Vincent Wartner, reporter en zone de guerre

Vincent Wartner, reporter en zone de guerre

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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.

 

L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, qu’elles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.

 

Dans ce nouvel épisode, nous revenons sur le reportage exclusif sur la traque des djihadistes par l'armée irakienne que nous avons publié dans le numéro 7 du magazine papier Défense Zone.

Pour cela, nous partons à la rencontre de son auteur, le photojournaliste et réalisateur Vincent Wartner. Au-delà de ce dernier reportage en Irak, Vincent revient sur son expérience dans ce métier dangereux mais passionnant, celui de reporter en zone de guerre.

 

Présentation

Vincent Wartner est un photojournaliste et réalisateur de documentaires destinés à la télévision, au travers de sa boîte « Arbaro Production » qu’il a fondée en 2021. En janvier 2022, il se rend en Irak afin de traiter le sujet de la traque de Daesh par les forces armées kurdes et irakiennes. Ce sujet est publié dans le numéro 7 de notre magazine, que vous pouvez vous procurer dans notre librairie, et est aussi en cours de montage vidéo pour être proposé à la télévision. Vincent raconte s’intéresser à la thématique du terrorisme depuis 2015, et a également réalisé un sujet sur les femmes parties faire le djihad.

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Son reportage sur la traque de Daesh

L’élaboration du sujet

« L’idée était d’aller dans ce qu’on appelle les zones disputées, explique Vincent, qui se trouvent au centre de Bagdad dans le triangle de la mort, qui va du sud d’Erbil à l’ouest jusqu’à Tikrit, et qui va jusqu’à Bagdad à l’est. » Cette vaste zone désertique est contestée d’un côté par l’armée irakienne gouvernementale, et de l’autre par les forces kurdes qui disposent de nombreuses bases disséminées sur les routes. Vincent s’est rendu dans ce pays avec William Keo, un photographe de l’agence Magnum, dans le but de rencontrer les populations civiles attaquées par Daesh (banditisme, kidnapping, vol de nourriture, d’armes, de matériel, d’animaux etc.) et prises entre les deux feux kurdes et irakiens. Dans ce territoire disputé, les populations ne peuvent compter que sur elles-mêmes et ont dû s’armer et se défendre seules.

 

Les rencontres avec les populations civiles

Le photojournaliste a rencontré plusieurs communautés au cours de son reportage. L’une d’elles était facile d’accès car un peu isolée et « il suffisait d’avoir le bon contact au sein du village », indique-t-il. Pour les autres, une autorisation soit des forces kurdes soit du gouvernement irakien, voire parfois des deux, selon la localisation, était nécessaire. Vincent souhaitait capter des moments nocturnes pour son documentaire, ce qui n’a pas été sans difficulté : « on n’a pas eu l’autorisation de rester dans le village la nuit, car ils disaient que c’était trop dangereux, explique-t-il. Bon c’est vrai, ils n’avaient pas tort, mais on était là pour ça. On a tenté d’esquiver le checkpoint, de passer par un autre chemin, grâce à notre fixeur qui était très bon et qui trouvait toujours une solution quand on avait un blocage. » Les deux photographes arrivent ainsi de nuit dans un village, qui leur réserve un accueil très tendu, car les déplacements nocturnes y sont interdits, d’autant plus que les forces spéciales de la police fédérale sont présentes cette nuit-là. « Ça s’est très mal passé, il y a eu une tension d’un coup et on a été obligé de partir », relate Vincent, qui a pu le lendemain se rendre dans un autre village et y suivre les patrouilles nocturnes de civils qui veillent à ce qu’il n’y ait pas d’incursion djihadiste. Car encore une fois, il précise que les militaires kurdes ou irakiens interviennent rarement, pour « éviter qu’il y ait des mouvements de troupes subites [de l’un], et qu’il y ait une riposte [de l’autre]. »

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L’opération « Revanche »

Le réalisateur a pu suivre plusieurs opérations militaires des forces kurdes, irakiennes ou du SWAT. L’une d’elles, menée par l’armée irakienne, a duré 48 heures. Il s’agit de l’opération Revanche : « quelques jours avant, Daesh avait réussi à investir une base à côté de Bagdad, à venir au contact des militaires sur place, et il y a eu trois ou quatre morts, dont un gradé. Pour l’image de l’armée irakienne c’était une catastrophe, il fallait qu’ils répondent par un gros coup de com. C’est ce qu’ils ont fait avec cette opération qui a mobilisée des centaines de Humvee, des blindés, des hélicos, peut-être 3000 hommes sur place, des convois entiers. Ils ont essayé de traquer un groupe de Daesh dans une ville en les prenant en étau. Sauf qu’une colonne dans le désert, on les voit arriver à 50km. » Cette opération qui a nécessité beaucoup de mouvements de troupes n’a eu que peu de résultats : quelques IED (engins explosifs improvisés) désamorcés, mais aucun terroriste attrapé. Il s’agissait toutefois essentiellement de « montrer leurs muscles », insiste Vincent, et déstabiliser les groupes djihadistes dans le territoire.

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L’opération du SWAT kurde

Le dernier jour de son reportage, Vincent a l’occasion de suivre le SWAT kurde, dont la cible était une personne importante soupçonnée d’être l’un des cerveaux du groupe ayant organisé une mutinerie dans une prison syrienne. Après avoir rencontré le chef du SWAT, le reporter a le feu vert pour les accompagner. « Il y a eu trois faux départs dans la journée, et le suivant était le bon. A partir de là ça a été très vite, rapporte le photographe. On voit bien qu’ils ont été formés par des militaires, par des forces spéciales entre autres françaises, car ils ont une technique d’approche qui est vraiment bonne. Ils arrivent à épingler des membres importants de Daesh, avec des petites opérations très ciblées, bien préparées. Ils ont du matériel de pointe, des drones, du renseignement, ils sont très bons et ont des réussites. » Ce jour-là Vincent assiste à cette capture, et découvre également la « musée » du SWAT, qui réunit des armes et photos des djihadistes arrêtés ou tués par le groupe, mais aussi des objets de toutes sortes (drapeau islamique, monnaie frappée par l’Etat Islamique…). « C’est un peu leurs trésors de guerre », note-t-il.

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Partir en zone de conflit

Suivre les armées

Le photojournaliste a déjà travaillé avec plusieurs armées, et remarque que le point commun à toutes est qu’il leur accord, et donc trouver la bonne personne qui délivre cette autorisation. En France, la procédure est plutôt simple et fluide, et il a pu se rendre en Guyane en 2020 afin de réaliser un documentaire pour France Télé. Pendant un mois, il a accompagné neuf légionnaires du 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI) et un scientifique qui travaillait sur les garimpeiros et l’orpaillage illégal. « Ça a été une grosse expérience, je n’avais jamais été en forêt équatoriale, là j’ai bien compris les spécificités pour le matériel et pour moi-même », assure Vincent. Ce reportage en totale autonomie en petit groupe a créé des liens entre les soldats et le photographe, qui garde encore contact avec certains d’eux.

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Concernant sa venue en Irak, les autorisations ont été plus compliquées à obtenir : « il y a beaucoup de protagonistes dans ces zones-là, plusieurs groupes, plusieurs armées, chacun défend sa zone », souligne Vincent. Bien que le fixeur, dont le rôle est primordial, prépare l’arrivée du photographe en amont, cela se finalise sur place, « autour d’une clope ou d’un café. »

 

Reporter de guerre ?

En 2012, Vincent est envoyé à Gaza par le quotidien « 20 minutes » pour lequel il travaillait à l’époque. Bien que le journal ait une mauvaise image, Vincent défend cette rédaction qui a longtemps employé des photographes salariés et prenait en charge leurs frais de reportage (transport, logement…), des conditions de travail « royales » et « idéales » qui sont rares aujourd’hui. Il s’est donc envolé pour la bande de Gaza afin de couvrir les bombardements et la situation sur place. Malgré la violence et le danger autour de lui, il ne se considère par comme un reporter de guerre : « ok, je vais dans des zones où il y a des tensions. En Irak, on n’a pas vu de combats mais on rencontrait des gens qui sautaient sur un IED deux jours plus tard ou étaient tués dans une attaque djihadiste. Nous on a eu de la chance, on n’a pas été confronté à ça. Je n’ai pas connu de théâtre de guerre où j’étais pris sous le feu », nuance-t-il. S’il admet qu’à Gaza, « pour le coup c’était vraiment la guerre », il explique de ne pas avoir connu « cette expérience qui doit être ultra flippante d’un combat de rue où c’est n’importe quoi, on sait plus où aller, ça tire de partout, et où c’est au petit bonheur la chance. »

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Le cas de la guerre en Ukraine

Le métier de reporter de guerre, justement, fait beaucoup rêver. Alors quand la guerre s’est déclenchée aux portes de l’Europe, nombreux sont les photographes et journalistes à s’être rendus en Ukraine, car pour une fois le conflit était proche et ne nécessitait pas un gros budget que ce soit pour le transport ou le fixeur. Vincent déplore toutefois que beaucoup soient partis « la fleur au fusil » sans réfléchir à leur protection : « j’ai vu des posts de collègues sur Facebook demander « où on peut trouver un gilet pare-balles en Ukraine ? J’y suis, ça craint. » Non, on ne peut pas travailler comme ça en fait. On sait qu’on va sur une zone de guerre, on n’y va pas sans un minimum de protection ; et même avec un gilet, un casque, ce n'est pas une garantie d’avoir la vie sauve », rappelle le photographe. Je comprends qu’il y ait des photographes qui arrivent dans cette profession, voit une opportunité d’aller là-bas pour leur book, pour travailler, pour se mettre dans une situation tendue et voir s’ils sont faits pour ça. Car on entend plein de monde vouloir être photographe de guerre, mais il faut pouvoir le faire, ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir gérer ce stress, ramener de bonnes images, travailler dans ces conditions ou vous pouvez mourir. Il faut pouvoir le supporter psychologiquement et physiquement. » Il faut réfléchir en amont, peser les risques, d’autant plus que les grandes rédactions envoient souvent leurs propres équipes et ne sont donc pas intéressés par acheter le sujet d’un autre photographe.

 

Se protéger et être formé

Pour couvrir une situation en zone de conflit ou de guerre, il faut donc avoir un minimum de protection et de connaissances en secourisme, pour pas exemple savoir faire face à une blessure par balles, mettre un garrot etc. Vincent indique être parti en Irak avec un gilet pare-balles de niveau 4, un casque balistique et une trousse de secours. Celle-ci comprend des pansements israéliens, des garrots, en résumé le minimum à avoir toujours à portée de main, « même si vous êtes avec des militaires, qu’ils ont du matériel, des médecins », précise Vincent, car il peut arriver de se retrouver sur une route isolée par exemple, de subir une attaque ou d’être confronté à l’explosion d’un IED. Le reporter préconise de toujours privilégier ce type de matériel dans son sac, quitte à enlever des vêtements. Enfin, il ajoute que ces connaissances peuvent aussi servir en France.

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D’ailleurs, pour les photojournalistes et rédacteurs, mais aussi évidement les militaires, policiers ou tous ceux manipulant des armes à feu (chasseur, tireur sportif…), nous proposons une formation de secourisme en milieu hostile, délivrée par un ancien infirmier major de la Légion Etrangère et aujourd’hui instructeur en secourisme. Vous y apprendrez comment réagir face une blessure par balle notamment, utiliser votre matériel et appliquer les gestes qui sauvent.

 

 

Comment garder la tête froide ?

« On se concentre sur notre travail. Si on pense au danger tout le temps, on ne travaille plus ; si on travaille la peur au ventre, on travaille mal », indique Vincent, qui se remémore avoir appréhendé « l’enfer vert » guyanais, puis ne plus y penser pour éviter d’être « paralysé » et de ne plus savoir travailler. Dans les pays étrangers où il s’est rendu, une attaque, l’explosion d’un IED ou un tir de sniper pouvait arriver à tout moment. « C’est un mélange de chance et de prudence. Je suis quelqu’un qui n’aime pas se mettre en danger, donc je vais être très vigilant sur ce qu’il se passe autour, et très attentif aux conseils que me donnent les militaires que je suis, raconte Vincent. Il faut suivre aussi son ressenti, s’écouter, et si on ne le sens pas ne pas le faire. »

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Il ajoute que le mieux est de travailler avec un collègue, d’avoir un binôme car cela permet aussi de décompresser à certains moments, rire sur une blague pour couper avec la situation dramatique qu’ils vivent. Enfin, la caméra permet aussi de « mettre une barrière » avec la scène. Il se souvient avoir pris une photo dans un bloc opératoire, alors qu’il n’aurait pas supporté la scène s’il n’y avait pas eu la caméra qui agit comme « une espèce de gilet pare-balles. »

 

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