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Se former au secourisme en milieu hostile avec Claude Brunet

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Bienvenue dans Defense Zone, le Podcast qui traite des questions de défense et de sécurité à travers des entretiens avec des militaires, des membres des forces de l'ordre, des personnalités politiques, ou encore des entrepreneurs.
 
L'objectif de cette émission audio disponible sur toutes les plateformes en ligne de Podcast est d'ouvrir au grand public les portes d'un univers d'ordinaire plutôt secrets, dans le but de donner à réfléchir à des questions qui nous concernent tous, quelles soient politiques, géopolitiques, économiques ou plus largement sociétales.
Dans ce nouvel épisode nous partons à la rencontre de Claude Brunet. Cet ancien de la Légion étrangère est formateur en secourisme en milieu hostile. Il nous parlera de son expérience en opex et nous partagera des conseils très utiles. A noter que Claude propose une formation en ligne complète et utile, 100% en ligne, que vous pouvez retrouver ici.

 

DZ : Nous sommes à Auterive, à coté de Toulouse, avec Claude qui est formateur en secourisme. Peux-tu te présenter ?

CB : Je suis Claude Brunet, un ancien infirmier major à la Légion étrangère. J’ai servi sous les drapeaux pendant presque 21 ans. La Légion réalise des tests psychotechniques poussés. Ils ont repéré chez moi une capacité à devenir infirmier, je répondais aux critères psychologiques pour faire ce genre de métier. Je rêvais d’être sniper, et quand ils m’ont dit que je partais faire le stage brancardier secouriste, j’étais déçu. Mais ils me connaissaient mieux que moi-même car lors de cette formation je me suis découvert une vocation en fait !

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L’avantage de la Légion est d’y avoir reçu une formation médic de très bonne qualité. J’avais la chance d’avoir des camarades sud-africains avec une certaine expérience de la guerre en milieu isolé. Et j’ai eu aussi un instructeur qui a fait la guerre des Malouines, et connaissait bien tout ce qui était prise en charge d’afflux massif de blessés. Ce côté retex international, leurs anecdotes et expériences m’ont permis d’être opérationnel rapidement et de pouvoir faire face à pas mal de situations du mieux que j’ai pu.

Petite anecdote, j’ai beaucoup de qualifications grâce à mon poste. Je faisais les stages comme soutien en tant qu’infirmier, mais j’ai toujours insisté auprès du chef de stage pour participer aussi. Du coup en fait j’ai la qualif mortier, canon de 20, lance-flammes… Et donc Jess Pleiter m’a formé sur les mortiers, et c’était assez drôle de se retrouver plus de 20 ans après chez Terrang !

 

DZ : Peux-tu nous parler des tes missions, des opex que tu as faites ?

CB : Lors d’une opération en Afghanistan je suis passé à la télé dans un épisode d’Envoyé Spécial. Ça a fait parler parce que c’était la première fois qu’on voyait les soldats au combat. Je crois que le titre était « une guerre au nom de la paix ». Ça m’a permis d’être un peu connu dans le milieu médical, ça m’a ouvert quelques portes il faut l’avouer. Suite à ça j’ai été convoqué au Commandement des Forces Terrestres (CFT) de Lille afin d’exposer directement à un des officier généraux la problématique du secourisme. C’est de là qu’est sorti le sauvetage au combat.

 

DZ : Pourquoi, que s’est-il passé en Afghanistan à ce moment-là ?

CB : C’était en septembre 2007 jusqu’ mars/avril 2008. C’était un OMLT, une unité de mentoring de l’armée afghane. On est six, et on a entre 100 et 160 Afghans, de toutes les spé (démineurs, médic, tireurs d’élite, officier de liaison, traducteur...). On était accompagné des commandos parachutistes de la 11e BP.

Afghanistan, OMLT

A ce moment-là j’étais au 2e REG, et il y avait un décalage entre ce qu’on nous demandait de faire et le matériel qui était en dotation (beaucoup de matériel hospitalier, pas adapté). On était très pauvre en matériel opérationnel, notamment les sacs qu’on avait, des Dimatex des pompiers repeints en vert, complètement nus car ils pesaient très lourd, avec un agencement 100% médic sans possibilité d’avoir un camel bag dessus par exemple. On a donc fait une liste de tout ce qui n’allait pas. On avait eu notamment des problèmes avec les premiers garrots ; ça m’est arrivé que deux cassent, et les personnes sont mortes… Aller chercher quelqu’un de l’autre coté de la butte, sous le feu ennemi, le ramener, le mettre dans l’hélico, tu penses l’avoir sauvé. Et puis au décollage y a 2-3 roquettes qui ne passent pas loin de l’hélico, il fait des manœuvres d’évasion, et en fait comme il n’y a pas d’attaches le blessé fait des roulé-boulé dans la machine et le garrot casse. Les causes pouvaient être multiples : problème d’élastique un peu dur, des conditions météo très défavorables en plein hiver à plus de 2000m d’altitude, des garrots exposés inutilement aux intempéries…

Donc on a exposé tous ces problèmes-là et on a aussi parlé de la formation. Parce que les gens qui nous ont relevé venaient de plus de quarante unités différentes, sur 56 personnes ! Il y avait des aviateurs, des terriens, quelques marins, avec des formations et du matériel différents.

Le général m’a convoqué de nouveau derrière ça pour une grande réunion, où j’ai pu démontrer devant eux que le matériel était inadapté sur l’exigeant théâtre actuel. De fil en aiguille on a changé des matériels et on a lancé l’idée du sauvetage au combat.

 

DZ : Parce qu’il n’y avait pas de doctrine d’emploi à ce moment-là ?

CB : Depuis 2001 on était en Afghanistan et on était bon dans tout ce qui était hospitalier, par contre les soldats de terrain avaient des contraintes auxquelles les états-majors n’avaient pas pensé. Ensuite, il y avait peut-être aussi un souci de financement. On n’avait pas une oreille attentive sur le matériel qui ne coute pas très cher mais qui devait équiper tout le monde. On ne voulait pas que le soldat de base ait un garrot et se le mette lui-même. Je retiens une phrase du général Lesser. Il y avait le pharmacien en chef qui était là, et il a dit : « Equiper en garrot tous les OMLT, ça coute 250 000€ ». Ce à quoi le général Lesser lui a répondu : « Et bien ? Ce n’est pas cher, ce n’est même pas le prix d’un moteur d’un char Leclerc ! » Le pharmacien s’est retrouvé un peu désarçonné, et du coup chaque personne a reçu un garrot.

 

DZ : A l’époque les auxiliaires sanitaires n’avaient pas d’équipements persos comme on peut voir aujourd’hui ?

CB : On avait des anciennes trousses TTA, avec des pansements et des médicaments (douleur, diarrhée…), mais elles étaient dépassées. On avait 20 ans de retard comparé aux Américains. Avec une équipe de caméraman de Lyon on a tourné 18 mini-films sur le sauvetage au combat, à destination des OMLT qui prenaient la relève. Toutes les vidéos n’ont pas été acceptées, notamment une que je regrette. Elle montrait deux commandos montagne équipés à l’identique. Dans l’idée c’était « chaque combattant doit ressembler à un médic, chaque médic doit ressembler à un combattant ». Car en Afghanistan le service de santé des armées a commis l’erreur d’acheter des sacs noirs pour tous les médic, qui se retrouvaient seuls en noir au milieu des camo centre-europe. Donc en face l’ennemi savait qu’il fallait viser en premier celui avec le sac noir. C’est du détail, mais c’est ce problème entre les décideurs qui ont pensé à un sac médic bien agencé, et la réalité du terrain.

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DZ : Tu étais déployé à Huzbin en 2008 ? Parce que ça a été un peu le point de changement en termes de doctrine de pas mal de choses dans l’armée de terre.

CB : Non moi j’étais rentré. On avait fait les vidéos pour les OMLT, mais il y a eu Huzbin et ça a été récupéré par le service de santé et diffusé partout. A ce moment-là je suis passé sur la confection de la nouvelle trousse en lien avec la société Dimatex, comme conseiller technique. On a développé la trousse Bagram, mais encore une fois nous avons eu une vision différente de celles des autorités. Elles voulaient absolument un kit perf sur chaque combattant, nous étions la seule armée à procéder ainsi et je n’ai jamais compris l’avantage.  Ça fait une trousse énorme et par contre il n’y a rien dedans pour la bobologie. Celui qui s’ouvre le doigt avec sa culasse n’a même pas un urgo, il a juste le gros pansement israélien.

Maintenant ça a changé. Il y a vraiment une machine bien huilée en France, avec une grosse remontée d’infos des régiments, des retex des opérations, des cellules dédiées dans chaque arme pour évaluer les besoins spécifiques. Par exemple, un pilote de VBCI ne pourra jamais avoir une trousse de cuisse car il est trop serré, elle sera plutôt au niveau de la poitrine. La machinerie française a une administration énorme et qui prend du temps, mais une fois qu’on a pris le mouvement, on fait des choses extraordinaires.

 

DZ : J’ai eu l’occasion de suivre des classes de militaires, et ils ont tous des modules de secours au combat, pour savoir mettre un garrot, un pansement israélien etc.

CB : Là c’est pareil, c’est un peu en dent de scie. On a eu l’Afghanistan avec une formidable montée en pression, puis il y a eu Huzbin en 2012, et ensuite le sauvetage au combat est redescendu encore. Je suis passé dans les régiments, et j’ai vu qu’on est retombé dans les premiers errements et on a perdu du potentiel sur la formation. Le volume de formation du sauvetage au combat dans beaucoup de régiments avait été divisé par trois. Et avec le Mali, les grosses opérations, c’est reparti à la hausse. Mais je suis sûr que demain, si le Mali s’arrête, le sauvetage au combat va encore régresser.

 

DZ : Aujourd’hui les soldats ou les forces de l’ordre ont de plus en plus le reflexe de s’équiper par eux-mêmes, de constituer leur propre trousse du combattant. Est-ce-que ce phénomène n’est pas facilité grâce à internet, aux réseaux sociaux ?

CB : Sur Facebook ou Instagram, via mon compte « secourisme en milieu hostile » je reçois tous les jours des demandes de conseils car ils partent en opex.

Par exemple, j’ai vu un régiment de la Légion où les légionnaires n’avaient rien. C’est seulement lorsqu’ils partaient en opex qu’ils percevaient une trousse et avaient quelques jours d’instruction. En mission ou en exercice, c’est l’auxiliaire sanitaire qui transportait tout. Au fur et à mesure ils s’achetaient donc du matériel pour se soigner dans le cas où l’auxsan ne soit pas avec eux.

Deuxième chose, les gens s’entrainent de plus en plus lors de stages où il y a des scénarios médic. Et si on n’a pas de matériel, si on fait juste semblant de poser un pansement, ce n’est pas crédible.

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DZ : C’est un peu comme si tu ne percevais pas de munitions pour aller au stand de tir.

CB : Exactement. Donc il y avait ce besoin. Ensuite, à l’époque c’était beaucoup de trousses de cuisse. Or pour au moins 30% des soldats, comme le pilote du VBCI, elles étaient inutilisables. Alors ils s’achetaient une poche à mettre sur le gilet, ils adaptaient à leurs contraintes opérationnelles.

Par exemple chez Terrang on a vendu 64 000 garrots à cliquets en France, et en majorité à des militaires.

 

DZ : Pourrais-tu rappeler l’intérêt des garrots, et d’en avoir un en fond de sac même pour celui qui part en randonnée en montagne ?

CB : Il y a deux choses. Le garrot n’est pas l’alpha et l’oméga de la prise en charge. Avant, c’était un acte médical. Au tout début quand j’étais commercial, j’allais voir les SAMU, pompiers etc et je présentais les garrots. On me répondait « mais enfin on n’est pas en guerre ». Il a fallu le Bataclan pour qu’ils me disent qu’il leur en fallait 4000.

Deuxièmement, le garrot c’est comme la trousse individuelle : ce ne sera pas le même pour tout le monde. Certains vont avoir des contraintes et partiront sur un garrot CAT parce qu’il n’y a pas de métal dessus, d’autres partiront sur un RMT parce qu’il est large, des gens qui travaillent seul (services spéciaux qui n’ont pas de service de santé quand ils sont déployés) prendront des garrots fins et discrets, certains vont préférer le RST car il est rapide à mettre (pilote d’hélico par exemple, le garrot est déjà sur la cuisse et s’il se prend une balle il a juste à serrer), pour un plongeur il prendra un garrot assez fin pour être adapté et plus efficace sur sa combinaison en néoprène. Il y a pleins de spécificités, et l’avantage du garrot est qu’en primo-intervenant ou pour soi-même c’est très facile à mettre.

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65% des blessés au combat le sont aux membres. On pose un garrot, on sait que la personne ne va pas mourir d’une exsanguination. Après il ne faut pas tomber dans l’effet inverse, lorsqu’il y a une petite coupure un pansement compressif suffit. C’est un tout, comme une boite à outil.

Il n’y a pas tant de choses que ça à avoir : un garrot, un dispositif hémostatique, des compresses, un pansement étanche, un pansement à valve, un peu de scotch, une paire de ciseaux, une paire de gants, un pansement compressif. Voilà en gros, avec une centaine d’euros on est équipé, et cette trousse sera utile autant à quelqu’un qui prend une balle qu’à un autre qui se blesse en montagne.

 

DZ : Quel est l’intérêt pour quelqu’un de se former au secourisme en milieu hostile, qu’il soit chasseur, policier, tireur sportif, militaire… ?

CB : Première chose, s’acheter du matériel c’est facile. Il suffit d’aller sur internet, cliquer, acheter. Maintenant il faut savoir s’en servir. C’est come si je te donne une Porsche alors que tu n’as pas le permis. Soit elle reste dans le garage soit elle finit dans le mur. Pour le médic c’est la même chose. S’équiper c’est bien, se former c’est mieux.

Deuxième chose, on fait bien que ce qu’on fait souvent. Dans mes formations secourisme en milieu hostile notamment pour les ambassades, je leur conseille, vu qu’ils sont tous dotés de garrot, de les sortir et s’entrainer à les poser tous les lundis. Il faut répéter, parce que ce n’est pas le jour où on se prend une balle ou un IED (engin explosif improvisé), qu’il faut se poser des questions sur le garrot. C’est trop tard.

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L’intérêt est aussi de former des gens qui n’ont pas accès aux formations de bonnes qualités de l’armée. Typiquement ça peut être la police municipale, qui est limitée avec juste le SST. Et tous les agents de n’importe quelle administration, que ce soit de transport (SUGE), les opérateurs du Ministère (affaires étrangères, éducation nationale, culture…), les ambassades (des pays en guerre ou juste soumis au banditisme comme le Mexique), ou juste les gens souhaitant se former pour être primo-intervenants car on a de plus en plus d’agressions gratuites partout en France et qu’ils veulent se protéger.

Pourquoi le secourisme au milieu hostile par rapport à d’autre ? C’est qu’on fait à la carte. Je fais des formations différentes pour des gens en aéroports, pour des opérateurs des affaires étrangères qui partent en Syrie, ou pour le policier municipal qui travaille en quartier sensible. Ce ne sont pas les mêmes budgets, les mêmes missions, donc on va adapter à chacun.

 

DZ : En France il y a le service de santé des armées, mais dans l’univers civil est-ce qu’il y a des organismes qui donnent des cours publiques ?

CB : Déjà je suis très content des stages comme le SST, car ils ont été améliorés (pose du garrot…) Mais c’est assez limité tout de même. Quand j’ai fait mon SST j’ai vu la personne faire un garrot avec son écharpe en laine, alors je me suis permis pendant mon stage de lui faire un rappel. Après, j’ai fait mon recyclage, je suis tombé sur un ancien militaire et c’était super.

L’important c’est de diffuser au maximum le savoir. J’ai formé par exemple 500 agents sur des bateaux à une formation anglaises obligatoire pour les agents de sécurité en mer (contre la piraterie). La meilleure récompense pour moi après a été de recevoir un message m’informant qu’un gars a réussi à sauver son collègue qui s’est pris une balle, c’est la reconnaissance ultime.

Pour les formations tactiques, on a les protocoles américains T3C (le sauvetage au combat, qui n’est pas enseigné aux civils) et TECC (la déclinaison du T3C version civile pour les policiers, agents de sécurité) Ils sont dispensés par des organismes privés, et parfois des pompiers par exemple peuvent être envoyés à ces stages pour faire face aux violences urbaines etc. UMIH fait beaucoup de formations pour le SAMU par exemple, et adapte son cours à son public.

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Ensuite, on a une nouvelle formation, qui est pour les agents de sécurité armés. Ça a été discuté après le Bataclan et ça commence à se mettre en place. Il y a plusieurs niveaux (gazeuse, matraque télescopique…) et il va avoir un petit kit de cheville. La version au-dessus est l’agent de sécurité type celui dans les parcs d’attractions (arme port discret sous une veste) avec un kit à la ceinture un peu plus équipé (dispositif hémostatique, matériel fin, plat, technique, pour rester low profile). Et après on a les agents de sécurité du plus haut niveau comme Areva ou Melox qui gardent les centrales nucléaires (armes longues, casques, gilets pare-balles) avec un kit médic ou une trousse de cuisse et du matériel supplémentaire dans le véhicule.

 

DZ : Après le Bataclan il y a eu une recrudescence de formations, de secourisme en milieu urbain, dans l’éventualité d’une tuerie de masse pendant laquelle il faut savoir mettre un garrot, arrêter une hémorragie etc.

CB : Avant le Bataclan, j’avais l’impression de prêcher dans le désert, je faisais face à des pompiers ou des groupes d’interventions peu réceptifs. Et puis il y a eu les attentats, et le lendemain j’ai eu des appels pour des lots de matériel ; en 15 jours tous les stocks de garrots étaient vides. Et d’un autre coté on a des milliers de spécialistes qui sont sortis de l’ombre et sont devenus experts en terrorisme, en secours etc. « Secourisme en milieu hostile » est né en 2008. Il y a même eu des gens que j’avais formé qui proposaient leurs propres formations. Ensuite ça s’est un peu tassé car il n’y a pas de place pour tout le monde, donc ne sont restés que les organismes avec un peu de crédibilité. Mais il ne faut pas se leurrer, il y a eu beaucoup de gens qui se sont fait beaucoup d’argent en profitant de ce moment-là, avant que le Ministère de l’intérieur mette le nez dedans.

 

DZ : Aux Etats-Unis, le fait d’avoir des notions de secourisme au combat est beaucoup plus ancré dans la culture, le fait de savoir soigner une blessure par balle est important car le port d’arme est autorisé. Et il y a aussi les tueries de masse dans les lycées par exemple.

CB : Justement, les Américains avaient beaucoup d’avance sur nous et nous on les voyait comme des cow-boy, on se moquait d’eux. Quand je discute avec mes fournisseurs américains ils me disent toujours : « Nous on s’équipe parce qu’on n’a pas un service de santé aussi performant que vous en France ». Quand on regarde le nombre d’hélicoptères médic en France c’est énorme. On a tout en double, et il y a cette compétition entre les rouge (pompiers) et les blancs (SAMU) qui fait qu’on est toujours au taquet, on veut être meilleur que les autres. A la montagne on a le PGHM et les CRS montagne.

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Cette façon particulière de sauver les gens en France est très performante pour du sauvetage à la personne, mais les Américains sont en avance sur les tueries de masse, car en effet il y en a beaucoup, environ 1000 morts par an dans ce type de situation. Chez eux ils ont aussi cette culture américaine de se prendre en charge tout seul. Ils ont un kit dans la voiture, dans la maison. J’aime bien cet aspect ; moi mes enfants ont un kit dans leur sac et ça leur a déjà servi plusieurs fois. Mon fils fait du hockey et il y en a toujours un qui se prend un coup de crosse. Je remplis le kit médic de mon fils en permanence !

C’est peut-être aussi le mouvement survivaliste qui commence à percer un peu en France. Les gens aiment bien se prendre en charge eux-mêmes. Bien que certains attendent juste la becquée du gouvernement. Dans mes clients, je vois la différence suivant les armes, et il y a beaucoup de gens qui n’achètent aucun matériel perso et prennent juste ce que leur donne l’administration. Alors ils râlent toujours qu’ils n’ont pas de matos ou de bon matos, mais sortir 5€ pour s’équiper c’est hors de question !

 

DZ : La mouvance du survivalisme arrive en France même si ça a encore du mal à prendre parce que ça vient des Etats-Unis, et ça a une image très clichée du mec dans son bunker qui donne une arme à son enfant.

CB : C’est ça, en France c’est complétement déformé. Aux Etats-Unis le survivalisme a une bonne image. Personnellement, on peut considérer que je suis preppers (désigne littéralement « ceux qui se préparent ») car j’ai toujours ce qu’il faut dans ma voiture, un sac prêt, car je me suis déjà fait avoir.

 

DZ : Ça te vient de l’armée aussi, d’être prêt, d’avoir son sac de fait.

CB : Oui, mais quand tu regarde les médias ils te cassent le mouvement survivaliste à fond. Ils le font passer au mieux pour des beaufs au pire pour des dingues, des para-militaires qui se préparent pour la guerre. Il suffit d’aller sur le site du Ministère des affaires étrangères et tu vas voir que tu as des listes de go-back, tout ce qu’il faut pour se préparer quand on est expatrié. Ça, c’est du survivalisme aussi. Tu vas sur les sites de la préfecture de la Guadeloupe par exemple, on va te prévenir du risque sismique et te conseiller (trois jours de nourriture et d’eau en avance dans la maison). Quand c’est l’Etat qui le dit on félicite, quand c’est un particulier on le critique de faire des réserves et on le fait passer pour un fou.

 

DZ : Il y a quelque chose que j’ai trouvé très surprenant dans ta formation, c’est que tu as commencé à parler de choses qui n’ont rien à voir avec l’image du secourisme. Tu as parlé de la manière de se préparer, d’analyser le risque, d’anticiper. Pourquoi parles-tu de ces aspects et en quoi c’est important cette phase de départ (l’acronyme SAFE) ?

CB : Parce que mieux vaut fuir que mourir, déjà. A l’armée quand on te donne un objectif, tu es obligé d’y aller, c’est ta mission. Maintenant quand tu es avec ta famille, là tu réfléchis et tu ne penses pas forcément à jouer les héros et emmener les enfants en zone hostile. Donc le fait de sensibiliser les gens à regarder où sont les sorties de secours, à s’approprier leur environnement, à avoir les applications comme « Staying Alive » pour savoir où sont les défibrillateurs, les secouristes… C’est pour protéger sa famille. On n’est plus dans la mission, là on pense à soi.

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Je n’invente rien, quand tu conduis c’est la même chose, tu n’attends pas d’avoir l’accident pour avoir une assurance.

 

DZ : Tu as dit que lorsque tu es préparé, que tu as déjà fait plusieurs fois la manip, tu es plus à même de prendre des bonnes décisions car tu n’es pas aveuglé par les émotions du moment, et donc ça rejaillit sur la victime que tu essayes d’aider. Elle voit que tu es en confiance. C’est un conseil qui marche pour tout au final.

CB : Quand j’étais à l’EPPA (Ecole du personnel paramédical des armées) pour devenir infirmier, j’ai eu des petits soucis chez les pompiers. J’avais tendance à rendre les coups qu’éventuellement on allait me mettre. Je me suis mis au krav-maga (sport de combat israélien) et ça m’a rendu zen. Plusieurs fois, je prenais des gardes au SAMU, aux urgences, en plus de mon travail d’infirmiers. Je travaillais toute la journée au régiment, la nuit aux urgences, et je réattaquais la journée le lendemain. Je faisais deux jours de boulot non-stop. Grâce au krav-maga, quand quelqu’un venait m’agresser je n’étais plus dans l’agressivité. Le fait de se former aux gestes en zone humide, d’avoir un peu de stress, de driller, ça te rend plus confiant que celui qui part dans tous les sens, cherche le matos, est en panique. Et c’est très important pour la victime. J’ai eu des collègues blessés au combat et ce sont eux qui rassuraient le médecin ou l’infirmière !

 

DZ : Tu peux apprendre à utiliser le matériel, mais comment tu apprends à gérer une pression sur le terrain quand ça tire de tous les cotés et qu’il faut soigner ton collègue par terre, ou te soigner toi-même ?

CB : Soit on l’a, soit on ne l’a pas. Celui qui est déjà stressé dans sa vie, on ne pourra pas en faire quelqu’un de très confiant qui va tout gérer tranquillement. Là où on va avoir une plus-value c’est sur des gens calmes ; on va leur donner un protocole qu’ils vont appliquer et ça va les rassurer. Et comme ils se seront continuellement entrainés, le jour J, même s’ils ne sont pas 100% en confiance, ils vont mettre en place ce protocole, se rassurer, et par conséquent rassurer la ou les victimes.

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DZ : Quelle est l’intervention sur laquelle tu as eu le plus de boulot, la situation la plus dingue que tu as faite en tant que médic ?

 

CB : Ce n’est pas forcément sur l’intervention avec le plus de blessés que ça a été le plus chaud. Pour moi le plus chaud ça a été en Afghanistan par exemple. On était en patrouille avec les forces spéciales américaines. On partait de Kaboul, on descendait dans la vallée de la Kapissa et on faisait différents coups rapides sur différentes positions pour essayer d’attraper le taliban ciblé. L’embuscade a commencé vers 16h, mon collègue s’est pris une balle dans la tête à coté de moi. Ça a traversé le casque, fracture du crâne. On n’arrêtait pas de se faire tirer dessus et on essayait de partir vers la rivière, même pas par la route car elles avaient été piégées avec des explosifs. Et ça tirait de partout. Je suis le dernier véhicule de la colonne. Je pensais que mon collègue était mort. Déjà je shoote le tireur, mais d’autres continuaient. Et on a le dilemme : je sauve mon pote, je tire sur les embusqués autour ? Tu descends, tu commences à t’occuper de ton collègue, tu te fais tirer dessus tu remontes etc. C’est l’exemple typique de l’intervention merdique. Je n’étais pas 100% médic sur ce coup. J’aurai aimé pouvoir techniquer mon collègue comme il faut, mais tu es obligé de te diviser en deux. Il s’en est sorti, on a tenu un bout moment quand même. Un premier hélico a essayé de se poser pour le récupérer mais il s’est fait rafalé, il est parti, s’est fait réparer et est revenu. Ça, ça m’a marqué.

Après, lorsque j’ai eu le plus de travail ça a été la fois où j’ai eu 14 blessés, avec le médic américain de la 101e airborne touché. Tu as les blessés qui arrivent les uns après les autres, encore et encore. Le problème est au niveau matériel, tu n’as que ton petit sac fait pour sauver deux ou trois hommes, et en quelques minutes tu n’as plus rien. Les Américains tout autour ont réassemblé pleins de sacs et là c’est le contraire, ils te balancent pleins de matos, mais en vrac. Tu es obligé de fouiller dedans, tu ne connais pas, et tu as 14 soldats alignés par terre avec des blessures différentes, des brulés, des poly-criblés, des amputés, d’autres qui ont une balle dans la jambe et un garrot, ou touché à la tête… Plein de cas différents, tu perfuses quand même parce que ça ne prend pas beaucoup de temps, mais il faut analyser tous les cas. Et il faut avouer que tu n’appliques pas à la lettre les protocoles comme qu’on t’a appris à l’hôpital. Tu as la pression, en plus tout le monde te regarde : les Français qui te disent qu’il faut assurer, les Américains parce que c’est leurs collègues par terre. J’ai eu de la chance que la cavalerie américaine soit arrivée rapidement et je n’ai pas eu besoin de les gérer plus de 20-30min.

 

DZ : A ce moment-là tu étais en mode manager ?

CB : C’est ça, je triais. Sauf qu’à l’époque je n’étais pas formé sur ce triage justement. J’ai beaucoup appris là-bas en techniquant des afghans blessés avec des médic américains. Je me rappelle qu’ils se mettaient pleins de morceaux de scotch sur le pantalon, et j’ai compris après qu’ils les utilisaient pour techniquer des petits trucs. On avait fait un protocole, des atèles, collier cervical etc, on avait beaucoup de matos, eux je ne les ai jamais vu avec ce genre de matériel. Ils disaient que si le gars avait survécu à un impact de balle, il n’allait pas se casser les cervicales en changeant de place. J’ai appris là-bas de façon simple, protocolisée certes mais avec des choses qui sont vraiment utiles. Le message d’evasan (évacuation sanitaire) qu’on avait nous Français était beaucoup trop long. Avec le 9-9 medevac (évacuation médicale) c’était fait en une ou deux minutes au lieu de trente. C’est pour ça que lorsqu’on est rentré en France on a voulu en faire profiter tout le monde.

 

DZ : Tu as pas mal d’histoires à raconter je pense sur l’Afghanistan. Est-ce que tu pourrais nous parler de la fois ou tu as dû intervenir sur un taliban justement ?

CB : Ah oui ! Ça nous arrivait pleins de fois, en Afrique aussi. En fait, il y a des gens qui nous agressent, nous tirent dessus pour nous tuer, on réplique, ils s’en vont. Quand on va sur l’objectif, parfois on trouve un blessé abandonné par l’ennemi. Et nous à la Légion, au combat tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, donc on prend en charge comme si c’était un de nos alliés.

Un autre exemple en Centrafrique. On était caché près de l’aéroport à 2h du mat, tout le monde dormait sauf les sentinelles. Un taxi passe doucement, s’arrête. Mon collègue regarde et voit le conducteur, un peu louche. Le taxi accélère, passe devant nous, et un mec à l’arrière nous rafale à la kalash. Les deux sentinelles ripostent et en fait la rue était un cul de sac. On voit le taxi essayer de passer partout, mais au bout d’un moment il faut revenir. Et à ce moment-là on était tous bien réveillés et on l’attendait ! Hélas pour moi, ils ne sont pas tous morts dans la voiture, donc j’y suis allé et il y avait du travail niveau médic.

 

DZ : Ça doit être terrible de devoir intervenir sur autant de personnels, amis ou pas, qui sont parfois dans des états inimaginables ?

CB : C’est là où la Légion est bien. Mon profil psychologique était parfait pour faire ce genre de boulot, donc moi ça ne m’a jamais dérangé, je n’ai pas eu de cauchemars etc. Je ne sais pas comment l’expliquer, pour moi ça déroule naturellement. C’est comme un alpiniste qui gravit sa voie malgré le danger, va jusqu’en haut, ne se pose pas de question. C’est la même chose dans le médic ; je me forme tout le temps, je fais mon travail, je n’ai ni appréhension ni lassitude.

 

DZ : Quel est le conseil que tu donnerais à quelqu’un qui aurait envie de se lancer dans ce métier, dans le secourisme en milieu hostile, dans le médic ?

CB : Je pense qu’il ne faut pas se prendre pour Dieu. On ne sauve pas tout le monde. Beaucoup de gens s’imaginent qu’en étant médic, on va avoir des super protocoles et matériels. On va sauver une personne et se dire que c’est super, en sauver une deuxième… et se monter un peu la tête. Et puis là tu vas en perdre un

Formation SMH, Claude Brunet, secourisme en milieu hostie

En fait, le conseil que je donnerai aux gens qui veulent rentrer dans ce métier, c’est de rester humble. Parce qu’il faut bien se dire que le médic au combat voit surtout les points chauds, tu es appelé à chaque fois qu’il y a un gros problème. Ensuite, il faut être fort intellectuellement, car c’est nous qu’on vient voir lorsque ça ne va pas. Tu as déjà tes problèmes à digérer, il faut aussi gérer ceux des autres. Tu portes le même matériel que le combattant et le matériel de santé en plus ! Quand les gens se posent, toi tu dois les soigner. Il faut donc être au-dessus des autres au niveau moral, avoir la niac pour tenir. Mais d’un autre coté tu es très protégé, entouré, tu es un pion unique. Et enfin tu as aussi la satisfaction de la partie formation, ça fait plaisir quand on t’appelle pour te dire qu’une vie a été sauvée grâce aux formations et gestes que j’ai transmis.


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