages, mais aussi tous les autres personnels. Prenons l'exemple d'Orléans, avec deux pôles principaux : l’A400M, un avion en service depuis 10 ans, qui permet d'aller plus loin, plus vite, avec plus de charge. Cela nous affranchit de nombreuses contraintes de temps, d'espace et de charge pour la planification des opérations. Nous avons une multitude de personnes qui travaillent ici, car il y a des départs d'avions tous les jours vers l'extérieur pour des opérations en Afrique, au Moyen-Orient, sur le flanc Est européen, mais aussi des appuis vers les zones de souveraineté françaises. Environ 2600 aviateurs travaillent ici, sans compter notre soutien.

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Le quotidien d’un commandant de base

En tant que commandant, je dois transformer les volontés politiques et les directives des états-majors en actions concrètes. Cela inclut la sécurité, la tactique, les procédures et les règles de gestion. Mon travail est de faire en sorte que tous ces métiers et personnels, environ 3000 personnes, puissent opérer efficacement chaque jour. Nous avons aussi les forces spéciales ici, avec trois des quatre unités de l'armée stationnées à Orléans, comprenant le CPA 10 et le CPA 30, les commandos parachutistes de l'air. Mon rôle est de veiller à ce que les opérations puissent être menées avec les moyens et le tempo qui nous sont imposés, et que le succès soit au rendez-vous. Nous avons mené des opérations emblématiques, comme l'extraction de ressortissants dans des zones hostiles ou la récupération de familles de djihadistes en Syrie. Ces missions décollent d'Orléans et se terminent ici.

 

L’opération d’évacuation de l’aéroport de Kaboul

Que ce soit pour les ressortissants de Kaboul ou les familles de djihadistes, le point de chute final n'était pas ici. C'est le travail du Quai d'Orsay et des Affaires étrangères de trouver un point de chute adapté à ce genre de situations. Il y a toute une série de questions d'immigration et d'autres dispositifs pour lesquels nous ne sommes clairement pas équipés. Les arrivées se font plutôt sur une base comme Villacoublay ou dans des aéroports civils où toutes les installations sont prévues pour accueillir des passagers. Concernant l’A400M, bien qu'il ait une grande capacité en volume pour transporter de gros colis, il n'offre pas beaucoup de place pour des passagers. En termes de places assises, c'est un petit avion pouvant accueillir environ 100 personnes. Ce n'est donc pas un hub pour passagers, mais plutôt un outil logistique pour transporter du fret.

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Pourquoi les forces spéciales sont-elles basées ici ?

C'est un peu le résultat de l'histoire de nos bases aériennes. Le stationnement géographique est le fruit de choix politiques. Chaque élu veut sa part du gâteau, donc les bases aériennes s'ouvrent et se ferment selon la volonté politique et l'influence des élus. Ces 20 dernières années, nous avons fermé beaucoup de bases aériennes, car il y avait moins besoin de forces militaires. Nous avons dû nous adapter pour accomplir les missions demandées. Historiquement, cette base est une base de transport qui a accueilli presque tous les avions de l'armée de l'Air. Le CPA10 s'est installé ici peu après la création du COS, car il y avait un quartier disponible et nous sommes proches de la région parisienne. Pour le « Poitou », son histoire est un peu particulière. Il était d'abord une division de l'unité de division opération spéciale basée à Toulouse, avant de se déplacer ici. C'est plus le résultat d'une plateforme permettant d'actionner les avions. Le choix d'installer l’A400M à Orléans a conduit à regrouper différentes unités ici, mais c'est plus le fruit de l'histoire et de multiples circonstances qu'un choix délibéré.

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Une première partie de carrière dans les hélicoptères

57 missions de sauvetage avec l’US Air Force

Avec l’US Air Force, j’ai réalisé environ 57 missions de sauvetage en 60 jours de terrain en effet, sur pas loin de 7 mois de mission en Afghanistan. Pour le nombre de missions, j'avais regardé ça dans mon carnet de vol, et après avec les décorations, tout ça a été consigné. J'ai eu énormément de chance de pouvoir être intégré dans ce milieu et de faire ces missions à ce moment-là. C'était plus un concours de circonstances, être au bon endroit au bon moment. Et je trouve que c'est certainement, et de très loin, la partie la plus passionnante de ma carrière. Quand on vous confie un équipage complet avec une machine assez incroyable, et que tous les jours vous allez récupérer des gens, pas toujours en bon état malheureusement, mais vous en sauvez quelques-uns, c'est vraiment gratifiant et très enthousiasmant. C'était un théâtre dur, il y a eu des moments difficiles. Après, je suis peut-être un peu naïf ou encore trop enfantin dans ma tête, mais je n'ai jamais trouvé ça dur. C'était excitant, plus qu’inquiétant.

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Le conflit en Afghanistan

Concernant le conflit en Afghanistan, on travaillait en shift de 12 heures, donc on faisait 12 heures on, 12 heures off. Notre travail, c'était d'aller cupérer des gens sous le feu à l'ouest de Kandahar, dans la vallée de l'Helmand. C'était une vallée reprise par la coalition, pied à pied avec les talibans. On briefait l'opération la veille, et les soldats, que ce soit les US Marines, les Royal Marines ou l'armée afghane, avaient pour mission de reprendre des positions aux talibans. Ils étaient régulièrement en contact, et savaient que nous allions les récupérer même s'ils étaient encore sous le feu. Dans ces shifts, on se faisait régulièrement tirer dessus. La première fois, j'étais impressionné, j'ai pris des photos, il y avait des trous dans ma machine. Mais très rapidement, c'est devenu banal, à tel point qu'on avait un patch, "l'aimant à bastos", et celui qui avait pris le plus de balles dans la semaine le prenait pour la semaine suivante.

C'était sérieux, mais on prenait les choses avec beaucoup de légèreté. J'ai eu énormément de chance, car j'ai eu un copilote qui a perdu sa jambe, un autre qui a été défiguré. Tout n'a pas été rose, mais j'ai ramené tout le monde. Pour mon successeur, malheureusement, six semaines plus tard, il y a eu un accident. Avant cet accident, on avait vécu presque un an et demi sans perdre personne, on se sentait presque immortels. On revenait souvent avec des trous dans le cockpit, le moteur, partout. C'était devenu quelque chose d'assez banal pour nous. Mais chaque fois que j'en ai parlé par la suite avec ma famille, mon épouse, ça paraissait assez imprudent pour un jeune père de famille.

 

Vous sentiez-vous prêt ?

A ce moment-là j’avais entre 30 et 31 ans. Se sentir prêt, on ne peut jamais vraiment dire qu'on l'est. Chaque fois qu'on prépare une qualification, on ne se sent jamais prêt. C'est après coup qu'on se dit qu'on l'était. J'ai d'abord rejoint l’US Air Force, où j'ai repassé mes qualifications sur Black Hawk, avec des particularités comme le ravitaillement en vol, que l'on ne faisait pas à l'époque en France. J'ai eu le temps de m'habituer à la machine, à la mission, aux habitudes, au langage, etc. Mais je n'ai pas eu à rougir de ce que je savais faire. J'ai appris des tactiques particulières, une façon de faire bien à eux, mais sur les fondamentaux, j'étais surpris de voir que ça se passait bien. On ne part pas directement en Afghanistan, donc j'ai eu le temps de m'adapter au style américain.

Quand il a été question de partir, c'était assez particulier. L'unité dans laquelle j'étais partait surtout en Irak et pas en Afghanistan. C'était un problème car je n'avais pas le droit de partir en opex, ce qui était mal perçu par mes camarades. Heureusement, quelques mois plus tard, au gré des nouvelles élections et décisions politiques, il y a eu un transfert des forces de l'Irak vers l’Afghanistan. Peu après Noël, lors d'un briefing, on nous a annoncé qu'on partait en Afghanistan. J'ai levé la main tout de suite, et on a trouvé deux équipages comme ça, au café. À ce moment-là, je me suis senti autrement, car je savais qu'on partait. J'ai été rapidement briefé sur l'opération et la volonté de reprendre la vallée d'Helmand dans l'Ouest. On est arrivé en même temps que 20 000 Marines. À ce moment-là, on se demande si on est prêt. J'étais très bien dans mon équipage, on volait ensemble depuis quelques semaines. J'ai eu la chance d'avoir des gens extraordinaires avec lesquels je me sentais très bien. On échange encore régulièrement par message. On se sent prêt dès que la première mission arrive. C'est la même chose qu'à l'entraînement, sauf que là, c'est en vrai.

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Lors des premiers échanges de tir, avec une escorte qui nous explique qu'elle est en train d'éliminer une menace ennemie, on réalise la gravité de la situation. Les dernières secondes pour récupérer les gens au sol sont intenses, il faut repartir vite, et c'est très grisant. Chaque mission est un nouveau défi. Pour mon premier détachement, j'étais copilote, donc plus exécutant. Il fallait être très précis dans la maniabilité de l'hélicoptère, savoir piloter avec précision sous la menace. Passer de ce rôle à chef de mission, c'est autre chose. Il faut décider si on envoie tout le monde au feu ou pas, si les conditions sont réunies, etc. C'est une phase de plus grandes responsabilités.

Chaque mission nouvelle vous demande d'être prêt d'une nouvelle façon. Il n'y a jamais de mission facile. Une fois, je suis allé récupérer un chien dépressif et un soldat qui s'était enfoncé un bâton de sucette dans le palais. On pensait que ce serait une mission facile, mais elle est devenue difficile en cours de route. Il ne faut jamais penser qu'une mission sera simple. Il y a des missions qu'on peut imaginer dantesques, extrêmement compliquées, avec des snipers installés, des menaces connues avant d'arriver, où finalement tout se passe bien. On est extrêmement concentré, uni, et on ramène tout le monde.

 

 

Le rôle de commandant

Comment fait-on pour prendre de meilleures décisions ?

Je pense qu'il faut rester très humble. Je ne sais pas si je prends les meilleures décisions aujourd'hui ou hier, mais l'expérience donne un peu de recul et de la hauteur de vue. On arrive à relâcher un peu la pression, à transformer cette pression en énergie. C'est un peu comme lever le nez du guidon, regarder ce qui est en dessous, et considérer les choses dans leur ensemble. Mon premier intérêt, c'est les hommes que je commande. Comment faire au mieux pour eux ? Les décisions doivent concilier un effort acceptable, une part de difficulté, et de l'autre côté, essayer de trouver des portes de sortie, des horizons visibles. C'est mon dénominateur commun, mon point de départ. Après, autour de ça, j'agence le reste. Je ne dis pas que c'est toujours facile. J'ai sûrement fait des erreurs, mis des gens en difficulté, mais on apprend aussi de tout ça. L'essentiel, c'est de produire quelque chose de mémorable.

Avec mon expérience en Afghanistan et le risque des missions, maintenant j'analyse les choses avec un peu plus de philosophie. Quand on a vraiment vécu avec une balle qui venait taper juste sous ses pieds, quand on voit ça et qu'on entend les gens hurler derrière, il faut vraiment faire quelque chose, il faut bouger. Aujourd'hui, je prends les choses avec pas mal de recul. Il n'y a pas le feu, on ne va pas mourir. Je ne sous-estime pas les situations, mais je les pèse d'une autre façon.

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Les différences et points communes entre l’armée de l’air française et américaines

Ce qui est marrant, c'est qu'on a la même culture. On a presque les mêmes blagues, la même façon de se moquer gentiment des autres armées. C'est surprenant, l'impression qu'on a évolué pareil. On a énormément de similitudes. Ma plus grosse difficulté, ça a été la barrière de la langue au départ.

Pour les différences, il y a pas mal d'idées reçues sur les Américains, notamment le fait qu'ils ne soient pas très débrouillards. Moi-même, j'avais cette idée avant de partir. Mais quand je suis arrivé avec les 20 000 Marines à Camp Bastion à l'ouest de Kandahar, on est arrivé sur une base initialement britannique qu'on a agrandie. On nous a livré des containers avec du bois, des palettes, des outils électriques portatifs, et on a construit nous-même notre camp. On n'a pas le monopole de la débrouillardise. Les Américains étaient inventifs, enthousiastes, pas du tout perdus dans le fait de bricoler. En termes de différences culturelles, les Américains ont une grande culture de l'oral. Ils sont très à l'aise pour prendre la parole en public. Un jeune aviateur était capable de faire un briefing devant 400 personnes dans un amphi plein. On n'a pas forcément ces compétences-là, ou du moins, on a tendance à se freiner un peu. Globalement, je ne sais pas, peut-être que je me suis vite assimilé, mais il n'y a pas tant de différences que ça.

 

Dernier conseil

Le conseil qu'on m'a donné venait du Général DeLong, qui était attaché de défense à Washington. Je venais d'arriver, mon avion se pose, directement à l'ambassade, et j'étais avec mon épouse. Il souhaitait la bienvenue et me demandait comment je considérais ces années à venir. Imaginez-moi, un capitaine devant un général trois étoiles, j’ai dit que c'était un challenge à venir. Je savais que j'arrivais avec un peu le statut de pionnier, parce que j'étais le premier Français dans les hélicos à faire cet échange. Le plus important, c’était que j'arrive à être à la hauteur de tout ça, en espérant en ressortir quelque chose de bon pour l'armée française. Et là, il m'a regardé et a dit, "Oui, je suis d'accord avec vous, seulement pour moi, le plus important, il est juste à côté de vous, elle est à gauche, c'est votre épouse." J'ai trouvé que c'était une très bonne philosophie.

On est tous ici passionnés par ce qu'on fait. On ne peut pas faire ce métier pour autre chose que la passion. Si on le faisait pour l'argent, ça serait autre chose. Et souvent, cette passion peut occulter un peu les à-côtés, et on peut s'oublier soi-même, on peut oublier sa famille. S'il y a vraiment quelque chose que j'ai retenu, c'est ça. Après, l'appliquer, ce n'est pas facile, parce que la réalité du terrain, du quotidien, vous rattrape. Il y a des obligations, parfois ça empiète un peu sur son temps et le temps de ses proches. Mais en tout cas, c'est un conseil que j'ai très bien pris. J'ai trouvé ça d'un grand courage qu'un chef me dise ça. Alors oui, c'est important, mais ce qui est vraiment important, c'est votre épouse à côté, parce que vous allez faire votre carrière, mais une fois que ça sera fini, il faut déjà que vous soyez entier, et puis il faut qu'elle n'ait pas juste subi votre voyage.

 

 

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